"... parce qu'il est incertain de la valeur de son oeuvre, [le poète] tend à la justifier d'autant plus ardemment par une conception ou une théorie de la poésie. Parfois agressivement. Même s'il s'est donné peu auparavant des affirmations qu'il reconnaît contraires à celles d'aujourd'hui. Enfiévré, tendu. Doutant de lui, en réalité, et ce n'est pas étonnant" André FRÉNAUD, Faut-il croire encore en la poésie, 1969, cité par H. Meschonnic, Célébration de la poésie, 2001
13/17 décembre 2008
En suspendant ma publication poétique le jour où paraît le texte du Groupe surréaliste d'Athènes, "Le spectre de la liberté vient toujours le couteau entre les dents”, je marque un bouclage de mes activités artistiques en spirale, dans leur rapport à la tradition des poètes "engagés" dans les luttes de leur temps. Ce n'est pas un hasard si le texte d'EndNotes Matériaux préliminaires pour un bilan du vingtième siècle - Pré et post face du N°1 de End Notes aborde ces rapports, avec les Surréalistes, les Situationnistes... et Rimbaud, dont le texte Qu'est-ce pour nous mon cœur... évoque la Semaine sanglante de la Commune de Paris, comme un écho résolument "moderne" du passé au présent des luttes de classes en Grèce, ou ailleurs dans le monde... (voir DNDF)
Check Up poétique, « Vive le son du canon !
Continuités-ruptures... Remise en cause... Tournant... Ce n'est que très relativement que « Je est un autre ». Dans mes errements théoriques de CARREFOUR DES ÉMANCIPATIONS, oct-déc 2004 (dans politique du sujet), j'ai eu cette formule : « Je suis des autres ». Rien d'original au fait que toute ma pensée, mon écriture, se nourrissent d'une digestion permanente de lectures, de rencontres, d'amitiés et de désamitiés, dans une unité qui n'est que de ses contradictions, débats et conflits intérieurs dans mon rapport au monde. C'est ce dont rendent compte les dimensions brassées, les équivoques et la polysémie de ma poésie, dans la continuité de mes compositions musicales et plastiques. Même si elle apparaît comme une expression singulière, individuelle, elle fonctionne en canon dans ce rapport au monde : mon chant est le canon en moi tonnant des autres. C'est un premier aspect.
Un deuxième aspect, c'est l'insécable unité du sens et du son - du canon ! - la nécessité de la lire à la fois telle qu'écrite, sur le papier, et d'en entendre le rythme, la polyrythmie et la polysonorité, la polymodalité au monde tel que je le perçois.
François Dufrêne avait tenté, avec « La cantate des mots camés » une oeuvre à la fois écrite, mise en forme dessinée et coloriée, et destinée à la déclamation. Je me souviens qu'il passait des heures sur ce texte, dans son bureau à deux pas du mien. Il commence l'écriture en 1971, le publie en 1977 *. Je l'ai connu de 1975 à 1982, année de sa mort, et de celle d'Aragon, qui croisait aussi dans le quartier, au bras de Jean Ristat... C'était Rue du Bac, où avait habité Flora Tristan...
* François Dufrêne : La Cantate des Mots Camés (livret et cassette)), Paris, Centre National d'Art Contemporain Georges Pompidou, 1977 (N. d. E.) . Extrait sonore sur le site François Dufrêne.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
Je vais interrompre la publication sur ce site, qui me prend trop de temps, me scotche à une production de petites formes, et m'interdit la composition d'un projet plus ambitieux du genre que j'ai en tête depuis plus de vingt ans, associant le texte, la musique et une expression visuelle plastique ou autre... toutes choses que j'ai pratiquées séparément et que je souhaite utiliser dans un même ouvrage sonore et visuel (...). Voilà, j'en ai pour un certain temps, mais gage que le canon ne refroidira pas ! La crise est là, et la lutte, alors tout est possible.... Vive la vie !
30 novembre 2008
Vive le son du canon ! Manifeste a-poétique (lettre ouverte à un jeune poète)
« Tes songes sont trop clairs, il te faut bien plutôt une philosophie forte » Octavio PAZ, Liberté sur parole (un poète), 1950
Le réel mis en mots par la poésie a cédé la place à une poésie de l'impossible mise en mots du réel. La poésie tourne en rond dans ses limites. Elle n'est plus que celle de la crise, quelle que soit sa qualité d'écriture, de lecture, ou de performance. Elle le dit, l'écrit, le crie à l'insu de son plein gré. Toute poésie. Y compris la mienne, mieux encore de s'y confronter consciemment. Ce n'est pas, pas seulement, la poésie entrée en crise (interne), mais la crise (du capital) entrée par effraction au coeur de la poésie. Pathétiquement. On ne saurait davantage être social malgré soi, appartenir à ce monde sans coeur, en être, en être la soupirante créature, l'expression profonde et déchirée. La poésie est l'opium des poètes.
La poésie est coincée, car, pour demeurer elle-même, elle est contrainte d'entrer en guerre contre elle-même. Elle devient, dans la crise, contradiction poétique dans ses termes. C'est l'annonce d'une auto-destruction et d'une métamorphose dont 'la seule solution' est la révolution, qui n'est pas d'essence poétique, mais communiste. À l'inverse, pas de révolution communiste sans poésie nouvelle, sans un rapport nouveau de l'individu au monde, des individus entre eux. Poétique de la relation (Glissant), irréalisable aujourd'hui. Faut pas rêver. Pas rêver qu'on puisse encore tricher avec ça, transcroître... En transe, croire. À quoi ?
Faut pas rêver. Pas comme ça, d'un songe mensonger, d'une histoire qu'on se raconte pour vivoter d'une survie en mots. Parjure ! On croit danser, on boîte. Faux rêve éveillé, voile sur le cauchemar de ce temps, prétendue à contre-courant, en vérité détruisant la poétique de la relation banale et quotidienne, située, qui ne peut être, encore, que sociale. Oui, « les mots font des faux », quand les poètes mentent.Quand ton inimitié triomphe intimement en niant l'évidence de notre empathie, c'est toi qui marches sur nos rêves !
Pauvre poésie que celle rendue possible par une trahison poétique de la relation, de sa vitalité ! Poésie mimétique qui ne trouve plus de porte où frapper, sauf chez de so-called poètes, confrères 'artistes', quêtant sa réussite petitement socialisée. Pour y clamer sa différence « à l'encontre des autres » ? À l'encre pathétique cachant entre les lignes l'antipathique vie indigne ? Quel rêve ? Et de quoi, au juste ?
L'écriture défausse d'une fausse vie, à l'envers du révolu performatif, poème oeuvre-sujet, d'un faire lucide et assumé dans un rapport total au monde réel. Les chiens écrasés sont plus vrais et plus émouvants que ces maux-mots, cri vrai de détresse réelle mais dévitalisée par un « résister c'est créer » pseudo-vivant. Pitié et compassion pour les derniers "poètes". Sans concession ? À d'autres...
Ce qu'on nomme encore "poésie" se meurt dans les siennes aux limites de ce monde, en un chant désespérant de sur-survie individualiste, auto-duperie adéquate à l'individu que fait et défait le capital. Individu refait car le reproduisant, qu'il le veuille ou non. « C'est normal », comme dit BL, mais pas une raison pour s'en accommoder, s'en tenir à l'écart pour s'en laver le faire, comme si...
Assurés d'échapper au commun, ces "poètes", souvent très franco-français, occidés d'Occident, en deviennent, ce n'est pas un paradoxe, une forme d'élite de leur moyennitude blanche et confortable, chantres en boucle de leur séparation déniant, suprême modestie, sa suffisance, de fait conceptuellement indépassable... Quoi de plus antipoétique que noyer la poésie dans l'enfoirum Toute la poésie (sic), reniant la différence de son langage propre en la livrant, pieds délayés, à la vulgarité des commentaires, reality-show pseudo-poétique de souffrances pourtant si réelles, mais tellement mieux dites sans phrases. Quel équilibrisme, entre « la poésie n'est pas dans les choses » (Reverdy), et « les choses non les mots ! » (Godart)... Talents rhétoriqueurs esthétisant et dés-historicisant le manque essentiel, voire refoulant, maquillant, censurant le réel - poétique car mystérieux ? - entre informel et formalisme en série boulézienne, énorme informe tic, trop au net, tic-tac tic-tac, en toc en tics... Antiquités ! Peau étique ! Pauvre éthique. Vacarme d'un silence de classe !Ces poètes-là sont à la poétique ce que sont à la lutte de classes les politiciens et la politique.
Que dire de tel café-poésie animé par d'authentiques, sincères, talentueux poètes, mais réduits à s'adresser à un peuple introuvable, au nom d'un supposé perçu "besoin" qui n'est plus que le leur, leurre au miroir partageant leurs détresses, avec ou sans stress, avec ou sans trac, egos projetés vers les vers souffreteux de dupes petits vieux aux gentils mirlitons, bulles tragiques explosées par La Fontaine et d'Ormesson... ou pose un théâtreux raté, affecté de ses restes : naturel ?... Leur poésie n'est certes par définition que privée, intime cherchant son autre, sa ressemblance, mais, car tenue de mendier son public, néanmoins sensue du corps morbide du service public, au demeurant pas le moindre du monde gênée - élégance anarchiste oblige - de conchier son hôte, le moribond communisme culturel municipal. Faut l'faire ! Audace ? Encore de l'audace, que d'aller à la soupe popu, pour cracher sur ceux qui la servent encore... Vous avez dit à contre-courant ?
Allons donc, cette poésie-là, je vous le dis, est à la révolution nécessaire l'ultime carmagnole d'une décadence tous azimuts de privilégiés, ne serait-ce que du verbe, un rêve démocratique et républicain de conservation de la singularité artiste. Une mascarade de plus. Pitoyable résistance de la rime d'un soir, aux rides dérisoires, à me désespérer.
Dans son rapport à la vie et au monde, cette poésie de la crise répète en farce l'histoire d'icelle (Marx 18 Brumaire), radotant ses lettres de noblesse, en petite soeur aveugle singeant les Frères Voyants. Je comprends mieux que Rimbaud, poète et communard, ait par nécessité cessé d'écrire.
À l'aune de cette poétique de l'aveuglement, j'exige d'être tout, sauf "poète" !
Le monde est possible. Rimbaud est renversé. La poésie est une autre, et son "je" rangé dans les "possibles salutaires" : de « les autres m'emmerdent », à « je t'emmerde » délicieusement victorieux, c'est Pyrrhus en poète de l'individualisme autoréférentiel, l'individu-artiste capitalisé. Pour se faire reconnaître, il lui faut une secte : les poètes, et si possible un gourou... CQFD
Suis-je un autre, a-poète ? Comment assumer l'antinomie (Palante) entre l'a-poésie et ces poètes du Spectacle, petit ou grand, mais d'un art séparé en cotterie des mêmes, de leur éternel détour, pires de prétendre dépasser la séparation par un art qui en restaure l'intemporelle oralité, dans le feu artifice d'une situation ?
L'anarchie vaincra, mais pas en marchant, faux pas rêvés, sur mes vers.
Que des questions, pour mon chantier ouvert, dont je n'attend aucune réponse. Évidemment.
21 septembre
. Faire de l'art nous met-il en danger de vivre ou de ne pas vivre ? C'est une question qu'aujourd'hui je (me) pose gravement. Parfois, nous nous perdons, et nous hésitons entre penser que le tragique est dans le monde ou dans le regard que nous portons sur lui. Soutenir cette rencontre, ce rapport, cette dialectique, en sachant qu'il n'y a pas résolution possible, n'est-ce pas le lieu de la poésie (de l'art en général) ? Le danger, c'est que pour une part, « On ne voit pas les choses comme elles sont. On les voit comme on est soi-même » (Joseph FINDER, "Company Man", p. 490. Moins bon que son "Paranoïa").
23 juin
La poésie n'est pas en soi révolutionnaire
(extrait de . 7. L'intime et le monde, émois des moi... (émeute dans un bocal), texte révisé
« L'intime ne peut se percevoir de façon juste qu'à la lumière de ses déterminations plus générales, de classe en particulier. Sur le plan poétique, il ne peut donc s'exprimer de façon juste, dans un art exprimant la totalité du réel en mouvement, même légitimement vécu comme propre à soi seul, qu'en se donnant les moyens d'une lucidité dépassant l'égocentrisme et son romantisme individualiste postmoderne. Autrement dit, au risque de passer pour un vieux jdanoviste, mais pour éviter toute ambiguité, je n'ai pas de religion de la poésie en soi, ou d'admiration pour les poètes en général, parce que je considère que l'expression artistique actuelle est traversée par la lutte de classes actuelle, et que certains authentiques poètes n'en font pas moins de la poésie réactionnaire. La poésie n'est pas en soi révolutionnaire.»
21 juin
. Poésie, la seule qui dise la vérité, par Carlo BORDINI, On ne dormira jamais
20 juin
Savoir lire
DEBORD, extrait de la NOTE SOMMAIRE DES ÉDITIONS G. LEBOVICI sur les difficultés de la traduction du Panégyrique de Guy Debord, 6 nov. 1989, in "CORRESPONDANCE, volume 7, janvier 1988 - novembre 1994", Arthème Fayard Avril 2008
« La plus grande difficulté consiste en ceci : ce livre contient, certes, bon nombre d'informations qu'il faut exactement traduire. Mais il n'est pas essentiellement affaire d'informations. Pour l'essentiel, son information réside dans la manière même dont elle est dite.
Chaque fois, et c'est très fréquent, qu'un mot, ou qu'une phrase, a deux sens possibles, il faudra reconnaître et maintenir les deux; car la phrase doit être comprise comme entièrement véridique aux deux sens. Cela signifie également, pour l'ensemble du discours : la totalité des sens possibles est sa seule vérité.
(...)
Ce glissement continuel du sens, qui est plus ou moins manisfeste dans chacune de ses phrases est également présent dans le mouvement général du livre entier. »C'est avec ce genre d'idées en tête que j'aimerais qu'on puisse lire ma poésie, pour le meilleur, et pour le pire... Voilà de quoi abolir et conserver (Aufheben... > Auf et bing ! ) Lautréamont ("La poésie doit être faite par tous non par un"), Aragon et "l'équivoque" comme condition poétique, et dépasser le détournement selon Debord, en passant par Debord lui-même se dépassant.
Je dirais plus modestement que cette sorte de conception du texte, et donc de lecture, c'est ce que je quête à tâtons, et que la formulation de Debord l'éclaire pour moi a posteriori.
Dit plus simplement, il n'y a pas à s'inquiéter de ne pas "comprendre" un poème, il suffit de considérer que ce qu'on entend est un des possibles parmi d'autres. Possibles dont j'ai pu être conscient à l'écriture, ou d'autres qui m'ont échappé, en tant qu'oeuvrier de l'oeuvre-sujet, enfant dont les géniteurs/éleveurs ne déterminent pas entièrement l'avenir... Il n'empêche que de mes poèmes pas plus que de mon gosse, je n'ai envie que d'autres fassent n'importe quoi.
Debord cite encore Hegel - le 24 octobre 1989, pages 117-121 de la Correspondance -, dans une lettre éloge à Pascal DUMONTIER, selon lui premier historien valable du Situationnisme (en relation avec mai 68) : « Le devenir est la vérité de l'être ». Et il ajoute : « Ce mot de Hegel pourtant s'applique, encore mieux qu'ailleurs, aux entreprises révolutionnaires (et souvent à leur détriment, certes).»
. Bonne (res)source au passage du temps Situationist International > Debord
. En relation ici, Dépasser Debord et ses critiques (post-)prolétariennes
* 13 juin
Voir L'intime et le monde
* 2 - 6 - 13 juin 2008
Entre poésie en temps réel et poésie de la justesse
J'ai beaucoup écrit le week-end dernier. Trop. Trop vite. Et encore... je n'en ai mis en ligne que la moitié (je fais tout trop ou pas assez). Nonobstant ce que je disais ci-dessous, je dois davantage réfléchir avant de publier, ou pas. Me dire que le temps réel au virtuel, c'est bien beau, mais ce n'est pas vivable. Et donc, malgré toute la "pureté" de l'intention, tourner sept fois mes doigts sur la souris et la tremper dans l'huile, avant avant d'en faire du vers, d'enfer du ver dans le fruit. Autrement dit, il me là prendre par là que... ça cafouille...
Ça cafouille car, autant que moi malheureux de l'avoir écrit, ça fait le malheureux qui lit. Il est alors trop tard, ce qui est lu est lu. Trop simple de m'en tirer, et de mentir, en voulant n'y voir que l'incompréhension d'un mentir-vrai. Il y va plutôt de ma confusion entre rage et colère, entre faire poésie - ou par ailleurs théorie - d'une vérité générale, en (d)énonçant un comportement particulier (collectif dans sa sclérose identitaire), à partir d'un comportement singulier (individuel). C'est une dérive idéologique (subjectiviste-objectiviste), donc militante, donc antipoétique et a-théorique.
Ça cafouille, pour résumer, parce que sous prétexte de dire le réel à travers ce que j'en pense ou ressens ('ma vérite'), je règle des comptes et je donne la leçon.
Régler des comptes avec moi-même, pas de problème. Je serais, en tant qu'individu singulier, blessé - « Il n'y a que la vérité qui blesse » blablabla - par ma vérité critique générale, et j'en ferais un plat moralisateur et sado-maso, une autocritique partisane en forme de confession, pour une poésie de confessionnal... Aucun intérêt. Les individus ne partant jamais que d'eux-mêmes (Marx, l'Idéologie allemande sauf erreur), je prétendrais me prendre comme champ de tir théorique, et l'entendre comme chantier pour mon chant entier, critique et poétique. Je le ferais partant de mon appartenance sociologique à une "catégorie" particulière, la Französiche White Middle Class, en voie de prolétarisation nue face au monde aux écus... Et je me distinguerais par la relative autonomie du prolétaire isolé (une contradiction dans les termes) pensant créer pour résister au capital, donc différente de la posture citoyenniste fantasmant la démocratie radicale en énonçant « Résister c'est créer ». Pourtant, moi, je ne « résiste » pas sans savoir que je ne fais en cela que ça, sauver ma peau sans rien changer à ce qui me détruit... syndicalisme versus poétique... Bof !
Régler des comptes avec tel comportement singulier ou particulier porteur d'une signification de classe, pas de problème non plus, mais la dénonciation n'a aucun intérêt du point de vue théorique, et fabrique trop souvent de la mauvaise poésie (une bonne part de la poésie au 20ème siècle est rongée par les règlements de compte entre Avants-gardes, groupes, et en leur sein).
Ça cafouille, car régler des comptes avec des individus, même porteurs de divergences théoriques, ou agissant contrairement à ce que je crois bon pour ma gouverne, cela déplace des problèmes inter-inviduels, singuliers, entre eux et moi, en les sortant de leur champ, de leur niveau de généralité, sans assurer leur liaison aux autres champs, aux autres niveaux. Le mentir-vrai n'est plus alors qu'un prétexte, dont le pré-texte est ma colère du moment, quand s'y noie la justesse de ma rage. Le problème, c'est que cette (ma) vérité du moment peut blesser, non parce qu'« il n'y a que la vérité qui blesse », mais parce qu'elle n'est pas juste. Je vois bien pour ma part que cette attitude face à moi me fait sortir de mes gonds, et abandonner tout espoir de dialogue authentique par ce qui serait "la bonne polémique" (controverse, désaccords cernés reconnus sans déni, etc.). J'ai la bêtise tactique d'apprécier les gens qui disent sans détour ce qu'ils pensent, et pas autre chose pour parvenir à leurs fins.
D'un autre côté, cela pose un problème à l'écriture, un problème spécifique au temps réel de la publication, qui transforme l'écriture. Si je n'exprime assez tôt ce qui est encore présent, chaud, douloureux, pour se traduire poétiquement par la mise en chantier immédiate de l'affect dans la forme poétique, ça s'en va, et je ne le ferai plus, j'aurai perdu cette matière à travailler, cet état. Si je le réchauffe, ça ne sera pas davantage juste, mais édulcoré, et ce sera sans puissance performatrice.
Bref, choisir c'est renoncer, et choisir la justesse exprimant tel ou tel sentiment, sensation, pourrait faire renoncer à l'expression poétique juste d'une colère injuste. Renoncer à l'idée dangereuse d'un journal poétique en temps réel. C'est pourquoi j'ai détruit des poèmes écrits ce week-end, malgré qu'ils aient contenus des 'vérités', que je devrais dire autrement, et qu'ils aient traduit peu ou prou, assez justement, un état de colère [aujourd'hui 13 juin, je regrette cette destruction, pour ce qu'elle a eu de complaisance à taire des vérités générales profondément ressenties - cf L'intime et le monde].
Il faut encore tenir compte du fait que la version mise en ligne n'est jamais que le choix arrêté à telle heure de l'élaboration : on ne sait pas toujours quand ce n'est pas fini. L'heure n'est pas un leurre. On aura une idée du problème, hors temps réel, en lisant, dans Les Poètes d'Aragon, Je lui montre la trame du chant.
PS : il faudrait que je prolonge ces gloses par le rapport qu'elles entretiennent avec ma vision de l'unité art-amour-révolution à l'époque de LIVREDEL, POEME-ROMAN 1991. En quoi elles les reprennent, et s'en détachent ou leur échappent, en quoi cela peut m'emporter vers un autre projet...
* 31 mai 2008
Ma poésie, sans méprise ni mépris (en cours)
Il ne suffit pas d'écrire des poèmes. Guère davantage cela ne sert qu'à occuper celui qui le fait et celui qui les lit à se sentir quelque peu concernés, comme on disait en 68. Préoccupé de son temps et des suites, on n'écrit qu'avec la matière qu'on a à sa disposition, soit parce qu'elle fait naturellement partie de son quotidien présent, soit en allant chercher celle dont on a besoin, dans sa mémoire, dans les journaux et livres, ses relations, au bureau, dans les bars, dans les luttes ou meetings...
Les ci-nommés "poèmes" que je publie ici le sont aussitôt écrits, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes de principe, du fait que se mélangent, pour dire simple, "vérités" et "mensonges". En un sens, cela procède, concernant le rapport à la réalité, à la manière du so-called mentir-vrai pour le roman, selon Aragon - on sait qu'il traversait ardemment les "genres" et les "formes" de la poésie, du roman, et du théâtre. À une différence près, celle du délai entre l'écriture et la publication d'un livre, en mois ou années, et celui ramené à quelques heures entre mon écriture et la publication de mes poèmes, pratiquement ce qu'on appelle le temps réel. Mais on n'est pas poète comme journaliste... Vu le peu de secret d'un pseudo, on se livre à la lecture de personnes connues dans la vraie vie, dont certaines se retrouvent, croient se retrouver, plus ou moins conformes à leur être réel, en lisant mes poèmes.
Ces contraintes ou avantages, selon, de la fabrique, posent de fait suffisamment de problèmes à l'écriture et à la vie quotidienne du "poète" en tant qu'être social, pour que le mariage de la vérité et du mensonge en quête du poème, allez, osons le mot, "réaliste", ne fasse pas l'objet de méprises. Une fois bien posé et compris ce principe : « qui se sent morveux, qu'il se mouche ». Je ne souhaite pas écrire sous pressions. Les miennes me suffisent, dans mes débats internes et conflits intérieurs.
C'est dire que la singularité des personnes et des événements qui servent de base, de matière, au poème, sont nécessairement déformés, portés ou utilisés à un niveau plus général, dans un sens plus général. Il s'agit non seulement de faire parler un affect individuel, mais qu'il parle à ceux qui ressentent ou vivent la même chose. qu'il les touche de manière affective plus qu'intellectuelle, encore que le brassage, quant il s'agit de s'exprimer par les mots, soit nécessaire. Si l'on veut que le poème sente "le vécu", mais fasse ressortir une relation au monde commune à d'autres et soi en tant qu'individus, il faut s'en donner les moyens.
Sans quoi autant raconter sa vie par le menu, ce qui ne regarde, n'intéresse, ni ne touche personne, sauf à sombrer dans une curiosité malsaine, certes fréquente sur internet : qu'est-ce qu'il nous fait, Patlotch ? Ceux qui le lisent dans cette intention, Patlotch les emmerde !
Ces considérations me sont inspirées par des remarques en coulisses que j'ai pu recevoir, à différents moments de polémique ou de crise ouverte en moi dans ma vie personnelle en relation avec mes convictions, de personnes se sentant par trop concernés individuellement pour ne pas être gênées, et surtout empêchées de lire mes textes comme s'ils provenaient d'un inconnu. C'est, d'une part, méconnaître une de mes préoccupations - le lien dialectique entre différents niveaux de généralités, question théorique importante -, d'autre part se fourvoyer dans l'incapacité de lire mes poèmes avec, soi-même, ces différents points de vue et leurs articulations.
S'il y a des comporrtements face auxquels j'exprime mon mépris, c'est comme disait Debord que je les trouve méprisables, et qui sait lire peut voir que je ne m'épargne pas. Je n'écris pas pour fournir aux paranoïaques des armes contre eux-mêmes, et ne m'impressionne pas que ce soit contre moi. C'est de bonne guerre, mais ça me lasse. J'ai assez de mon auto-censure pour ne pas m'autoriser à plier où d'autres ne savent pas rompre.
Quant à prendre des gants, à préserver les uns ou les autres dont je m'inspire, ben... euh... certes c'est pas mon fort, ni ma tasse de thé... au lit*. C'est un problème de tempéramment autant que de métier. Je n'y pense pas trop, ni dans une disposition poétique, ni dans une polémique théorique. Une vérité générale qui vous blesse vous blesse pas parce qu'elle vous apparaît d'autant plus singulière que vous connaissez celui qui l'écrit. Mais si je devais considérer qu'en poésie - comme dans ma vie par ailleurs - toute vérité n'est pas bonne à dire, je fermerais ma gueule et mon site, pour me me reconvertir en rédacteur au Journal Officiel.
* en japonais, "r" se prononce "l".
* 9 avril 2008 (notes à reprendre)
Il est impossible de saisir la partie "a-poétique" de ce site en la coupant de la partie "a-communisme". La pratique que j'ai (eu) d'activités dites "artistiques" ne s'est jamais séparé d'une interrogation sur l'art, sa fonction ou du moins sa puissance, en relation avec la question d'abord du changement social, puis plus radicalement révolutionnaire, en clair la sortie du capital et le communisme. Par-delà cette pratique, je considère, du moins je souhaite, que mon écriture porte cette question, ce qui n'est pas sans poser de redoutables questions aux rapports de ces deux champs.
Certes, je suis bien persuadé, d'abord que l'art est sans influence aucune du point de vue social, mais aussi que la valeur n'en tient ni à l'esthétique ni à un contenu qui serait à comprendre hors du rapport direct à l'oeuvre (comme forme-sujet), ou à transcrire dans un autre langage que le sien.
Toutefois, il est de multiples manières de vouloir "faire art", et il en est où je ne vois, dans l'époque présente, qu'une idéologie artistique, ou culturelle, venant compléter, au sein de l'idéologie générale du capitalisme restructuré, ce que sont les idéologies particulières de la politique, du droit, du travail, de la gestion, des loisirs, bref, l'idéologie de l'économie politique qui les tient en elle. Je parle bien de l'oeuvre elle-même et pas ici de la position sociale de l'artiste, qui doit bien vivre, et, dans certains cas, en vendant ses oeuvres comme marchandises, ce qui n'a rien à voir avec leur teneur poétique, qui n'en est pas non plus la "valeur d'usage".
Parmi ces manières de "faire art", je m'oppose à celles qui participent du refus du monde, de la fuite, de l'oubli (qui plus est sans savoir, ou ne voulant pas savoir, ou faisant comme si le monde n'était qu'une clause de style dont on pourrait se défaire pour vivre, ou créer, hors du temps et de l'espace concret). Je rejette, pour ma gouverne, une démarche poétique qui relèverait d'un néo-romantisme, d'un rêve d'impossible frayant avec la mort dans une expression passionnée d'absolu, d'un ailleurs que ce monde tel qu'il est, tel qu'il va, tel que nous y (sur)vivons.Par là, je ne dénonce pas ceux qui s'y livrent, ou qui ainsi se délivrent, cherchant à se protéger du monde. Je considère en quelque sorte que ce type de rapport à l'art, et par voie de conséquence, ses effets, relèvent d'un opium* de l'individu, tant pour le créateur que pour celui qui contemple l'oeuvre. C'est, dans la sphère artistique, le supplément d'âme adéquat à l'individualisme, dans les conditions de la séparation extrême des individus que produit le capitalisme contemporain.
Mes créations voudraient ne rien avoir à faire avec ça, bien que je reconnaisse possible une confusion dans la perception de la forme. Je me réclame fondamentalement du réalisme, et d'une expression de sentiments (d'affects) qui ont fait le détour par une connaissance du monde aux différents niveaux par lesquels je peux le percevoir (cad pas seulement au niveau singulier, qui caractériserait pour beaucoup l'acte poétique). On pourra bien sûr prendre et isoler tel poème, où cette affirmation ne sera pas évidente à vérifier, mais pris dans son ensemble, mon travail d'écriture est hanté par cette problématique, qui renvoie à une conception de l'individaulité en rapport avec l'appartenance de classe, qui ne peut se définir individuellement.Alors pourquoi continuer à faire de l'art, écrire de la poésie, faire de la musique...? Une première évidence est que cela peut faire du bien, toucher en procurant un plaisir, même si celui-ci est le partage d'une souffrance. En d'autres termes, transmettre la "réalité" d'un affect qui exprime un rapport à ce monde, un rapport quel qu'il soit au sein de ce monde. Une autre raison, mais qui ne va pas sans doute, est que l'oeuvre, par sa puissance performatrice, de découvrir ne serait-ce qu'au niveau intuitif - contrairement à la philosophie, à la pensée -, peut changer le regard sur ce rapport, et donc ouvrir la capacité de questionnement sur ce qu'il est, et sur ce que nous y faisons. Tout le reste, est, comme on dit, littérature...
* « Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.
L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l'homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu'il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes. La critique de la religion détruit les illusions de l'homme pour qu'il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l'âge de la raison, pour qu'il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. La religion n'est que le soleil illusoire qui gravite autour de l'homme tant que l'homme ne gravite pas autour de lui-même. » MARX, Critique du Droit politique hégélien