Mes interventions sur la guerre au Moyen-Orient

13 août : Je regroupe, pour plus de lisibilité, mes interventions relative à / ou en rapport avec le conflit au Moyen-Orient, comme événement mondial

Journal de guerre d'un enseignant franco-libanais domicilié dans la Beqaa Commencé le 13 juillet, mis à jour 23 août

Dans la guerre de l'information, et notamment celle des communiqués des parties belligérantes et de leurs relais médiatiques, il est illusoire de vouloir se faire une opinion de certaines réalités, et les images avec ou sans commentaires ne sont pas, contrairement à ce que beaucoup semblent croire, plus porteuses de "vérité" que les textes. Ce journal ne se borne certes pas à décrire des faits, mais il en fournit beaucoup qu'on ne voit ni n'entend ailleurs. De ce point de vue, et bien que ne souhaitant pas en rajouter au défilement événementiel qui ruine toute compréhension en profondeur,  j'ai trouvé un grand intérêt à ce blog écrit sous les bombes au jour le jour. Une question angoissante : jusqu'à quand ?

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19 août

" « Qui a gagné » ? "

De toutes parts, comme en écho à "Qui a commencé ?", c'est la question posée : qui a gagné la guerre au Liban ? Dernière livraison en date, d'un altermondialiste expert en Moyen-Orient, Alain GRESH, rédacteur en chef du Monde diplomatique. Qui a gagné (I) ? Du côté d’Israël , Qui a gagné (II) ? Du côté du Liban et du Hezbollah. D'autres plus rares y répondent plus sagement La guerre au Proche-Orient n'a fait que des perdants, Piotr Romanov, RIA Novosti.

Mais pourquoi diantre si peu de commentateurs se posent-ils la question des intérêts antagonistes de classes ? Autrement dit cette question : qu'a à gagné le prolétariat dans cette histoire ? Qu'a-t-il à perdre ? Poser la question « pourquoi ces questions ne sont-elles pas posées ? », ce n'est qu'à moitié y répondre, mais n'est-ce pas mieux que point du tout ? A tel point qu'on en vient à apprécier, sinon sa chute, cette plus rare affirmation : « La menace d’une guerre bien plus large et plus dévastatrice ne peut être contrée que par la mobilisation indépendante de la classe ouvrière, aux Etats-Unis et internationalement, [basée sur un programme socialiste commun.] » Bill Van Auken « Liban - Derrière le plan de « trêve » de Bush : la campagne pour l’expansion de la guerre au Moyen-Orient ».

Du point de vue du prolétariat, n'est-ce pas plutôt, pour reprendre le titre d'André Bouny, une « Victoire de la défaite »  ?

Il est effarant de voir à quel point l'idéologie nationaliste, même en creux, est la grille d'analyse commune et la base des perspectives immédiates ou à plus longs termes*. Un exemple caricatural en est donné par le texte de Claude Beaulieu, du Comité Valmy, académie gaulliste [sic] : « La victoire du peuple libanais est universelle ! » Gaullo-gauchisme ou gaucho-gaullisme sont au coude à coude contre les frères ennemis de « l'islamo-fascisme » (Bush) et du « sionisme impérialiste ».

* C'est le pompom quand elles se présentent sous la forme d'un nouveau Manifeste communiste. Extrait : « Convaincus que le capitalisme n'est pas le fin mot de l'histoire humaine, ils n'ont pas renoncé à la perspective du socialisme et du communisme, qui pour eux se confond avec la démocratisation la plus radicale de tous les domaines de la société.
Face à la mondialisation ultra-libérale et guerrière, face à la construction capitaliste de l'Europe, ils n'entendent pas renoncer à l'indépendance des nations et à la souveraineté des peuples
Le Manifeste, journal communiste, n°0, 2003 Les signataires, notamment André Gérin, maire PCF de Vaux-en-Velin, sont les plus ardents défenseurs du néo-populisme national-bolcho-démocratique, en grands concurrents du Front national.

Il n'est pas moins écoeurant d'observer à quel point les soutiens à Nasralah qui, des républicains aux démocrates d'extrême-gauche, se réjouissent de sa « victoire », font peu de cas du millier de morts qui l'accompagne et des conséquences présentes et annoncés sur la survie des exploités de la région.

Voir en relation cette analyse, de janvier 2000, à propos de la guerre au Kosovo : Sur "l’autodétermination", dernier avatar du nationalisme d’extrême-gauche.

Autrement dit, les cris de victoire fondés sur cette trêve sont à rapprocher, dans la guerre sociale entre classes, de ceux, syndicalo-politiciens, qui ont accompagné le retrait du CPE, en attendant la reprise du combat sur la flexisécurité comme entérinant ses limites dans le capital, le droit du travail et le droit international, deux figures complémentaires du droit à l'exploitation : « Le peuple libanais, après tant de souffrances, a le droit de vivre normalement » (communiqué PCF 16 août). Dans la même veine et le même jour, le même Alain Gresh s'interroge (« La fin du droit international ?  ») mais préconise une réponse sur ce même terrain du droit, appuyant une requête du PCF en ce sens devant la Cour pénale internationale (L'Humanité 14 août). Le légalisme au service de l'alternative ?

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13 août

Le Hezbollah « Résistance nationale », « Résistance socialiste »... jusqu'à l'absurde ?

«  Les collègues qui m’ont aidé à faire les recherches pour mon livre*, qui passe en revue la totalité des 462 attentats-suicides de l’histoire mondiale, ont fouillé les archives libanaises à la recherche de vidéos de martyrs, de photos, de témoignages et de biographies de kamikazes du Hezbollah. Sur un total de 41, nous avons réussi à retrouver les noms, les lieux de naissance et d’autres détails biographiques de 38 d’entre eux. Nous avons été sidérés de découvrir que seuls 8 étaient des fondamentalistes de l’Islam ; 27 étaient issus d’organisations politiques comme le Parti Communiste Libanais et l’Union Socialiste Arabe, trois étaient des chrétiens, dont une enseignante du second degré titulaire d’un diplôme universitaire. Tous étaient nés au Liban.» Robert PAPE, Liban : Ce que nous n’avons pas encore compris à propos du Hezbollah - The Observer, 6 août. *Livre à paraître, Dying to Win : Why Suicide Terrorists Do It, (« Ils meurent d’envie de gagner : qu’est-ce qui motive les auteurs d’attentats-suicides ? »).

Après tout, au vu des origines, du parcours, de son ancrage populaire, du succès de Nasralah parmi les populations arabes et musulmanes en tant que leader conséquent de la résistance à l'envahisseur israélo-américain; pour peu qu'en miroir des propagandes islamistes et américaines dans leur unité, on ne craigne pas le « conflit des civilisations », considérant que les fondements religieux ne s'opposent pas à une conscience prolétarienne... Pour peu, donc, Nasralah n'aurait fait que chevaucher habilement l'islamisme pour redonner aux masses une perspective, à défauts d'objectifs déclarés, de « libération socialiste » (voir  do : « Hasan Nasrallah est un libérateur socialiste avant d'être un musulman »).

Alors, dans ces conditions, il devient possible de fantasmer une issue progressiste à la guerre, et de considérer le genre Hezbollah comme ouvrant la perspective d'une transition au socialisme*. Si tel était le cas, celle-ci ne serait donc ni pacifique, ni démocratique, mais peu importe, c'est si loin le Moyen-Orient... C'est ce qu'auraient compris ailleurs Chavez, en mémoire des grands guerriers libérateurs des peuples que furent Trostky, Mao, Ho Chi Minh, Le Che, et dans le sillage de Castro, dont la rhétorique continue de fasciner une poignée de militants français éperdus de peuples, de nations, d'Etats souverains et indépendants et de solidarité entre les peuples plus que d'internationalisme prolétarien.

* Je précise pour mes nouveaux lecteurs et lectrices qu'en tant qu'amateur de la communisation, je m'oppose à la vision d'une so called transition socialiste.

Jusque-là, l'extrême-gauche (notamment trostkiste) faisait une priorité de l'opposition soit à la religion soit à la guerre, soit aux deux, selon les variantes plus ou moins sectaires et/ou démocratiques (donc pacifistes). Iront-ils jusqu'à promouvoir et constituer des brigades internationales, contre les forces internationales d'Etat d'interposition qu'ils refusent ? A moins qu'ils ne préconisent d'y faire de l'entrisme, mais c'est difficile, dans les armées de occidentales de professionnels, sauf à embrasser en "révolutionnaires" la carrière militaire comme certains choisissaient celle d'ouvriers.

Nasrallah et le Hezbollah, contrairement à Ben Laden et Al Qaïda, présenteraient ainsi l'avantage de justifier l'engagement de jeunes des ghettos dans une activité militaire non réduite au terrorisme suicidaire... ce qui en nombre de divisions et détermination à y jouer sa vie serait pour sûr d'un plus grand poids que les apports des groupuscules militants, qui néanmoins ne manqueraient pas de distribuer des tracts de soutien et solidarité à distance, ni d'appeler à « prolonger politiquement » cet engagement dans les urnes françaises.

Alors je revivrais, ébahi mais rajeuni, les belles heures du tiers-mondisme et des « luttes de libération nationale comme troisième composante, avec les pays socialistes et le mouvement ouvrier des pays capitalistes, du camp socialiste » selon la vulgate soviétique officielle qu'enseignait, au début des années 70 dans les écoles de l'UEC, le jeune Alain GRESH. Bien que considéré comme un grand spécialiste altermondialiste de la question moyen-orientale, ce fils d'Henri CURIEL, assassiné à Paris en 1978 (par le Mossad ?), semble aujourd'hui plus circonspect quant aux suites du conflit actuel.

Tous ensemble, les démocrates contre « l'islamo-fascisme » ?

Les USA et Israël planifient une frappe conjointe contre la Syrie et/ou l'Iran (experts américains) MOSCOU, 11 août - RIA Novosti

Ainsi donc, nous en revenons à la question de Christian CHARRIER en 2003 (voir 7 août), dans les conditions actuelles de ce qui serait une relative défaite politique d'Israël et des USA au Liban (sur le plan militaire, j'éviterais de parler comme certains de « débâcle de Tsahal »). Signifie-t-elle celle de la « stratégie impériale américaine » ? C'est ce qu'affiche de croire le gouvernement Iranien > Téhéran : le plan de "Grand Moyen-Orient" américain déjà échoué et il est vrai que les réactions dans les pays arabes ne faciliteront pas la poursuite de ce plan. C'est ce que semble soutenir Gilles KEPEL dans Le Monde du 9 août > L'échec de la stratégie Bush. Cette conclusion paraîtrait précipitée, si l'on n'apprenait pas dans cet article que, selon son auteur, cette stratégie visait la « pacification » et la « démocratisation » de cette région du monde. En clair, Bush veut la paix et la démocratie, mais s'y prend mal ! Ouf, on respire, le paradigme de la démocratie, commun à Bush et aux altermondialistes, contre « l'islamo-fascisme », est sauvé !

Dans ce contexte, ne doit-on pas considérer, tant elle s'oppose à leurs positions réelles, l'approbation officielle de la résolution 1701 par le Hezbollah, le Liban et la Syrie comme visant essentiellement à démontrer au monde que sa non-application sera le fait des USA et d'Israël, afin de les isoler un peu plus dans l'opinion internationale ? La seule question du désarmement du Hezbollah rend cette résolution inacceptable et inapplicable. Au moins a-t-il émis des réserves sur ce point mais les politiciens de gauche au double langage, M. WURTZ du PCF en tête des Appels à l'Europe* et autre manifestation parisienne du 12 août, qui prétendent soutenir la « résistance nationale libanaise » en demandant une bonne application de la 1559, non seulement se moquent du monde, mais servent la soupe à ceux qu'ils font mine de combattre.

* « La pleine application de la résolution 1559 exige, quant à elle, un contexte régional apaisé, dans lequel toutes les décisions des Nations unies sont prises en considération.» in L’appel de Francis Wurtz : "CE QUE NOUS ATTENDONS DE L’EUROPE !", 11 août On reconnaît sur la photo des signataires M-G BUFFET, Olivier BESANCENOT, José BOVÉ et le leader   du Partito della Rifondazione Comunista Fausto BERTINOTTI.

Toujours est-il que le bras de fer réel, au-delà de la situation à court terme au Liban, concerne bien la possibilité ou non, pour les USA et leurs alliés, de poursuivre la mise en oeuvre de cette stratégie au long cours. Il est trop tôt pour s'en faire une idée définitive, mais nul ne peut douter que leurs objectifs sont inchangés et que leur détermination reste entière, quitte à utiliser tous les moyens. Le traitement de l'attentat raté en Grande-Bretagne est venu à point pour y préparer les opinions publiques, particulièrement occidentales.

Voir en relation Liban - Derrière le plan de « trêve » de Bush : la campagne pour l’expansion de la guerre au Moyen-Orient, par Bill Van Auken, et les articles liés, ainsi que WATCHING LEBANON, by Seymour M. HERSH, Washington’s interests in Israel’s war

12 août

Piège à convictions : la résolution 1701 

24h après son adoption, introuvable sur le site de l'ONU, je suspecte le webmestre d'être un terroriste qui veut retarder le cessez-le feu. Je soupçonne ceux qui l'ont écrite d'être persuadés qu'elle est tout aussi inapplicable que les précédentes, auxquelles d'ailleurs elle se réfère. On comprend que Kofi Annan craigne que les atermoiement aient  «sérieusement ébranlé la confiance du monde envers l'autorité et l'intégrité du Conseil de sécurité ».

La politique comme moyen de la guerre globalisée (notes)

Les résolutions, « bonnes » ou « mauvaises » n'engagent même pas ceux qui y croient. Elles ne sont pas faites pour être appliquées, mais pour exister en tant que leurre dans l'application ou la poursuite d'un improbable « juste droit international ». Ceux qui les conçoivent cherchent le consensus des mots, dans le rapport de force de leurs intérêts propres au sein d'une guerre de la déformation des choses. Le statut même des résolutions de l'ONU a donc changé par rapport à celles des années 60-70, pour s'intégrer comme élément de la guerre globale. Les résolutions ne sont donc plus faites pour être appliquées, et il importe peu qu'elles soient applicables, dès lors qu'elles jouent, avant, pendant et après la décision du Conseil de sécurité, leur fonction politique et idéologique.

C'est ainsi que les bras de fer médiatiques de la diplomatie entre Etats sont à considérer, dans le démocratisme radical, comme une ruse capitaliste de la politique - au-delà des contradictions qui font son unité - pour intégrer la naïveté citoyenniste de l'intervention par la médiation politique. Dans « l'unité de la guerre et de la paix », ce n'est pas seulement le pacifisme qui montre ses limites (Temps critiques) mais la politique même qui met en scène et instrumentalise sa propre « impuissance ».

Dans la guerre globale, qu'on la prenne comme celle des néo-cons américains ou comme prémices de celle, globalement sociale, qui s'annonce, la guerre n'est plus, comme pour Clausewitz, la politique poursuivie par d'autres moyens. Sa stratégie est au contraire celle de la politique comme moyen de la guerre globale.

Dans cette guerre globale, les démocrates radicaux sont d'assez piètres stratèges, parce qu'ils en sont restés au concept classique de la guerre, y compris dans leur peur d'une « Troisième guerre mondiale », celle-ci ne pouvant plus être la troisième du même genre que les deux premières (encadrant le passage en subordination du capital dans les pays du « centre »). Ils n'ont guère plus que la morale à décocher d'un arc dont ils ont perdu la corde. S'ils arrivent assez bien à faire le lien avec la stratégie impériale américaine, les démocrates radicaux ne peuvent plus le faire avec la lutte de classes (en même temps que les fossiles programmatistes, tels que LO, le font sur une base sans pertinence d'analyse).

De même et en conséquence, le conflit militaire, la guerre au sens classique de tuerie, n'est plus qu'un moyen de la guerre globale. La guerre globale est comme première par rapport au politique et au militaire. Si elle est bien de nature profondément sociale, elle ne dessine pas ses camps selon la lutte de classes. Elle ne fait qu'annoncer des formes dans lesquelles se jouera la guerre de classe.

Exiger la paix, au sens classique de la paix des armes, a perdu son sens parce que cela ne peut plus recouvrir des contenus clairs dans les termes du programmatisme ouvrier, de l'antifascisme, de l'anticolonialisme. Quoi qu'on en pense au plan moral, l'exigence de paix n'est plus en prise sur la réalité. Cela dépasse l'impuissance du « pacifisme bêlant » pour atteindre la politique, c'est-à-dire les conditions politiques accompagnant l'exigence de paix, dès lors qu'elle nie le rôle, pour ne pas dire la nécessité de la violence dans l'histoire : c'est l'adaptation de la voie démocratique et pacifique au socialisme qui s'impose à l'interprétation de tout événement.

Dans ce conflit, le décalage des partis de la gauche radicale, quelle que soit la proportion d'illusion onusienne qu'ils entretiennent, illusion citoyenno-étatiste (j'attribue à Francis Wurtz, du PCF, le prix du Tartuffe utile), prolonge celui dont ils ont fait preuve, au plan français, lors des émeutes de novembre et du mouvement anti-CPE. La condamnation des violences -certes incomparables- y tient la même place relativement à ce qui les produit, dans les émeutes, dans les manifestations, dans la guerre.

En définitive, le démocratisme radical, dont le discours est parfaitement assimilé par le pur adversaire de classe (Bush parlant d'« islamo-fascisme », ça ne s'invente pas), pédale dans la choucroute de son idéologie, en miroir de celle du capital dont elle joue une partition complémentaire. Le spectacle au sens de Debord est rejoué en farce sur la scène quotidienne de l'histoire (le traitement politico-médiatique de l'attentat déjoué en Grande-Bretagne a toutes les qualités d'une fiction, alors qu'aucun discours ne peut plus rendre compte du réel, le mentir-vrai a quitté le roman).  

11août

À TOUTES FAIMS, août 2006...

La pluie, l'amour, la mort, à Fadia

7 août

Comment comprendre le conflit au Liban dans le cours actuel du capitalisme ?

(un premier jet improvisé et un peu hasardeux j'en conviens)

Je n'ai pas la prétention de répondre à cette question que je pose, mais c'est la question que je me pose.

Je me la pose dans le prolongement de celles de Christian CHARRIER dans son texte Guerre et lutte de classes, écrit en avril 2003 au 17ème jour de l'invasion américaine du Liban, avec cette remarque que je partage : « § 5 - Ce n'est pas parce que la question de victoire de Saddam Hussein ne se pose pas qu'il faut confondre la victoire militaire de l'armée américaine en Irak avec la réussite de la stratégie impériale de l'administration Bush - on verra plus loin qu'il s'agit d'une stratégie globale et à long terme »

Trois ans plus tard, on constate que la réussite de cette « stratégie impériale de l'administration Bush » n'est pas enrayée par le demi-échec de sa guerre en Irak proprement dit. Rappelons qu'elle fit, jusqu'à la prise de Bagdad et la chute de Sadam Hussein, 184 morts parmi les soldats américains, et que leur nombre dépasse depuis, dans l'occupation, 2500. Je ne sais pas ce qu'établit la comptabilité comparative des victimes irakiennes durant la guerre d'invasion proprement dite et depuis. Je ne parle pas de distinction militaires-civils, car je pense que dans certaines conditions tout civil est potentiellement militaire, au sens de la guerre qui vient, ne serait-ce que comme victime, enjeu de la terreur et de la manipulation psychologique (efficacité garantie des tracts sur les divisions de Sadam, après la destruction de celle d'à côté : « voilà ce qui va vous arriver » et reprise du procédé par les Israéliens au Liban). Toujours est-il que, sur le critère du nombre de victimes, on doit considérer que la guerre en tant que telle, au sens classique de détruire la partie adverse, continue, qu'elle ne peut être gagnée en tant que telle, et donc que la défaite de la stratégie américaine de guerre globale n'est pas annoncée. La « guerre au terrorisme » était conçue comme permanente, elle l'est : état de guerre. Tout au plus devait-elle changer de tactique, car elle ne pouvait ni tout prévoir ni tout programmer. Elle se devait d'être réactive. Elle l'est aujourd'hui en intégrant parfaitement, à travers les aléas, l'évolution peu prévisible de la guerre israélienne, au vu des errements des objectifs militaires (cf Drogués de guerre de Uri Avnery, qui n'a guère d'intérêt théorique, mais qui est significatif de ces errements).

Nul ne peut mettre en doute les paroles de Bush au soir du 11 septembre, dans sa déclaration de guerre au terrorisme, avec l'acception élargie qu'il en a aux Etats qui s'opposeraient à cette stratégie et, plus fondamentalement, aux intérêts économiques et politiques qui la justifient. En ce domaine au moins il fait ce qu'il dit, même s'il ne le dit pas dans les termes où nous devons l'analyser théoriquement, ceux qui pensent près de lui plus que lui ne sont pas loin de le penser dans les mêmes termes que les théoriciens communistes du capitalisme, parce qu'ils ont besoin d'agir sur la réalité. Il faut croire Bush sur paroles (argent comptant) : « Nous sommes en guerre », et le juger aux actes, sans préjuger au demeurant de ce que serait une politique américaine alternative, qui paraît bien improbable sur la base des contenus et de la force de l'opposition qu'il rencontre. Jusqu'à quel point cette guerre n'est-elle pas devenue une nécessité pour le capitalisme américain, y compris dans sa dimension anticipant sur ses difficultés à venir ? Auquel cas elle ne dépendrait que peu d'un changement de gouvernement (vers une majorité démocrate) et la politique de Bush serait alors la plus adéquate à ces intérêts (qui ne me semblent pas comme le soutient Charrier être uniquement ceux du capital financier et des lobbys de l'armement et du pétrole, encore qu'ensemble, ajoutés au BTP, ils pèsent déjà leur poids, voir plus loin).

Ce demi-échec en Irak me paraît suffisant pour expliquer la nécessité de se tourner maintenant vers l'Iran ou la Syrie, ce qui a été clairement programmé, et c'est ici qu'intervient le dernier conflit déclenché dans la région par Israël sur la base d'une provocation du Hezbollah, peut-être téléguidée.

Parenthèse 1

Dans le domaine tactico-stratégique, il ne faut pas craindre d'être un peu parano,  sinon on risque d'être surpris par la réalité. Les Américains sont loin d'être aussi grossiers qu'ils en ont l'air, même si le moment venu ils comptent d'abord sur leur supériorité en puissance brûte. Ils ont aussi appris des Chinois, ou de Machiavel, peu importe, et ils sont passés maîtres dans l'art de la manipulation individuelle des personnes ad'hoc ou collective, des masses. L'image d'un Bush idiot est tout à fait naïve et contre-productive dans l'interprétation de ses discours et actes. Si ce n'est lui qui pense, c'est donc quelqu'un des siens pour lui. Les Américains ne demandent pas un président intellectuel. Les hommes politiques médiatisés sont d'ailleurs de moins en moins des concepteurs, comme c'était le cas des grands tribuns-leaders. C'est vrai pour tous les partis, dont les penseurs ne passent pas, et ceux qui passent pensent peu sauf exception (Sarkozy). Donc Bush est un excellent président américain.

Un parallèle m'a saisi, entre l'enlèvement des deux soldats israéliens et ce qui s'en ai suivi dont certains soulignent le caractère « disproportionné ». C'est l'histoire des deux petits gars grillés dans un transformateur pour échapper à la police, comme déclencheur des émeutes de novembre en France. Comme le dit Bruno Astarian dans le texte de 1993 que j'ai recopié hier (L'émeute comme limite de la socialisation du welfare) : « L'émeute éclate lorsque, pour une raison ou pour une autre, la socialisation indirecte sur la base du welfare s'avère caduque », c'est-à-dire qu'il convient de discerner la cause profonde et l'événement qui lui donne à produire ses conséquences (on a le même type de relation causale dans le déclenchement de certaines psychoses, dont les causes structurelles sont demeurées latentes des années, ou comme, d'une maladie du sang qui ne se déclare pas, il est dit qu'on est porteur).

Peu importe donc « qui a commencé » d'Israël ou du Hezbollah. Autant l'affirmer puisqu'une grande part de la guerre de l'information se résume à ce type de polémique, et que visiblement ça donne à causer et à prendre parti aussi bien sur place que dans les chaumières du monde entier.

Surprenant est le titre de l'article de Michel Warschawski, Une initiative 100% israélienne, même si son contenu implique la responsabilité américaine : « Tant que les parrains américains d’Israël seront dans la stratégie du choc des civilisations et de la guerre globale et permanente, il ne faut pas s’attendre à un tournant de la politique israélienne, et la « guerre  » - qu’il vaudrait mieux appeler pacification permanente - contre les Palestiniens, et plus généralement contre les Arabes - va suivre son cours ». Plus loin, ses explications sont de caractère uniquement géopolitique, sans aucune référence aux intérêts économiques, et encore moins aux mécanismes et contradictions du capital à l'oeuvre de façon sous-jacente : « Avec la disparition de l’Union Soviétique et l’émergence des Etats Unis comme puissance internationale unique, nous sommes entrés dans une phase de dérégulation du droit international et des modes de comportement des Etats, telles que définis à la suite de la victoire sur le fascisme (Conventions de Genève, Chartre des Nations Unies, résolutions diverses de l’ONU). A la place se sont imposés la loi de la jungle et le droit du plus fort, l’unilatéralisme, et, sous prétexte de guerre permanente et préventive contre le terrorisme, le terrorisme d’état sans entrave.» Le droit comme garant de la justice et de la paix... Force est de constater que la plupart des pacifistes d'extrême-gauche, même s'ils dénoncent Israël comme « le bras armé des USA », ne dépassent pas ce niveau d'analyse, y rajoutant, pour la forme et dans la surenchère entre eux, leur phraséologie anticapitaliste.

Parenthèse 2

Devant la guerre, le capitalisme qui devrait être partout à les entendre ne serait nulle part, n'agirait pas en tant que tel : à quoi bon être "marxiste", si c'est pour se distinguer aussi peu de la position officielle française, du moins tant qu'elle n'est que parole visant à redorer le blason chiraquien et relancer les intérêts (capitalistes) français dans la région (la perte d'influence en Afrique pourrait être compensée par une relance de la présence française dans les pays arabes).

Comme c'est touchant un ami de la France qui pleure sur la misère faite à son peuple. Surtout si c'est un banquier devenu premier ministre d'un pays où « la France est le premier investisseur étranger et avec lequel les échanges commerciaux dépassent 4,5 milliards de francs » (source Colloque Jordanie, Liban, Syrie, Novembre 2001). Voir à cet égard la bio de Fouad Siniora.

Personnellement, je ne crois pas, quel qu'en soit le contenu dans les limites du réalisme politique, à la possibilité d'« une paix juste et durable pour les peuples de la région » qui alimente tous les discours politiques : ça mange pas de pain. Qui serait contre ? Contre la paix maintenant etc.? Je ne crois pas à la possible application des résolutions de l'ONU sur la question palestinienne, complètement dépassées par les évolutions, et ni particulièrement à la création viable dans le temps d'un Etat palestinien, Israël revenu à ses frontières de 1967. Voir La seconde Intifada et particulièrement la dernière partie Lutte de classe / lutte nationale / lutte ethnique.

Je crois donc que nous sommes entrés dans une phase nouvelle de la mise en oeuvre de la "stratégie impériale américaine" avec son adaptation aux circonstances, et particulièrement au fait que la sous-estimation des capacités de résistance du Hezbollah par l'armée et les dirigeants israéliens les a conduit à aller moins vite, plus loin et plus fort qu'ils ne l'envisageaient sans doute au départ. Pour l'heure cette adaptation stratégique se borne pour ce qui est visible à jouer les prolongations à l'ONU avec les pas de deux de la France, de l'Europe et de la Ligue arabe en contre-points, pour assurer un minimum salarial de pudeur médiatique pendant que la guerre s'amplifie, l'Etat d'Israël étant dans la fuite en avant et demandant deux ou trois semaines supplémentaires, qu'il a toutes les chances d'obtenir.

Même si ce n'était pas programmé comme ça, cela pourrait être une belle occasion de donner un coup de fouet à la déstabilisation souhaitée dans la région du point de vue de cette stratégie au long cours, du fait de l'influence de ces horreurs sur les opinions publiques arabes et musulmanes (l'islamisme ayant pris le relai du panarabisme nationaliste). Mon hypothèse est paradoxale, puisque ce serait alors sur la base d'une relative défaite politique, de contorsions diplomatiques, et d'une semi-échec militaire qu'une intervention internationale, débouchant inévitablement sur une situation pré-guerrière, justifierait alors une nouvelle intervention américaine directe.

Mon hypothèse repose sur ce que Christian Charrier reproche à Théorie communiste dans l'article cité Guerre et lutte de classes : « Cette victoire annoncée [de la guerre en Irak comme victoire de la stratégie américaine], s'inscrit dans le droit-fil de la vision finaliste relevée plus haut, ce qui n'est pas étonnant, ce qui l'est plus, en revanche, c'est qu'elle se laisse intoxiquer par l'idéologie et le projet impérial [que Christian Charrier se défend en note d'utiliser au sens d'Empire de Negri] (et non plus « impérialiste ») d'une fraction de la classe capitaliste américaine, la fraction néo-conservatrice qui s'appuie sur le capital financier, les principaux groupes pétroliers et de l'armement dont sont issus ses leaders actuellement au pouvoir : que celle-ci se soit auto intoxiquée jusqu'à prendre sa position particulière pour le général, c'est la moindre des choses, mais c'est plus étonnant venant de tenants du « parti de la communisation ». »

Comme je l'ai dit, je prends Georges Bush au mot et au sérieux : il veut la guerre et il a les moyens de la faire, d'autant que ceux à qui il veut la faire ne la refuseront pas, qu'ils ont été préparés pour ça et que tout ce qui va dans ce sens y contribue, dont ce conflit quelle que soit son développement à court terme (je ne parle pas d'issue, il n'y en aura pas). Ils le refuseront d'autant moins qu'ils se sentiraient confortés par la situation créée par le semi-échec israélien et son impact énorme sur des millions d'Arabes et de Musulmans, sans parler du ras-le-bol anti-américain qui se généralise. C'est une guerre totale en ceci qu'elle n'est pas uniquement militaire mais englobe tous les rapports sociaux, et je renvoie ici aux considérations stratégiques qui se sont accumulées depuis la première guerre du Golfe > GUERRE, STRATÉGIE MILITAIRE (et ECONOMIE POLITIQUE), car elles recoupent singulièrement certaines analyses des communisateurs (j'ai cité particulièrement La guerre hors limites des deux stratèges chinois, livre de 1999).

J'aimerais d'ailleurs savoir en quoi les intérêts capitalistes en jeu ne seraient que ceux du « capital financier, les principaux groupes pétroliers et de l'armement », vue la guerre de partage des zones pétrolifères (et la nécessité de contrecarrer l'entrée concurrentielle des Chinois un peu partout dans le monde pour répondre à leurs énormes besoins énergétiques).

Ces choses-là sont très bassement matérielles, et pour la production capitaliste, n'est-ce pas ça qui compte, n'en déplaise aux négristes et aux évanescents de la valeur ? Comme le sont les intérêts dans le domaine de la construction, c'est-à-dire aussi dans un premier temps de la destruction : quelle bonne nouvelle pour le français Bouyghe que tous ces immeubles à reconstruire au Liban ! (il me souvient d'un fax confidentiel-défense, oublié à la photocopieuse et sur lequel je n'aurais pas dû tombé, avant la fin de la première guerre du Golfe, et qui disait en substance qu'il fallait se dépêcher parce que les Américains prenaient de l'avance dans le domaine du BTP...).

Ces armes accumulées, non seulement il faut bien expérimenter les nouveautés bio-technologiques en vraie grandeur, mais encore faut-il aussi les détruire (les consommer) pour pouvoir en fabriquer et vendre d'autres. De même pour les munitions.

Last but not the least, puisqu'il y a de part le monde, et particulièrement dans cette région, bien plus de bras prolétariens qu'on ne peut en utiliser pour alimenter le capital fixe au niveau requis par sa valorisation, qu'il faut bien les nourrir, et qu'ils pourraient devenir dangereux s'ils agissaient en tant que classe et non comme croyantisés ou ethnicisés... la mort préventive de quelques millions de personnes ne serait pas pour déranger la relance de l'accumulation et la valorisation du capital. Cette réflexion parfaitement cynique me venait à considérer l'espèce de furie meurtrière de l'armée israélienne, le côté véritablement prêt à tout de l'équipe Bush (qu'on vérifierait dans la probable programmation du 11 septembre, voir 5 août), et le peu d'oppositions effectives qu'ils rencontrent, qui plus est dans des consensus et compromis sans aucune perspective crédible (l'angélisme des militants démocrates radicaux face à la guerre est affligeant).

En résumé, cette guère semble nécessaire à tant de monde, dont ceux qui en décident, que je ne vois pas comment elle pourrait être évitée, et si ce n'est pas maintenant en grand militairement, un peu plus tard, puisque le niveau de tensions ne baissera pas et qu'il n'y a plus de solutions politiques dans le capital.

Je me souviens d'une légende qu'on me racontait quand j'étais jeune communiste, Lénine pronostiquant la guerre impérialiste comme inévitable et rassurant en privé sa mère (ou sa soeur). Je ne me vois pas aujourd'hui disant : « Mais non maman, t'inquiètes pas, la guerre n'aura pas lieu ». Il est vrai qu'à la cantonade virtuelle, en communisateur amateur, je suis prêt à désespérer tous les Billancourt, mais pour la paix de mon âme, j'irai quand même à la manif samedi, bien que la guerre dont il s'agit soit déjà là, dans son nouveau concept. 

Une autre question qui ne laisse pas de m'intriguer, c'est la baisse, comparée aux précédents conflits, de la mobilisation pacifiste, même si je ne crois pas à son efficacité (cf plus bas 1er juillet LE MOUVEMENT PACIFISTE, extrait de a fair amount of killing). Est-elle dûe à la non-implication directe des USA ? Est-elle le produit de l'abrutissement médiatique, et chez nous, des vacances ? Je n'ai guère vu de grosses mobilisations à l'étranger, suis-je mal informé ? Est-elle dûe à ce que les militants appellent la résignation ? A l'habitude de cette guerre latente et comme déjà là depuis le 11 septembre, qui aurait pénétré les consciences du temps ? J'y verrais, ce n'est ps contradictoire, une sorte de réalisme primaire, et peut-être même l'idée cheminant que seule la guerre peut débloquer la situation (ce qui est une autre question). De nombreuses réactions vont en ce sens, même s'il convient de relativiser ce qui est souvent l'expression de l'insupportable et sa traduction en souhait de vengeance de son camp (qui est très rarement exprimé comme camp de classe face au capital), la guerre comme un match de coupe du monde où chacun soutient son équipe et fait ses pronostics (j'avoue qu'ici je n'y échappe pas mais les camps dont je parle ne sont pas ceux en présence immédiate). Il est tout de même frappant de voir que les USA-Blair-Israël semblent isolés dans "la communauté internationale", mais donnent l'impression de passer comme en douceur et profondeur, si j'ose dire. Nombre de réactions de personnes paisibles témoignent de cette dimension littéralement terrorisante, au point de perdre les pédales dans leurs déclarations de guerres, leurs souhaits de SCUD sur Tel-Aviv...

S'il est toujours vrai que le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage, ne serions-nous pas dupes de nous mêmes et des autres si nous ne voyions pas derrière les événements ce qui les explique pourtant si bien, quelles que soient la complexité des apparences, la réalité immédiate, le supposé bras de fer diplomatique franco-américain, la "réalité historique" des pays concernés, tout ça plan-plan bla-bla, comme une continuation intranquille du 20ème siècle...

(à me relire je me rends compte d'un flottement sur le concept de « guerre », entre définition strictement militaire ou stratégique et guerre globale y compris idéologique, entre définition théorique et « stratégie impériale américaine ». C. Charrier pourrait dire que ce n'est pas par hasard. J'essaierai d'être plus clair).

GUERRE, STRATÉGIE MILITAIRE (et ÉCONOMIE POLITIQUE), nouvelle rubrique

Cette rubrique n'a pas a priori de vertu communisatrice. J'ai jugé utile de donner une place aux questions stratégiques et militaires, qui sont partie intégrante de la politique dans le contexte de la globalisation capitaliste, avec une évolution frappante du concept de guerre en liaison avec celui de politique.

Il est clair que la grande majorité des textes choisis ne participent pas d'une réflexion de théorie communiste et que je ne partage pas l'idéologie de leurs présupposés ou de leurs conclusions. Certains relèvent explicitement de l'approche de « guerre au terrorisme » dans les termes des dirigeants américains. D'autres se veulent plus « neutres », plus « techniques »... La plupart ne reposent en rien ou seulement de façon non essentielle sur une analyse en termes de capitalisme et de luttes de classes.

Autant il est impossible de penser la guerre (ou la paix) en soi, autant il l'est de penser la révolution sans penser la guerre telle qu'elle se présente aujourd'hui dans la globalité capitaliste. C'est pourquoi cette rubrique ne peut être comprise sans les autres en rapport avec la théorie communiste, qui permettront la distance critique indispensable à la lecture des textes sélectionnés, du moins pour ceux qui s'inscrivent dans cet engagement.

Quoi qu'il en soit, nul ne saurait s'engager dans une guerre, au sens le plus général, et donc dans la guerre sociale en particulier, qui est celle, mondiale, de l'affrontement de classes dans le capital et qui comporte aussi cette dimension stratégique, sans connaître celle de son ennemi.

Or un constat, c'est l'inculture et le désintérêt général du militantisme radical en matière stratégique et militaire - qu'il néglige en raison de son pacifisme, particulièrement dans les pays qui ne connaissent plus la guerre sur leur sol.  Ce désintérêt complète son ignorance de la critique de l'économie politique et son niveau affligeant de compréhension du stade présent de la lutte de classes. A minima, cette rubrique se propose donc de contrebalancer la tendance à la hausse du taux de naïveté.

Dans un premier temps, série d'articles et de liens d'intérêt inégal. Présentation plus ou moins chronologique.

NB : je n'inclus pas dans cette rubrique le problème des mafias...

5-4 août

« 11 sept. : Bush et Cheney sont impliqués » ?

Je n'avais pas jusque-là attaché beaucoup d'importance à ce que leurs détracteurs appellent les " théories du complot ", parce qu'elles ne me semblaient pas nécessaires pour expliquer le fond de la politique américaine depuis le 11 septembre et avant, et qu'elles ont l'inconvénient de faire écran à cette compréhension de fond. Dans le "spectacle", l'apparence des choses n'est significative qu'en mesure de ce qu'elle cacherait. Que Ben Laden soit encore un agent américain ou un "complice objectif" ne change pas grand chose. Mais je ne partage pas la rhétorique de Richard Greeman en 2002 (à propos certes du livre de Thierry Meyssan L'effroyable imposture qui y prêtait le flan > dossier) dans « l'ennemi c'est le capitalisme » quand il affirme « si je m'acharne à démolir l'hypothèse du complot, c'est que je la trouve non seulement puérile mais dangereuse ». 

Il faut considérer avec sérieux ce qui n'a rien d'implausible. Question puérilité, la palme revient, comme théorie du complot, à la version officielle du 11 septembre, invraisemblable. Pourtant elle tourne. Question danger, que les thèses du complot puissent être utilisées en tous sens et non sens et servir d'autres manipulations (notamment antisémites, encore que là, les faits s'y prêtent peu, avec l'expulsion des USA d'agents israéliens qui en savaient sans doute trop), c'est une chose. Mais les faits sont les faits. Il faut faire avec eux et donc chercher à les connaître. Le caractère idéologique du point de vue de Greeman n'est pas acceptable. Combattre le capitalisme ne s'arrange pas contre le réel.

Cela dit, une preuve formelle de la culpabilité de Bush et de son proche entourage ne changerait sans doute pas la face du monde, mais elle constituerait indéniablement un tournant et une accélération vers la crise du capitalisme mondial, peut-être par la guerre généralisée*. Quoi qu'il en soit, elle traduirait un rétablissement de la non-centralité américaine du capitalisme contemporain (argumentation des auteurs d'Empire face aux tenants de « l'impérialisme américain »).

L'article auquel je renvoie est de décembre 2001 mais les liens rajoutés dans le texte vers le dossier Mondialisation du terrorisme d'Etat permettent de se faire une idée plus précise et plus récente du débat de la question. Les éléments à charges reviennent -en France avec décalage- dans l'actualité, avec un faisceau de considérations de divers ordres (par ex. le film Loose change, controversé > dossier, mais la probabilité de l'explosion programmée à l'avance de la WTC 7 et donc la possibilité de celle des tours jumelles). Plusieurs livres dont la traduction française est annoncée pour septembre. Ce pourrait être le polar-vrai de la rentrée...

Le livre de Jürgen Elsässer, Comment le Djihad est arrivé en Europe, dont la traduction française est préfacée par J-P. Chevénement, recoupe les hypothèses d'une gigantesque opération d'instrumentalisation ou de fabrication du « terrorisme » dans la construction du « Conflit de civilisations »  dont avaient besoin les dirigeants capitalistes américains pour lancer leur guerre de domination mondiale, avec la nécessité du "Pearl Harbour" du 11 septembre (Roosevelt, s'il ne l'a pas provoquée, était informé et n'a rien fait contre l'attaque japonaise... on sait qu'elle aboutit à Hiroshima et Nagasaki...), que le thin tank des néo-cons' avaient explicitement envisagé, comme ce dossier en donne la preuve (Rapport du PNAC -Project for a new american century- en 2000 : « Les Etats-Unis ont besoin de subir une catastrophe afin d’atteindre leur but » ici).

La politique américaine dans le conflit Israël-Liban, comme la probable prochaine cible de l'Iran, sont à comprendre dans la même logique stratégique et tactique*. Dans sa visée à terme, elle instrumentalise plus qu'elle ne soutient la folie de l'Etat d'Israël, parce que celle-ci alimente à souhait, par ses dégâts y compris intérieurs, le projet de « conflit de civilisations ».

C'est ainsi que partout pour le capital le nombre de morts n'est plus un problème même s'il retourne l'opinion publique qui n'a pas les moyens, par le pacifisme, de changer un rapport de forces global. La guerre n'est plus pour le capital « la poursuite de la politique par d'autres moyens » (Clausewitz). Guerre, politique et économies sont liées de manière continue et permanente et sur des champs de batailles qui ne se distinguent plus entre civils et militaires *.

* Du point de vue militaire et au-delà, un livre qui n'est pas récent, passionnant voire indispensable et fort bien écrit par deux colonels de l'armée de l'air chinoise (l'un est par ailleurs écrivain) : « La guerre hors limites  » Quia Liang, Wang Wiangsui, Rivages poches, 1999/2003/2006. J'y reviendrai.

1er août

« La question d'Orient » ?

« Il n'y a plus de question d'Orient » 

« Une guerre se poursuit, la violence est devenue, à tous les niveaux, la régulation de la reproduction mondialisée du capitalisme. Après les « petites guerres barbares », la guerre actuelle en Irak a été la première, massive, qui avait pour objet la mise en forme de cette nouvelle économie-monde globale qui est l'espace que construit la restructuration du mode de production capitaliste.
A toutes les échelles géographiques, des centre hyperdéveloppés côtoient des périphéries aux focalisations capitalistes plus ou moins denses et des zones de crises, véritables « poubelles sociales ».
La répression et la gestion de la seconde Intifada par Israël en est, pour le Moyen-Orient, le micro-modèle précurseur. Pour ne pas être devenu capitaliste de façon endogène, au Moyen-Orient, depuis plus d'un siècle, la formation de bourgeoisies est chaotique et la production de prolétaires catastrophique.
La formation de l'Etat d'Israël, les guerres israélo-arabes, la montée de l'islamisme, la guerre au Liban, la première et la seconde Intifada, l'invasion du Koweït et la première guerre du Golfe, l'appropriation de la rente pétrolière, autant de luttes (entre le prolétariat et la bourgeoisie et entre les fractions successives de la bourgeoisie) qui scandent, dans la boue et le sang, ce développement des rapports sociaux capitalistes.»
Moyen Orient 1945-2002 Histoire d'une lutte de classes - Théo COSME. Editions Senonevero, 2003

Recueil de textes d'analyses sur le site l'Anglemort

Bien que ces textes soient datés de quelques années, ils donnent de précieux outils d'analyse et de compréhension des événements actuels dans la région, que l'on ne trouve ni dans les commentaires médiatiques ni dans l'approche de la gauche ou de l'extrême-gauche en France, dont ils permettent en revanche de mesurer le caractère (paradoxalement ?) inter-classiste et de saisir les limites et le caractère politique et idéologique de leur accompagnement impuissant du mouvement du capital.

Dans la recherche d'une compréhension entre guerre et lutte de classes, et concernant la politique d'Israël et l'évolution des enjeux régionaux dans le cadre de restructuration du capital, on pourra lire deux textes opposés en certains points, en partageant d'autres : L'unité guerre-paix dans le processus de totalisation du capital, de Temps critiques mai 2003 : La guerre n'est plus le moteur de l'Histoire / Dans la domination réelle du capital, la guerre devient progressivement un élément périphérique / De l'impérialisme à l'Empire ? / Guerre civile mondiale, état d'exception et terrorisme / De l'anti-impérialisme au pacifisme, l'absence de perspective révolutionnaire / Les limites du mouvement anti-guerre et La seconde Intifada, de Théorie communiste, juin 2002 : Rappel historique / L'Etat d'Israël en question : " la nuque raide " / La fin du sionisme historique / La main-d'oeuvre palestinienne / High-tech, libéralisme et organisation de l'espace / Lutte de classe, lutte nationale, lutte ethnique

On pourra relire également le tract franco-italien a fair amount of killing à propos de la guerre du Golfe (mars 2003) et particulièrement le passage aux vertus toujours actuelles, sur la signification du pacifisme, dont voici l'extrait (je souligne en gras) :

LE MOUVEMENT PACIFISTE

Le mouvement pacifiste qui s'est manifesté depuis quelques mois veut préserver de l'horreur de la guerre la société vue comme l'ensemble de ses victimes civiles potentielles. Il dénonce et cherche à empêcher l'éclatement de la guerre comme si celle-ci devait encore devoir éclater. Il craint le début d'un proces d'explosion en chaîne destructrices et incontrôlables dont les fauteurs de guerre seraient seulement inconscients. Continuellement, il répète que la guerre aura des conséquences imprévisibles. Imprévisibles ? Les manifestants espagnols, italiens ou anglais (et même français) ont parfaitement fait le lien entre la violence voulue de la réorganisation sociale du Moyen-Orient et la violence déjà là et à venir du rapport d'exploitation.

Le mouvement pacifiste, en tant que tel, est strictement à la hauteur de l'enjeu : le compromis, la gestion sociale de la reproduction de la force de travail et de son exploitation ne sont plus un souci spécifique de la classe capitaliste. La guerre est la forme paroxystique de cette évidence quotidienne : " on prend les gens et on les jette ". La société a peur. Le mouvement est pacifiste. Il est contre l'évidence de la violence inscrite dans la restructuration des rapports capitalistes et il l'est, maintenant, de façon adéquate à cet accélérateur de la mise en forme de la restructuration qu'est cette guerre. Cette violence est tellement évidente qu'elle est comprise par les bonnes soeurs. Il est un mouvement de masse parce que précisément il a ces caractéristiques.

Il est pacifiste parce qu'unanimiste, interclassiste, consensuel. Les manifestants savent que la guerre actuelle est l'expression d'une violence générale, mais aucun appel à la " guerre sociale " le fera dépasser ce démocratisme radical qui le pousse à s'opposer à la guerre comme si elle était seulement l'expression de la volonté de quelques politiciens dont ils dénoncent l'illégitimité et l'arrogance. Le mouvement défend une gestion politique et sociale des conflits, la réalisation de compromis à toutes les échelles, il est contre l'instauration de la violence crue, physique et économique, comme régulation des rapports sociaux, il défend des intérêts bien concrets et bien réels et il a parfaitement compris la fonction générale de cette guerre comme paradigme de la mise en ordre mondiale.

Tous les thèmes du mouvement pacifiste en découlent : la guerre comme un dysfonctionnement, un déséquilibre qu'il s'agit de corriger par la démocratie, par un sursaut de nos Etats (mais Chirac, le jour qui a suivi le déclenchement de la guerre a corrigé sa propre position en reconnaissant de façon réaliste que le nouvel ordre mondial ne pouvait être anti-américain) la négociation, le contrôle citoyen des institutions internationale, la désobéissance civile. Si c'est là qu'il trouve sa massivité, cela signifie qu'il la doit aussi aux fractures dans la classe capitaliste mondiale que cette guerre met à jour et à son adéquation à certaines fractions, il se construit et existe dans ces fractures qui lui confère son unanimisme en le légitimant... qu'il le veuille ou non.

Cependant, si la " communauté internationale " est déchirée par l'acte de force américain, elle est absolument unie quant aux moyens de la répression mis en oeuvre dans tous les pays. De ce point de vue, sur le " front interne ", le paysage international est uniforme. Tous les Etats écoutent, émus, les appels à la raison des Papes de toutes les Eglises, mais c'est l'armée ou la police qui intervient contre ceux qui dépassent le seuil du " symbolique ", c'est-à-dire ceux qui remettent en cause, dans la vie de tous les jours, ce dont cette guerre est précisément la mise en forme accélérée : les transformations du rapport d'exploitation.

La restructuration bouleverse toutes les combinaisons sociales, tous les rapports sociaux fondés sur le capital, elle crée une opposition de la société à ces bouleversements multiples et en chaîne.

Le mouvement pacifiste est une opposition sociale à la restructuration mais il n'est que cela : une opposition sociale. Il s'oppose au bouleversement de la société, mais la société n'est que le résultat dernier du procès de production dans lequel l'origine de ce résultat, le procès de production comme procès d'exploitation, a été abolie, s'est évanouie d'elle-même. Il en résulte cette chose paradoxale : si le mouvement pacifiste est réellement une opposition à la restructuration, la classe ouvrière n'a cependant pas manifesté un intérêt immédiat à y participer. Aux Etats-Unis, les dockers en grève de la côte Ouest ont continué à charger les navires militaires, en Grande Bretagne, les trade unions n'envisagent d'utiliser le mécontentement anti-Blair que pour tenter de régler leurs comptes avec le New Labour, en Italie les drapeaux " Pace " sont de plus en plus clairsemés au fur et à mesure que l'on s'éloigne des centre-villes et la CGIl est plus que timide dans ses appels à la grève. Ce paradoxe est celui de la généralité sociale qui, dans dans sa constitution achevée, efface son propre procès de réalisation comme résultat du procès de production.

Lutte de classe et mouvement social ne s'excluent pas, ils se compénétrent, mais ils ne s'identifient jamais. Dans l'opposition à l'unipolarité américaine, le pacifisme a mis en forme une opposition conforme à la restructuration où la lutte de classe a disparu dans son résultat : le mouvement social.

Enfin, parce qu'il faut maintenant considérer qu'il n'y a plus d'événements locaux, nationaux, régionaux qui ne soient mondiaux (la question d'Orient est mondiale), j'invite à faire le lien avec ce que Roland SIMON écrivait en introduction du texte Ballade en novembre, à propos des 'émeutes' en France :

Du monde au quartier : un même modèle

La révolte des banlieues françaises est un événement mondial
. Jamais, depuis l’accumulation primitive du capital, il n’y eut, comme maintenant, une telle conformité et une telle intrication entre l’organisation de la violence et l’économie, jusqu’à effacer la distinction entre guerre et paix, entre opérations de police et guerres. Dans les favelas du Brésil, les prisons des Etats-Unis, les banlieues des grandes métropoles (et des petites villes), les zones franches de Chine, les contours pétroliers de la Caspienne, la Cisjordanie et Gaza, la guerre policière est devenue la régulation sociale, démographique, géographique, de la gestion, de la reproduction et de l’exploitation de la force de travail.

La production de plus-value relative façonne un monde à son image, dans lequel aucune spécification sociale, historique ou géographique, conservée et/ou produite, ne vient entraver la reproduction du capital et la remise en cause constante de ses conditions. La mondialisation n’est pas une extension planétaire, mais une structure spécifique d’exploitation et de reproduction du rapport capitaliste.

[...]

L’espace du monde capitaliste restructuré est un zonage qui se déploie de façon « fractale » à toutes les échelles : monde, continents, aires, pays, régions, métropoles, quartiers. A chaque niveau d’échelle, se côtoient et s’articulent : un noyau « surdéveloppé » ; des zones constellées de focalisations capitalistes plus ou moins denses ; des zones de crises et de violence directe s’exerçant contre des « poubelles sociales », des marges, des ghettos, une économie souterraine contrôlée par des mafias diverses.

Dans un tel « nouvel ordre mondial », la question de la distinction entre opération de guerre et opération de police n’a plus un grand intérêt. La restructuration actuelle est une autre organisation de l’espace de la reproduction du capital et une autre organisation de la violence. Les formes d’interventions sont celles de la discipline. Si le principal résultat du procès de production c’est la reproduction du face-à-face entre le prolétariat et le capital, que de ce face-à-face découle ipso facto le premier moment de l’échange entre le capital et le travail (achat-vente de la force de travail) ne va pas de soi. Au "centre" ou à la "périphérie", ces distinctions ont été mises en abimes à tous les niveaux d’échelle, la situation de la force de travail est fondamentalement la même : la force de travail existe face au capital comme force de travail sociale globale. Alors qu’elle est dans les aires développées globalement achetée par le capital et individuellement utilisée, il n’y a pas d’achat global dans les nouvelles périphéries. D’où l’importance partout de la disciplinarisation de la force de travail face à un prolétaire redevenu, en tant que prolétaire, un pauvre.

Un peu partout s’installe un système de répression prépositionné dans une étroite conformité entre l’organisation de la violence et celle de l’économie. Il s’agit d’une gestion globale et démographique de la main-d’œuvre. La répression est permanente, non pas partout, mais partout possible : interventions « coup de poing », missions de pacification forcée, missions policières, missions humanitaires. Dans les banlieues françaises, nous avons aperçu les lueurs de ce monde nouveau.

[...]

26 juillet

Moi je ne suis pas antisémite, mais anti-mythes, et pour la suppression de tous les Etats (-nations et notions) donc en particulier, mais ni plus ni moins que les autres, celui d'Israël. .

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