PAT'CRITIC, Forums, 2001

(du forum JAZZ MAGAZINE, décembre 2001)

RELIRE, C'EST FRÉMIR UN PEU


Pat Lotch (12/12/2001 - 14:52:52)

A l'heure des relectures, des repentances, de "Justice sans frontières", et des "Valeurs Universelles" (à condition d'être occidentales) des autres; à l'heure à nouveau des bombes qui font tellement de bruit au loin qu'elles étouffent ici même le silence (suffit-il de se taire ? faut-il se terrer ? être atterré ? Regarder les mines déterrées... de nos intellos). Souvenirs, souvenirs : relire, c'est frémir un peu. Relire, c'est trouver un corpus de paroles qui remplissent les vides (des noms! des textes !) de ce que dénonçaient il y a trente ans Carles et Comolli... A quoi bon ?

Lucien MALSON (Le jazz et l’Occident, 1964) :
"Hodeir disait un jour que l’universalité du jazz ne faisait pas de problème : son destin est lié à celui de la civilisation occidentale, celle-ci est en expansion, et le jazz l’est avec elle : « Quand tout le monde prend le même autobus, tout le monde voyage dans le même sens."


On appréciera le bon goût de la métaphore en se rappelant un autre histoire d'autobus :
"Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, couturière, emprunte le bus qui doit la ramener chez elle. Le bus est plein et le nombre de rangs réservés aux Blancs ne suffit plus. Le chauffeur exige d'elle qu'elle se lève pour laisser un Blanc s'asseoir. Lasse de se soumettre, elle refuse de céder sa place ; elle est alors arrêtée.
Militante, elle luttait pour les droits civiques et organisait des ateliers sur la coopération interraciale. (libérée sous caution) Rosa Park devient le symbole de l'injuste politique menée (entre autres) par la compagnie de bus de Montgomery (Alabama).
Tandis que le boycott des bus de Montgomery s'organise, Rosa Parks est condamnée à payer une amende pour violation des lois de l'Etat d'Alabama.
Afin de fédérer l'ensemble des initiatives, pasteurs et leaders noirs créent le 5 décembre la "Montgomery Improvement Association" (MIA). Lorsque vient le moment d'en désigner le président, les rivaux de E.D. Nixon qui souhaitent lui barrer la route, proposent d'élir un jeune pasteur de Dexter Avenue, nommé à Montgomery depuis peu... Martin Luther King"

Message de Pat Lotch (12/12/2001 - 15:04:23)

La remise en questions des années "FreeJazz BlackPower" fait place à la remise des questions au hangar des idéologies mortes. Si bien qu’à l’heure de la messe d’enterrement, à la question qu’il pose en 1986 : « Le jazz est-il un art ou un folklore ? », Monseigneur Jalard jette à la fin de son homélie cette sentance :


"Si l’on veut à tout prix conclure ce débat académique, on dira que le jazz est un genre musical à forte connotation historique et dont l’originalité première aura été de promouvoir, à l’intérieur du langage musical occidental, cette valeur de vécu que nos sociétés ont toujours eu si fortement tendance à évacuer."


Où l’on voit assez bien qu’il parle du même lieu que Malson et Hodeir pour fonder un demi-siècle plus tôt une critique du jazz moderne. Parlant de sa promotion « à l’ intérieur du langage musical occidental », Jalard entend-il ranger le jazz dans ce langage, on ne peut l’affirmer. Mais ce qu’il exprime par contre avec clarté, c’est que pour lui « l’originalité première » d’une musique faite PAR d'AUTRES se trouve être son intérêt POUR NOUS. D’où je conclue que son « intérieur » n’est évidemment que celui même de l’église où ce missionnaire occidental de sa chaire tient sermon.


Hodeir "Le musicien de jazz ne médite pas"

Pat Lotch (12/12/2001 - 16:05:21)

"Musicien moi-même, je pensais (et je pense encore) que seul un professionnel peut parler de musique avec quelque compétence (...) Certes, les meilleurs critiques musicaux - les seuls, pourrait-on dire - ont de tout temps été les musiciens eux-mêmes... Toutefois le propre du compositeur européen est de méditer. Il n’est pas rare de le voir prendre conscience d’un problème dans le même temps où il crée. Le musicien de jazz ne médite pas.

André HODEIR, Hommes et problèmes du jazz, 1954


"... l’opinion des musiciens de jazz, Noirs ou Blancs, généralement plus aptes à faire de la musique qu’à réfléchir sur des problèmes d’esthétique, nous paraît ici négligeable.* Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur les propos tenus par les musiciens. (...) les artistes, répondant à des questions « orientées », peuvent formuler des opinions différentes en présence d’interviewers différents. Aussi persévérons-nous à tenir ces sortes de déclarations pour extrêmement peu instructives."

Lucien MALSON, "L’après-guerre et le be-bop", in Les temps modernes n°99 (1954)
(* Le contexte est celui du conflit entre anciens et modernes autour du be-bop).


Hodeir : be-bop's hold-up of the blues


Message de Pat Lotch(12/12/2001 - 17:25:22)

"Nous avons trouvé, dans nos recherches, auprès de notre ami André Hodeir, l’aide la plus efficace et la plus compétente. Sans lui, l’ouvrage n’aurait assurément pas eu certaines des qualités que l’on voudra, peut-être, lui reconnaître."

Lucien MALSON, Les maîtres du jazz, 1952/1966...

Cette modestie pourrait s'avérer plus que méritée.

Pas étonnant que ce tandem de haut vol, ces héritiers du pape dont ils se partagèrent le trône après l'en avoir descendu, cumulent à peu près autant qu'il était possible de contresens historiques et musicologiques sur le jazz, dont je ne fais ici qu'indiquer les pistes :


1) Eurocentrisme complètement rangé dans la vulgate intello du contexte de décolonisation française, très loin d'entendre même un Leiris, alors qu'ils écrivent dans la même revue, ou la lisent : les Temps modernes.


2) Inutile d'écouter les musiciens : ils n'ont rien à dire...

Effectivement, Hodeir refera le jazz dans son coin (la beauté de son oeuvre n'est pas en cause, mais ses thèses musicologiques, oui, y compris son discours sur Ellington, dont il rate l'africanité - voir réédition de son texte de 1971 dans le n° spécial bicentenaire Ellington de 1999)

Malson écrira le jazz en voulant tout tenir ( à commencer par les chaires et les positions institutionnelles...). Il cite effectivement très peu les musiciens, puisque leur propos n'ont "aucun intérêt esthétique". Très, très loin des voeux d'Alain Gerber (Le cas Coltrane), pour une "critique plurielle", l'expression est de 1971, je crois).


3) Le plus profondément grave : les deux, dans leur description du be-bop, ne font aucune allusion à ce qu'il pourrait tenir - en termes de novations harmoniques -, du blues. Question au demeurant très peu abordée, y compris par les "spécialistes", et qui à mon sens constitue un déni majeur - un eurocentrisme musicologique, et pas seulement politique, "bourgeois blanc" etc... - de la quasi-totalité de la "critique de jazz", y compris dans ses fondements (quand elle en a) de technique musicale. En ce sens, je partage le souhait de Philippe BAUDOIN (Les blue notes existent-elles ? Cahiers du jazz, n°3, 1994, p. 38) :

"Sait-on qu’un livre reste à rédiger, malgré le nombre considérable d’écrits sur le jazz ? C’est l’historique du blues dans le cadre du jazz, chanté ou instrumental. Ce vaste sujet n’a réellement jamais été traité d’une façon approfondie dans aucun ouvrage et pourtant il est essentiel à la compréhension du jazz. Sans le blues pas de jazz, ou pas de jazz tel que nous le connaissons aujourd’hui (...) Faire l’histoire du blues à l’intérieur du jazz, c’est tout simplement raconter l’histoire du jazz. (...) Qui traitera de l’évolution du blues (harmonique, mélodique) et de son adaptation tentaculaire étonnante à tous les styles du jazz ?"

Certes, c'est une accusation un peu énorme, mais je suis en mesure de formuler qq hypothèses techniques (à travers les rapports du blues et de l'harmonie du jazz dit "moderne", le bebop, d'où les contresens didactiques et pédagogiques qui s'en suivent et participent de l'académisme du néo-bop. De ce point de vue, les approches de messieurs Gilson et Hedigger, pourtant fécondes, n'ont pas encore inspiré une autre façon d'écrire le passage "From swing to bop", dans les livres de vulgarisation les plus récents, ce qui est fort regrettable) : les défenseurs du jazz moderne, dans la querelle contre les anciens, en auraient magistralement raté une dimension musicale essentielle. C'est un comble.


Hodeir, dans son petit bras de fer boulézien, et son fantasme de "grand compensateur européen qui sait entendre etc...", a défendu le jazz moderne, avec les lunettes cerclées et les chaussettes en soie de Theodor Adorno... Ah Ah aaaaahhhhh c'est trop drôle, le jazzeur arrosé !!!


NB : je suis toujours à la recherche d'un texte, dont je n'ai pas entendu parler ceux qui pourraient être concernés, mais bon, puisque personne non plus n'a cru bon de renvoyer René Langel, cet historien négationniste du jazz, à ses montagnes suisses... :

M’BENGUE, Mohammed. L’identité noire dans le jazz et sa perception par les intellectuels français : La critique de jazz du bebop au free (1945–1970)


Pat Lotch(12/12/2001 - 11:33:41)

1) Le message du 10 décembre, intitulé "mon bouquin", n'est pas de moi. Qu'en est-il de la protection des pseudos ou de l'intérêt d'un code confidentiel ? Question, me semble-t-il, à éclaircir et régler techniquement, sans quoi toutes les dérives...


2) On constatera - faut-il s'en réjouir ? - que cela ne troublera pas l'ordre silencieux des non-débats. De ce point de vue, j'ai constaté ailleurs qu'on préférait parfois les "petites terreurs" et autres "cacas-prout" aux questions, hypothèses et analyses de ceux qui n'acceptent pas, en un mot, le consensus "critique", le culturellement correct qui malheureusement n'épargne pas, dans la dérive spectaculaire-marchande, le discours jazzistique. De ce point de vue, j'apprécie beaucoup, dans JazzMag de décembre, l'élégance de Frank Ténot à exprimer son regret des "passions et colères" ...


3) Il semble extrêmement difficile d'engager sur les forums ce qui de toutes façons n'existe pas ailleurs, ou seulement en coulisses et à fleurets mouchetés : un ensemble de problèmes concernant le discours sur le jazz tenu depuis 50 ans en France, figés en tabous, protégés par un petite noblesse qui cache ses silences derrière de vieilles querelles consensuelles, ou le fard d'esthéticiens rassis. Fonctionnant comme les Eglises et les Partis sur le déclin, la "critique" de jazz en France a ses cadavres dans les placards, ses intouchables, bien protégées par dogmes et statuts. Mais les statues, ça se déboulonne.

Forums "français" de jazz l'on voit ce que la très française complicité objective(j'adore les vieux mots cochons) entre les beaufs des boeufs, les "couillons du jazz "(Lubat) et une petite aristocratie élitaire, est impuissante à faire de ces lieux de débats si potentiellement riches. Amateurs, "critiques", musiciens... allez faire un tour sur les forums de "Jazz Corners", vous m'en direz des nouvelles : en Amérique, les bouches s'ouvrent - elle est pas bonne celle-là ?


4) On découvre ici ou là que la "tache aveugle" de la critique, troublée un temps par un pavé qui dans la mare fit quelques éclaboussures*, s'est parfois étendue en marée noire sur l'écran blanc du Spectacle marchand. Et l'on verra bientôt dans quelles sombres profondeurs sont plantés les piliers de la critique du "jazz moderne" : les Malson, Hodeir etc... de quoi s'interroger sur ce qui a bien pu leur valoir une si bonne réputation, aussi bien sur les plans musicologiques (Hodeir s'est manifestement planté, et pas seulement par esthétisme, mais là-même où il est respecté, comme musicologe, par surdité musicienne eurocentriste) que sociologique ou esthétique : la guerre froide consensuelle entre les tenants de l'un ou de l'autre est finie. Mais elle n'est pas vouée à déboucher comme on le voit depuis 20 ans sur le consensus mou, où tout le monde fait comme s'il avait si bien compris et assimilé *FreeJazz BlackPower qu'il n'y aurait rien à en (re)dire, ni d'ailleurs dans les faits à en retenir : "circulez, ya rien à voir !"


5) Je serais intarissable dans le désert : j'en reste là pour aujourd'hui. Mon bouquin, comme dit l'autre, parle de ça, ou plutôt écoute les musiciens parler de ça*, depuis un siècle, et l'on y verra se construire, par ses protagonistes-mêmes, une éthique du jazz toujours garante d'avenir qui chantent au présent, et qui devrait inspirer tout ceux qui veulent que sa "critique" se reconstruise, en commencer par regarder d'où elle vient, pour sortir de son ballotement entre "gauchisme esthétique" et avatars esthéticiens de Genette, comme du discours qui accompagne le jazz post-moderne. Pour ça il lui faudrait tenir ensemble, par la poétique du jazz et son éthique, esthétique et politique.


* Ce sera la plus grosse compilation de citations de musicien(ne)s jamais publiée en France, de Bunk Johnson à Susie Ibarra. De ce point de vue je salue l'initiative de JazzMag de novembre, construit autour d'interviews, et l'édito de Philippe Carles pour l'occasion.

 

Être ou ne pas être... un autre


Message de Pat Lotch(12/12/2001 - 14:25:51)

(...) De ce petit incident, je m'empare pour une réflexion jazzifiante :
le jazzman est "un autre", au sens de Rimbaud, c'est-à-dire à la condition d'être d'abord lui-même, dans l'exigence et dans l'urgence de (se) changer. C'est pourquoi tout le néo-flop-flop (comme dirait Marmande, les haricots-rouges-bebop, haricots rouges-Rollins, haricots-rouge-free ...) quand il "refait" le jazz, le rate (poil au chat).
CONTREFAIRE NE DECONSTRUIT PAS, MAIS DETRUIT (de Schubert): c'est le jazz de porc, qui est aux truies ce que l'art est à la cochonne, avec l'argent des autres, qui ne sont pas celles qu'on panse. Voilà la trahison de Winton Marsalis.

Tout le contraire de la "citation" en jazz, chez Parker, qui en use beaucoup plus que ne l'entend Maître Hodeir au pupitre perché (il méprise tellement la musique populaire qu'il ne reconnaît pas ses airs, ce néo-colonial !), citation qui est au jazz le raffinement du détournement littéraire chez Debord.

Re: A bon entendeur ...


Message de Charles(13/12/2001 - 01:53:53)

Allons allons cher Pat Loch calmez vous un peu !

Tu sais très bien Trog que tu peux engager le débat que tu veux sur un forum à condition de t'en tenir au format imposé par le type de média que tu utilises (ouf) : longueur (là ton texte est trop long mon cher, raccourci raccourci le sens du résumé et de la formule est aussi une qualité et tu dois l'avoir), adaptabilité à un large public...
Tu dis que la critique a ses intouchables, mais pas seulement la critique. Tu as pu le constater si tu as lu un récent débat (non débat) sur citizen autour de Coltrane et les musiques actuelles.


Je déteste les figures indéboulonables, le "faux pas toucher", tout musicien aussi génial soit il doit suciter le débat et la remise en question na !
Sinon on s'ennui très vite.


Débattre est nécessaire


Pat Lotch(13/12/2001 - 11:21:24)

Court ou long, je ne crois pas, à l'expérience, que le problème soit là.


Point besoin d'être voyant pour savoir que la "critique" de "jazz" étouffe dans ses non-dits. Que les meilleurs, vue l'ambiance, peuvent se sentent ligotés. La crise - sur fond de consensus culturel - est source d'autant plus de souffrance psychologique chez ceux qui souhaitent écrivent le jazz comme "critique d'art", que ce champ était, par essence, celui d'un engagement pour les artistes comme pour ceux qui les soutenaient, un lieu d'expression de l'esprit dit justement critique, au premier sens du terme. C'est un privilège du jazz, de son éthique. Et c'est à mon sens ce qu'il faut préserver, poursuivre...


Les revues de jazz française, c'est... quoi, une grosse centaine de collaborateurs plus ou moins actifs, plus ou moins bénévoles, plus ou moins investis... plus ou moins passionnés ? Je sens quelque chose de verrouillé dans le milieu (ver rouillé ?) : chacun s'exprime dans son coin, posant en fait des questions souvant intéressantes à l'esthétique, à l'écoute, à l'écriture... mais rien ne les tisse en débats, ou seulement de loin en loin. On pare au plus vite, on accompagne et on commente l'existant plus qu'on l'éclaire. On s'en tient trop souvent à des commentaires sur le goût, qui ne font pas une esthétique, une critique. Les revues (Cahiers, Anthropologie...) présentent des contributions qui ne constituent pas un échange ou un dialogue. Tout est feutré, codé. Personne n'exprimant clairement à qui il adresse ses critiques ou désaccords, le lecteur extérieur n'y comprend rien. J'ai dit rejoindre les regrets de Frank Ténot, qui le dit à sa manière, et qui n'a pas besoin d'être un radical auto-proclamé pour être porteur d'une éthique - je prends ce mot au sens fort, et pas dans celui, petit, de je ne sais quelle déontologie "journalistique, qui n'a rien à voir si ce n'est de purement conjoncturel, à l'affaire, qui est celle de l'art, de sa place ou de sa fonction, et du discours que l'on tient sur lui. Il sont à quelques exceptions près, absents des forums, lieux priviligié et totalement ouvert de la parole. Dès lors que l'on débat des questions, des problèmes, qu'importe ce faux problème des pseudos, ce souci malsain de savoir qui est derrière telle ou telle affirmation, avec cette mentalité de petit monde qui s'observe, se surveille et attend l'autre au coin de son erreur, de sa "faute" de goût, de ses choix, forcément, heureusement, discutables. J'ai le privilège de ne pas savoir, et de ne pas vouloir savoir, ce qui se passe en coulisses, et de m'en tenir à ce qui est à la portée de tout amateur de connaître, ce qui est publié, public : cela reflète assez le malaise sans qu'il soit besoin de plonger ses pinces dans le panier de crabes. Histoire de dire, aussi, que cet amateur, il ne faut pas le prendre pour un demeuré.


Beaucoup disent des choses extrêmement fortes - il suffit de savoir lire - et qui appellent une réflexion : ici ou là Méziat, Pierrepont, Carles encore, Coulangeon, Matthyssens, Cugny, Lubat, Marmande... et de nombreux, très nombreux musicien(ne)s : Barthelemy, Lubat encore, Louiss sans avoir l'air, Liebman qui ne s'en tient pas là, Bobby Watson, William Parker, Greg Osby, Steve Coleman, les Maneri, Nguyên Lee, Delbecq, Eskellin, Kenny Werner, Jarrett oui Jarrett ... et tant d'autres - des jeunes que toi, Charles, tu connais bien...- je ne distribue pas les bons points, ces noms me viennent comme ça.


Je mets en cause certains dogmes, acquis depuis des décennies dans le discours jazzistique, je n'invente rien et je n'ai pas le privilège de découvrir quoi que ce soit, qui ne soit dit par l'un ou l'autre. Je mets en relation des éléments aussi bien de technique musicale - Baudoin, Hediguer, Cugny ne sont pas des provocateurs terroristes que je sache - que plus généraux - poétiques, politiques, critiques... J'essaye de relier et de comprendre. On n'avance que par ses erreurs. Force est de reconnaître qu'en dehors des critiques formelles, des insultes et même des menaces, oui des menaces, je vois peu d'échos, sur le fond.


Tu as raison de souhaiter la clarté, la concision. Il faut aussi admettre que le débat n'est pas un échange de propos taillés à la serpe ou de slogans. Chacun son style. Les forums sont extrêmement souples pour accueillir toutes les formulations. Mieux vaut les prendre comme ça plutôt que de décréter telle ou telle forme. Qui n'est que forme. Et qui ne doit pas servir de prétexte à fuire les questions.

Le blues et l'harmonie du jazz


Pat Lotch(13/12/2001 - 15:06:24)

Je formule une hypothèse, à vérifier par les "experts".


Les novations mélodico-harmoniques du be-bop, c'est-à-dire sa substance proprement "révolutionnaire", en termes de musique, proviennent fondamentalement du blues.
Conséquence : Toutes les théorisations servant de base à la pédagogie du jazz "moderne", associant mécaniquement, pour jouer be-bop, un mode à un accord, sont un contresens historique qui alimente, pour ce qui est de la technique musicale, l'académisme du bop revival.

Je fonde cette proposition essentiellement sur l'analyse, dans son contexte et sa genèse, du jeu de Charlie Parker. je m'en tiens ici à l'essentiel, sans entrer dans le détail des "démonstrations".

1) Parker est formé, forgé dans le creuset du blues : Kansas City, Lester Young (dont il connait par coeur dissèque les chorus, pour en généraliser la substance musicale, qu'il pousse aux limites), Jay McShann etc. La moitié de ses 'thèmes" sont des blues, choses bien noté par les exégètes (hodeir en tête), mais non suivie des conclusions qui à mon sens s'imposent.


2) Parker, davantage qu'un théoricien, qu'un concepteur, est un intuitif doué d'une oreille et d'une mémoire musicale hors norme. L'écrit et la théorie sont pour lui secondaires, au moins dans ses années d'apprentissage. C'est Monk ou Gillespie qui lui "expliquent" ce qu'il ne sait pas qu'il fait (source : autobiographie Dizzy, Miles etc.)


3) Le be-bop est à maturité quand, en 1945, Parker découvre la musique européenne du 20 ème siècle, avec son préféré : Bartok (source : Charlie PARKER, interview 13 juin 1953, John McLellan : "... c’était 100% spontané, 100%. Pas un brin de la musique couramment diffusée aujourd’hui comme progressive music n’était adapté ou même inspiré par les anciens compositeurs ou prédécesseurs (...) ce qui est connu maintenant comme progressive music, ou sous le nom de Bebop, rien de cela n’est adapté, ni inspiré, par la musique de nos prédécesseurs Bach, Brahms, Beethoven, Chopin, Ravel, Debussy, Shostakovich, Stravinsky, etc.")


4) Les modes du blues (celui sur la tonique 1 b3 4 #4 5 b7, et celui sur la sixte 1 2 b3 3 5 6), joués comme tels ou plus fréquemment mélangés entre eux et avec les échelles tonales dès la période swing viennet percuter, bousculer l'harmonie de source européenne et de structure batarde dans le blues en 12 mesures I IV V.

Le premier mode donne une septième mineure sur tous les accords (à trois sons), dans la grille en position fonctionnelle de résolution (V vers I) ou non (accord majeur de septième mineure dit "stable").

Ceux que ça intéresse vérifieront sur chaque accord les superstructures induites par le blues, en temes d'extensions de neuvièmes, onzièmes et treizièmes, voire quatorzième, septième majeure comme note de couleur).


5) Ce son du blues percutant le système tonal est socio-historico-musicalement le son d'une époque, un bain culturel dont les jazzmen font leur source essentielle. C'est notamment le cas de Parker, qui construit son style mélodico-harmonique en partant de là, de ce qu'il entend "intérieurement" et qui, selon ce qui est le plus probable, lui est inspiré par ce climat.

La tendance naturelle est donc, dans cette rencontre tonale-modale, une absorbtion progressive dans la verticalité harmonique de ce qui se présente d'abord comme audace mélodique (mais aussi bien et différemment chez Hawkins, Tatum etc.). Mingus par exemple en tirera les conséquence dans l'écriture harmonique même (ex : Goodbye Pork Pie Hat)

De la même façon que les russes et les français ont miné, perturbé le système tonal dans la deuxième moitié du 19ème siècle, les boppers inventent sur le tas une déconstruction qui est spécifique au jazz, par le blues. Ils n'avaient pas à aller chercher chez d'autres (Messiaen, Bartok, Stravinsky...) ce qu'ils avaient sous la main, et dans l'oreille. L'écoute et l'absorbtion de ces derniers ne viennent qu'une fois le bop constitué.

6) Deux enjeux :

Le premier : rendre à César... en considérant comme de grands concepteurs de musique, n'ayant pas à prendre en permanence des leçons d'harmonie chez les compositeurs européens. Ce qu'on admet pour les compositeurs français et russes, d'avoir générer un renouvellement de la musique par la modalité, il faut le reconnaître aux boppers, avec ses spécificités et ses conséquences sur la suite des événements musicaux.


Le second : on ne peut jouer le jazz, notamment le style be-bop et ce qui s'en suit, sans savoir d'où il vient. Il est parfaitement possible de parvenir à la même phrase musicale, cad comportant les mêmes ingrédients, en l'ayant conçus et pensée différemment. Mais on ne donnera pas le même poids aux choses - aux notes-matières-sons - si on les joue comme "blue notes" plus ou moins généralisée à tous les degrés, ou comme notes peu ou prou équivalentes d'un mode correspondant à un accord, comme y invitent nombre d'approches, méthodes d'improvisation etc. (ex : Aebersold...). D'où l'impression de jazz canada-dry si fréquente ...

Le seul intérêt de cette approche didactique de conservatoire est de "faire système", facile à enseigner et à assimiler sur le papier ou comme gymnastique intello-musicale, qui passe par dessus bord la transmission en situation, sur le tas, de l'expérience jazzique.

Le viol du be-bop, musicalement, peut s'expliquer comme ça : des recettes, des clones... C'est l'exact et nécessaire complément de l'idéologie qui l'accompagne : le jazz comme musique à interpréter, refaire... revivaliser.


Personnellement, j'ai été incapable de découvrir un quelconque "système" dans les chorus de Parker, au demeurant assez difficile à analyser avec des outils stéréotypés (ou seulement avec plusieurs hypothèses dont rein ne dit qu'il "pensait" comme ça) compte tenu, entre autre, du poids harmoniques des notes à la vitesse d'exécution, des décalages rythmiques permanents etc.

Les chiffrages de l'Omnibook (relevés de chorus parkériens) sont douteux, dans la mesure où la version n'est pas indiquée. Des blues commencent avec des septièmes mineures et développent des septièmes majeures dans le chorus, fortement en évidence. L'harmonie indiquée suit la mélodie, et je ne sais pas ce qu'en fait jouait le pianiste. MAis tous les ingrédients du mélange mode de blues-tonalité sont présents. Eléments que Parker transportent du blues dans les thèmes qui n'en sont pas.

Ce ne sont donc pas qq blue notes passées en douce pour faire couleur locale : c'est l'invention d'une nouvelle musique, et d'une harmonie spécifique.


Message de Pat Lotch(13/12/2001 - 15:35:34)

Ceux que ça intéresse pourront confronter, aux modes du blues pris séparémment ou ensemble, les "gammes" à transposition limitées de Messiaen (demi-ton -ton, unitonale) ou l'échelle dite de Bartok (lydien-dominant des américains : 1 2 3 #4 5 6 b7 ou leurs équivalents en degrès harmoniques). Ils pourront constater la forte proximité de pans entiers de ces deux approches, et pour le moins la possibilité de tirer du blues, dans sa rencontre avec la tonalité, des conséquences très proches des constructions plus conceptuelles des Européens (Bartok étant un cas à part, ancré dans le populaire que dédaigne tant Hodeir) d'où son intérêt pour les jazzmen, leurs démarches ayant des points communs troublants.


Voilà, entre autres considérations à la lecture de Malson et Hodeir, pour m'en tenir à des "pères fondateurs" de la critique de jazz "moderne", ce qui me fait conclure à un "eurocentrisme" musicologique de leur part.

Voilà pourquoi je ne suis pas, par exemple, le commentaire de Denis Constant, à la réédition d'"Hommes et problèmes du jazz" (Hodeir, 1954) en 1981 :
"Hodeir a fait la démonstration que ses instruments d’investigation étaient parfaitement adaptés à une époque du jazz. La suite révélera leur faiblesse quand changeront les mécanismes d’une musique toujours - à tort ou à raison - appelée jazz. Car ce qui se dispute ici, c’est un rapport de l’esthétique au social : si le jazz est défini par l’essence d’une esthétique datée , il est condamné ; s’il est défini par les conditions sociales de sa création, de sa production, il perdurera par-delà ses évolutions esthétiques."
(l’Humanité, 4 mai 1982)

Pour ma part, je considère que "les outils d'investigations d'Hodeir" n'étaient pas adaptés, y compris sur le plan musicologique, à l'analyse du be-bop. Son écoute "musicienne" du jazz est l'eact pendant de sa surdité à ce qu'il est, sur le plan ethno-socio-politico tout ce qu'on veut.


La position de Constant, à cette époque, est encore marqué par l'opposition esthétisme-sociologisme qui structure les oppositions et querelles dans la critique de jazz, avec l'épisode marquant de Free Jazz Black Power.

C'est cette opposition qu'il s'agit de dépasser, pas pour enterrer la hâche de guerre en faisant semblant d'avoir tout compris, mais en construisant d'autres approches et conceptualisations esthético-poétiques-politiques. Certains le font sans le dire -parfois sans le savoir ?- c'est encore mieux en le disant.


Il me semble que cette approche n'est pas incompatible avec ce que j'ai lu sur le sujet chez Hediguer, Gilson, Baudoin, Jacques B. Hess. Hodeir encore récemment oui, avec son fatras d'appogiatures and co (Cahiers du jazz, 1996, n°3, numéro spécial sur le blues).


La quinte de tous


Message de Pat Lotch (14/12/2001 - 17:44:26)

Un petit complément :


La fameuse "quinte diminuée", que l'on trouve plus souvent dans les livres, qu'isolée comme novation dans le be-bop dont elle serait une marque de naissance plus qu'un tic sur le tard, n'est rien d'autre, me semble-t-il qu'une blue note (b5 ou #4 mélodique, #11 harmonique mais pourquoi pas aussi bien b12, dans cette terminologie si peu adaptée),
et transportée dans les autres thèmes, standarts, grilles nouvelles etc.

Mouvement et échanges réciproques entre traitement harmonique tonal et catapultage par la modalité du blues, comme je ne l'avais pas précisé, et qui est typique chez Parker.

Et puis on m'expliquera, si jamais je faisais fausse route, pourquoi un solo de Monk, même agrémenté de ses dégringolades en tons entiers, m'évoquera toujours plus Willy Smith The Lyon, James P. Johnson ou Jelly Roll Morton qu'un "Catalogue d'oiseaux", pour piano seul, d'Olivier Messiaen.


Le blues : so what ?


Message de Pat Lotch(14/12/2001 - 12:42:02)

Pour ainsi dire boucler la boucle de ce monologue aspirant à ne pas le rester : et le dieu blues dans tout ça ?


Je renvoie à l'exigence formulée par Philippe Baudoin (voir plus haut) et à cette réflexion de Laurent Cugny, dont je m'autorise cet extrait :


"... quelle relation au blues entretient-on quand on se veut musicien de jazz aujourd’hui (et éventuellement, de surcroît, blanc et européen) ? Dans un premier temps cela revient à réfléchir sur notre rapport aux origines, en tant que le blues incarne l’origine du jazz, même s’il n’en est pas le seul composant. De nombreux musiciens (notamment européens) règlent la question en se réclamant de l’improvisation et non du jazz. Dans ce cas, il est compréhensible que la question ne se pose plus. Ou du moins, perd-elle de sa pertinence. Mais si en revanche, on s’identifie au jazz dans sa pratique musicale, je ne vois pas très bien comment on peut s’affranchir d’une relation, fût-elle lointaine et lâche, au blues (...)

Je crois donc toujours vrai que le point commun à tous les musiciens de jazz est leur revendication d’une relation forte au blues, quelle qu’en soit la forme. Alors on aura du mal à en trouver deux qui donnent la même définition du jazz. Le blues reste, à mon avis, l’indicateur le plus précieux, avant même celui du swing (peut-être justement à cause de cette charge historique et ethnographique, par là beaucoup plus symbolique, que n’a la notion de swing, plus rigoureusement musicale). On arrive ainsi à un paradoxe tout de même amusant : pour savoir si un musicien pratique le jazz, il faut lui poser une autre question, celle de sa relation au blues : s’il en avoue une, il n’est pas forcément un musicien de jazz ; s’il la récuse il n’en est certainement pas un."
Laurent CUGNY, Blues vu du jazz : une anecdote, Cahiers du Jazz n°3, 1994*
* on trouve encore à la Fnac ce numéro spécial sur le blues, avec des contributions d'Hodeir, Baudoin, J. B. Hess, Cugny, si j'en oublie, qu'ils me pardonnent.


Car si l'on le devait s'enfermer dans le mot "jazz", il est évident que se poserait la question récurrente des spécificités proprement musicales. J'avoue ne pas en avoir fait une priorité, peut-être parce que je n'avais pas, ou ne voulait pas, de réponse, peut-être aussi parce que je suis, indécrottablement, un "amateur de jazz".

 

"Jazz" et politique


Pat Lotch(14/12/2001 - 19:37:40)

Si ma proposition a quelque valeur, d'un lien des "jazz" actuels-futurs avec un devenir communautaire des "multitudes contre l'Empire" - qu'on ne lise pas ici un lien mécaniste -, elle permettrait une relecture du rapport "jazz et politique", dont FreeJazz BlackPower pose une approche, certes marquée par son époque, défauts au nom desquels personne ne s'est jamais autorisé à esquiver le problème, mais non pensez-vous... le retour d'un esthétisme de pacotille n'aurait rien à voir avec ça, pauvres papys, pauvres enfants de la "critique", vrais-faux déshérités de FreeJazzBlackPower... commentateurs gagas et jeunes plumes scienteuses sans consciences, en prêches et communions réunies, soucieuses des deniers du culte et y perdant la foi.

Défauts à mon sens mal repérés quand on lui colle, à l'occasion des rééditions, l'étiquette "marxiste", loin que me semblent les auteurs d'avoir été dans leur jeunesse au fait des relations entretenues tout au long du siècle entre marxisme et esthétique (avant-gardes artistiques, surréalistes, expressionnistes, Brechtien avec nos amis Kurt Weill et Hans Eisler et ce malheureusement trop bourgeois d'Adorno si lucide mais si coincé, ennemi juré du jazz à qui le sort postmoderne de notre musique rendrait quelque posthume pertinence... il parait que ce bon Christian Béthune écrit sur le sujet, soyons impatients... et bien évidemment et toujours actuels Debord et les thèses situationnistes, les plus jazz en politique). Sans quoi ils (Carles Comolli) auraient sans doute trouvé eux-mêmes des solutions plus "dialectiques" à ce vide théorique qu'ils ne manquent pas alors de regretter.

Mécanisme dont se défend FreeJazzBlackPower, qui n'en tombent pas moins dans une vulgate marxisante, et quasi jdanovienne, par l'oreille "réaliste socialiste" où ils entendent le free. Tendance alors en vogue. Même les cocos - français j'entends - qu'il était de bon ton de voir plus staliniens qu'ils n'étaient en passe de devenir, commençaient à dépasser, dans les rapports de la culture au politique, ce niveau. On dira que vus leurs exigences actuelles, les fruits n'ont pas porté la promesse de fleurs déjà fanées... c'est un autre problème.

Grands, immenses mérites de FreeJazzBlackPower - appuyé sur Leroi Jones, ce que reconnaissent les auteurs tout en lui reprochant alors de ne pas s'engager plus politiquement - qui sont de replacer le jazz dans son contexte ethno-socio-histo etc. politique. C'est, en soi, selon moi, ce qui reste incontournable dans ce livre essentiel : le côté pavé dans la mare.


Je vois d'autres défauts que ce mécanisme. Par exemple, dans l'absence du "plaisir de l'art", dont justement Debord/Vaneigem/Marcuse/Lefebvre ne considèraient pas à cette époque qu'il pourrait être contre-révolutionnaire, et qu'ils ne soulignent pas assez, par exemple, à l'écoute d'Ayler (musique ET propos), comme si le fait que le free bouscule l'art selon la bourgeoisie occidentale - de supplément d'âme et de "pur" plaisir - nous obligeait à souffrir pour jouir de son renversement. C'est une moraline de moines-soldats qu'on trouvait davantage chez les communistes et autres trotzkistes (les troupes d'ARLETTE étaient encore il y a peu invités à dormir en chambres séparées, hommes et femmes...).

Autre problème, mais je pense dû au fait que le lien au politique s'établit par le free jazz, puis à rebours, dans l'histoire du jazz, avec je pense quelques injustices manichéennes, les bons et les mauvais... ce qui n'est pas si simple, du point de vue des sources musicales qui, en permanence, refonderont la modernité du jazz.


J'abrège, puisque j'ai choisi de faire court, grâce en soit rendue à Charles.

Ce n'est pas tant le lien direct musique-politique (et moins celui à LA politique qu'AU politique) qui est le plus fécond, que le lien communautaire et d'éthique-artiste :


- Aux sources africaines/afro-américaines dans un vécu et l'invention d'une vision du monde spécifique où les racines/l'enracinement et la tension vers la liberté sont beaucoup plus présentes en profondeur qu'on ne le disait même alors (les recherches ont apporté des éléments nouveaux)


- l'éthique de l'artiste : car c'est le geste de l'artiste qui est "politique" en soi, quasi-indépendamment de ses convictions ou engagements (cf sur ce point Cotro, FreeJazz en France, et les témoignages de Gilson par exemple), ce geste et ce rapport au "public" - qui n'est pas qu'un consommateur, un "spectateur" - ce geste "libérant" (Lubat : La musique n'est pas une marchandise) : la fabrique de l'oeuvre, son offrande et son destin en tant que sujet actif changeant la vie de ceux qui y ont accès.


Où les deux se croisent dans une relation, un don (potlatch), un partage entre musiciens et public qui s'enracine dans la fonctionnalité des musiques africaines ("performance", où l'on retrouve Genette par un autre chemin), comme il s'empare de toute situation du jazz "live", du "vrai" jazz que savait parfois si bien transmettre, avec ses gros sabots, le père Panassié. ALLEZ AU CONCERT au lieu de perdre votre temps sur Internet !!!!!!


Où j'invite donc aussi, en passant, à une autre réconciliation, mais profonde, des modernes et des anciens. Car le be-bop comme le free rompent moins qu'ils ne continuent le jazz, dans une unité spatio-temporelle, plurielle. Ethique et poétique.


Le jazz n'est pas un "art" à partir du be-bop, n'en déplaise à Hodeir et Mouëllic réunis. Il est, depuis le début, une AUTRE façon de faire de l'art, poil au porc; et de la politique, poil à free.


Message de Pat Lotch(18/12/2001 - 19:30:57)

(suite et fin) juste pour réinjecter les morceaux qui ont disparu dans les tuyaux...


On ne brûle plus les livres. S'attaquant à "musique et politique", avec les Fables de Mingus, Levallet-Constant (musique+science) accouchent d'une souris qui se mord la queue en demandant " quoi c'est ?"

Alors, tandis que Gerber romance son mentir-vrai, Jalard est triste (il a lu tous les jazz), Mouëllic est mou, Pierrepont pur, Balen badin, Malson réédité ad nauseum... Slamowicz prévisible. Nombreux sont prévoyants (pas près d'être voyants), Marmande en a marre, Bergerot gère, Cugny travaille et Langel, en douce empile sur les étals, fait l'ange blanc en insultant les orphelins du jazz (on le conseille même à l'Harmattan; à Présence africaine j'ai pas demandé). Mohammed M'Bengue... race d'introuvables, faut croire. Lubat est là. P'ti père. Repère.


Toujours est-il que ce qui aurait pu être la première pierre, même branlante, d'un édifice critique pour refonder une critique d'art du jazz, fut impuissant à le faire,
une fois recouverts les pavés par la mousse des années Mitterrand. La faute aux "défauts", le nez dans le ruisseau... Les "jazz" à la dérive ont eu les "critiques" qu'ils méritaient. Pas plus que l'art, fusse-t-il aussi exigeant que le jazz et ses 2% de marché, sa critique ne s'élabore sur une île déserte : le raz-de-marée du spectacle noya le tout sous ses eaux glacées. Quelques îlots, quelques terres de feu... Ailleurs feu le jazz, quand ce n'est pas feu sur le jazz. Regonflés par Genette - c'est classe, ça classe - les papys esthétistes sont aussi inamovibles que les gérontes en politique, où ils sont entrés à vingt ans. Leurs petits enfants - ces jeunes-vieux au nez collé sur le blanc nombril - posent en condescendant aux faux-déshérités de FJBP. J'en vois encore deux s'adresser des clins d'oeil entendus, l'un à l'autre mais néanmoins pour être lus de tous... Comprenez : Carles/Comolli, ils les avaient plus-que-parfaitement avalés, digérés, dégueulés et bien sûr dépassés de toute la hauteur proclamée/markettée en coterie, de leur science jazzique académisée. Amateur simplet, je n'ai jamais su ni en quoi, ni comment... circulez ! Forums, zone à risques, quartier difficile. La légimitation en jazz de la critique en toc n'empêchera pas personne de n'avoir rien à ne pas dire : "double entente", zéro-speak, BLACK OUT !


- Le jazz ne fait pas musique de politique. Le politique ne fait pas l'art. Ne peut. L'artiste de jazz part et parle de ce qu'il est dans la vie, dans l'instant où il met en jeu, parfois en joue. Tout peut faire jazz : l'amour à la franquette, le maïs transgénial, les yeux du voisin ou la chatte siamoise, la rue de Lappe ou le boulevard Bolivar, le politique pourquoi non ? Le jazz part d'où il veut et il arrive ailleurs, quand il se fait art. Le jazz parle, et bien assez pour remettre en cause le langage musical selon la musicologie. Le jazz parle comme un tambour africain : il n'est plus le jazz s'il est interdit de parole, s'il s'interdit la parole. Le jazz n'est pas le jazz s'il n'a rien à dire.


- Le jazz n'est pas réac parce qu'il est blanc, ou riche, ou swing pour faire danser. Revivalisé, oui. Par définition.


- Le jazz est moderne depuis le début. Free depuis le début. S'il n'est pas moderne, pas libre, il ne joue pas le jeu du jazz. Il joue au jazz. Il est déjoué. Refait ? défait. L'oiseau fait cui cui. Refaire le Bird est cuit. Rien de plus faux qu'un "Real" book. Le vrai est un moment du faux.


- Le jazz n'est pas révolutionnaire d'être free, engagé, enragé, dérangeant...


- Le jazz est toujours révolutionnant ou n'est pas. N'est pas art. Il est politique comme la fleur dans le regard de William Parker. Dans sa geste, son accouchement, son don et son partage poétique. Dans l'urgence d'exprimer un moment de vie, individuelle ou collective, présent au présent-futur. Indiquant du possible, rendant possible l'impossible, affirmant qu'il est possible de VIVRE. Pas de seulement survivre en consommant/collectionnant la culture sous étiquette, sans éthique. Vivre de la vie qui, par le jazz, fait de chacun un autre. Le jazz change la vie quand et parce que, comme disait Albert Ayler, "il libère l'esprit".


Django, les siens, et les juifs


Pat Lotch(14/12/2001 - 17:11:59)

Deux autres pistes à suivre, et qui le sont ici ou ailleurs, d'une modalité de construction d'un jazz singulier, et répondant à cette "éthique", notamment l'ancrage dans une communauté dont je fais une "spécificité" incontournable.



Point besoin de développer pour comprendre :


- Django et le jazz manouche, y compris avec cette petite satisfaction intellectuelle et mondialiste avant la lettre, dans l'héritage musical d'Inde du Nord de la musique manouche (on m'excusera la terminologie approximative, je pense à toute la diaspora de ces peuples "voyage", en Europe centrale, en Espagne, en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, sauf erreur, et qui donnerait comme un passé aux nouveaux mélanges de jazz oriental)
- Les juifs immigrés aux Etats-Unis, et la musique klezmer, remise en selle pour les amateurs de jazz un peu fermés à ça par Don Byron (music of Mickey Katz) - chez nous, l'ami Wekstein. Et la place des jazzmen (blancs) juifs dans l'histoire du jazz, à commencer par son droguiste : Mezz Mezzrow...


Je ne résiste pas, pour servir ceux qui chercheraient dans cet esprit les racines d'un « jazz européen » (gaulliste jusqu’à l’Oural), à rapporter ce texte :


"Le caractère musical du jazz soviétique qui prend sa source dans le folklore des diverses régions de la Russie, est plus hardi, plus moderne que celui du jazz américain ; je ne serais pas étonné que l’avenir du jazz soit lié davantage au jazz russe qu’au jazz américain."
Cergio MALAPARTE, écrivain italien, cité par l’Echo Républicain, et repris par Boris VIAN dans JazzHot, décembre 1951


Allez savoir ...

"We played all over the world, playing for different countries and different languages, and I don't speak but one language and that be poor English... In 1953, I played Berlin….and I can't 'COUNT' the number of Russians that cross the line to hear 'our Louie,' that's the way they expressed it, 'our Louie.' Dem Russians really dig good jazz." Louie was excited !"


Louis ARMSTRONG, Video Satchmo, Edward R. Murrow

Le jazz communiste est-il la jeunesse du monde ?

Du jazz blanc

(Je dédie ce texte à Michel Portal, pour le temps où il se cherchait du sang africain.)

Si l’histoire du jazz peut être remise en perspective, avec une focale plus longue et un grand angle, par la permanence d’une éthique croisée africaine-américaine/artiste, gage d’avenirs ancrés dans la tradition, cela ne permet-il pas de reconsidérer la participation des jazzmen blancs « historiques », de dépasser le fait « qu’ils ne jazzeraient pas du même lieu que les Noirs », comme le montrent Carles et Comolli et comme le souligne Alain Gerber (Le cas Coltrane, à propos d’Elvin Jones) ?

Cette vérité incontournable, n’y a-t-il pas plusieurs façons - pas nécessairement contradictoires - de l’interpréter, de lui donner du sens ? Les Blancs (je parle de la période, disons jusqu’au free-jazz) sont-ils voués à être perçus soit comme compagnons de route, soit comme concurrents, des Noirs faisant musique de leur aspiration individuelle et communautaire à la liberté, à la reconnaissance, à l’ »intégration », à l’égalité ?

Ne faut-il pas sortir l’écoute d’une gêne permanente (allez, avouez-le), comme si Beiderbecke, Getz, Art Pepper, Serge Chaloff ou Gil Evans (quels fameux et profonds bluesmen en passant ...) devant faire « malgr é » ce blanc handicap, dont souffrira davantage un Joe Maneri dans les années soixante, saxophoniste d’origine italienne extrêmement original, qu’un Steve Lacy, peut-être du fait de sa proximité à Monk, et tout aussi singulier ?

Pourtant, un fait troublant : ici et ailleurs, 9 sur 10 des « meilleurs CD de l’année » ne sont plus de musiciens noirs. Le jazzman blanc aurait-il gagné la partie d’un « jazz » coupé de toute nécessité d’un rattachement communautaire, à la tradition afro-américaine ? Médiatiquement, les Noirs n’auraient plus que le rap et Marsalis ? Et quelle tradition, faite de quoi, forte de quoi ? D’être ou ne pas être noire ? A d’autres ! Liebman, Eskelin, Ibarra, Junko Onishi, Texier, Ducret, Uri Caine... orphelins du jazz noir ? ça s’entendrait. Je veux bien qu’il en aille différemment, et encore, pour ceux « qui ne savent pas jouer le blues en fa ».

Alors quoi ? si la différence n’est pas DANS la musique. Qu’est-ce qui se revendique, d’un héritage commun ? Hé bien c’est ici, entre autres, que je trouve féconde l’idée d’une « éthique du jazz », au sens où je l’ai esquissée. UNE ETHIQUE INVENTEE POUR TOUS PAR LES NOIRS.

On dira que ça ne change pas grand chose à notre affaire. Encore moins pour ceux qui sont morts. Si ce n’est qu’on raconte l’histoire comme on la pense, en termes de théorie, de concepts, de grille d’interprétation des événements, et que l’on n’en est jamais quitte, pour écrire comme pour jouer : ce que j’essayais de montrer dans le rapport de l’harmonie du jazz, du be-bop, au blues.

En effet, si l’on considère le jazz afro-américain comme la première phase, traduisant une rupture artistique dans l’histoire du monde, dans une évolution musicale plus longue et ouverte aujourd’hui aux perspectives que l’on voit s’esquisser, alors les Blancs ayant jazzé dans cette phase pourraient acquérir dans l’écriture de l’histoire du jazz un statut de « pionniers », et non peu ou prou de « pilleurs ». N’oublions pas que cette question, dans la place qu’ils ont prise, ne fût pas de seule théorie, mais hanta toute la scène du jazz pendant des décennies : ce n’est pas fini, mais dans un autre contexte, et différemment en Europe et aux Etats-Unis. N’oublions pas que ce qualificatif (« ils prennent notre musique, et c’est eux qui ont le succès ») ne fut pas le seul fait des « nationalistes noirs », et qu’il constitue encore une des ambiguités du discours et de l’attitude de Winton Marsalis et de ses proches, auto-proclamés, « blues et swing » au poing, défenseurs de leur peuple et de SA musique.

Pionniers, donc, éthique au coeur, comme je l’ai suggéré pour les Manouches, les Juifs, et les Russes... pionniers des « jazz de la multitude ».

Avec en prime une réconciliation, par le haut, telle que Miles Davis, par exemple, la vivait avec Bill Evans, montrant, une fois de plus, la (une) voie, contre vents et marées... noires.

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