- 6ème interlude : difficultés méthodologiques

Sources

S’est posé, pour écrire cet essai, un problème d’accès aux sources. Au delà d’une certaine quantité d’informations la possibilité de les exploiter sortait des dimensions d’un travail amateur : ne cernant plus on ne discerne rien. Je reste persuadé que des moyens d’investigations conséquents, une étude plus systématique des archives existantes, permettraient, retenant les mêmes critères, de renforcer mes thèses. La masse de documents disponibles est infinie comme la tâche qui prétendrait en épuiser la richesse.

J’ai donc fait, pour ne pas m’engager dans un des recherches interminables, avec ce que j’ai trouvé... et des sources très variées : interviews dans les revues françaises de jazz, biographies de musiciens, livres sur le jazz, sites et pages internet particulièrement américaines, sites de musiciens, archives universitaires etc... A ma connaissance, un tel corpus de citations n’a jamais été présenté. Les lecteurs français y découvriront de nombreux inédits et j’espère quelques surprises.

Par souci d’équilibre et pour leur rendre hommage, je voulais faire figurer ici les créateurs importants du jazz. Les limites imposées à mes recherches, la nature des propos qu’ils tenaient dans les interviews que j’ai trouvées, n’ont pas toujours permis de leur donner la place qu’ils auraient mérité, celle qu’ils ont eue dans cette musique. Les musiciens les plus anciens n’étaient pas portés comme à la réflexion sur la musique devant un micro. Les questions que leur posaient les journalistes aboutissaient souvent à quantité d’anecdotes truculentes, à des témoignages précieux sur le plan historique ou biographique, mais plus rarement à des réflexions approfondies. Ceci ne signifie en rien qu’ils en manquaient. Et puis un musicien n’est pas obligé de parler... On ne verra donc dans la fréquence d’intervention des uns ou des autres qu’une conséquence de ma méthode et de la faiblesse de mes moyens.

C’est ainsi que manquent à l’appel de grands anciens, par exemple : Leon Chew Berry, Charlie Christian, Fats Waller, Art Tatum, Oscar Pettiford, Bud Powell, Herbie Nichols, Clifford Brown, Wilbur Ware, Scott LaFaro, Henri Grimes... De nombreux français avec de gros regrets : Jean-Jacques Avenel, Siegfried Kessler, Bernard Vitet... et la jeunesse montante sans trébucher, mais elle a tout le temps pour figurer dans les livres.

Questions / Réponses

Comme le remarquait avec délicatesse Lucien Malson, la façon de poser les questions peut influencer fortement l’orientation des réponses. Plus risquée encore, ma méthode consistant à couper des extraits. Conscient de la difficulté, j’ai néanmoins fait le pari que la déontologie impliquée par mon sujet comme mes critères thématiques de sélection, par le choix de passages suffisamment explicites, non trahis par l’isolement de leur contexte et dépassant la courte formule, me permettraient de faire surgir de tels propos d’interviews des réponses à la quête de l’éthique, tout en m’efforçant de respecter ce qu’avait voulu dire le musicien, pour peu qu’il fût sincère, mais ça.... J’ai repris si nécessaire la question posée ; indiqué l’année si possible.

Il m’est apparu rapidement que des extraits choisis de façon thématique mettait en lumière, du fait de leur confrontation, certains propos, en leur rendant un poids de sens qui peut passer inaperçu à la première et souvent unique lecture, celle que l’on fait au moment où l’on achète une revue ou un livre. C’est donc une invite à les lire ou relire (les écouter et les entendre) peut-être, autrement.

Déformation congénitale ?

Sur le fond, mon ouvrage est entaché d’un défaut de fabrication. Il est lié à son objet, ou plutôt à l’étroitesse de mon point de vue : le lieu d’où je parle est celui du jazz, du plus profond qu’il m’est donné de connaître cette musique.

Le fait d’aborder avec autant de prétention un champ aussi vaste, en partant du jazz, met celui-ci en position centralisatrice, par rapport aux autres musiques afro-américaines ou comportant des origines africaines, celles des Iles (les Antilles-Caraïbes mais d’autres aussi dans le Pacifique et l’Océan Indien), de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud.

Il est clair que cette position tend à minimiser l’importance musicale du Brésil, de Cuba, des Antilles et des Caraïbes etc... à les mettre en orbite autour de... à recréer un « centre », là-même où l’effort prétendait l’éviter. Un travail plus sérieux devrait donc embrasser la globalité de ce que produit la rencontre entre les sources africaines et le reste du monde, dont l’Occident.

Je veux encore me défendre de ce défaut.

D’abord en soulignant que le jazz a sans doute été historiquement le premier à faire un certain nombre de choses, dans sa genèse comme dans la force et l’étendue de son impact. Ce point peut justifier qu’il tienne dans la réflexion une place paradigmatique. En plus des aspects largement discutés dans cet ouvrage, il possède musicalement une souplesse qui lui permet d’accueillir toutes sortes d’influences, ce qui n’est pas nécessairement le cas de musiques trop typées rythmiquement. Il peut prendre ainsi de nouvelles formes sans cesser d’être lui-même.

Un second argument, pour cette place centrale accordée au jazz, réside dans le fait qu’il naît au coeur du système occidental, dans le pays le plus « avancé », qui le demeure aujourd’hui. D’une part, les Etats-Unis, de par leur position économique et culturelle dominante, ont pu faire bénéficier le jazz d’une force de frappe pour sa diffusion internationale, ce qui rejoint mon premier argument. D’autre part, le jazz aux Etats-Unis a été confronté au plus grand écart culturel, économique, idéologique et éthique possible en un lieu unique, plus que tout autre musique afro-américaine.

Enfin, ce défaut, même atténué d’arguments de dernière heure, je ne peux que le reconnaître et l’assumer : le jazz est ma famille. Les autres sont des amis venus plus tard, et je les connais mal. C’est la faiblesse d’un amateur de jazz indéracinable...

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