- "jazz" des médias et jases des experts

La dissociation entre public et privé est, comme l’on dit dans le jargon actuel, parfaitement « gérée » par la société moderne ; le plus important sur le plan culturel, est le fossé qui se creuse entre le savoir des « profanes » et celui des « experts », entre une culture massive imbriquée dans les contraintes quotidiennes pour une majorité d’individus, et le savoir d’une minorité de spécialistes, de décideurs et de managers.

Marc JIMENEZ, La critique, crise de l’art ou consensus culturel, 1995, p. 21

La place du jazz dans les médias grand-public (télévision, radio) est réduite à peu de choses.

A la télévision, quelques émissions, une fois par semaine sur les chaînes nationales publiques ou privées, à des heures tardives : retransmission de concerts, et commentaires plus ou moins heureux, grossiers ou grotesques, mais bon...

Ella FITZGERALD ou le trompettiste Lee MORGAN témoignent de ce que ce n’était guère mieux (aux USA), il y a trois ou quatre décades :

(à propos des shows qui deviennent de plus en plus commerciaux)

« Ella, haussant le ton :

Au lieu de lire les mêmes trucs commerciaux tous les soirs, nous pourrions inventer de nouvelles paroles et en changer chaque soir... Si j’avais un show télévisé à moi, je serais très emballée à l’idée d’écrire un peu de musique pour ça...

Ella FITZGERALD (1918-1996) Down Beat février 1955
Ella Tells of Trouble in Mind Concerning Discs, Television, Nat HENTOFF, TrA

 

D’abord, si on donnait une chance à notre musique à la télévision et sur les grandes ondes, vous seriez surpris du nombre de personnes que ça intéresserait. (...)

Ceux qui contrôlent les médias font au plus bas niveau. (...)

Je suis persuadé que si on leur proposait le jazz et tous les autres arts, les gens aimeraient ça. Mais ils ne le font pas parce que que quand les gens se mettent à réfléchir, c’est de plus en plus. Le jazz est une chose vraie, la vérité est puissante. Mais ils ne veulent pas la vérité - pas quand ils peuvent faire autrement et pour le seul but de gagner le plus d’argent possible. Alors ils disent « Le jazz est trop difficile à vendre. » (...) Mais ils peuvent tout vendre, tout emballer et tout commercialiser.

Lee MORGAN (1938-1972), tp/comp,Down Beat février1970,

Le jazz peut se vendre, Joe GALLAGHER, TrA

Et, dans les années 80, un point de vue nostalgique, discutable dans son sectarisme, mais sans appel :

Beaucoup de gosses ne sont plus en contact avec la musique. Les médias - je parle de la radio et de la télévision aux Etats-Unis - sont les pires criminels. Si ce n’était que de moi, je ferais sauter toutes les stations de radio et télévision exceptées les radios publiques et celles de jazz. Toutes les autres ignorent complètement la tradition du jazz et font entendre aux jeunes rock, disco, punk et funk, de quelque façon que vous classiez ces trucs. En majorité c’est bon pour la poubelle.

La société américaine néglige réellement la communauté du jazz et l’accent est mis sur le commerce et le fric (...)

Les médias ? Oubliez-les ! Personne dans les médias ne se préoccupe d’éduquer les gens et de leur transmettre la vraie culture et l’héritage. Tout est : « Joue funky, remue-toi, et par ici la monnaie. » J’en suis malade. Je m’en veux d’être aussi négatif dans cette conversation, mais c’est ce que je pense en voyant ce qui se passe.

Frank FOSTER (1928), sax/comp/arg, The Independant, 1983, Steve Voce, TrA

Les revues spécialisés - en kiosque ou underground - et les sites internet (développer)

La critique spécialisée a traditionnellement tenu pour le jazz une place particulière, entre musiciens et publics, différente de celles des grands médias relativement à la variété, à la pop-music ou à ses variantes actuelles.

Dans le monde du jazz, la musique est confrontée aux critiques avant de rencontrer une audience, et les distributeurs doivent trouver sur qui s’appuyer...

Paul BLEY (1932), Motion features, Simon Hopkins, Dan Hill, TrA

Une partie de la critique de jazz a joué un rôle charnière entre les musiciens, l’industrie du disque et le public. Dans bien des cas, un accueil favorable de sa part était - est encore - une condition obligée pour que les nouveaux musiciens se fassent connaître, ne serait-ce que dans le cercle restreint des amateurs, et donc d’un marché limité, tout du moins à court terme (la politique de réédition des classiques montre que le secteur peut s’avérer rentable sur le long terme).

Le jazz c’est comme ça : il se vend sur le long terme. (Les compagnies) disent toujours que le jazz ne se vend pas, mais c’est un mensonge, parce qu’il se vend, années après années (...) La plupart des Majors font de la promotion un mois, et puis ils la mettent sous le boisseau. Mais elle continuent de vendre. Elles savent qu’elles pourront vendre pendant 10 ou 20 ans. Alors elles ne font rien pour étendre l’audience. (...)

Par exemple... les albums de Coltrane se vendent de plus en plus avec le temps... ça doit rapporter un paquet... j’espère que les héritiers de COLTRANE reçoivent l’argent. Parce que je connais beaucoup d’artistes qui sont réédités, encore réédités, et qui ne touchent rien.

Lester BOWIE (1941-2000), tp/comp/cond, Blue Lake Radio, sept. 1998, Lazaro Vega, TrA

La cotation des disques, part essentielle des revues mensuelles, a pu favoriser ou limiter la connaissance de certains groupes ou musicien(ne)s, dans d’importantes proportions.

La critique a donc acquis un pouvoir dont elle a pu user sans trop de limites, avec discernement autant qu’en commettant des injustices, réparées ou non sur le tard.

Le corps culturel a pour fonction d’attribuer les valeurs aux productions. C’est cette prérogative, ce pouvoir , dont il tire grand orgueil et qui pousse tant de personnes à y prendre rang. Il prend position de magistrature de commissaires-priseurs ; de ses appréciations dépendra la répartition des prestiges et des profits : il faut d’ailleurs avoir bien présent à la pensée que les hauts prix découlent des prestiges et les prestiges des hauts prix ; si bien qu’il y a intime collusion entre le corps culturel et celui des marchands. Culture et commerce marchent main dans la main. On ne détruira pas l’un sans détruire l’autre.

Jean DUBUFFET, (1901-1986), peintre, Asphixiante culture, 1968

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