"... parce qu'il est incertain de la valeur de son oeuvre, [le poète] tend à la justifier d'autant plus ardemment par une conception ou une théorie de la poésie. Parfois agressivement. Même s'il s'est donné peu auparavant des affirmations qu'il reconnaît contraires à celles d'aujourd'hui. Enfiévré, tendu. Doutant de lui, en réalité, et ce n'est pas étonnant" André FRÉNAUD, Faut-il croire encore en la poésie, 1969, cité par H. Meschonnic, Célébration de la poésie, 2001
* Premier décembre 2005
1er décembre 2005 Faible car compté donc limité, mon idéal (intellectuel...) du sonnet serait classique en hexamètre, et selon ce casse-tête rhétorique : en 14 vers rimés de 6 pieds trouver 12 autres de 7 pieds (7 de 12, 6 de 14, 4 de 21, 3 de 28, etc.), soit 84 unités multiplement rangées, et rimées (logique débouchant à l'extrême sur la poésie phonétique par le genre "Cantate des mots camés", de François DUFRÊNE). Ainsi serait à peu de frais résolue l'équation croisée du blues et de l'alexandrin, de nombre de symbolismes millénaires tranculturels, et l'énigme cubaine du vieil homme d'Hemingway qui, "en quatre-vingt-quatre jours [.] n'avait pas pris un poisson" (c'est la structure formelle numérologique de LIVREDEL). Un tel sonnet 'conceptuel' (comme on a dit de l'art) n'aurait d'autre intérêt qu'une mathématique de bredouille; il serait pour répondre à la maladie formaliste obsessionnelle d'un ROUBAUD (Jacques) : je n'en écrirai pas, je préfère emmerder les idéaux.
* 2 novembre 2005
L'art, on s'y brûle des deux côtés de la barricade, ou l'on n'en est pas / Tradition/ transgression... Art et communisme, 2 novembre
Quand je me vois là, à 54 berges, enfiler des sonnets comme un ado singeant un vieux agitant ses derniers neurones sur des mots croisés, et quand je compare ça aux formes réellement innovantes et sensées de LIVREDEL, POEME-ROMAN, 1991, où j'avais trouvé certains biais pour sortir des ornières du sur-réalisme comme du néo-classicisme, je me considère en régression absolument relative (« et réciproquement », Pierre DAC).
Absolu >>> REVERDY... la forme ridicule et mutilante du sonnet
Relative >>> ARAGON dans sa posture de "résistance" et ce qui s'en suit de fécond dans la façon de reposer le rapport tradition-transgression, qui explose avec Le FOU D'ELSA, oeuvre majeure du 20ème siècle (n'en déplaise à ceux qui ne savent pas lire...). Là, ici et maintenant, on n'a pas le choix, ou on n'écrit pas.
Je ne m'en justifie que de chercher une densité sans compromis esthétisant (sauf comme jeu de la forme-contenu), d'où le choix de la forme imposée, comme métaphore de "conditions déterminées" dans lesquelles Marx inscrit la possibilité d'émancipation. Je conviens qu'on peut tout aussi bien soutenir une forme différente (on ne crée qu'à travers la contrainte qu'on se donne), sous réserve de ne pas nier la forme comme contenu, et le contenu comme éthique et politique.
D'une différence entre 'faire la poésie' et 'faire la révolution'.
Pour la poésie (art, littérature etc.) on a le choix de la contrainte (elle est esthétique, formelle... en relation à ceci cela). Pour la révolution, la contrainte est imposée ou du moins produite historiquement, comme praxis de la totalité, comme contradiction essentielle (du capitalisme en l'occurrence).
En même temps, ce qui lie poésie (art) et révolution, c'est qu'elles n'existent qu'ensemble, ou pas, et que leur mort, commune ou séparée, tient au manque de l'autre.
Tout cela est présomptueux, vu ce que j'écris, mais je parle de la posture, que je revendique même confusément, contre "la mort de l'art", contre l'art "bourgeois" (sur quoi je reviendrai : l'art n'a été et ne continue d'être, essentiellement, que bourgeoisement fait et conçu, au-delà même de considérations sociologiques. Entre foutaises et supercheries de petits bourgeois gonflant leur conscience humaniste, il n'existe pas d'art prolétarien, d'art libéré de ces contraintes, d'art de la 'fuite' : heureusement et passons sur les avatars et succédanés (succès damnés !) de Staline à Deleuze (ben oui, aussi surprenant que cela puisse post-être...), du réalisme socialiste à l'art déjanté des 'marges' (squat...) ou de la 'périphérie' (ethnique...). La bohème, chacun la sienne; même tous ensemble, ça fait pas une révolution.
La question fondamentale est que la dimension artistique est (en quelque part) l'essence de l'homme autant que les rapports sociaux (Marx ad Feueurbach 6), MAIS que l'individu libéré de la contrainte sociale (du capitalisme...) ne produira plus l'art dans la même position que l'artiste des sociétés de classe. Il sera effectivement plus proche de l'enfant que cherchait en lui Picasso, ou du type qui a crayonné sur les murs de Lascaux (t'v'a voir, tagueur, à la récré !). Prétendre anticiper sur cette posture "enfant", aujourd'hui (je dis bien 'aujourd'hui', et non rétrospectivement pour la première moitié du 20ème siècle, dans la période idéologiquement programmatiste du mouvement ouvrier-communiste), et dépasser la production esthétisante, c'est au pire ce que chacun peut voir en fréquentant revues, galeries et salons, au mieux comme garder la mémoire du possible, sur la brèche, ou sous le feu, la braise...
L'art, on s'y brûle des deux côtés de la barricade, ou l'on n'en fait pas.
* 30 octobre 2005
Allégorie
La poésie est toujours, à divers degrés, allégorique. C'est peut-être ça qui la distingue du reste. Pour quoi plus dure est souvent la chute, sur le reste, le réel. Et qu'alors on ne puisse plus la faire : l'écrire.
Ce n'est pas d'aller en d'Abyssinie que Rimbaud fut et reste poète. A la limite, le choix (ou non-choix) d'arrêter d'écrire (de la poésie) appartient encore à la poésie, la suite non.
Il n'existe pas (pas plus que d'art ?) de poésie conceptuelle; ce serait une abstraction poétique, une contradiction dans les termes. C'est en quoi la poésie (comme la théorie), relève dans certaines circonstances du réel, mais c'est affaire de "relation poétique" (respectivement, de relation politique, révolutionnaire...). D'Edouard GLISSANT... à MESCHONNIC : « je dis qu'il y a un poème seulement si une forme de vie transforme une forme de langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie »
On n'écrira jamais une "Onzième thèse sur Feuerbach" de la poésie : "Jusqu'ici les poètes n'ont fait que poétiser le monde, il s'agit mantenant de réaliser la poésie". Ou plutôt si, c'est ce qu'on fait les situationnistes, et particulièrement VANEIGEM, ce qui impliquait de théoriser la mort de l'art, son renversement dans la vie quotidienne, et c'était inévitablement le double échec, artistique et politique. Il en reste une esthétique, pour l'avoir écrit avec talent.
* 14 octobre 2005
Cadre
Prendre une forme comme on prend un format ('120 figure', '80 portrait'...), comme un cadre imposé : jusqu'à ne plus s'en préoccuper (ni le format ni le cadre ne font le tableau, la 'peinture'). Ce n'est plus le vers qui s'introduit dans la prose (Flaubert, Aragon...) mais la prose qui se coule dans le vers; celui-ci n'impose plus son rythme à la phrase. (Garder ou non la rime. Le vers compté. - Comme jeu ? - Comme 'justification' - Alors pourquoi le vers ? - Pour gagner la polyrythmie. La fluidité. N'avoir à perdre que ses chaînes. > LA DÉFAITE, manifeste a-poéthique
* 30 octobre 2005
Technique... éthique, politique
Je dis technique (... éthique, politique), et non esthétique, car l'esthétique se ramène aisément, pour qui ne s'en aveugle ou ne s'en saoûle pas, à une technique de l'art, bien qu'elle ne soit certes pas une technique de n'importe quoi d'autre, par la question de la forme, et de ses rapports à l'éthique, au politique (forme comme contenu etc.) - 30 octobre 2005
* 10 octobre 2005
Cadre
Peut-être le cadre (comme celui du tableau pour le peintre) n'est-il que l'image de la contrainte de l'époque : la forme-vers, la forme-sonnet, la forme... toute forme préposée, ce cadre comme aliénation, comme limite à une liberté qui, pourtant, débridée par le 20ème siècle, n'en a pas pour autant plus de valeur. Dans ce contexte, la mort de la forme ne pouvait être que la mort de l'art. La négation ne portait rien, de positivement visible. Ce siècle ne fut pas de révolution, mais de destruction des illusions révolutionnaristes.
* 10 septembre 2005
Statut et statues de l'écrit
Ne pas réfléchir en écrivant. Avant, un peu. Ecrire comme on improvise. Comme on peint, comme on sculpte. Ne pas (trop) penser pour écrire. Être artisan de ce qui surgit. Mais écrire aussi pour penser : en prime. Il y en aura toujours qui entendront les ratés, le non pensé, comme notes fausses d'un texte qui pourrait être, hors de l'écrit, une pensée immatérielle et dévitalisée, désinfectée, dés-affectée. Ce texte n'est plus alors celui que de leur seule lecture, avec leurs lunettes d'intellectualité, une conception apoétique de l'écrit et de son rapport vivant au réel : tout sauf une rencontre sensible parce que matérielle. Avec quoi l'on ne ferait jamais que de la musique sur partition, et de la théorie une question de mots, de style, d'idées, de sens. De la révolution un art conceptuel. Au pire : d'un côté faire jouer les autres pour leur écrire sa partition, de l'autre la voix de son maître. Comme une inversion du rapport de l'écrit au réel, et comme un déni de sa forme comme contenu réel, comme matière. Comme un faux débat entre esthétisme dans la forme et rigueur du sens, ces vieilleries occidentalistes. Comme une confusion entre rhétorique et dialectique. Comme une ré-invention malgré elle de la posture philosophique dont le déni, masqué par une écriture anti-matière de professeur, se voit comme le nez au milieu des figures de style. Ni l'art ni la révolution ne seront plus oeuvres d'auteurs, fussent-elles à plusieurs mains.
* 21 mai 2005
Libérer le rapport réel&langage : re-l'engager
à propos de VOYAGE AU BOUT DE LA POUASIE
Quel plaisir que (re)trouver un regard une geste d'enfant / découverte de l'existant comme s'il était nouveau /(re)création à nouveaux frais -entendre de fraîcheur / au sens où Picasso par exemple est en quête de ce regard et de ce geste, ce que montre ses dernières années.
En somme, je contournerais ce qui m'est inaccessible : un enracinement érudit dans un stock linguistique de mots en rapports aux choses de temps révolus (noms d'outils désuets, par exemple, mais oh combien chargés de sens et de nostalgie), de même que mon pseudo-multilinguisme n'aurait rien de culturellement "sérieux" (contrairement à Joyce dans Finnegans wake), mais revendiquerait une relative ignorance populaire, dans un halo d'évocations phonétiques ou sémantiques, et de suppositions plutôt hasardeuses, au regard de mes connaissances en langues étrangères. De ce point de vue, je m'oppose autant par déficit culturel que par principe à une poésie lettrée ou référencée aux racines de "la haute culture", relevant de la so called littérature, pour considérer celle-ci peu ou prou comme "bourgeoise" et élitaire, produit de la séparation du travail.
Tout cela ne relèverait que d'une mise en perspective de ces rapports, pour les retremper dans le présent d'un futur, comme invention aussi radicale que possible, cherchant davantage la rupture que la continuité hors ses contraintes, alors "obligées". Une sorte d'arrachement, parce que c'est ça : vivre ou crever d'ennui les fers au pied à reproduire le même, en cassant des cailloux pour l'ennemi. Et pour une métaphore : on ne changera pas le monde avec les armes du passé.
Cela suppose de libérer la spontanéité par l'improvisation en temps réel, qui tranche avec une mise longue, retravaillée sur le métier, et qui prend le risque de ses approximations en assumant sa part d'inconscient (quelque chose à retenir de la prétendue "écriture automatique" des surréalistes). Kenny WERNER (Effortless Mastery : Liberating the Master Musician Within *) conseille aux musiciens d'un instrument de "s'amuser" sur un autre dont ils ne connaissent pas la technique, et d'essayer ce rapport libéré à leur propre instrument : un pianiste sur une batterie, par exemple, et retour au piano... sachant qu'un musicien de jazz n'aborde pas un instrument, même nouveau pour lui, comme un profane, ne serait-ce que sur le plan (poly)rythmique et par mémoire auditive, culturelle : le fonds commun aux musiciens de jazz. De fait, la création sur un instrument "maîtrisé" ne va pas sans ligoter l'imaginaire et donc la création. C'est d'ailleurs une des dimensions du free-jazz, bien que les ignorants lui aient donné trop d'importance.
D'une façon générale, le rapport au connu comme au quotidien est à décoincer, à libérer, pour une authentique jubilation révolutionnante.
* La maîtrise sans effort, par Kenny WERNER en français . A commander chez : Uncle Jazz Productions bvba , fluitbergstraat 66/5, b-2900 schoten-belgium, tel : +32 3 685-4730, email : uncle.jazz@pophost.eunet.be.
* 25 avril 2005
Se ballader dans le langage...
(S')envoyer ballader (dans) le langage comme en jazzman, improviser sur le canevas de la forme fixe jusqu'à la démonter, comme on dit de la mer, entre ces moments où tout conjugue à la fluidanse, et ceux à la rugueur des chocs élémen-terre-et-ciel. Trouver la rythmique et le phrasé du débordage (...) Idéal de Monk en quartet, pour sa modernité : la force intranquille de Charlie Rouse, la pulsouplesse de Lary Gale, la drivinvention de Ben Riley. La souveraine et brute liberté de Monk. Des diables au paradis ("It" Club, Los Angeles, 1964)
* 25 avril 2005
Le poème à peindre
Dans certaines circonstances, quasi magiques, le poème devient tableau. L'écriture en est plus proche de la peinture que de toute littérature -comme à l'inverse il arrive que certaines peintures ne soient que littérature en image (pardon Magritte). Est-ce pour cela qu'on y revient toujours pour des retouches, comme ce peintre (Bonnard ?) sur ses toiles exposées au musée...?
* 15 avril 2005
Ecrire des poèmes
# Comme un enfant s'humanise en reproduisant les stades de l'humanité, j'ai découvert, très tard, en tâcheron d'en faire, la poésie. Certes, à travers la poésie tirée du journal (LIVREDEL), j'ai inventé des formes (de versification, de rythme), mais hors ça, tout ce que j'ai cru nouveau, je l'ai trouvé après coup chez d'autres, Aragon novateur essentiel (rime enjambée...), et sait-on que la rime par coupure de mots (rime coupée), avant Verlaine Appolinaire, se trouve chez certains troubadours ?
Néanmoins, je ressens un tel besoin de (?)virginité, que lire les poètes me fait peur : soit que j'y découvre ce que je croyais faire à neuf, soit que j'en sois terriblement déçu. Les poètes m'ennuient en général, sauf exception fugace. Hors la forme et la technique, qui tirent ma curiosité, le reste relève de leur humanitude, en quoi je n'attends d'eux et n'y trouve rien de plus que chez quiconque, philosophes, peintres, soldats de dieu, du diable, du pape ou de l'alternative radicale, et moins que chez de simples gens. Hormis le plaisir. Le pied. La justesse parfois. La chanson plus souvent. Question d'écoute, de conception du langage et de la "culture". Tout intellectuel, fût-il poète, tend à manquer du rapport simple aux choses qui caractérise l'expression populaire. La poésie est donc entre autres, et pas moins n'en déplaise, un rapport de classe.
De tous ces points de vue, je peux affirmer qu'aucun poète en tant que tel n'a pu, ne peux, ne pourra m'influencer.
* 15 avril 2005
Cent sonnets sans censure
# Si le sonnet ne crève pas c'est qu'il offre encore au poète une liberté, une souplesse de créer/rêver sans déchanter son temps.
La forme-sonnet est assez stable pour résister - rester sonnet - aux atteintes à ses règles. Hors le fait qu'elle joue sur 14 vers rimés, elle supporte le manquement aux ordres de ses strophes. Contraintes admises à l'écriture, la structure s'invente au fil. De plus souples formes, que la disposotion des rimes identifient, interdisent ce jeu.
(je vais réunir mes sonnets, pour voir...)
* 12 avril 2005
Rythme, polyrythmie
# Meschonnic renouvelle l'approche du poème par sa notion de rythme, comme continu du langage etc. mais s'il a besoin d'une critique du rythme qui évacue la musicalité, c'est parce qu'il a une conception faible, classique, du rythme musical, et qu'il méconnaît, particulièrement, le jazz.
A partir d'un certain stade de remise en cause des carcans formels, la transgression peut prendre des chemins diversifiés. En musique, on peut casser la mesure à quatre temps par une succession de mesures différentes, ou la miner de l'intérieur (introduction du trois dans le quatre, procédés de décalages chers à Monk...). Et l'écriture n'apparaît plus que comme un code. Un parallèle peut s'établir avec l'alexandrin. On a deux approches : le casser par enjambement en conservant son vers de 12 pieds syllabiques, ou l'introduire dans une autre métrique, une autre rythmique, proche par exemple (11 ou 13).
Seulement voilà, la différence c'est que le poème écrit est l'oeuvre même, ce que n'est pas la partition. Un rythme à cinq temps introduit par le soliste quand la rythmique qui l'accompagne poursuit à quatre, c'est clair, parce qu'il y a polyphonie. Mais pour l'oreille avertie, ça peut l'être autant en solo intégral (monodique).
L'évidence (sic) est que cela renvoie une bonne part du problème au lecteur, ou à l'auditeur. Ce problème ne doit pas lui apparaître comme tel, technique. Il s'agit qu'il puisse jouir de cette polyrythmie, sous réserve qu'elle "swingue"... Il y a cinquante ans, qui pensait qu'on pouvait swinguer (ce qui semblait alors définir le jazz), autrement qu'à quatre temps ? Toute une querelle s'engage sur les formes modernes parce que ne swinguant pas, elles ne seraient pas du jazz... querelle qui est d'abord celle de la critique, qui embarque avec elle quelques musiciens arriéristes... Mais tous ensemble sont des formalistes... Le problème de fond, la nature de l'art, est ramenée par des considérations esthétiques extérieures à l'oeuvre (philosophiques, musicologiques, rhétoriques, herméneutiques...) à la question de la forme, ou de l'essence : vieilleries (voir JAZZITUDE, 2002). Les musiciens, les poètes s'en foutent, en général, mais pas toujours malheureusement : contre le "maintien de l'ordre", il devraient surveiller leur langage !
# Voir aussi : Valeur de la poésie, Caroline Andriot-Saillant
(Notes rapides) Pas d'art sans improvisation : la prosodie comme révolution poétique permanente... Pas d'art qui ne remette en cause le rapport social, 12 avril 2005
# Le moment de la création relève toujours d'une improvisation, qui n'est autre que la présence au présent, l'écoute productrice qui tient ensemble affects et concepts. L'improvisation n'est pas nécessairement 'en temps réel' (jazz), mais elle est toujours le moment clé de l'écriture, de la composition, du faire poétique : elle ouvre et détermine le chantier de l'oeuvre tout au long de sa fabrication.
Dès lors, choisir entre la forme fixe (programme) ou l'absence de contraintes préétablies est un fausse question. Ce choix détermine des rapports différents à la situation, à la fabrique. Il ne faut pas confondre procédés et moyens (Reverdy). Dans le second cas, l'absence de contraintes programmatrices, l'idéal -le mien du moins- serait que la forme (l'apparence formelle, structurelle, visuelle) s'invente en chemin dans la geste produisant le poème. Sauf à adopter au départ une forme fixe (classique ou non, inédite ou non), il ne devrait alors plus y avoir deux poèmes de la même structure, sauf à ce qu'elle ne soit qu'apparence : la prosodie comme révolution permanente. On se trouve à l'extrême dans la situation de la libre improvisation, dans laquelle on sait bien que chaque musicien stabilise, au bout d'un temps, son "style", tant et si bien qu'il a beau faire comme s'il était à chaque fois "libre", on le reconnaît au premier son qu'il produit (Derek Bailey, par exemple).
Cette position catégorique doit s'assouplir du fait qu'une forme-structure nouvelle met du temps à être maîtrisée (il y faut des ratés), tant par celui qui la produit que par celui qui la reçoit, invité à la re-produire par et pour lui-même : besoin et rôle de la répétition, de la reconnaissance des repères et des écarts, du jeu dans ses règles... Celui qui regarde un tableau, qui lit un poème, qui écoute de la musique est sollicité comme interprète actif. Il y va aussi de son talent ou de sa sensibilité, qui ne dépendent pas d'abord d'une connaissance, mais dire cela, c'est affronter un tabou, chez les gens cultivés comme chez les autres : il ne faudrait pas le dire, parce que ça remet en cause la séparation sociale, le rôle des élites, la fonction des artistes et des critiques, qui ont besoin d'entretenir, pour exister dans ce monde en tant que tels, cette séparation, que leur renvoie en miroir la démagogie et ses vulgarités complices de bas en haut. L'art se fait "contre", et comme la politique, contre le couple manipulé-manipulateur.
Mais attention : affirmer "pas d'art qui ne remette en cause le rapport social" ne signifie pas réalisme social, ou poésie comme critique sociale. La confusion peut venir de la thématique politique, parce qu'on est alors sur la brèche, sur la barricade, et comme un funambule crachant des flammes pouvant brûler son fil... Le poème n'est pas politique de faire de la politique, et pas davantage quand il en parle. Encore faut-il qu'il soit un poème, mais ça...
* 12 avril 2005
Ouvrons les vannes !
Au magasin des antiquités donc, toutes les dialectiques du son et du sens, du fond et de la forme, du signifiant et du signifié, de l'incarnation de la langue...
Au musée des académimes la rime comme bout rimé, le vers pour le vers, le nombre enchanteur, la prose contre le vers, le blanc pour faire sens d'un silence qui n'a plus à dire que tous les remplissages... tout formalisme donc.
Aux sous-mondanités du microcosme de l’édition les contraintes oulipistes et le lyrisme d'intention.
Le pire ennemi de l'art, c'est l'art. Du poème, la poésie. Des poètes, les revues et anthologies poétiques, les analystes, les classificateurs, les 'écoles', les formes poétiques, l’informel poétique, les tics et les tic tac...
A l’observer, le petit monde de la critique d’art fonctionne en poésie comme en jazz. Sur le dos des poètes et parfois avec leur complicité plus ou moins intéressée. La confusion entre ce qui relève de l’art et ce qui le singe est à son comble, et cela ne dépend pas du niveau de « virtuosité », de complexité, d’intellectualité, de « culture » ... Comme quoi ce n’est pas ici le caractère marchand proprement dit (la poésie n’enrichit personne) qui est en cause, mais plus profondément le paradigme idéologique qu’il étend sur le rapport (social et à soi) de la création artistique, la posture contemporaine de l’artiste qui n’en finirait pas de crever en priant Rimbaud, Duchamp, ou Dieu en personne.
Autrement dit, la poésie n’est paradoxalement pas davantage protégée que la musique, la peinture, la littérature, des leurres post-modernes et des âneries conceptuelles.
Assassins du poème, laissez-nous vivre !
* 11 avril 2005
Retour de flamme
Le danger pour le poème, le piège du vers rimé, du vers compté, c'est la discipline qu'il impose pour "l'exploit" et qui tend à (me) détourner de la présence de je à moi dans l'écriture. Enfin, quelque chose comme ça, qui n'est pas fatal, mais qui donne raison à Meschonnic.
# Un manque de soin dans l'écriture quasi automatique qui surgit et se prend dans ses pieds. Le jeu dans la facilité s'ombre de complaisance. Pas assez travaillé, tout me semble alors comme à récrire. Flemme.
Notes en vrac, 8 avril 2005
# je m'interroge sur le rapport entre la forme du poème et le poème tel que défini par Meschonnic, dans son Manifeste pour un parti du rythme :
«seul le poème peut nous donner ce qu'il est seul à faire, c'est l'écoute de tout ce qu'on ne sait pas qu'on entend, de tout ce qu'on ne sait pas qu'on dit et de tout ce qu'on ne sait pas dire, parce qu'on croit que le langage est fait de mots.»
«Contre toutes les poétisations, je dis qu'il y a un poème seulement si une forme de vie transforme une forme de langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie.»
# toutes les formes et non-formes données pour de la poésie (identifiée parce publiées en tant que telle) me semblent susceptibles d'être soumises à cette critique. Le vers libre s'il n'aboutit qu'à supprimer la rime comme petit bout du décompte pour aller à la ligne, s'il ne généralise pas une sorte de rime, y compris sémantique, dans le corps du poème et l'assemblage des mots qu'il transforme, ce vers libre, je dois dire qu'il ne me semble pas trans-former grandement ni le langage ni la vie. A l'inverse, il est de multiples transformations du langage et des formes qui sont autant de formalismes donnés pour poétiques et qui ne sont qu'une mise en scène de nouveautés (ou de modes) prétendant faire preuve en elles-mêmes de leur modernité.
# Je ne vois donc pas en quoi une forme fixe, tel le sonnet, empêcherait d'en faire (encore) un poème, au sens de Meschonnic. Encore une fois, je fais le parallèle avec la forme-blues, en douze mesures de trois fois quatre, qui ne limite toujours pas les possibilités d'expression (exemple, Archie Shepp revenant au blues quasi-classique après avoir traversé le free-jazz, exemple Georges Adams sur le blues, et tant d'autres...). Cela dit : merde à Roubaud !
L'utilisation de la forme fixe, imposée, ne fait que déplacer le lieu de l'invention, de la liberté. Celle-ci ne réside pas dans l'invention de formes "absolument nouvelles" (oulipismes etc.), ni dans la prétendue absence de formes, qui sont là, en toutes circonstances, et qui s'imposent quoi qu'il en soit une fois produites.
# L'utilisation de formes fixes est comme un chemin où couler la lave sans que celle-ci ne cesse d'être incandescente, et si elle ne l'est pas, ce n'est pas faute à la forme imposée. Elle ne le sera pas davantage en vers libre, non rimé, ou en prose...
# Actuellement, j'utilise alternativement des formes "libres", spontanément construites, et le sonnet ou des strophes de vers comptés et rimés, et si j'y reviens sans cesse, c'est comme formes de résistance politique, pas comme exercices de styles.
Je ne me sens pour autant pas régresser par rapport aux expérimentations et inventions de règles d'écriture poétique telles que dans LIVREDEL.
# Par contre, j'ai à mieux «manifester» mes propres «refus» :
« En somme, le poème manifeste et il y a à manifester pour le poème le refus de la séparation entre le langage et la vie. La reconnaître comme une opposition non entre le langage et la vie, mais entre une représentation du langage et une représentation de la vie. Ce qui resitue l'interdit prétendu d'Adorno (qu'il est barbare et impossible d'écrire des poèmes après Auschwitz), que certains pensent inverser en faisant jouer ce rôle d'inverseur à Paul Celan, alors qu'ils demeurent dans le même impensé, que montrait Wittgenstein par l'exemple de la douleur. Elle ne peut pas se dire. Mais justement un poème ne dit pas. Il fait. Et une pensée intervient.
Ces refus, tous ces refus sont indispensables pour que vienne un poème. À l'écriture. À la lecture. Pour que vivre se transforme en poème. Pour qu'un poème transforme vivre.»
* 30 mars 2005
Notes d'un soir : poésie-jazz
# écrire comme une musique de mots : un jazz de mots
# le texte comme phrasé : rythme de mots, mais tantôt mots créant le rythme, tantôt se posant sur lui, le rhtme sous les mots... tiendrait le lieu tantôt de la rythmique (ligne de basse...), tantôt de la mélodie sur une rythmique (contrebasse-batterie) sous-jacente, implicite...
Problème : en première approche c'est le vers, son compte de pieds syllabiques, les césures et groupes sémantiques qui déterminent le rythme de la lecture... Mais il faudrait arriver au point de suggérer l'accompagnement, donc une polyphonie, par une ligne de texte qui n'est qu'un monodire...
Exemple, dans mes vers à 9 pieds syllabiques, le rythme suggéré peut être celui de la valse jazz, ternaire, musette... (3x3 temps)... mais certains vers semblent abandonner cette base, car les mots, groupes de mots et césures ne la suggèrent plus. Le lecteur est placé dans la position du soliste, ou du danseur qui doit avoir suffisamment intégré la base pour ne pas perdre pied, ne pas trébucher quand les choses se complexifient... C'est pourquoi ceux qui aiment la danse de salon ne peuvent pas danser sur du jazz, ou se contentent de gestes mécaniques marquant la base, dansent la valse comme un polka 'boum chick chik'...
Je n'accepte pas que le décasyllabe puisse être seulement = 4+6 ou 6+4... c'est l'impossibilité de lire plus que 6, le demi-alexandrin comme maximum, l'octosyllabe divisé en deux, l'impair impossible au-delà de 5 ou 7 etc. : 7 c'est 7, 8 c'est 8, 10 10, 11 11, 15 15 etc., et tout est possible à l'intérieur, toutes césures et leur absence, emjambements etc. La difficulté est de sentir le tout et la partie simultanément...
Cf le rapport qu'entretient le musicien de jazz, soliste intégral ou pas, à un accompagnement suggéré... du classicisme explicite à l'impliciste culturel (Monk seul, Rollins, trios Giuffre, trios Bill Evans... trio Jarrett, piano / Dejohnette, drums / Peacock, contrebasse... trio batterie / sax ténor / trombone, de Léon Parker, Ellery Eskelin, Stewe Well peut 'refaire' le big band de Count Basie)
Le rapport n'est pas non plus celui d'un texte accompagné par des musiciens, une rythmique, qui crée une autre situation, qui est celui du texte d'une chanson à sa musique et à son accompagnement.
En d'autres termes, la question du compte dans le vers ne devraient plus se poser rythmiquement comme celui d'un texte produisant son rythme, mais le suggérant et jouant avec, tantôt assurant la rythmique, tantôt la partie soliste... Il y aurait balancement, hésitation, entre le rythme dans le texte (sémantique et/ou structurel du vers, propriété de la poésie en vers syllabique), et le rythme sous le texte (propriété du texte chanté ou de l'exposé en jazz d'une mélodie), qui placerait cette approche poétique entre la littérature poétique et une voix de jazz, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre.
Sauf à livrer le lecteur à lui-même, comme improvisateur maîtrisant les techniques nécessaires, il serait utile de donner des indications, sur une portée parallèle, de type solfège rythmique : notions de base... l'inconvénient étant d'imposer une lecture unique, on sort du sujet...
* 26 mars 2005
Comment lire ma poésie ? 26 mars 2005
Publier des poèmes, les donner à lire en ligne, c'est naturellement prendre un risque, ou du moins accepter l'idée que c'est le lecteur qui fait le poème, comme l'interprète d'une partition : il le réalise et participe de sa création. Sans lecteur le poème demeure virtuel. Il n'y a pas de poème sans son, sans mise en matière sonore. Dès lors, pour un poème écrit, autant que de lecteurs : « Un tableau ne vit que par celui qui le regarde » (Picasso), « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux » (Marcel Duchamp).
Pour autant, mes textes sont aussi de la matière écrite, et aucune lecture n'en épuiserait la présentation graphique, hors de laquelle ils perdraient la dimension visuelle qui leur est essentielle. En ce sens je ne considère pas la lecture (sonore) comme l'aboutissement ultime du poème, mais comme une possibilité de réalisation*. Néanmoins, on ne saurait, comme pour toute poésie (encore que...**), s'en tenir à une lecture mentale, cherchant (seulement) un sens, du sens : il faut passer par l'oralité, et de préférence à haute voix plutôt qu'à voix intérieure, comme on lit habituellement des textes courants. Se la mettre en bouche et par les oreilles autant que dans le regard ou par le cerveau.
* A ma connaissance, personne n'a résolu ce problème de façon complètement satisfaisante en une forme unique. François DUFRÊNE, avec sa Cantate des mots camés, proposait des versions en récital, une enregistrée sur magnétophone, une transcription visuelle en couleurs.
** On aura compris que je n'aime pas les poètes cérébraux, ceux pour qui le poème est d'abord un morceau philosophique, au mépris de toute chanson, comme désincarné. Ceci non que la poésie serait dépourvu de tout contenu philosophique : c'est alors la conception de l'une et de l'autre qui est en cause. Nietzsche tient admirablement les deux ensemble, mais il le fait sur le versant philosophique...
J'entends certes que mes poèmes ne devraient être que les supports d'improvisations, comme le thème pour un musicien de jazz : à rapporter ici aux libertés prises pour l'exposé du thème, le chorus improvisé n'étant accessible qu'à la condition d'avoir franchi un certain cap dans la lecture et l'interprétation du texte stricto sensu donné. C'est essentiellement ce qui justifie, par exemple, que je ne ponctue pas, ou peu, mes textes en vers : introduire une ponctuation ruinerait la possibilité des multiples solutions inhérentes à mon mode d'écriture, donc de pensée.
Il s'agirait, à chaque lecture, de trouver, de choisir une possibilité parmi une infinité. La lecture ne saurait par conséquent se limiter à l'interprétation d'une solution unique et donnée à l'avance, la conception que je m'en serais faite à l'écriture. D'une part je pourrais en donner des variantes, plusieurs versions graphiques, des mises en vers ou des ponctuations différentes. D'autre part, si j'avais à lire moi-même mes poèmes, je ne le ferais pas deux fois de la même manière, avec le même tempo, les mêmes pauses, le même rythme, la même voix... voire le même texte.
« Le poète s'éveille dans l'homme par un événement inattendu, un incident extérieur ou intérieur : un arbre, un visage, un "sujet", une émotion, un mot. Et tantôt c'est une volonté d'expression qui commence la partie, un besoin de traduire ce que l'on sent; mais tantôt, c'est, au contraire, un élément de forme, une esquisse d'expression qui cherche sa cause, qui se cherche dans l'espace de mon âme... Observez bien cette dualité possible d'entrée de jeu : parfois quelque chose veut s'exprimer, parfois quelque moyen d'expression veut quelque chose à servir. » Paul VALÉRY, Variété, Poésie et pensée abstraite
Cela tient à la structure, au principe, au procès mêmes de mon écriture poétique, bien que je fasse appel selon le cas à plusieurs déclencheurs (un thème, une forme, un mot ou un motif, un son, un rythme...). D'une part elle procède d'une technique qui fait place à l'improvisation, à l'écriture en temps réel avant d'être remise en chantier. D'autre part elle est fondée sur la recherche du son dans l'équivoque des sens, une équivoque qui n'est pas d'abord polysémie, mais contradiction saisie et produite, comprise ou incomprise : la compréhension n'est ni la première ni la seule dimension du poème, car l'objet de la poésie n'est pas le sens, ou pas uniquement le sens. Je ne prétends pas comprendre tout ce que j'écris. Sans être le fruit d'un hasard, une part en reste pour moi mystérieuse.
La poésie entretient avec l'inconscient une relation comparable au rêve, qui est bien une création du rêveur, et de nul autre. Le propre de l'artiste est d'être disponible à la surprise, à l'écoute de son inconscient, de ses affects, avant de les penser et de les mettre en forme, une forme non programmée mais produite jusqu'à terme. D'une certaine façon, la poésie est, stratégiquement, une esthétique de l'équivoque propre au langage, sa revendication pour tout langage. Voilà qui génère autour de la chose un halo, consubstanciel selon moi de la poésie comme rapport au réel, cette substance n'étant que partiellement raisonnée; sans quoi il n'y aurait plus que logique, arithmétique, sens unique tel que prétend le cerner la science : la poésie échappe heureusement au rationnalisme descartien, qui n'engage rien moins que la programmation de la mort de l'art achevée au 20ème siècle par l'Occident capitaliste, dans le conceptuel. Il y a par exemple dans ma jonglerie le croisement de rimes ou d'allitérations sonores et sémantiques, dans un va-et-vient de clins d'oeil, de cervelles et d'oreilles, où jamais l'art ne consiste à donner une forme à un fond, un corps à une âme... dans un rapport binaire même dialectique. L'inversion proposée par NIETZSCHE et reprise par Henri LEFEBVRE n'en rend pas vraiment compte :
« L'on est artiste au prix de ressentir ce que tous les non-artistes nomment "forme" en tant que contenu, que "la chose même". De ce fait l'on appartient sans doute à une monde à l'envers : car dès lors le contenu devient pour nous quelque chose de purement formel, y compris notre vie. » NIETZSCHE, Fragments de novembre, 1887
Je fais donc confiance a priori à mes lecteurs pour leurs capacités de compréhension, de perception, de (ré)invention et de jeu personnels. Cela dit, cette liberté ne peut se développer que sous contraintes, et l'exigence s'en trouve renforcée de respecter ce qui doit l'être dans la verbalisation, la mise en corps sonore d'une poésie qui est autant orale que visuelle, sonore qu'écrite. De mon point de vue, ce sont à la base les règles de la prosodie française** qui doivent servir de guide à la diction, du moins pour commencer, quitte à les transgresser ensuite, ce qui suppose de les connaître un peu. Indépendamment du rythme et des tonalités de l'élocution, ce sont ces règles que j'ai retenues pour définir le nombre de pieds/syllabes, en particulier pour la prononciation (ou pas) du e, voyelle blanche (j'écris "(e)" ceux qui, échappant à la règle, restent muets devant consonne). Il y a bien sûr quelques pièges, ou de multiples solutions, par exemple dans les rencontres de voyelles en diérèses ou synérèses**, qui peuvent faire flotter un alexandrin entre 11 et 13 syllabes, voire 10 ou 14 pieds prononcés : cela tient précisément au jeu, que j'ai voulu, de déconstruction et de brassage de règles rhétoriques qui ont changé dans l'histoire de la poésie. On peut le rapporter à l'histoire du blues de douze mesures, par exemple, et à ses avatars dans celle des formes du jazz et des musiques africaines-américaines (incluant le rap et ses dérivés) : les moins normatifs sont au demeurant les bluesmen texans, tel que Lightnin' HOPKINS, qui ne se fait pas une obligation de respecter ni le nombre de mesures, ni même le nombre de temps à l'intérieur des mesures. De même les Grands rhétoriqueurs avaient, dans l'invention même de formes devenues classiques pour ne pas dire éternelles, une liberté et une souplesse qui seront sclérosées plus tard, pas sous la plume des meilleurs poètes, mais dans leur académisation par les professeurs.
** Se reporter par exemple à Versification française
Dans cette écriture qui n'est qu'apparemment classique, ni le vers ni les rimes éventuelles ne définissent le rythme, les retours à la ligne ne correspondent pas nécessairement à des temps d'arrêt, à des silences, des accentuations particulières, des reprises de respiration... Une telle lecture n'aboutirait qu'à un massacre détruisant le rythme propre qui a présidé à l'écriture dans les rapports du sens, du son et du sentiment. Autrement dit, s'il y a de grandes marges de liberté pour l'improvisation, elles n'en doivent pas moins jouer à l'intérieur de certaines limites, prendre élan sur ces contraintes comme la mouette appuie sur l'air son aile. C'est ici qu'intervient la capacité du lecteur, tel un acteur de théâtre***, à con-prendre l'écriture avant de se livrer à une interprétation selon sa fantaisie, et plus encore à une improvisation aléatoire. La comparaison pourrait se faire avec Thelonious MONK en piano solo, sur ses propres thèmes comme sur les standards, dans la manière qu'il a de détruire, ou de déconstruire, de l'intérieur, des formes musicales excessivement classiques et normées, à s'abstraire par exemple des barres de mesures, comme d'autres du tempo régulier, ou du strict respect de l'harmonie initiale.
A partir de là, toutes les libertés sont permises : accentuations, points d'arrêts, insistances, vitesses, accélérations/deccélérations... à la manière des indications dans les partitions musicales : forte-fortissimo, crescendo/diminuendo, ralentissimo, points d'orgues... (voir cette terminologie souvent insuffisante... on pourrait envisager de la préciser à la manière d'Eric SATIE, mais plus on serait précis sur les intentions, plus on priverait de libertés l'improvisateur).
Une fois maîtrisé le thème dans sa construction, ses structures rythmiques croisées de sens et de prosodie, on peut même envisager des modifications, des retraits ou ajouts, des répétitions à souhait, des commentaires insérés comme en voix off, en pseudo-polyphonie, voire à plusieurs voix... C'est ce que je ferais personnellement si j'avais à dire mes textes en public****. Le lecteur investira alors complètement son rôle de re-créateur de morceaux qui se voudraient plus proches de thèmes de jazz que de partitions classiques.
En définitive, on ne saurait pas plus que d'autres lire ces poèmes à la vitesse de toutes choses écrites dans l'air du temps, et particulièrement à la manière, propre au net, d'avoir fini avant de commencer. La lenteur est aussi une forme de résistance politique. Je remercie donc ceux de mes lecteurs qui s'en feront les obligés.
*** Lecture recommandée : Le jeu verbal, Traité de diction française à l'usage de l'honnête homme, Michel BERNARDY, Editions de l'Aube, 1988/2004
Site recommandé : Autour du jeu verbal de Michel BERNARDY**** Je n'en ai eu l'occasion qu'une fois, dans un récital de poésie au festival d'Uzeste.
* 24 mars 2005 (4 germinal, fête de la tulipe)
A la lèvre près : tue les !
"Partir des mots et faire qu’en quelque sorte ils pensent pour moi (me dictent au lieu d’être dictés par moi…"
Michel LEIRIS, Langage Tangage
Ce n'est pas faute d'essayer : c'est un programme poiétique dont je ne parviens pas à me désengager, quelque part aux pieds d'ARAGON, aux si logiques de Bobby LAPOINTE dans le non-sens de Pierre DAC ou d'Alphonse ALLAIS, avec en point de mire le tact swinguant de Michel LEIRIS, un Stan GETZ s'entendant dire par Lester YOUNG : «You are my singer». Et mon ami François DUFRÊNE pour mémoire de poche.
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Poésie : "contrainte de la forme" ? 4 février 2005
Il y a la forme imposée, classique, connue, partagée (le sonnet par exemple, mais tant de variantes...). Même celle-là, je ne la choisis plus au départ. Elle ne vient qu'en chemin, mais, quand elle s'impose à l'écriture, elle entre en contradiction avec le poème comme production poétique. Il faut alors user de ruses, et même en abuser, s'en amuser, avec plus ou moins de bonheur, pour n'en être point dupe. Mais la liberté n'en est pas moins grande, ce sont seulement les contraintes qui sont déplacées, comme conditions déterminées du poème, ouvrant à d'autres dimensions de liberté. Il y a bien quelques problèmes techniques, mais ils sont affaire de virtuosité, c'est-à-dire de pratique. Il n'y a pas de poème dans l'indétermination. S'il y a un choix du poète, il relève de l'éthique, de sa politique du sujet, de son histoire comme rapport au langage, et de celui-ci comme rapport social. En quoi je m'oppose tant au néo-classicisme qu'à une certaine critique du néo-classicisme, qui, formaliste, commet la même erreur sur "la forme", sur la forme-forme (comme les critiques politiques de la forme-parti).
Il y a une plongée poétique aux apparences plus libérées, moins contraintes. La forme y semblerait entièrement libre. Mais cette liberté n'est encore qu'un leurre, car au bout du compte, il y a toujours une forme produite : un résultat, qui ne définit pas le poème, ne le porte pas non plus de manière séparée (ça c'est bon pour les experts, avec leurs lunettes déformantes sorties des académies pour y entrer, y faire rentrer la poésie, par la rhétorique, voir LA POETIQUE TOUT CONTRE LA RHETORIQUE). C'est comme de considérer le free-jazz plus 'libre' que le New-Orleans. Même si l'on refuse tout ce qui faisait jadis la différence entre forme 'poésie' et forme 'prose', ni la première ni la seconde ne définissant la poésie (le poème comme oeuvre-sujet selon Meschonnic), cela n'aboutit qu'à en sélectionner des ingrédients, des procédés rhétoriques (rythmes, mètres, sons -rimes, allitérations...-, prétendus "sens"...) quitte à en inventer et en promouvoir d'autres : il n'y a pas d'écriture sans forme, mais le poème, de la forme, il s'en fout, comme de l'écriture (il est toujours, même pour celui qui écrit, lecture, réception, oeuvre-sujet, de la même manière qu'un musicien joue par l'écoute : un sourd ne fait pas de musique -conneries sur Beethoven...).
Celui qui voit "la contrainte de la forme" ne la verra jamais entièrement : en cherchant à la comprendre, à la maîtriser par l'analyse, il y perdra le poème. Seul le poète peut être dans le poème en poète, en le produisant, à condition de le faire, de n'y être pas en tant que poète (ce qui n'est jamais acquis, d'où l'inertie programmatiste, la forme comme contrainte). C'est un peu comme le public musicien qui se croit expert, ou le musicien critique de ses pairs, qui, repérant les enchaînements harmoniques ou rythmiques, croit savoir ce qui se passe, "comprendre" la musique : pauvre Coltrane, mis en patterns, Pater noces ternes qui êtes aux cieux, prosternés suspendus à la paterne éternelle comme le commerçant à la patente. Où celui qui n'y connait rien, qui n'y comprend rien, est sans comparaison meilleur 'public' (ce que disent au demeurant John Coltrane, Bill Evans, Art Blakey...).
Avec quoi on peut lire un sonnet dans sa forme, comme schéma (abab, cdcd etc.), ou entendre un blues comme machin à douze mesures... La meilleure façon de rater Rimbault et Monk.
La forme du poème est un piège à cons. Son service public. Sa société civile. Son Etat. Ecrire dans la "contrainte de la forme", c'est faire du programmatisme poétique, programmer le poème.
Au total, demeure une incompréhension sur la dialectique du contenu et de la forme en art, et une déshistorisation de la forme classique, où l'on ne voit dans celle-ci qu'une répétition de ce qu'elle était à ses heures de gloire (elle ne fut d'ailleurs pas figée, voir l'alexandrin chez Hugo, ce vieux filou, ce jeune filon qui n'a pas de complexe à avoir devant Rimbault, celui-ci retenant à l'insu de son ironie sa part "absolument moderne", qui n'est qu'historique : on n'est, on naît, au mieux, "un autre", que de son temps).
Il y a sur la base de la forme un dépassement de la forme, une combat de l'écriture par la lecture, contre la forme par la forme.
La forme, et, dans la même geste, le "contenu", sont dépassement produit d'un tout qui fait le poème : cette geste est improvisation. Le poème n'est pas plus forme qu'il n'est contenu. Ramené à ces dimensions séparées, il n'est plus un poème, il est détruit en tant que tel. Ce ne sont que les apparences de l'écriture dans la lecture. La poétique n'est que faire*.
* En quoi l'on peut détourner Marx : La poétique, c'est comme l'amour, c'est tout ce qui est vivant, toute spontanéité, toute expérience sensible, en un mot toute l'expérience réelle dont on ne sait jamais à l'avance d'où elle vient et où elle va.
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Avril 2003
Le poétique n’a pas, à proprement parler, un sens. Il fait sens, comme on prends corps. Comme un corps sent, touche, habite son être social et celui de l’autre, fait jouir un autre corps. La poésie fait des mots performance (comme la musique des sons, la peinture des matières colorées), comme on dit : « je te fais chevalier ». Cela marche ou ne marche pas. Cela va du sens, affects et percepts, par celui qui écrit ou crie, à celui que l'art relie qui le lit, le fait advenir, le fait terre à terre*. Le poème - au sens d'oeuvre d'art au présent - est ce sujet, ce lien, cet entre-deux pour la relation d’un in-connu à un autre. La poésie est structurée comme un langage, non celui de la langue mais dont elle fait à dessein le destin libéré des mots par les mots.
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Fin de poésie, faim de poème, 11 février 2003
Il n'y a plus de possibilité d'écrire des poésies, sauf comme mémoire mélancolique de leur puissance poétique, mémoire d'un futur qu'elles peuvent encore donner à sentir, de par leur forme comme contenu, quand leur rapport au sens, aux sens, bouleverse le langage comme rapport social, activité qui "transbahute" (Edouard GLISSANT). De ce jour je ne séparerai plus cette forme des considérations sur la poétique au sens large, au-delà de la forme écrite. C'est de cet arrachement que témoigne MES DÉ-BUTS, en prolongeant le rapport ambivalent, comme distancié de l'intérieur, que j'entretiens à la poésie, depuis que j'en écris, comme l'évolution de mes réflexions à ce sujet dans la rubrique Sur la poésie : technique, éthique, et politique. Ceci jusqu'au suicide de toute poésie dans le poème (la distinction d'Henri MESCHONNIC).
Pour le dire sans détour, c'est en ceci que je ne suis pas davantage un "poète" qu'un "théoricien", car c'est d'un refus, de sa double cohérence, qu'il s'agit, et par conséquent de l'impossibilité d'une communication dans ces registres séparés. On se tromperait donc, soit à me lire comme tels, soit à considérer que mes écrits n'ont aucune implication théorique ou poétique.
C'est ainsi qu'on fait certaines choses, et qu'on ne les comprend qu'après coup.