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Posté le: Jeu Fév 08, 2001 11:45 pm Sujet du message: Critiques musicales... pour ou contre
Je ne connaîtrais pas grand chose du jazz, sans sa "critique".
A condition de s'entendre sur ce qu'on appelle critique. De faire référence aux grandes plumes, aux animateurs de radio, qui ne se contentent pas de chroniquer un disque, mais qui sont capables d'une analyse, d'une interview intelligente, d'une formule qui fait sentir la musique, d'un bouquin... Ces hommes (et femmes) de jazz, quoi, littéraires, philosophes, poètes, sociologues ou musiciens, peu m'importe, dès lors qu'ils "sonnent juste", et ça, on le sent assez vite, parce qu'on les confrontent à nos propres connaissances, nos propres goûts, et surtout, nos choix esthétiques (peut-être la fameuse "typologie" ?).Posté le: Mer Mar 21, 2001 11:30 pm Sujet du message: Cause and effect /Abraham Burton ts, Eric McPherson dms, James Hurt p, Yosuke Inoué b (cause and effect ENJA)
Comme j'ai dit ailleurs tout le bien que je pensais de ce CD, que je ne suis ni cher ni sectaire, et que j'aime bien ce site, je m'autorise à me recopier. C'est pas tant que je tienne à envahir tous les forums, mais ce CD a une particularité qui ne manquera pas de toucher les amis de Jazzbreak : le verso du boîtier utilise les mêmes couleurs que le site : typo orange et blanc sur fond bleu nuit.
"Non. Ce n'est pas un concert pour ce soir. Dommage. Seulement un CD. Pas même récent : 1999. Dommage : moi qui ne sort plus de mon trou, et dont les jambes comme l'impatience répugnent à faire la queue, en voilà quatre qui m'auraient bien poussé dehors : Abraham Burton ts, Eric McPherson dms, James Hurt p, Yosuke Inoué b (cause and effect ENJA).
Pas de quoi bouleverser une formule plus vieille que la pétanque. Ni les structures, ni les harmonies, ni les métriques, ni le principe d'enchaînement de chorus. Alors quoi ?
D'abord un truc : les deux leaders, le ténor (trois premiers CD à l'alto) et le batteur, sont des copains. Ils ont appris ensemble, et commencé dans la rue. Le pianiste a la tête bien faite, le reste à l'avenant. Le bassiste est basique, asiatique, élastique. Un nom de Nobel japonais. Aucun rapport.
Un jazz plus post-coltranien que néo-hard'bop. Ce qui ne suffit pas à faire la différence avec les autres. Les dizaines d'autres. Alors quoi ?
Ils jouent. Ensemble. Leur jazz est vrai : j'entend qu'ils croient à ce qu'ils font. Le son. Le rythme. Le chant. La construction de récits authentiques. La mémoire. La jeunesse. La ferveur. Plus, sûrement, l'amitié.
C'est peut-être ce qui donne à cet enregistrement de studio des airs de soirée en cave. Quand on ne sait pas au juste de qui vient la pulse, le drive, c'est que le groupe est gagné.
Burton nous offre un très beau son de ténor, évoquant Coltrane par un lyrisme tendu, mais pourquoi pas Getz, Barbieri, Henderson... cette belle saturation dans le médium-aigu. Cette façon de jouer comme on chante, pour dire une histoire.
McPherson aime tous les éléments de la batterie, fait hyper-simple ou foisonnant, mais si l'on croyait avoir tout entendu, on se laissera surprendre par quelques formules qui semblent bien à lui. Aphorisque et péril : on reconnait un grand batteur à son jeu de cymbales. Si c'est vrai, avec lui, nous ne serons pas déçus.
On ne prêtera pas à un autre non plus la gauche généreuse, solide et ostinée, les longs déroulements mélodieux en diable, et malgré ça l'humeur terrienne de James Hurt. Dans la modalité plus proche d'un McCoy retour des îles que d'un Bill Evans. Pas un hasard qu'il ait été sollicité (Wholly Earth) par Abbey Lincoln. Question d'encrage.
Au total un jazz parfaitement actuel, bandé d'urgences et patiemment en quête. Pas de démonstration. Tout leur a l'air si simple, qu'auraient-ils à prouver ?
Ces quatre ont navigué, diraient-on, dans toutes les mers, et quand ils rentrent, heureux, à la maison, c'est dans leur langue qu'ils racontent, qu'ils dansent, qu'ils trouvent, le moment venu, la transe, toujours ensemble et dans la plus naturelle des lumières.
Sillons à suivre. Et creuser avec eux. Qui sait ? les trésors..."
Posté le: Lun Juin 11, 2001 10:24 pm Sujet du message: En quête éthiqueAyant mis en chantier un livre : "Ethique du jazz/ Le jazz comme éthique", j'ai besoin, hors des recherches personnelles, de témoignages, amateurs, musiciens, "connaisseurs"...
Voici quelques questions :
- Jazz, que me fais-tu pour que je t'aime ?
- Pourquoi je joue du "jazz", sous ce nom ou un autre ?
- De l'individualité dans le groupe : perception ou expérience.
- Quelles ECOUTES ? Du musicien à l'amateur / en passant ou non par le "critique".
- Qu'attendre de la critique ?
Merci.Posté le: Dim Aoû 12, 2001 10:26 pm Sujet du message: LE TEMPO
Voilà une idée qui a la vie dure : ce serait au batteur de garder le tempo.
De le faire vivre, je préfère. Sinon, même pour s'en tenir au jazz "classique", ce n'était pas la peine de recruter un Jo Jones, un Cozy Cole ou un Sid Catlett.
En se penchant sur la question, on s'apercevarit que de nombreux chefs-d'oeuvre ne sont pas fondés sur un tempo immuable.
La question du jeu "autour" du temps, avec le jazz moderne, est encore autre chose. Le trio Jarrett, justement, peut-être plus il y a quelques années, quand il faisait moins dans le néo-classique, et que Dejohnette sortait de lui-même, est un exemple assez parlant. Ou la rythmique de Miles avec Ron Carter et Tony Williams.
Ce qui est important, c'est sans doute de jouer ensemble, avec une même perception (implicite) du temps. Un excellent exemple est donné par les trios Giuffre (avec Bley ou Jim Hall), sans batteur : le sens rythmique commun, la pulsation atteignent des sommets, même quand le temps n'est pas explicite...Posté le: Mar Jan 08, 2002 11:00 pm Sujet du message: L'humanité du jazz : pour une poétique
L’HUMANITE DES JAZZ, c’est le fil conducteur de mon approche critique, résumée ici 4 points : objectif, conditions de fond, méthode, état de mes cogitations personnelles. Complété de deux propositions. A ce stade, je ne sais faire ni plus simple, ni plus court. Imprimer est mieux (une page et demi en Times 10).
I) FIL CONDUCTEUR et OBJECTIF
Faire ressortir « L’HUMANITE DES JAZZ » (son ETHIQUE) qui porte cette musique métissée inventée par les Noirs américains, depuis sa genèse et dans son évolution. Garante pour « les jazz » de lendemains qui chantent.
Contribuer à une refondation critique : une POETIQUE des JAZZ.
II) CONDITIONS FONDAMENTALES
- Partir de la MUSIQUE, située dans son temps et ses conditions. Tous ses impacts, musicaux et au-delà.
- Chercher les permanences, la CONTINUITE, l’UNITE PLURIELLE qui traversent les périodes, styles, spécificités musicales.
- Prendre du RECUL par rapport à l'histoire écrite et mettre en PERSPECTIVES, en adoptant une périodisation large : la préhistoire (de l’Afrique à l’enregistrement), le jazz afro-américain et dérivés (des origines à la fin des années 1970), l’éclatement et la crise (des années 1960 à la fin du 20ème siècle), l’ouverture aux multitudes (depuis une quinzaine d’années). Des chevauchements, plus qu’un enchaînement chronologique strict.
III) CONDITIONS METHODOLOGIQUES
- Une CONSTRUCTION PLURIELLE MAIS COLLECTIVE. Ni soliloque, ni simple somme de contributions théoriques qui ne dialoguent pas.
- UNE COHERENCE COMPLEXE (au sens d’Edgar Morin, Guattari...) : transversale, inter-disciplinaire et multi-culturelle. Croisant :
- les sciences humaines décloisonnées, outils d’investigations de la pensée occidentale ;
- la vision du monde africaine/afro-américaine voire asiatique...
- les praxis artistiques, littéraires et poétiques, psychanalytiques, politiques et l’investigation de terrain ;
- une musicologie spécifique et les paroles musiciennes, dans leur engagement musical ET humain.
IV) PISTES PERSONNELLES
De ma position d’amateur, touchant à tout et spécialiste de rien, j’ai tenté de dépasser l’inconvénient du travail solitaire par la confrontation théorique, la citation, la métaphore... Une formulation de/en débat. Avancées par intuitions et erreurs, recoupements...: Work in progress.
Pour cerner ce que le « jazz » a de spécifique et singulier, en tenant mon fil conducteur, j’ai retenu des THEMATIQUES, des SPECIFICITES. Elles ne sont pas essentiellement musicales. Le jazz les brasse. Je les range, pour simplifier, selon :
1) qu’elles se rattachent à l’héritage afro-américain (y compris adoptées par d’autres)
2) qu’elles portent la tradition de « l’artiste moderne » européen (de Beaudelaire au « Situationnisme », en passant par les « avants-gardes »).
3) qu’elles traversent ces deux champs.
En voici l’essentiel :
1) L’ETHIQUE AFRO-AMERICAINE DU JAZZ (que ne porte pas que le jazz "noir"):
- L’INDIVIDUALITE non individualiste dans LE GROUPE : la création en temps réel d’une musique d’ensemble épanouissant chaque personnalité (idéal poursuivi, pas toujours réalisé) : échange, construction collective... aspects hiérarchiques.
- Un ESPRIT COMMUNAUTAIRE, hier afro-américain, demain... terrien ?
- Une SPIRITUALITE prolongeant les racines religieuse du jazz (gospel, spirituals) et plus profondément l’IDENTITE AFRICAINE/AFRO-AMERICAINE : permanences, évolutions, influences...
- Un RESSOURCEMENT POPULAIRE permanent : dans le jazz historique afro-américain par le BLUES, etc.
- Un rapport à l’ASSISTANCE, le don et le partage de la musique, dans les conditions d’une « performance » publique, d’une « SITUATION POETIQUE COLLECTIVE », non réduite au « concert » (vedette/ admirateurs), ou à une consommation « culturelle ».
2) L’ART MODERNE DU JAZZ (et non l’art du « jazz moderne »), l’artiste et son OEUVRE, dans leurs relations à la VIE, au SENS et la PUISSANCE, à l’INCONSCIENT (ou zen contrôle : la situation créatrice, le jeu, court-circuite la maîtrise raisonnée), au PRESENT-PRESENT (modernité et improvisation), à la LIBERTE (libérante).
3) Traversant ces deux champs (afro-américain et d’art moderne), des thématiques où le jazz est fécond :
- L’ECOUTE, de soi/des autres, musicienne ou de plaisir dans la réception/participation.
- Le PLAISIR du corps et des sens, dans le jeu, l’écoute et si possible le partage, libérants, révolutionnaires...
- Le rapport ART et POLITIQUE
- La réflexion d’actualité, mais enracinée dans cette tradition, de l’UNIVERSALITE.
V) DEUX PROPOSITIONS
1) Je souhaite confronter ce travail... et le poursuivre dans un cadre collectif ;
2) Je mets à disposition gratuite, pour bon usage, mon TRESOR de GUERRE : un corpus de 500 propos musiciens sur un siècle de jazz, classés chronologiquement et selon les thèmes décrits ci-dessus. A enrichir.Posté le: Mar Jan 08, 2002 11:11 pm Sujet du message: Faut bien que le corps exulte
"On danse plus beaucoup sur le jazz...
Que dire sur le jazz et la danse ? "
Je suis très sensible à cette question. J'ai noté qu'en même temps que la critique (française en particulier) définissait, avec le be-bop, le jazz moderne, elle évacuait cette question : le jazz devenu "art" cherche à être reconnu en concert... Carles et Comolli en rajoutent une couche avec FreeJazzBlackPower : le jazz dansant est récupéré par la bourgeoisie ("supplément de jouissance") la société de consommation... Vrai problème, mais qui ne se réduit pas à ça.
Car Gillespie danse en scène, et pas eulement pour faire le pitre : il s'en, explique dans son autobiographie (To be or not to bop). Monk danse en permanence, au piano, autour, et dans la musique. Lester Bowie et l'Art Ensemble dansaient. Cecil Taylor est un grand danseur autant qu'un pianiste-musicien (d)étonnant. Steve Coleman et sa musique dansent etc. etc. Bernard Lubat joue aussi pour faire danser, encore, les corps et les sens.
Le jazz se perd quand "le corps n'exulte plus.". Si les "jazz" d'aujourd'hui retrouvent des lieux de partage avec le public, si celui-ci se décoince, ils feront encore danser. S'ils sortent de l'académisme et des dérives élitistes, il ont tout à y gagner.Posté le: Jeu Jan 17, 2002 11:42 pm Sujet du message: Jazz noir, blanc... "universel"
JAZZ NOIR, BLANC, « UNIVERSEL »...
Il y a un an, je me prenais la tête et je provoquais : « L’homme blanc a gagné»... relativement aux sélections annuelles des meilleurs CD par les revues : 9 Blancs, un Noir. Depuis, j’ai creusé... Je propose à la discussion un éclairage différent, dans le fil de mon texte «L’humanité des jazz... »*. Plus simple. Imprimé : une page et demi.
JAZZ NOIR/ JAZZ BLANC : on s’agite peu ou prou entre deux extrêmes, selon qu’on souligne les différences (depuis FreeJazzBlackPower : « ils ne jazzent pas du même lieu »), ou selon qu’il n’y en aurait plus : le jazz, devenu « universel », appartient à tout le monde. Sans trop y regarder.
Une périodisation longue de l’histoire du jazz met fin à la partie de ping pong entre ces deux positions.
PERIODISATION LONGUE : une phase de genèse jusqu’aux premiers enregistrements, une phase « historique », afro-américaine (en gros jusqu’à la fin du free), une phase d’éclatement et de "crise" (jusque dans les années 80), et une période ouverte depuis, de réinvestissement... universaliste ? Recouvrements et principes plus qu’enchaînements (c’est Coltrane qui annonce dès les années soixante la période actuelle). Périodisation longue, mais rattachée aussi à l’évolution du monde, et n’ayant pas pour but de remplacer la succession des styles : New-Orleans, Swing, Be-bop...
1) LA PHASE AFRO-AMERICAINE est celle où l’évolution du jazz est contenue de manière relativement autonome dans la sphère « afro-américaine », avec les influences à l’oeuvre, dès l’origine : musique occidentale, héritage afro-américain et Blues, Antilles-Caraïbes et Afro-Amériques latines. Les Blancs (et autres Watanabe...) qui y participent utilisent le plus souvent les mêmes ingrédients, quitte à faire entendre leurs singularités. Assez tôt, les Klezmer et les Manouches créent de nouveaux métissages communautaires qui échappent à la culture afro-américaine. Mais tous adoptent, quelles que soient leurs couleurs, des caractéristiques communes inventées par les Noirs américains*. Avec le recul, et sans nier les contradictions d’époque, on peut considérer que les grands musiciens de jazz blancs (les générations de Benny Goodman, Gil Evans, Gerry Mulligan, Stan Getz, Art Pepper, Jimmy Raney, Jimmy Giuffre...) non seulement ne font pas que copier/s’inspirer, mais amorcent, en tant que non-Noirs jazzant, une évolution à long terme.
OUVERTURE AU MONDE
Avec JOHN COLTRANE, Yusef Lateef et quelques autres, noirs, plus tard Don Cherry, l’ouverture au monde n’est plus de la même nature. Elle cherche d’autres sources : Orient, Moyen-Orient, Espagne, Asie... le jazz « modal » et le free (mais Ellington, le hard-bop déjà, Giuffre, Tony Scott...) font exploser l’unique référence européenne/afro-américaine : la New Thing américaine sert de déclencheur, mais les Européens s’engagent sur des pistes plus « locales ». En lorgnant sur Monk ou Ellington depuis l’Afrique, Dollar Brand, noir, et Chris McGregor, blanc, inversent la dynamique des emprunts.
Néanmoins le repère afro-américain fonctionne encore comme centre, et je rattache le FreeJazz à la phase afro-américaine, que Coltrane ouvre au monde, mais de ce lieu-là.
RELANCE « EUROPEISTE »
Parallèlement Red NORVO, MULLIGAN... Gunther SCHULLER, André HODEIR, BILL EVANS, blancs, lancent des perspectives nouvelles d’enrichissement du jazz par la tradition de la musique savante européenne. Emprunts toujours féconds (Anthony Braxton, Brad Meldhau...). (Faudrait pas oublier Kurt WEILL, Opéra d'quat'sous, Mahogany... qui relance 30 ans avant la modernité savante, par le jazz).
2) APRES LE FREE, l’éclatement inédit des références culturelles et des styles autorise tous les mélanges et fréquentations. Le rock et son fonctionnement esthético-économique - musique de masse à l’heure de la culture de masse - donnent la part belle au « jazz-rock » et autres « fusions ». Au passage des Noirs prestigieux (Hendrix, Miles Davis, Tony Williams...) se réapproprient une musique que les Blancs leur avaient plus qu’empruntée. Le « jazz-rock » de Miles Davis évolue autrement que ceux de Chick Corea ou de John McLaughlin, celui-ci poursuivant ailleurs la quête de John Coltrane. Encore et toujours Miles voit loin, et inspire encore aujourd’hui, entre autres par l’Afrique : rythmes et sonorités. Dans les groupes, Noirs et Blancs se mêlent comme jamais : Weather Report, Dave Holland, Keith Jarrett...
3) AUJOURD’HUI, les Blancs (et autres non-Noirs, car Susie Ibarra, Masahito Satoh ou Nguyên Lee... ne sont ni noirs, ni blancs) semblent majoritaires dans le jazz « créatif » (je reprends à d’autres ce terme ambigu, tout en m’interrogeant sur l’absence supposée de créativité des « revivals » : ce jazz-là n’est pas que folklorisé, et Marsalis a bon dos). Effets politico-économiques sans nul doute, fracture sociale accentuée dans la population noire etc. Mais un Dave Liebman, un Uri Caine, une Myra Melford, un Ellery Eskelin ne peuvent-il tout autant qu’un David Murray ou un Steve Coleman revendiquer une afro-américanité ? Un Lubat, un Portal, un Texier... un Patrois... une franco-américano-africanité ? Les évolutions musicales de Coleman ratissent très large, en termes d’influences (Afrique, Asie, Bartok, Europe centrale...). Celles de Joe McPhee/ Roscoe Mitchell/ Joseph Jarman aussi. Les références africaines d’un Kahil El’Zabar sont plus réalistes que celles de l’Art Ensemble de Chicago. C’est dire que même le jazz afro-américain est sorti, dans le prolongement de la démarche Coltranienne, de ses sphères d’emprunts habituels. La vraie succession de John Coltrane est là, davantage que dans les arpèges.
LE RAPPORT DES JAZZ AU MONDE CHANGE, y compris chez les Noirs américains : voilà qui me paraît essentiel.
C’est pourquoi, sans oublier la problématique raciale/sociale des Etats-Unis, la distinction binaire Jazz blanc/Jazz noir a perdu de sa pertinence et changé aujourd’hui de repères : elle peut même servir à masquer d’autres enjeux, dans ce rapport au monde en mouvement.
« UNIVERSEL » ?
Pour autant, je ne considère pas que le terme « universel » soit suffisant, même si l’on ne noie pas le poisson dans les eaux glacées du calcul égoïste mondialisé. C’est le problème des grands mots flous : « jazz », « universalité », comme « mondialisation ». Pour faire court, la World Music de l’industrie culturelle universalise à sa manière. Universal'Messier et autres marchands la destinent, aseptisée, à la consommation culturelle de masse.
Promouvoir l’universalité, de nulle part et personne, c’est comme dire «jazz = métissage musical », une fois pour toutes, sans dire par qui, pourquoi, comment... et en le réduisant aux ingrédients musicaux. La boucle est bouclée : autres temps autres termes, mais toujours la même vertueuse innocence...
Exemples : Dans le contexte du maintien même contesté de la suprématie occidentale, masculine et majoritairement blanche, la question de la couleur de peau ne peut malheureusement pas être tenue pour neutre, ni se réduire en noir et blanc. On ne jazze pas à Belgrade ou Pékin comme à Paris ou New-York. On ne jazze pas riche comme pauvre, homme comme femme...
Le discours jazzistique s’honorerait de ne pas l’oublier.
LES JAZZ DU MONDE, forts d’une éthique*, prolongent la singularité d’une musique d’individualités*, même en groupe. Ils expriment, depuis un lieu situé, une présence*, voire une urgente nécessité de liberté et de plaisir, tout en (s’)ouvrant au monde de demain. En inventant son humanité. C’est le « joyau » vivant. Multicolore.
* Pour le sens conféré à ces mots, voir « l’Humanité des jazz. Pour une poétique »Posté le: Lun Fév 12, 2001 11:55 pm Sujet du message: Cachez ces musi-seins...
Un coup de gueule, et même plusieurs !
1) Contre les pochettes de CD (ou ceux qui les conçoivent) où ne figurent pas les musiciens, dates ...
2) Contre les étiquettes (ou ceux qui les collent, ou les machines qui le font automatiquement) qui recouvrent ces indications quand elles existent ...
3) Et même contre l'égo de certains "leaders" qui sortent un CD, sans indiquer (eux ou le producteur ou ...) avec qui ils jouent. Je croyais que le jazz, de plus en mieux étaient une musique collective ... La photo du (de la) chef, on s'en fout.CITIZEN JAZZ (Pseudos Troguble puis Pat Lotch, Patlotch)
Posté le: Mer Aoû 07, 2002 18:13 Sujet du message: musiciens vs melomanes...
Je crois que l'écoute musicienne et l'écoute de plaisir sont deux temps différents, qui peuvent s'enrichir l'un l'autre dans les rares moments de jubilation où la connaissance est nécessaire pour jouir plus et autrement qu'un jouisseur "ordinaire".
Cela dit j'avais rapporté quelques citations, notamment une de Bill Evans, à qui l'on demandait s'il jouait une musique pour musiciens. Il était parfaitement clair sur la distinction entre les aspects techniques, le fait qu'ils ne puissent être appréciés que des connaisseurs, mais fondamentalement il affirmait jouer pour tous... et c'est ce qu'exprime la plupart des grands musiciens dans les recherches que j'ai faites sur la question. Jusqu'à ceux qui ont en horreur de s'exprimer devant un parterre d'amateurs prétendus experts, sans écoute musicale réellement humaine et poétique, mais plutôt mathématique scienteuse et suffisante. Et sans parler des guiaristes qui regardent les doigtés davantage qu'ils écoutent avec leurs orielles, leurs "deux paires d'oreilles", comme disait Chautemps citant Nietzsche.
Et si l'art est fait pour les artistes, il faut s'interroger sur le ghetto que cela produit. Jouer pour ses pairs, c'est une forme extrême de l'élitisme avec lequel le Jazz avait su rompre dès ses origines. Je n'ai entendu aucun artiste avouer une telle perversité.Posté le: Jeu Aoû 22, 2002 10:14 Sujet du message: Les standarts sont bien plus difficiles !!!
Pas une thèse, seulement une hypothèse.
Si les standards sont plus difficiles, n'est-ce pas seulement d'être connus, d'avoir un passé et des références pour l'auditeur, et donc que les défauts y sont plus visibles que sur un thème nouveau, qu'il découvre ?
Quant à savoir si le passage par les standards est obligé. Tout dépend, selon que l'on souhaite s'inscrire ou non dans une histoire, une culture, une filiation. Pour moi, le "jazz" ne se caractérise pas par ses thématiques, ses formes, mais par un état d'esprit et une certaine approche de la musique, une présence à son temps et à l'instant, un rapport à la thématique de base, aux autres -ceux qui jouent et ceux qui écoutent. Musicalement, c'est la plus grande ouverture, la plus grande liberté possible.
Cela dit, ceux qui ont fait changer cette musique ont été dans cette dialectique de continuité/rupture entre passé et futur, avec ou sans les standards. Et s'ils sont sollicités dans leurs années d'apprentissage, beaucoup n'y reviennenet plus à la maturité (Miles, par exemple, qui crée ses propres standards.
La notion même de "standards" évolue et s'élargit historiquement, vu qu'elle renvoie aussi bien à des thèmes "composés" par des anciens, cad aujourd'hui des années 20 aux années 80, qu'au répertoire de la chanson, de la comédie musicale, du cinéma.
Alors la question se mord un peu la queue, dans la mesure ou pour beaucoup, quand la continuité n'est pas audible musicalement -avec les standards- ce n'est plus du jazz...Posté le: Mer Aoû 21, 2002 14:33 Sujet du message: Concerto for Eddie
Je me suis laissé allé à acheté trois CD, ce qui ne m'était pas arrivé depuis fort longtemps. Flemme ou mal vieillir, des rééditions. La compil Blue NOte de Bobby Hutcherson (années 60). La suite Ellington de Chico Hamilton avec un Dolphy d'avant Eric (1958). Et un "Jazz in Paris" sans nom d'artiste, ce qui est le point commun à de nombreux titres de cette série Gitanes. Je reviendrai sur les deux premiers.
Le "Jazz in Paris", Porgy and Bess, de Gershwin, est une suite concertante arrangée pour Big Band par Yvan Jullien, avec pour soliste pratiquement unique Eddy Louiss, à l'orgue. C'est de 1971, dans les meilleures années du Louiss montant, pour moi (quand la réédition, si ce n'est fait, de Kind of Sabi avec Humair et John Surman, mal enregistré ou équilibré sur le vinyl, mais bon... ?)
L'orchestre (27 musiciens) regroupe une bonne part du gratin du jazz français d'alors : Bolognesi, Paquinet, Vasseur, Steckar, Gossez, Di Donato, Chautemps, Graillier, Cullaz, Samson, Ceccarelli (très présent), Lubat etc.
L'écriture est très riche, évoquant Gil Evans.
LOUISS est admirable de concentration, de son, de mélodie, de chant, de profondeur et de swing. Dans un contexte qui sort des trios de l'époque (Thomas, Clarke, Ponty, Humair, Gourley, Lubat, +Getz...) mais où tout est fait pour le mettre en valeur. A mettre au niveau des big band avec orgue de Gerald Wilson ou Oliver Nelson (avec Jimmy Smith).
J'ai découvert ça, dont je ne soupçonnais pas l'existence. Petit bonheur. Jouvet disait qu'on reconnait le bonheur au bruit qu'il fait en partant. On ne sait jamais quand il arrive. Alors, trente ans de retard, mais qui font un bruit garanti.Posté le: Mer Aoû 21, 2002 15:44 Sujet du message: Jazz de passage
Demain 22 août, il y aura 44 ans, Chico Hamilton et son quintette avec Eric Dolphy entrait en studio pour enregistrer "the original Ellington suite".
Outre Dolphy, alto, fl et cl, un guiariste (Pisano) un violoncelliste (Gershman), un bassiste (Hal Gaylor) et le maître aux tambours. 8 thèmes fort connus du répertoire ellingtonien.
Je n'ai que peu écouter ce CD, donc en vrac, quelques réflexions.
On retrouve dans ces années-là des petites formules laboratoires, des pistes qui seraont reprises dans le jazz, du free jusqu'à aujourd'hui. Chez Red Norvo, chez Mingus, Teddy Charles, Mulligan... Formules qui sortent toutes du quintette devenu alors "classique" du jazz "moderne" : tp sax + rhytmique.
Hamilton est un spécialiste du genre, sur la côte Ouest. Je crois que c'est lui qui introduit pour la première fois le violoncelle comme instrument constant d'une formation (au delà des utilisations de bassistes, Brown et Pettiford). Et ceci avec la guitare (jim Hall étant associé à Fred Katz dans d'autres disques d'Hamilton, avec le multi-instrumentiste magnifique qu'était Buddy Colette : le gratin !). Hamilton qui donnera par ailleurs une place permanente et originale à des guitaristes (Budimir, je crois ou le hongrois qui avait une technique particulière pour jouer des notes doubles décalées, et peut être Corryel ?).
Autre particularité, chez ces groupes de haute volée, l'inscription peu ou prou dans ce qu'on a appelé "troisième courant", une façon de musique très arrangée en petite formation, une ambiance classicos, genre musique de chambre, contrechamps, contrepoint à l'appui. Avec plus ou moins de prétention, de réussite et de swing. Au passage on est en pleine apogée du Modern Jazz Quartet. Et c'est une des voix qui conduisent au free jazz (Lewis et Schuller enregistre à qq jours d'intervalle du FreeJazz d'Ornette/Dolphy, avec ces derniers et La Faro plus une formation classique, un quatuor à cordes...)
Et une remarque plus originale peut-être. Muisque de passage, ou de passeurs. Autant pour Dolphy, ce qualificatif lui ayant été attribué par un article "historique" de Jean-Louis Ginibre dans JazzMagazine - que pour Hamilton, qui à la fois poursuit Jo Jones par un sens impérial du tempo, de la souplesse, de la légéreté, et des sonorités qui ouvrent (ou retrouvent) une approche type "percussions" de la batterie. Toms et balais : jouisseurs à vos feuilles, danseurs ou non.
Passage avec un grand saut de silence du violoncelle, -en passant par Dolphy encore avec Ron Carter et Roy Haynes (encore un grand souple), Capon chez nous - passage jusqu'aux formations bien connues, chez Arthur Blythe, Threadgill si je ne me trompe pas, et les solistes français actuels de l'instrument.
Passages ? Plusieurs encore, venant du passé. Paradoxalement, sur cette musique d'ellington, avec une légéreté toute basienne, de ses quintettes d'avant ou d'après guerre (avec Jo Jones justement), très en vogue sur la côte ouest. Passage ici d'un Dolphy encore "jeune", exposant de très près ces magnifiques mélodies, avec Johnny Hodges sur "In a sentimental mood"; avec Charlie Parker (Just a sittin) où l'on sent vraiment d'où vient Dolphy, qui ne sortira jamais vraiment du concept harmonique du be-bop, même s'il le détruit mélodiquement et ryhtmiquement.
A la flûte, idem, un traitement beaucoup plus sage que dans Out to Lunch ou Music Matador (ce chef d'oeuvre absolu du dernier Dolphy, et tellement annonciateur de choses actuelles), où l'on sent que Dolphy aurait pu faire un excellent ... Herbie Mann.
Bon, je serais intarissable. Cette musique est belle, profonde et immédiate à la fois, et peut-être un peu oubliée, sauf par ceux, mélomanes ou musiciens ? qu'elle continue d'inspirer ou de rendre, un instant volé, heureux de vivre. Rien que pour ça.Posté le: Mar Aoû 13, 2002 14:18 Sujet du message: Qualité du son : où est la part du réel ?
Je ne sais plus au juste où m'avaient emmené mes délires il y a quelques mois sur le sujet.
Faudrait-il partir de l'ECOUTE et de sa fonction, de ses fonctions et palns (cf une autre discussion lancée par Bertrand C.) ? Faudrait-il partir de le l'idée de REALISME et voir ce qui en donne l'illusion, subjectivement.
Même en direct, avant même que se pose la question de l'enregistrement, de la reproduction d'un support, et de la restitution chez chacun, la QUALITE DU SON n'est pas un absolu. Suivant le réglage des instruments, la balance musicale du groupe avant amplification, ce qu'ils entendent eux et ce qu'on reçoit en salle, selon où l'on est, du son direct, indirect etc.
Plus la problématique des instruments électriques ou électroniques, ou informatqiues qui n'ont pas de réalité matérielle avant leur amplification même, le fait que celle-ci puisse être ou non reprise à l'enregistrement etc etc
Le jazz ancien, et généralement tous les enregistrements historiques de musiciens du passé, ou certains pirates, seraient immédiatement sans intérêt si l'on exigeait un seuil minimum de qualité au regard de critères actuels. Exit Les Hot Five d'ARmstrong et les Quintettes du hot club de France. Pourtant, c'est comme au téléphone : une qualité médiocre suffirait à faire que n'importe qui, ayant entendu une fois Stachmo, ou Django, les reconnaîtrait s'ils ressuscitaient. Le dabat existe encore sur l'intérêt m^me des techniques qui "améliorent" les enregistrements de Parker, Bechet... (une fameuse série française).
C'est Ferid, je crois qui discerne "écouter sa chaîne" ou écouter la musique.
Je me souviens d'une pub d'Alain Schoukroun dans une revue spécialisée de Haute-fidélité, avec une photo de pettrucciani. Il ya avait une légende et un développement de schoukroun sur ce thème : "le réalisme fait peur". Certes (encore Ferid, je crois, à l'époque) à savoir que personne n'a envie de retrouver un big band dans son salon. Un big band, peut-être pas? Mais je vous prie de croire qu'avoir un quartet "comme si on y était" dans son salon, c'est un plaisir depuis que je le goûte dont je me passe difficilement.
Un trio Giuffre, ça passe très bien dans une pièce de dimension modeste au niveau de volume réel des trois instruments (avec la guitare de Jim Hall a fortiori plus que le piano de P. Bley, mais ce n'est pas un matraqueur).
Et ce n'est pas focaliser sur le matériel, mais sur sa capacité à se faire oublier. Qui n'est pas comme on a voulu le mettre en avant - pour des raisons étrangement plus capitalistes en France qu'en Angleterre ou au Japon- vues les limites par ailleurs en chaleur de retitution dans les premières générations de lecteurs CD, avec l'obsession analytique des détails, ou la bande passante, que mettent en vant les marchands, mais ni les musiciens pour leurs besoins, ni les mélomanes pour leur plaisir.
J'ai déjà donné cet exemple : deux disques, deux CD de Toots Thielemans, un des années 50, anlogique repris en CD, tout numérique. Les deux de prises de studio. Incontestablement, et j'ai fait l'expérience aveugle avec des copains cobayes, la plus grande présence vivante du groupe, de sa spatialité réelle, est dans le vieux disque, avec une perte sans doute en précision de détail, mais qui ne se laisse pas entendre comme moins de matière instrumentale, moins de pâte, moins de chaleur. C'est un paradoxe où les vieux vynils tiennent encore le choc face aux CD (les enregistrements biens connus de Van Gelder). Et les CD reprenant des enregistrements sur bande souvent plus chauds que les tout numérique.
Autre question que celle des enregistrements en studio, des conditions de leur réalisation. Un studio type club comme chez Gelder, ça existe encore ? Et celle de la fabrication des prises retenues, des techniques de collage (les avatars de la discographie de Miles et la fabrique de certains albums, où l'on saute un pas dans le concept même d'oeuvre en disque : Bitches Brew en direct, ça n'a jamais existé sous la forme qui nous reste ! Début d'une autre époque (cf sur les misères de Newton) dans la fabrique même de la musique.
Où la qualité de reproduction recherchée par un musicien, qui a pratiqué le groupe et la scène, en focalisant son écoute sur des éléments utiles à son métier (par ex la basse, les élements de la batterie, le discernement clair des harmonies et pas d'un magma sonore indifférenciant les musiciens dans un son de purée...)... ce que recherche le praticien comme qualité n'est pas la même que le mélomane pour son plaisir.
Je m'arrête là, vu que c'est déjà long, et que je n'ai pas réfléchi à organiser ma pensée sur le sujet. Peut-être à suivre, donc, en attendant les
réactions...
Juste, pour la chute, je terminais je crois par un souhait : c'est que pour tout on en revienne à la notion de musique vivante, sans quoi je ne sais trop ce que devient le "jazz", et pour éviter toute polémique, ce que j'aime moi dans le "jazz", ce qu'il a apporté et qu'il apportera longtemps en étant fidèle, non à ses formes, ou à la recherche du son pur et à la qualité totale, ce fantasme de mort, mais dans son esprit...