« A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. » MARX
. Toute théorie communiste (y compris la plus antihumaniste) repose sur une foi (en l'homme ?) Impro 10 février . Pour changer les individus, le combat communiste, 14 janvier L'individu dans la communisation, un point de vue poétique, 12-14 janvier
. Communisme, double mouvement réciproque, 23 décembre
. Communisation, militantisme, parti, une vague de vagues réflexions 21 décembre 2011
. Pour l'individualité communiste (notes) 19 décembre
. La communisation entre théorie et idéologie 21 novembre
. L'utopie communisatrice du communisme comme état, ou le ver dans le fruit de la théorie communisatrice 18 novembre
. Divagations brouillonnes et sans preuves sur le communisme 7 novembre
Communisation, troisième courant, octobre 2006
3 mars
Je ne diffuse plus mes textes sur le communisme, étant donné que si je partage naturellement l'idée que la lutte de classe conduira dans la crise du capital à l'impossibilité de le reproduire, je ne crois pas qu'un processus dit de communisation débouche sur quelque chose de mieux en soi. Le dit communisme ne sera qu'une autre forme de lutte entre les humains, avec ses avantages pour les uns, ses inconvénients pour d'autres. Il serait hasardeux de considérer que ces uns seraient meilleurs et plus nombreux que ces autres. À titre personnel, je ne suis ni pour ni contre, on ne peut être contre l'histoire; dans la mesure où je ne suis pas concerné, je me fais un devoir de ne pas prendre parti pour d'autres (il faut quand même savoir que la majorité des tenants théoriques de la communisation sont des planqués de et dans la société capîtaliste). Au nom du bien de l'humanité s'annoncent de nouveaux massacres de masse, dans tous les camps. L'assaut du ciel, merci.
Communisation : une nouvelle mythologie pour un nouveau parti communiste ?
Il me semble qu'un problème majeur de la théorie communisatrice, c'est qu'elle n'a pas éradiqué sa dimension mythologique, même dans sa critique du programmatisme ouvrier marxiste. N'est pas questionnée la possibilité que la lutte de classe dans la crise de reproduction du capital débouche sur autre chose qu'un vague "communisme". C'est le choix a priori de la ligne historique unique.*
* À Marx est repris le "paradigme prolétarien", comme disait Christian Charrier, qui renverse le communisme humaniste des jeunes hégeliens (dont le jeune Marx), et semble donc abandonner son caractère de religion terrestre (Feuerbach, pour simplifier). Théorie communiste avait raison de faire remarquer à Charrier qu'il avait besoin de cette théorie pour parler du communisme, alors que moi, je ne vois plus pour l'adopter que des raisons de caractère religieux (la religion des prolétaires qui s'abolissent), ce qui n'empêche toute foi d'avoir des fondements terrestres. Il n'y a strictement rien dans TC qui porte à trouver plus probable une issue communiste que n'importe quoi d'autre, à part le fait que TC ne se pose que la question de cette issue, ayant fait ce choix a priori, et pris son parti de la communisation. Le fait que cette issue ne fasse l'objet d'aucune définition positive en dehors de son mouvement même - plus héraclitéen que marxien, cad sans dépassement dialectique autre qu'hypothétique - écarte certes une forme d'idéalisme, mais pas celui d'être posé au départ comme issue.
Tout se passe comme si le communisme était posé comme devenir obligé, la seule question étant comment y parvenir. Or d'autres modalités d'"échanges" en tant que "valeurs" ne sont pas moins probables qu'une abolition de la production pour la valeur capitaliste. C'est pourquoi le travail de Bruno Astarian est utile, parce que tant qu'on ne sait pas exactement ce qu'est la valeur, au-delà même de sa production sur la base de l'exploitation capitaliste, on n'a pas de raison de supposer que toute "valeur" sera abolie d'une façon générale, étant donnée que celle-ci n'est pas stable historiquement (la valeur dans le capital est liée à son accaparation et sa reproduction plus grande).
Admettons que la valeur capitaliste soit abolie y compris comme valeur d'usage, on ne doit pas écarter l'apparition d'autres formes qualitatives de "valeurs", liées à la nécessité de satisfaire tels besoins. Par exemple tel médicament ayant pour "valeur" de soigner telle maladie, on le "produit" pour ça et on l'administre à qui en a "besoin". On est même conduit à envisager des formes d'"échanges" et de répartition nécessaires à la vie collective satisfaisant les besoins de tous et chacun.
Ayant enfermé les mots dans leurs concepts capitalistes, une fois qu'on a assené "plus de valeur, plus de produit, plus d'échange, etc." on en interdit pratiquement l'usage, c'est-à-dire la pensée au-delà de la définition adéquate à la société capitaliste qu'on en a donnée, donc on ne peut rien en dire... Tant il est vrai que ceux qui iront au paradis, en admettant qu'ils aient des besoins, seront tous sauf égoïstes, et que les besoins se satisferont pour tous et chacun sans mesure de quoi que ce soit. Par exemple combien de tel médicament... L'égoïsme étant aboli sur la base de l'égoïsme, les égoïstes iront d'eux-mêmes en enfer. (par exemple ceux pour qui on aura pas assez "produit" de tel médicament). Gentillement, car on aura aboli la police (les anges de la route du futur) - faut pas déconner, camarades, on est quand même un peu anar, alors on va quand même pas investir dans une police communisatrice. Et plus simplement, dans toute situation historique, il y a les bons et les méchants, et la fin des bons justifie la fin des méchants. C'est comme ça. Comme ça ne s'abolit pas.
Les bons, c'est la partie des prolétaires qui optera pour la communisation, partie qui se constituera de fait peu ou prou en parti communiste au sens du Manifeste, comme l'ont engagé les tenants de la revue Sic, comme annonce du parti des prolétaires communisateurs. Dans la mesure où la communisation relève et dépend de leur engagement, on ne saurait leur reprocher d'en être partisans. Ce qu'on peut remarquer, c'est qu'ils créent un parti de communisateurs après en avoir nié la nécessité, en avoir théorisé la nuisance et la confrontation à son échec; ceci sans s'en expliquer, comme honteusement (c'est une affaire "interne", parce que les communisateurs, en plus d'un journal inter-national, ont aussi un internat, pour éviter de s'auto-organiser). Et si le parti ne relève pas de cette nécessité, pourquoi alors le faire ? Souhaitent-ils être confrontés à leur échec ? Faut-il leur souhaiter de réussir ?
28 février
Lavement de cerveau : la théorie communiste comme supercherie
Les systèmes philosophiques et autres théories sont des grilles d'interprétation du monde qui empêchent de saisir le réel sous toutes ses coutures. C'est comme si l'esprit enfilait une armure ou un scaphandre, à vision étroite et unilatérale. Avec une telle visière (plutôt une visionneuse avec filtre), on ne peut plus penser, ni lire, ni écrire, sans que les choses soient déterminées à l'avance, en dehors de soi et de sa faculté de jugement ou de création. On devient manchot du cerveau. J'ai voulu me défaire de ça, m'inventer sinon un regard neuf, du moins m'alléger les paupières, faire respirer mon regard, ma pensée.
Conséquemment j'ai masqué la totalité des parties de ce site qui abordaient la question communiste, considérant que ce que j'en écris serait mal interprété, et en tout état de cause, inutile à prétendre changer quoi que ce soit chez tous ceux pour qui le communisme est d'abord, bien qu'ils s'en dédient, une religion. D'une façon générale, toute personne ayant accepté un certain cadre pour en interpréter un autre, ou telle considération hors système, le fait à partir de son système de coordonnées, ce qui induit d'emblée, sinon une erreur de lecture, un rétrécissement du point de vue qui exclut toute pertinence voire tout intérêt à ce qui n'en relève pas, qu'il s'agit de dénier ou d'écarter. On parvient ainsi à un tel dessèchement que l'on en finit par ne plus trouver d'intérêt à aucune élaboration intellectuelle n'entrant pas strictement dans son champ d'analyse et à aucun événement ne l'alimentant pas. Il est clair que la lutte de classes détermine essentiellement le devenir du capitalisme, mais pas l'ensemble des relations humaines et encore moins le devenir du monde. Pour ce qui la concerne, il est parfaitement inutile et contradictoire de considérer le communisme comme mouvement d'une abolition tant que celui-ci ne produit aucun dépassement, et parallèlement illusoire de considérer que ce dépassement même achevé déboucherait sur le communisme comme communauté humaine, défini comme tout sauf ce qui caractérise le capital, soit rien qu'on ne puisse dire. Cette ambiguité terminologique est consubstancielle à l'héritage marxiste considéré comme matérialiste, alors qu'il relève du plus pur idéalisme, ce que démontre l'articulation logique de cette double signification par sa tautologie nominatrice débouchant sur le vide. C'est une théorie qui ne sert à rien, ou plutôt qui sert à ne rien comprendre qu'à travers elle comme vérité totalisante, alors qu'elle est si partielle et réduite à une observation si limitée. Une théorie donc qui ne sert qu'à ses adeptes, soit à constituer le parti pratique de ceux qui théorisent la nuisance de parti. Une fois défini par cette théorie, le concept de communisme est ce qui nuit le plus à l'élaboration d'une théorie du dépassement du capital. Il en résulte cet état des lieux : il n'existe de cette théorie communiste que la supercherie. Une bonne solution, un bon départ consisterait à élaborer un nouvelle théorie communiste sans le mot communisme, pour voir...
25 février
Notes sur Théorie communiste : eau glacée pour douche froide
Je distinguerais, dans Théorie communiste, l'œuvre de Roland Simon et de ses amis, trois dimensions : 1) l'histoire du mouvement ouvrier, comme celle des luttes de classes qu'il mène, mouvement dit du communisme contre le capital 2) la périodisation du capital comme (critique de l') économie politique, et l'analyse du capitalisme post-moderne depuis la fin des années 60 3) la théorie de la révolution comme communisation, où semble maintenu le concept de communisme comme état futur de l'humanité une fois garantie la victoire sur le capital, abolies la valeur, les classes, l'argent, etc.
L'ambition de Roland Simon dépasse celle de Marx, excusez du peu, puisqu'il entend maîtriser et expliciter tout à la fois critique du capital existant, perspective de son dépassement communiste, et distanciation méta-théorique quant à sa propre posture théorique, prétendue échapper à sa philosophie de la représentation. Marx est peu disert sur sa dialectique, in fine plus fine que s'il l'avait enfermée dans une méthode. R. Simon s'y noie bavardement en grand mécaniciste structuro-dialectique. Où Marx est complexe mais simple, Simon est compliqué et quasi-illisible - on ne peut le lire qu'une fois qu'on l'a compris, et réciproquement. Je me souviens d'un brave instituteur de banlieue qui lui proposait naïvement de le récrire en français pour tous, ce qui est naturellement impossible, tant le style, c'est l'homme, et de ce point de vue, Herr Simon est, plus qu'un théoricien profond, un écrivain raté, en tout état de cause incorrigeable. Toute sa profondeur est de fait factice, trompeuse, auto-fabriquée, comme celle, au demeurant, de Debord. Ce qui apparaîtra de ces deux charlatans, du moins pour le second dans la mesure où il faudrait d'abord que le premier soit connu pour mériter d'être critiquable, c'est leur extrême simplification des rapports entre les êtres, entre les choses. Debord s'est trop intéressé à lui-même, Simon pas assez préoccupé de ce que sa posture marquait sa théorie. En commun, il savent mais ne veulent pas entendre que toute théorie systématique s'exerce en vain à transformer le réel. Ils n'auraient pu satisfaire qu'eux-mêmes, mais leur bonheur fut de tromper l'ennui de quelques autres. On en viendra à considérer un jour Debord comme un fumiste de génie, avec un style décalé de deux siècles, comme il se devait nostalgique pour venger son origine sociale, qui l'a rattrapé jusque dans la mort et la publication chez Gallimard - retour du refoulé, une fin de petit-bourgeois, chez l'ennemi. À quoi Simon échappera, faute d'avoir corrigé ses fautes de frappe, et de tenir modestement pour honteux de faire des adeptes. Il n'y a rien de tel pour juger de la valeur de la pensée de Herr Simon que de considérer ce qu'en font ses héritiers directs, non parce qu'ils la déforment, mais qu'ils la rendent à la simplicité de ce qu'elle implique dès qu'elle sort de son strict langage : Bernard Lyon, Léon de Mattis, tel leader grec du courant communisationniste... Théorie communiste étant un fantasme d'historien voulant écrire l'histoire avant qu'elle n'ait eu lieu, il est logique qu'elle mobilise qui se sent appelé (au sens Jeanned'Arcien), en acteur décisif, à faire son temps.
Mon erreur fut de ne pas avoir su discerner, dans ce qui se présente comme un tout dont rien ne peut se détacher sans le remettre en cause, la pertinence respective de ces trois dimensions. Le 1) et le 2) souffrent peu de critiques quant à leurs résultats, ils parlent du passé et du présent avec la plus grande perspicacité sur ce qui s'est passé, sur ce qui se passe (Que se passe-t-il ? comme question première tant de la théorie que de la littérature). Le 3), contrairement à ce qui est soutenu, n'est qu'en apparence déduit des autres d'un point de vue matérialiste. S'y introduit l'idée que le communisme, comme mouvement de la lutte de classe identique au cours de l'économie politique serait, avant même d'avoir "franchi le pas", mouvement d'abolition, nécrologie du capital, selon la belle formule de Marx, adéquate au programmatisme ouvrier. Et toute cette dimension repose sur la foi en la production d'un dépassement qui ne s'annonce que pour ceux qui y croient, et qui en font un choix militant. Cette conception du communisme est très différente de celle de Marx, en ce qu'elle inventait le programmatisme ouvrier, le communisme comme projet, avec des étapes historiques "prévisibles" en son temps, et autant de variantes qui ont suivi, des plus étatistes aux plus anarchistes. L'effondrement de cette conception (la "décomposition du programmatisme" sur la base de la disparition de l'identité ouvrière de classe) conduit ceux qui maintiennent la perspective de la révolution communiste (visant le communisme comme état au-delà de la destruction du capitalisme et de sa société, sans quoi leur combat n'aurait aucun sens), à franchir un pas ni plus ni moins idéaliste, religieux, fondé sur une foi en ? va savoir, les hommes et les femmes qui se cachent derrière le prolétariat qui, n'ayant rien à perdre, ferait le bien de tous et toutes. Le communisme est essentiellement une religion humaine du "faire le bien de tous". Bien sûr, toutes les précautions semblent prises pour ne pas dévoiler cet idéalisme fondateur, "ne pas faire bouillir les marmites de l'avenir", qui se résoud en "on ne peut rien dire positivement du communisme comme état, c'est hors de notre vue". La révolution n'est donc qu'un sa(l)ut dans l'inconnu, défini à grands coup de concepts, tels "l'immédiateté sociale des individus", l'abolition du genre assignant socialement hommes et femmes... Il se pourrait donc que Théorie communiste ait élaboré, non la meilleure théorie, mais la meilleure théologie communiste. Théorie communiste, paradoxalement, en poussant à l'extrême la détermination structuraliste de la lutte de classe dans une dialectique à résolution positive, administre la preuve que le communisme est une foi, qui n'engage que ceux qui y croient. C'est grâce à la rigueur particulière de Théorie communiste parmi les autres théories, qui sont des fois moins pures, que j'abandonne le communisme en tant qu'il est une religion.
Il est assuré que mettant en cause le réalisme de la perspective communiste elle-même, on ne peut devenir qu'un traître défroqué voulant détruire à tout prix ce qu'il a adoré, ne s'en prenant aux autres que par remord et pour atténuer sa responsabilité. Cela est de peu d'intérêt, et cela passe. Les tergiversations de mes critiques dans la période récente ne font que masquer mes oppositions de points de vue - être d'accord ou pas, et pourquoi - avec des réponses contradictoires, mais qui relèvent en fait d'une même question des plus conséquentes : y croire ou pas ? Pour "franchir le pas"*, il faut être touché par la grâce du théoricien, qui n'en manque pas, mais cela relève de la conversion, ou d'autres liens auxquels pour mon bonheur j'ai échappé.
* Je dirais de plus que "franchir le pas" est tartuffement polémique, car il n'y a du point de vue même de cette théorie qu'un seul pas à franchir, celui de communiser concrètement, dont l'heure n'est pas venue. "Franchir un pas" théorique en acceptant de poser telle question à quoi tout se résumerait - question au demeurant qui ne renvoie qu'à sa vacuité de n'être qu'une question... - c'est déjà sortir de la théorie, pour se plier à une injonction, celle de ne plus penser. Tout ça pour une question ? Certes, c'est mieux que de prétendre à une réponse, qui ne saurait être que pratique. Mais le pire résultat de Théorie communiste, c'est d'empêcher de penser et d'aboutir en entonnoir à cette question impensable théoriquement, ou seulement théoriquement ce qui revient au-même, parce que déjà hors de, au-delà de la théorie. Une question qui n'aurait, pour autant qu'elle se vérifierait comme la seule bonne à quoi tout se résumerait, qu'une réponse pratique quasi indépendante de ladite théorie. Le problème c'est de laisser entendre que la question s'accompagnerait déjà de réponses incontournables, de résultats tangibles alors qu'ils n'existent que dans leur imagination, qu'ils sont de nature religieuse, et c'est le pas sectaire qu'a franchi Théorie communiste en créant la revue Sic. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle s'y retrouvent réconciliés les "théoricistes" et les "activistes", cette histoire d'amour entre moines copistes et moines-soldats, qui avait produit la revue Meeting et sa dissolution de ménage où le troisième, les autres, dont je fus, ne pouvaient qu'être figurants, spectateurs, faire-valoir. Le pas, en arrière, qu'ils ont franchi en commun, c'est de ne plus considérer comme vitale l'expression des désaccords, et de renvoyer ceux qui n'en sont pas de l'autre côté d'une fracture dont ils seraient responsables (je pense à Bruno Astarain, à TropLoin, plus qu'à moi, vu que je me détache de tous dans un scepticisme sans intérêt pour ceux qui ont besoin de croire - l'Eglise n'a que faire d'un athée convaincu de l'inexistence de Dieu, d'autant qu'il s'est auto-excommunié. Si Dieu existe, grand bien leur fasse). Bref, le pas franchi par Théorie communiste porte un nom : opportunisme militant, esprit de parti, prosélytisme...
Entendons-nous bien, je vois toutes les raisons pour que la civilisation capitaliste soit dépassée historiquement, je considère que Théorie communiste les cerne bien, mais aucune pour que ce soit par quelque chose de meilleur, dont communisme serait le nom.
Après tout, si le communisme ne pouvait se réaliser qu'en tant que produit par une religion de masse (d'une idéologie, dépassant des conditions qui la produisent, pour franchir le pas), pourquoi pas ? La subjectivation révolutionnaire, pour dépasser la destruction du passé, ne se réduira pas à résoudre des difficultés concrètes de survie dans le chaos. Ceux qui auront acquis ou préservé un petit quelque chose, se disant communistes ou pas, se battront pour le conserver - ils auront retrouvé quelque chose à perdre autre que leurs chaînes, et ils échapperont à la nécessité de réaliser leur mission prolétarienne au-delà d'avoir aboli pour eux le passé - la différence ne pourrait se faire, entre supposés communistes et non communistes (prolétaires jusqu'au-boutistes et les autres, à suivre ce schéma communisateur comme plus valable que celui de Bruno Astarian, qui appartient mais de façon moins pure au même champ religieux), non sur la base de leurs intérêts propres, mais sur leur capacité à les dépasser, qui ne relève pas d'un fondement matérialiste, de conflits d'intérêts égoïstes antagoniques, tel qu'ils sont le moteur de l'histoire, mais de vertus morales. Aucune morale ne faisant l'histoire, le plus probable est un nouveau moyen-âge humain.
Le fondement du communisme est moral, humaniste si l'on préfère, et Théorie communiste n'en est sorti qu'en apparence, en refoulant cette dimension. De la même façon que Marx croyant en la société communiste n'a renversé Feuerbach et les utopistes qu'en apparence et provisoirement, Roland Simon n'est pas moins religieux que Louis Althusser.
Maintenant, un choix serait à faire, entre être absolument irreligieux et donc abandonner la perspective communiste, ou la préserver, comme croyant. Encore faudrait-il retrouver cette foi... peut-être y manque-t-il une pratique, laquelle ? Une expérience alimentant la dynamique d'un combat ? Et donc un pari pascalien. Pour l'heure, rien ne s'annonce de ce genre à mes yeux. Je vois un "milieu", un parti communisateur de croisés de la théorie et de l'activisme - quasi bordiguiste à son insu -, aucun communisme à attendre particulièrement de luttes strictement ou pas prolétariennes. Je préfèrerais qu'il en soit autrement, mais cela reste hors de ce que j'ai sous les yeux. Qu'on me voit désolé d'être si mal "préviseur", il n'y a rien à attendre.
PS : Mon petit doigt me dit que je ne suis pas le premier des compagnons de route de TC à avoir déserté, mais qu'aucun n'a voulu avouer ses véritables raisons, pour éviter la honte de ne plus être considéré comme un camarade par son abandon de l'idéologie communiste, ou pour maintenir des relations d'un autre ordre, dont j'ai la chance de m'être préservé.« L'unique moyen de sauvegarder sa solitude est de blesser tout le monde, en commençant par ceux qu'on aime.» Cioran, De l'inconvénient d'être né, œuvres p.1332
10 février
Toute théorie communiste (y compris la plus antihumaniste) repose sur une foi (en l'homme ?) Impro
« La morale du livre me semble contenue dans la phrase de Bouvard : « La science est faite suivant les données fournies par un coin de l'étendue. Peut-être ne convient-elle pas à tout le reste qu'on ignore, qui est beaucoup plus grand et qu'on ne peut découvrir. » Bouvard et Pécuchet (Flaubert) vus par Guy de Maupassant, Le Gaulois, 6 avril 1881
Si le communisme est défini comme mouvement d'abolition de l'état présent *, il n'existe rien sur quoi s'appuyer pour en déduire la production d'un dépassement positif. Parler d'abolition du capital, des classes, etc. se résoud logiquement aussi bien en destruction totale**, qu'en franchissement d'un pas vers autre chose, la positivité d'un monde post-capitaliste. Dit autrement, la théorie communiste ne prouve pas qu'autre chose n'est pas rien. Rien de positif. C'est pourquoi la théorie de la communisation est assise, au départ, sur une foi première, le communisme comme état, dont la théorisation devient produit d'un dépassement, et même s'il se refuse à l'être car refoulant son idéalisme, objectif (état) au bout d'un chemin (mouvement). L'idée de la contradiction (le communisme comme lutte de classes) ne prend de sens, n'arme une volonté voire une foi - des idéologies théoriques comme besoin pour agir des masses - que par sa résolution (un dépassement en autre chose), et qu'elle ne soit pas la négation de la négation hégelienne, qu'on sorte d'Hegel prétendu remis sur ses pieds par Marx, cela n'y change rien. Cela n'en fait pas pour autant un déterminisme, car ce n'est pas au bout qu'est le problème, dans sa visée comme projet, programme, c'est au départ qu'est le ver dans le fruit. À voir quel ver, mais ver à foi, voire si c'est un ver, si c'est une foi. La posture théorique du théoricien communiste présuppose à mon avis sa foi communiste, dont on peut dire, comme un mien professeur de math : « La veille du concours, priez, on n'a jamais démontré que ça ne servait à rien ». Le communisme théorique relève d'un pari pascalien en boulot de Sysiphe.
Il ne suffit pas de critiquer le paradigme prolétarien (le "syllogisme marxien du prolétariat", Christian Charrier, La Matérielle, 2003, Notre époque), le défaut lui est antérieur, plus profond. On peut même (Charrier encore) s'attaquer à Théorie communiste comme système, mais c'est en vain, car la question n'est pas de trouver au système une erreur interne, un défaut de cohérence, et peu importe qu'elle existe ou pas, qu'on la corrige ou pas, ou que la cohérence existe entre le système et la réalité, car en réalité ce n'est que partie de la réalité, et d'une réalité que le présent ne contient pas. Pas encore. L'erreur de tout système, c'est d'en être un. Qualifier de "théoriciennes" les luttes, pour s'en proposer la formulation spécifiquement théorique, puis la considérer comme "détermination objective" de l'histoire en cours, ce n'est qu'une pirouette, à se demander si ces magiciens, qui ne manque pourtant pas d'un génie on ne sait d'où sorti, croient vraiment à leurs tours de magie. S'ils n'ont pas une case en moins. Certes, le capitalisme est un système, et sa critique doit être à la fois systémique et systématique, mais son dépassement, lui, ne l'est pas, ne peut l'être, ne doit pas l'être, car tout système révolutionnaire se produit comme le contraire du même. Le contraire d'un système est un système. La seule question est comment faire pour en sortir. Et l'on en sort, je me répète, qu'en produisant dialectiquement la contradiction de classe (une histoire de système, de structure) en problème pour l'individu, les individus. Sur cette question, Bruno Astarian est plus fécond que Roland Simon, mais pour le voir, il faut cesser de mesurer toute idée différente selon ses propres coordonnées, en l'occurrence depuis la grille de lecture triant entre humanisme essentialiste et prolétarisme suicidaire (toutes proportions gardées, "Einstein contient Newton" n'est pas réciproque).
Une théorie, par définition, ne peut produire le dépassement qu'en abstraction. Une théorie communiste ne peut dépasser le mouvement de la contradiction qu'elle décrit, c'est pourquoi elle a raison de se reconnaître comme théorie du communisme en tant que mouvement, et non théorie du communisme en tant que produit de ce mouvement. Pourtant, si l'on veut bien lui accorder de ne pas se réduire à sa dimension esthétique, voire ludique (théorie du jeu du capital, comme Axelos parlait de "jeu du monde"), elle n'existe que portée par une foi, ou, à tout le moins, pour autant qu'elle ne sombre pas dans le moralisme propre aux militants, une éthique. Sinon comment expliquer que les communistes de toutes chapelles, qui les largue, le considèrent comme hérétique, pauvre hère étique ? Quelle que soit leur ardeur théoricienne, ils n'ont aucune possibilité de rester sur un terrain strictement théorique, du moins si l'on entend par là a minima matérialiste, car leur fondement est religieux, et le regroupement leur vaut église. C'est leur croix. Chacun la sienne, mais qu'ils la portent.
* « Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'idéologie allemande
** d'où la tentation nihiliste, d'utopie négative, qui hante Théorie communiste, "Tout ce qui existe mérite de périr" - détournement par TC, via Marx, du Faust de Goethe.
PS : On savait qu'Althusser était un curé défroqué refroqué par le crime dans la folie, mais jusque-là, aurait-on pris pour un saint Simon ?
2 février 2012
Parler de communisation au présent
Naturellement, je suis moins que personne indifférent à l'histoire. Le présent en est le produit. D'un passé. Mais qui n'est pas à ressasser. À repasser les plats, réchauffés. De socialismes... d'anarchismes... d'ultra-gauches et de "notre histoire", et même de "communismes". Nous sommes moins que ça attachés aux mots, plus que cuits sur la poêle téfal des concepts, plus que free à se sentir à poil, rois nus de la liberté devant l'avenir, qui nous appartient, évidemment, comme toujours d'habitude. La principale force productive - faire des gosses à exploiter - engendre aussi sa destruction - c'est pourquoi, dans la mesure où le capital s'en occupe à un rythme accéléré, les amateurs de communisation feraient bien de manipuler avec précaution leur prétendue envie de tout détruire (depuis la table rase de l'Internationale, ça fait bien chez tous les prétendants révolutionnaires, le travail du négatif etc. une sorte de surenchère à qui sera le plus destructeur, au point qu'on n'en discerne plus le nihilisme. Que l'idée en vienne aux plus désespérés, aux plus socialement suicidaires, on le comprend, que cela puisse être un mot d'ordre à prétention théorique, c'est calamiteux, car pour l'heure, il n'y a qu'en théorie qu'on puisse y lire la dialectique d'un dépassement positif, communiste).
Toute l'histoire est notre histoire. Mon histoire. Quelle prétention à avoir vécu, connu, quasi bibliquement, ceci ou cela, privilège de l'âge, de la rencontre ou de la situation ? Le présent, il est entièrement là, il nous provoque étant le même pour tous, s'imposant à tous à chacun. Différent selon mais le même. Face et pile d'une guerre sociale. C'est de cela que nous parlons. Que nous partons. C'est pourquoi j'ai effacé, sans le nier, tout ce que j'ai appris, connu, tout ce dont je pourrais me recommander d'un savoir, d'un "si jeunesse savait, si vieillesse pouvait". La jeunesse sait et peut plus que tous les semblables de ma génération. Du moment qu'elle y est poussée. Qu'elle le veut. Qu'elle en a envie. L'envie, c'est ce dont je me sens menacé de manquer le plus. L'intérêt, s'il n'était que le mien. Qu'il est de moins en moins. C'est qu'il faudrait être toujours plus jeune pour rester jeune, alors que les forces ne vont pas dans ce sens. Plus l'envie manque et plus l'ennui menace. Je ne parle ni du jeunisme qui s'empare des vieux cons, ni de l'indignation perlin-pimpon donnant à la résistance un air de réaction... réactionnaire. Parler de communisme au présent, c'est prendre ses marques, prendre son temps, présent, à bras le corps. Ce qu'on ne fait qu'en le conjuguant au futur, parce que de fait, rien de ce que nous voulons, rien de ce que nous pouvons n'est encore là. Détruire ce qui nous détruit ne demande pas beaucoup d'imagination. Le dépasser, oui.
L'individu chez Marx, De Los Cobos (un ami de la défunte revue L'Oiseau-Tempête, dont certains protagonistes participent aux débats sur la communisation), Thèse de Maîtrise de philosophie, 1997-1998
Je me propose de partir de ce texte pour reprendre certaines questions abordées jusque-là. Pour l'heure, cet extrait, comme quoi nous sommes bien dans une problématique communisatrice, même si elle ne s'exprime pas dans les termes actuels (la thèse a quinze ans et, semble-t-il, ne connaissait pas alors les thèses 'communisatrices').
Le libre développement individuel : processus ou résultat ?
extraits
« Il nous semble possible de déduire de ce que nous venons de dire quelques principes que les groupes politiques engagés dans la lutte révolutionnaire devraient adopter : si ces groupes veulent être des facteurs de dissolution du "Vieux Monde" il faut que, par rapport aux individus qui en sont les membres, ils ne reproduisent pas en leur sein les mécanismes de subordination des individus mis en oeuvre dans les sociétés de classe (que Marx pointe dans L'idéologie allemande). Ainsi un tel groupe doit d'une part encourager l'expression au maximum des singularités individuelles (au plan des besoins, des désirs et des idées) sous la condition que cela participe à une dynamique politique collective où ces singularités s'allient positivement (en une "association libre" d'individus), et non s'excluent ou s'isolent de façon individualiste; et d'autre part ce groupe doit mettre en place (et défendre constamment) les règles suffisantes pour contrer tout risque de division hiérarchique du travail (surtout entre les "intellectuels" et les autres, ainsi qu'entre les "chefs" et les "simples militants") au sein même du groupe.
Dans cette même perspective apparaît également le problème du rapport de l'individu prolétaire à sa classe, durant la lutte des classes. Nous avons montré précédemment que les rapports de tout individu à sa classe était conçus dans L'idéologie allemande comme subordination, assujettissement. Faudrait-il en conclure que selon Marx les prolétaires devraient, selon un violent paradoxe, pour parvenir à une société sans classes en passer par une subordination intense à leur classe (à ses intérêts, ses représentations idéologiques, etc.) : la liberté par la subordination ? Ici encore Marx ne nous donne pas beaucoup d'indications, mais celles qu'il donne suffisent à nous faire comprendre que si le prolétariat est une classe paradoxale c'est dans un tout autre sens que celui-ci. Cette classe est et n'est pas une classe. Qu'est-ce à dire ? Elle est bien une classe car elle correspond objectivement, dans la division sociale du travail, à la catégorie spécifique des individus qui ont à charge le travail et qui sont de ce fait les dominés ; mais elle n'est pas une classe en ce qu'elle ne détermine pas totalement les individus à adopter des besoins, des comportements, des représentations idéologiques et des intérêts particuliers, restrictifs. En effet comme elle constitue la très grande majorité de la société elle est la classe qui " n'a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la classe dominante " , qui n'a pas (comme toutes les classes révolutionnaires antérieures de l'histoire) le projet de renverser la classe dominante pour devenir dominante à son tour ; elle est au contraire porteuse du projet de la suppression de toute subordination des individus, notamment à leur classe. C'est une anticlasse, une classe qui tend à se nier en tant que classe. »
Pour qu'on ne s'étonne pas de cette obstination à creuser l'articulation entre individualité et communisme, dire que le premier théoricien marxiste que j'ai lu, hors quelques extraits de Lénine et Marx, en pécéiste orthodoxe, est "Marxisme et théorie de la personnalité", de Lucien Sève (1969) et que cette question traverse tant ma période démocrate radicale (2002-2004), que mes questionnements communisationnistes (2005-2010), cf COMMUNISATION RESSOURCES CLASSÉES Sommaire des pages détruites en juil 2011). J'aimerais reprendre ces questions à nouveaux frais, sans prétention théoricienne n'en étant pas capable (n'en ayant pas l'envie), librement depuis ma petite expérience, quels qu'en soient les paradoxes. L'enfermement de Sève dans le PCF me semble, avec le recul, encore plus dommageable que celui d'Althusser, dont, à part le souvenir qu'il laisse de son impact dans les années 60-70, sur le gaucho-maoïsme, puis des années 80, sur la dérive post-moderne des restes d'un marxisme pour croyants, il n'y a plus rien à tirer. Que des romans, ce que fait à merveille Jorge Volpi, comme de Lacan, Foucault et Barthes, dans La fin de la folie (les séances de Fidel Castro en psychanalyse lacanienne sont un sommet de littérature, pour les gens de mon âge et environs).
1er février
La révolution sera individualiste ou échouera
(Mai 68) « Le lendemain matin, dans l'un des couloirs de l'École des Hautes études, on pouvait lire sur un panneau, en lettre énormes : " Barthes dit : Les structures ne descendent pas dans la rue. Nous disons : Et Barthes non plus. » [J'ajoute en 2012 : Ni Théorie communiste]. Extrait de La fin de la folie, Jorge Volpi, 2003, Points p.107
Communisation. Je devrais être en mesure de reformuler un semblant de conclusions, d'une part quant aux questions actuelles relatives à l'évolution du capitalisme, son économie et sa crise (une restructuration dans la restructuration est-elle possible ? en d'autres termes une solution du capital à sa crise), d'autre part quant à la lutte de classes (quoi de neuf qui tendrait à creuser l'écart, qu'est-ce qui indiquerait une potentialité des luttes aux limites à les dépasser ?). Enfin, il s'agirait de reformuler les questions proprement communistes, révolutionnaires, en dépassant le stade d'un strict affrontement de classe sans sombrer dans l'humanisme essentialiste, pour intégrer le fait que ce sont des individus pour leur émancipation qui aboliront le capital comme classe, mais dissolveront le prolétariat dans le même mouvement. Effacer le moment individualiste (qui ne relève pas d'une essentialité humaine ni strictement d'une geste de classe), c'est condamner le révolution à ré-inventer une aliénation et une domination des individus par des médiations collectives, seraient-elles nouvelles, qui les dépassent. "La seule question à quoi tout se résume" *, pour Théorie communiste (Franchir le pas TC 23), est remplacée par une autre, en substance, "Comment des individus, agissant comme êtres de classe, comme êtres sexués, pour leur émancipation, peuvent abolir le capital, le genre, et le prolétariat". Nous (re)descendrons concrètement, sans structure ni fantasme de communauté humaine, du ciel conceptuel dans les rues de la communisation.
* « Comment un classe, agissant strictement comme classe de ce mode de production, peut-elle l'abolir et abolir toutes les classes ? »
23 janvier 2012
L'individu prolétaire contre le travail
« Partir de l’individu, ce qui est généralement considéré comme un faux pas méthodologique par de nombreux sociologues, anthropologues et historiens, amène à s’interroger sur la nature des solidarités et exige de reconsidérer les conceptions marxistes du travailleur et de la classe ouvrière. De ce point de vue, la résistance au travail reflète l’individualisme profondément enraciné des ouvriers aussi bien que leur solidarité de classe. Compte tenu que les utopies modernes les plus influentes sont intrinsèquement collectives, l’approche centrée sur l’individu s’oppose, en grande partie, à la perspective utopique originale qui a révélé les résistances au travail. L’importance accordée au particulier fait un peu plus éclater le concept de classe.» Michael Seidman, L"étrange histoire du livre "Ouvriers contre le travail" , p.37
Comment ne verrais-je pas dans cette remarque un parallèle avec l'idée - soutenue ci-dessous dans Changer le communisme par le combat des individus / Changer les individus par le combat communiste - que la révolution communiste ne peut réussir qu'en tenant les deux bouts du problème, de l'abolition des classes et du libre épanouissement des individus, c'est-à-dire de chaque individu. Les tenir au-delà du concept abstrait d'immédiateté des rapports inter-individuels. Comment ? Sûrement pas sans questionner le "collectif", et particulièrement le collectif communiste concret, quand il se propose d'agir au nom du concept abstrait de classe prolétarienne, avec cette héritage ambigu des rapports entre parti, classe, masses et individus, qui resurgit aujourd'hui dans le passage, d'ici à la révolution, de ceux qui s'expriment comme non-militants d'un non-parti de la communisation, à la future fraction communisatrice du prolétariat - au bout du chemin de nos aspirants communisateurs au présent, le parti communiste de rêve du Manifeste de Marx, ou de Bordiga ? Parti ou pas parti, comment des gens parlant tous le même langage structuré en gros concepts vont-ils promouvoir un individu ayant quelque chose à dire et faire par lui-même ? Il y a là une exigence que la promotion de la communisation ne se fasse pas sous l'égide d'un discours théorique au nom du prolétariat et moins encore d'individus ne disant rien en tant que tels. Plus facile à dire qu'à faire. Mais autant poser le problème.
Par contre, je ne dirais pas, comme Seidman, que "L’importance accordée au particulier fait un peu plus éclater le concept de classe" (je dirais au singulier plutôt qu'au particulier, car quel particulier ? de classe ouvrière ? d'ouvrier contre le travail ?). Un tel concept historique, historisé, ne peut "éclater" que s'il devient sans pertinence dans l'histoire, en l'occurrence par l'abolition des sociétés de classes. Où l'on retrouve un clivage désormais classique, de la pertinence ou non des concepts de classes, d'exploitation, et pour ainsi dire, de capitalisme en son essence de reproduction de la valeur en procès (clivage qui sépare Théorie communiste de Temps critiques, sans parler de Jacques Camatte). Je dirais plutôt que l'éclatement du concept de classe pourrait s'entendre au sens du "dépassement produit" de TC, sous condition de voir qu'intervient alors concrètement, par la lutte, de classes et des individus partageant le combat du prolétariat pour leur émancipation, la métamorphose de la réalité sociologique du prolétariat comme classe du capital en une collection d'individus, pour le coup, pris à part [c'est une provocation marxienne] et indissociablement agissant ensemble à divers niveaux qualitatifs et quantitatifs (dont le genre), mais, à partir d'un certain seuil de la conflictualité communisatrice plus, ou plus seulement, sous le concept de classe, mais bel et bien en tant qu'individus (y compris 'hommes' ou 'femmes'). Désolé c'est lourd mais je m'efforce d'être précis (c'est pas souvent, profitez-en). C'est la dialectique et la dynamique du temps basculé qui importe. Question à entendre au présent, pas moins que celle de la production révolutionnaire dans la crise de reproduction (possibilité) de la société capitaliste, qui s'annonce. Au demeurant, je ne vois pas en quoi le concept de classe aurait empêché, empêcherait, les prolétaires d'agir "contre le travail". En lisant l'ouvrage de Seidman chez Senonevero, j'avais plutôt l'impression qu'ils faisaient des choses contre l'avis du parti, ou du syndicat, communiste ou anarchiste, prétendant les représenter comme classe, à reproduire puissante contre le capital mais dans l'usine. Seidman ne démontre ni plus ni moins ce que soutiennent les communisateurs : la révolution ne se fera pas guidée par un parti. Il me semble qu'entre la position classiste de Théorie communiste, et celle humano-individualiste de Temps critiques, Seidman penche pour la seconde tout en alimentant, ce qu'il n'aurait pas saisi, la première (sans quoi, Senonevero n'aurait pas traduit Seidman). Peut-être Seidman confond-il, simplement comme tant d'autres, disparition de l'identité ouvrière, et de la possibilité de son unité pour son pouvoir de classe (d'Etat ou d'autogestion), avec le concept de classe ouvrière inherent à la permanence, jusqu'à preuve du contraire, du rapport capitaliste d'exploitation (appropriation, transformation en capital et reproduction en valeur, de la plus-value produite pas le travail ouvrier de classe).
En résumé, deux questions : 1. Quelles seraient les formes des collectifs sociaux à promouvoir dans la communisation, qui détruisent les médiations capitalites, économiques et étatiques, mais ouvrent un champ de création aux individus s'émancipant ? 2. Plus théorique : pointe son nez une dialectique à trois termes, le capital, le prolétariat, et les individus, (dans le fleuve changeant d'Heraclite, on met plusieurs pieds...) avec laquelle relire toute l'histoire du concept de communisme. Difficile parce qu'on sort du modèle de la contradiction à deux termes héritées d'Hegel. Bref, je me retrouve dans un nouveau troisième courant théorique de la communisation. On y verrait que les deux premiers (le prolétariat et le capital) appartiennent au passé du futur, après s'être disputé les troisièmes (les individus dans leurs singularités). La classe prolétarienne (par ses médiations partisanes), autant que le capital (par la nécessité du prolétaire libre, contre l'esclavage) se disputent l'appropriation des individus, de chaque individu (étant entendu que parler de l'individu au pluriel est déjà problématique). Au futur du futur, aux individus de jouer, et se débarrasser du capital et du prolétariat. Hic Salta ! (à la bonne vôtre, en patlotchien sans chaînes).
PS : ne pas faire le contre-sens d'entendre ici une critique du travail qui écraserait une critique du capital. Ce que tend à faire Seidman, si j'ai bien compris, nonobstant l'intérêt de ses démonstrations d'historien.
14 janvier 2012
Il me fallait franchir le pas d'une rupture relative avec le milieu communisateur (2010-2011) pour assumer de ne plus parler qu'en mon nom, pouvoir ressentir et penser la révolution communiste comme produisant l'immédiateté sociale des individus, double affaire, nécessitant l'abolition des classes du capitalisme par le prolétariat, et posant dans le même mouvement la nécessité pour les individus de dépasser par eux-mêmes leur individualité aliénée dans et par les sociétés humaines jusqu'ici. Le cheminement par lequel j'y parviens n'a rien d'orthodoxe, il repasse, comme chez les surréalistes, comme chez les situationnistes (ces groupismes enrôlés par des chefs de file, Breton, Debord...), par la rencontre entre l'art et le communisme, ce que fait l'art au communisme. Bref, il s'agit d'assumer l'individu contre le capital et de pouvoir dire "Moi, je, communiste...", sans se revendiquer d'un individualisme révolutionnaire tel qu'on l'a rencontré chez Jouffroy et autres libertaires, aveugles à l'exploitation capitaliste (lutte de classes) comme moteur et nœud de l'histoire, comme au demeurant à la domination de genre dans son essence. Sur sa base initiale, engloutie par ses modifications successives, mon site a échoué à joindre à l'infini poésie et révolution, mais de cet échec surgit, comme renversement problématique (Temps basculés) la quasi impossibilité pour moi de parler de l'un ou l'autre séparément. Désolé pour la lecture, qui s'en trouve en surface déboussolée, les catégories classant art et révolution tendant à la caducité dans leur séparation.
Pour changer les individus, le combat communiste. Pour changer le communisme, le combat des individus.
Jusque-là la théorie (de la révolution communisatrice) s'est voulue histoire immédiate, au futur du présent. Bel objectivisme, idéologie de l'historien qui prétend sortir de son métier sans militer, pour écrire autre chose que le passé du présent. Pourquoi le futur s'est écrit comme un récit de l'histoire, précisément, y compris par Théorie communiste. Oui, le discours révolutionnaire est historicité de la lutte au présent. À condition de l'entendre comme présent du futur, contre un présent du passé (résistance), et au-delà d'un présent du présent (attentisme dont théoricisme). La crise du capitalisme fait le présent potentiel de son dépassement. La période s'ouvre où la théorie peut enraciner sans contorsions idéalistes son discours séparé, sortir du moment où elle n'était qu'abstraction théorique, aussi juste soit-elle, ayant raison contre tout le monde (TC au début des années 80, comme l'a dit Christian Charrier).
Mais en tant que théorie de la révolution en prise sur son temps-devenir, elle se mute à la fois en théorie (négation) de la classe des abolitions et théorie (positivante) des individus dans la communisation, car s'il n'y a ni programme ni projet, il y a bel et bien une fin, une visée : le libre épanouissement de chacun et de tous (Marx), à savoir une éthique appelant des pratiques, certes de classe, mais toujours enjeux d'actes-choix individuels. Pour autant qu'il y est implication réciproque du prolétariat et du capital par l'exploitation comme histoire, ce qui reste inaperçu ou évacué par Théorie communiste est la contradiction individu-société (que Temps critiques théorise, mais en évacuant la contradiction toujours motrice de l'histoire de la production de valeur par le prolétariat, dans le capital), que TC renvoie à un humanisme théorique sur le terrain de l'individu-citoyen, de la politique et de la démocratie avec ou contre l'Etat, du capital, et de la morale. L'Homme est certes une fausse abstration (Sève, dans l'ouvrage éponyme), l'individu humain dans sa singularité demeure la plus concrète des humanitudes, car justement déterminée comme ensemble de ses rapports sociaux concrets (au niveau individuel, ce n'est pas son "essence" humaine, c'est sa vie singulière, son immédiateté relationnelle de chaque jour). Telle est la boussole que fournissait pourtant déjà Marx dans la phrase que j'ai mise en exergue (comme Sève l'a bien montré, concernant l'Individualité), et tel est le moyen de sa fin, le chemin.
Le temps vient où, partant des individus, êtres de classe, on peut envisager ce que pourrait être leur immédiateté sociale par des activités collectives, destructrices et constructrices, intermondes d'emblée destruction/reconstruction de leurs rapports sociaux dans la lutte communisatrice. Ces camarades ne sont pas plus "ex-communistes" et moins communisateurs que ceux qui s'habillent d'un label qu'ils sont seuls, ensemble, à valider et promouvoir (cf Robert Musil, sur la fonction des Revues, déjà, dans les années 20 du siècle dernier), dans un orgueil insupportable de suffisance théorique, sectarisme prompt à promettre qu'il portera dans un avenir chaotique toute la misère du monde (BL Le pas suspendu de la communisation, 2011, sic n°1) mais en attendant, davantage portés à condamner tout ce qui n'alimente pas strictement leur théorie au présent - bel effort militant, belle mission religieuse.
À l'ombre de l'arc historique qui demain ensoleillera l'humanité en faisant la peau à tout humanisme, bras droit armé des prolétaires qui ne sont pas des Hommes; pour tous, je dis merci à vous, frères illuminés. Mais nous, comme multiples je, nous-je nous passerons de votre condescendance théorique et de vos postures de "leaders objectifs", et plus encore de votre incapacité à reconnaître le nihilisme débile de votre mot d'ordre anti-dialectique jamais désavoué : "Tout ce qui existe mérite de périr". Ce qui est méprisable mérite le mépris *.
* De la même eau et de la même misère égotiste du théoricien modeste; quant à l'unification de la théorie des crises (Luxembourg/Mattick) par Roland Simon - Théorie(s) des crises, qui lui a valu une réponse bien que floue et fausse à mon avis de Bruno Astarian sur son site Hic Salta (Théorie Communiste et la théorie des crises), elle figure déjà chez Alain Bihr, dans "La reproduction du capital, tome II", 2001, p. 227/228, soit 8 ans avant ce texte de RS, qui s'en est manifestement inspiré, mais qu'en toute modestie il ne cite pas (Bihr est certes un adversaire démocrate radical qui n'a pas compris L'Etat et la révolution' inspiré par Görter à Lénine). Le César de la théorie ne rend jamais de comptes, mais toujours des coups.
Il est faux de considérer la positivité communiste comme hors de portée de notre vue. Chez Théorie communiste comme chez tous ceux qui ne peuvent s'exprimer qu'en groupe, l'individualité est un point dont ils se rendent théoriquement aveugle : le problème* est dans l'absence de la question, à laquelle fait écran, en tant que réponse conceptuelle passe-partout, la formule magique "immédiateté sociale des individus". Jamais dialectisée qu'en termes post-néo-jeunhégeliens plus que marxiens (théorie = philosophie, contre la 11ème thèse sur Feuerbach, la réalité est à transformer plus qu'à interpréter, leur théorie est bien plus philosophique, cagneuse, qu'elle ne veut bien le reconnaître - TC dans sa dialectique forcenée et structuraliste du tout et des parties régresse de Marx à Hegel, via Althusser). La question de l'individualité libérée/libérante, il n'y a que des individus, ou du moins du point de vue individuel (stirnérien pour le meilleur) qu'on puisse la poser, et en répondre en l'assumant sans dénier son appartenance de classe. On fait mine de penser que Marx aurait réglé la question, contre Saint-Max Stirner, il n'a fait que s'en débarrasser car telle était l'urgence d'une critique du capital comme économie politique. La classe, par essence du concept, est muette à propos des individus "pris à part", à renverser aujourd'hui comme sujets concrets de la révolution communisatrice. Les groupes impersonnels, seraient-ils communisateurs, sont muets voire parfaitement hypocrites, car ils évacuent la contradiction et les rapports de forces entre individus dans le groupe qu'ils rencontrent pourtant comme contradictions à l'œuvre dans leur expérience propre - c'est ce que montrent toute pratique interne de groupe et les contorsions internes remplaçant l'idéal démocratique par la manipulation, le chantage à la rupture, et l'abandon de l'individu contributeur à l'inévitable consensus nécessitant de ravaler ses désaccords. Ils ne voient pas que leur (fausse) modestie relève d'une incommensurable prétention. Ils ne voient pas que leur discours reste une prêche, et eux, aussitôt dépassée la posture théoriciste de "préviseurs", des prédicateurs auto-missionnés. Il est plutôt à craindre que les groupes communisateurs ne réinventent l'eau froide du centralisme démocratique : pour l'extérieur afficher l'unité et taire ses désaccords pourtant reconnus nécessaires (Meeting, est-ce un hasard que l'idée même** en ait disparue de l'éditorial de Sic ?) - rien de différent avec ce que j'ai vécu, et accepté jusqu'à la rupture, au sein du PCF.
* Accessoirement, un aspect déjà évoqué du problèmatique de l'individu est aussi que la théorie est toujours écrite par des enseignants de profession, qui n'ont jamais connu d'autre rapport social qu'explicatif, voire pédagogique. Autrement dit d'un individu qui prétend s'effacer pour informer d'autres individus, dans la même geste déniés dans leurs singularités. On ne passe pas du lycée et de l'université à l'Ecole sans que ça laisse des traces dans la posture, n'ayant jamais rien connu d'autre. Ce que dit le signifiant d'un discours - la forme d'un contenu à son insu -, comme lapsus du langage impersonnel de la théorie. Lecture symptomale du style TC.
** La diversité et les oppositions internes, pour ne pas dire les conflits, au sein de ce courant communisateur sont définitoires de son existence et elles doivent être reconnues.
Le bal des vampires de la communisation est ouvert
Tous ces textes dans les vitrines virtuelles du milieu, ces "Qui sommes nous ?" définissent chaque famille de la diaspora vertueuse, et le réseau supposé de la problématique de communisation - voire leurs 'liens' et copinages sans discussions, avec tant de salamaleks et de complaisance pour certains que l'on devine un intérêt propagandiste au-delà d'incompatibilités idéologiques (la règle étant à l'opportunisme militant, y paraître ne fait plus que rendre transparent cet opportunisme). Mais il est vrai que les révolutionnaires communiquent aujourd'hui par Tweeter... Merde à Tweeter ! Pour autant qu'ils expriment des accords et divergences entre leurs "nous", non seulement ils ne produiront jamais au sein de leurs nous des "Qui suis-je ?", mais y feront obstacle, ceci au nom du rejet de l'individualisme produit par le capital, mais infoutus de reconstruire une individualité révolutionnaire responsable. Pour eux comme pour les staliniens, la responsabilité de l'individu communiste, c'est d'obéir au groupe (quant ce n'est pas de s'exprimer sur internet comme parole d'un collectif, un seul derrière le masque vous disant "nous". Tout un programme, pas besoin de l'écrire, il pue...).
Une certaine communisation s'annonce ainsi comme contre-révolution dans la révolution, sous son nom même et en ce qu'elle se prétend en être la plus pure acception, contre ses déviations "exotiques", à l'instar du mot communisme* dans la période du mouvement ouvrier. Au petit jeu de la surenchère sectaire, on trouve toujours plus révolutionnaire que soi.
* J'ai tenté, en 2003, de dénoncer la fumisterie de "l'identité communiste" (texte que j'ai auto-détruit, en désespoir de rongeuses souris), mais alors sur une base démocratiste. Du point de vue de la construction de l'individu s'identifiant, plus qu'à sa foi, à son église, la question est la même. Du moins d'une expérience à l'autre n'ai-je pas fait de différence signifiant une rupture.
L'individu absent de son émancipation ?
Àdoncque plus que merci, messieurs les professeurs de communisation au pied de vos lettres, hommage à vos pudeurs modestes. Comment de vos discours prétendus collectifs pourrait-il sortir la moindre immédiateté inter-individuelle ? C'est une contradiction dans vos termes, que dit votre langage par son esthétisme de la révolution produite (j'ai souligné peu après l'avoir rencontré les aspects comparables du texte de Roland Simon avec le style musical de Thomas Bernhard, quelque chose d'une fascination, d'un envoutement, auquel j'aurai trop longtemps succombé).
Il est nécessaire de s'interroger sur la nature de l'activité collective, sur les modalités de cette métamorphose révolutionnaire des rapports réciproques entre l'individu, les individus, et le collectif, les étages de la communauté humaine, de telle sorte qu'ils échappent non seulement à l'économie, au politique, au sociétal surplombant, mais aussi, au niveau le plus concret de la vie quotidienne, aux dominations hiérarchiques fondées sur l'inégalité des savoirs, de la force physique ou psychologique, et même des capacités créatrices et de la contribution de chacun à la communauté. Bref la fin des chefs réels et des chefs objectifs. Foin de la servilité des petits mains du discours prétendu communisateur, ils sont dans le même rapport à l'autorité théorique que les "petites catégories" de la fonction publique à l'autorité de la vertu de service public, le citoyennisme professionnel d'Etat. JE veux la fin de décisions de quelques-uns pour tous, qui masquent leurs noms. La fin des servitudes autant contraintes que consenties.
L'individu est l'avenir du communisateur
Le concept marxien de libre épanouissement des individus, car il s'agit bien de lui reconnaître une valeur conceptuelle, théorico-pratique, et potentiellement une puissance révolutionnaire performatrice, ce concept contient naturellement celui d'abolition du genre sexué, faisant le passage entre abolition des classes et abolition du genre social de femme/homme. L'individu appartient à une classe sociale, mais n'a pas de genre a priori, du moins en tant que concept (Spinoza encule Hegel, c'était pour de rire). Leurs individualités, c'est ce qu'ont en commun tous les "hommes" et toutes les "femmes" ou autres, comme êtres humains. L'individu n'est pas à libérer en tant que l'un ou l'autre, mais en tant que l'un et l'autre et leurs rapports dominants/dominés. Le concept de "libre épanouissement des individus" pose ce dépassement aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée (domestique). Il pose que si les hommes prolétaires devront assumer dans la révolution l'abandon de leur position dominatrice des femmes prolétaires, ils le feront aussi pour se libérer en tant qu'individus dépassant leur mâlitude dominante. Le concept de libre épanouissement de l'individu pose positivement que l'abolition du genre ne s'articule pas seulement à la contradiction de classes, mais aussi à la lutte de chacun contre le capital, ses dominations utiles (comme on dit des idiots) et pour l'émancipation de chacun (qui n'a ni genre ni sexe, n'en déplaise à chacune).
Il faut entendre que pour moi, dorénavant, parler de communisation "au présent" sans poser la question de l'émancipation individuelle, c'est la reporter à plus tard, comme conditionnée par la question de classes/de genre, de la même manière que les communistes de la période programmatiste le faisaient pour la femme, avant d'être bousculés par le féminisme. L'individu est l'avenir du communisateur.
PS : les tartuffes de la théorie communisatrice, naturellement, si une telle idée les intéressaient, s'en empareraient en expliquant que leur théorie la contenait par avance, lui laissait place, mais n'en parlait pas encore. Alors la dialectique savante se raffinera (comme on dit du pétrole qu'on n'a pas trouvé, mais volé), du côté des singularités dans la particularisation de la totalité "genrée" (depuis peu...). Pour ma part, j'affirme par avance qu'une telle idée anéantit celle de communisation à titre strictement prolétarien (TC), comme le faisait déjà - TC ne pouvait le dire dans compromettre son corpus structuraliste -, la nécessité reconnue d'abolir le genre pour faire la "révolution dans la révolution". Il suffit pour s'en convaincre de voir comment la question de l'individualité est toujours traitée par TC du point de vue classique où l'individu est l'individu pris à part, le citoyen de la société capitaliste. C'est strictement la lutte de classes qui le libère. L'individu n'est pas porteur de potentialité révolutionnaire. À croire que la classe existe sans individus, et que la structure va leur tomber sur la tête... Leur émancipation descendra du ciel conceptuel où "les luttes théoriciennes" écriront l'histoire... Marx dit quelque part, dans un contexte certes différent, "les individus sont toujours partis d'eux-mêmes". Hé bien moi je prétends qu'ils partiront encore d'eux-mêmes pour faire la révolution, et qu'il importe autant de savoir comment il s'agit d'un passage à l'acte singulier que d'une caractérisation d'activité du prolétariat dans la crise. Amen.
12 janvier 2012. Corrigé et complété le 14 janvier
L'individu dans la communisation, un point de vue poétique
Vie sociale de l'artiste, individu et communisation, etc
Dans ce texte, je pars du rapport intrinsèque à la "double vie" de l'artiste. Je l'aborde ensuite dans la singularité de mon point de vue communisateur qui redouble la rupture sociale dont elle est potentiellement porteuse. Je complète cette approche par mon rapport au travail et à la société capitaliste vécu comme conflit radical, au niveau individuel plus qu'expérience de classe. C'est une esquisse d'auto-analyse d'une situation singulière. Bien qu'agrémentés de considérations générales, ces éléments, plus qu'enrichir une théorie de la communisation, sont de nature à en montrer les limites en matière de libération des individus. Une théorie générale restera engluée dans l'inertie du concept de lutte de classe, totalement inopérant au niveau tant de la participation de chacun à une lutte collective de classe, qu'à la libération de chacun contre toute remédiation politico-économique. C'est pourquoi les enfants de la théorie seront ses éternels célibataires, immédiatement confrontés à leur impuissance, car toute révolution se réalise en actes avant d'être théorisable comme histoire de ce qu'elle a fait.
Kierkegaard, à propos des philosophes, parle d'une enseigne vue chez un brocanteur, "Ici on repasse votre linge", mais ceux qui apportent leur linge à repasser en sont pour leurs frais, car l'enseigne n'est qu'à vendre. Voilà le sort de toute théorie. Je n'écris pas à partir de la théorie, mais avec la théorie, je remets en jeu ma vie.
La lecture de L'écrivain et l'autre, de Carlos Liscano [voir une page de ce livre dans notes poétiques] m'a aidé à comprendre ce que je vis singulièrement dans une conscience confuse. Il s'agit de la relation en moi, dans ma vie, entre celui qui écrit - disons le poète - et « l'autre », celui qui existe dans la vie sociale, qui gagne ma vie matérielle. Cette relation est de façon générale particulière chez tout individu qui se consacre à l'art, plus spécifiquement les écrivains, dont l'écriture est raison de vivre, puisqu'elle tend à privilégier l'œuvre sur la vie et qu'ils n'ont pas a priori de nécessité de rencontrer leur public (comme dans les arts de la scène). Sa propre vie, celle de « l'autre », n'a plus d'importance qu'en tant que « serviteur » de l'artiste, et celui-ci de son œuvre. Liscano montre bien en quoi cela peut, dans la solitude nécessaire à la création, aboutir à un certain « néant », un détachement de la vie sociale à laquelle « l'autre » participe certes, mais de façon distanciée, toujours ailleurs, toujours pour (ré)inventer l'écrivain ou en assurer l'interface sociale. En effet, d'un côté la vie d'un artiste est déterminée par cette relation au monde, et d'un autre, dans cette relation, il ne sait plus ce qu'est sa vie, puisque devenu écrivain, il n'écrit plus que depuis sa vie d'écrivain (avec la mode de l'auto-fiction, n'importe qui peut se dire écrivain, tant pis pour la littérature, et pour ceux qui font les frais de ces vies d'artistes utilisant leurs proches sans scrupules - cf le romancier américain Roth, quasi nobélisable... à vomir du point de vue de l'abolition du genre). Liscano dit que c'est pire pour un poète, si l'on entend, et attend, que sa vie soit en phase avec ce que portent ses poèmes.
L'autre du poète et la communisation
Dans mon cas, cette tension, entre le poète et son autre social, s'est exacerbée. La relation entre le moi qui écrit des poèmes et son autre qui assure ses rapports sociaux s'établit et devient cohérente par le rejet de cette société, de ce et ceux qui la reproduisent (franchement plus rien à leur dire ni à supporter d'eux, assez fait le singe muet...) ce que prolongent mes convictions communisatrices, théorie d'une rupture radicale. Ma vie sociale – mais je devrais presque écrire ma vie asociale, ou ma non-vie, ma contre-vie sociale – et l'activité d'écrire des poèmes entrent en résonance, s'alimentent et s'augmentent réciproquement.
Je ne suis pas en rupture avec le capitalisme parce que prolétaire exploité ou inutilisable - pas encore -, et je ne fais pas semblant de l'être. Mon rejet est essentiellement individuel, parce que je ressens cette société – mon travail, par exemple - comme me détruisant en tant qu'individu, comme elle détruit selon moi tous les individus, leurs individualités, qu'elle [la société] produit à son image, réduisant les rapports humains de tous ordres à des échanges de valeurs (la relation d'achat-vente est paradigmatique, systématique, "réelle", dans la société du capitalisme en crise). Ce conflit s'est aggravé depuis mon adoption pour l'essentiel des thèses communisatrices, dans la mesure où mes positions antérieures se voulant radicales demeuraient encore politiques et démocratiques, et que mes relations au travail suivaient une perspective de changement sur cette base. Cette évolution théorique, loin de me calmer, m'a rendu plus insupportable encore le rapport salarial, la vie au travail, etc. Quelle part du réel, quelle de l'idéologie... puissance de la théorie ?
L'individu contre le pouvoir
Concernant le rapport entre mes idées et ma vie, je peux avec le recul affirmer que mon engagement communiste s'est leurré dès l'origine, car, en toute honnêteté, et contrairement à mes partis pris militants depuis quarante ans, je pense avoir été au fond plus anarchiste (et rebelle, et anarque) confronté à ou provoquant des pouvoirs hostiles, que communiste comme prolétaire exploité avec un salaire insuffisant. Je pense qu'il s'agit d'une détermination objective, non d'un véritable choix, y compris dans sa dimension socio-psychologique, ou pathologique. En effet, compte tenu de ma réalité sociale moyenne, ma position politique de classe (économique) du communisme a relevé d'un choix intellectuel d'époque, pas sérieux quand on a dix-sept ans (facile en 1968 et la suite), alors que mon refus de l'aliénation et de la contrainte hiérarchique s'est réellement construit et alimenté des décennies durant par expérience personnelle dans le rapport de travail et progressivement dans toutes les organisations syndicales ou politiques. J'ai davantage souffert de la médiocrité, de la mesquinerie, du cynisme ou de la lâcheté, que d'un manque d'argent, même si je ne me voyais pas boycotter les luttes revendicatives salariales ou autres. Ce n'est pas tant une discipline infernale que le concept même qui me fait violence, parce qu'en essence, il est le même du bureau à la prison (surveiller et punir) - récemment un collègue me racontait l'obligation qui leur est faite de travailler porte du bureau ouverte sur le couloir, parce que "c'est plus sympathique". Dans ces conditions déniant la fonction hiérarchique de surveillance, je resterai le dernier des mohicans à fermer ma porte, en toute antipathie bien comprise. Ce marécage relationnel au travail est de même nature dans n'importe quelle organisation syndicale ou politique, avec la soif de pouvoir, la médiocrité et le carriérisme des chefs. Une camarade ayant terminée sa carrière de fonctionnaire, pour échapper à cette exposition, dans la permanence syndicale, s'est vue imposée des conditions et une cadence de travail pires que dans les bureaux de l'administration, obligation de disponibilité à toute heure par portable, etc. Bien fait pour elle !
Si je considère ma position au travail, ou mon "autre" gagne ma vie matérielle, je saisis mieux aujourd'hui comment j'ai pu tenir face à l'institution, à l'administration, à mes hiérarchies et à la confrérie servile des normosés heureux, tout en assumant de plus en plus ostensiblement une rupture et un rejet systématique de ce milieu du consensus de l'aliénation volontaire. C'est par ma double exigence de partisan de la communisation et d'artiste.
D'une part, grâce en soit rendue à ceux qui ont saisi leur temps, la théorie communisatrice - tous courants confondus - m'a permis d'analyser et comprendre ce qui se passe, dans quelle situation je navigue historiquement, comment elle évolue. Bien qu'impuissant à changer le rapport de force - en tant que salarié de l'Etat, je pourrais exprimer légitimement une revendication, voire une position politique remettant en cause l'obligation de réserve des fonctionnaires, mais jamais un désir, une intention, de détruire l'Etat... C'est de bonne guerre, sociale.
D'autre part, le besoin de créer me permet d'y faire front parce que toute la vie, y compris la vie au travail, est matière à création poétique. Les fleurs et l'amour, même sublimés par la philosophie existencielle, ça pisse pas plus loin en poésie post-moderne que la chanson de variété. Les poètes reconnus et gallimardisés d'aujourd'hui seront la plupart considérés à l'instar des peintres pompiers du Musée d'Orsay. Académismes d'époques, présents des passés (merci Meschonnic).
C'est par ces deux voies - communisme et art - que la violence subie trouve à s'évacuer, avec la satisfaction au moins de pouvoir la comprendre et l'exprimer. Il s'agit non pas d'une sublimation inconsciente, comme le freudisme entend de l'artiste à la différence du névrosé, mais d'un acte conscient et pensé de mise en poème d'une réalité appréhendée par ses effets concrets sur moi, qui déterminent ma conception du monde sur un mode qui n'est pas sécable en réaction spontanée psycho-sociale et intellectualité théorique.
La communisation à titre individuel
Les militants d'extrême-gauche, ceux qui ne sont pas plus prolétaires que moi, sont autant dupes d'eux-mêmes qu'ils abusent les autres, dans une posture idéologique, où la lutte de classes est pour eux un combat d'idées, un combat politique, et non un rapport inhérent à l'exploitation, qu'ils connaissent par procuration, aspirant à représenter et guider la lutte (voir comment cette extrême gauche se présente à la présidentielle, ce qui confine à un non-sens débilitant du point de vue communiste).
Pour autant qu'ils soient vaccinés de cette posture militante, certains adeptes de la communisation (ma pensée s'émeut pour les camarades de Théorie communiste et leur leader) ne peuvent qu'y retourner dès qu'ils veulent promouvoir leurs idées - caractérisation militante qu'ils dénient parce qu'elle les met face à une contradiction théorico-pratique, à savoir ce qu'ils sont eux-mêmes, quel est le statut prétendu non militant de leur existence de groupe d'intervention théorique, concernant des luttes dont ils sont individuellement absents ? Facile à une dizaine d'être à la fois une cellule de base et un comité central, mais on n'entend aucun s'exprimer en son nom propre, aucun dire son intérêt propre d'individu pour la communisation, sauf à le rapporter strictement à une lutte de classe conceptuelle, générale et mondiale, qu'il se raconte comme histoire (récit au présent du futur) davantage qu'il n'y participe, sauf à des luttes dont il doit reconnaître qu'elles n'ont le plus souvent aucun intérêt pour ladite théorie, puisque ne creusant pas "l'écart" dont il a fait son étendart théorique, voire la justification d'une non-activité de révolutionnaire planqué, en attendant la fin. Du moins n'en ai-je entendu aucun exposer un possible point de vue communisateur à titre individuel, pas même le sien. À la question de savoir pourquoi chacun, pris individuellement, s'est engagé pour la communisation, du moins en théorie, ils ne peuvent ni ne veulent répondre individuellement, non par simple modestie, discrétion, ou protection face à la police, mais sincèrement parce que selon eux, il n'y a de réponse juste qu'en terme de classes, et que prendre la question au niveau individuel relèverait d'une confusion entre le niveau singulier des individus et le niveau particulier du prolétariat comme pôle du niveau général du rapport capitaliste mondial (global, comme tout). Pour eux, la classe de la révolution semble demeurer le 'spectre' du communisme (Marx le Manifeste), avant d'apparaître/disparaître dans la communisation. Pourtant, qu'on le considère comme on veut, le dépassement produit le sera en dernière analyse par des individus concrets, le seul niveau de l'être humain qui ne soit pas l'abstraction d'un concept, serait-il l'appartenance de classe. Ce sont des individus qui aboliront les classes.
Cette distinction des niveaux peut être vraie, juste en théorie et utile en principe et en partie, mais signifie-t-elle pour autant que les individus "pris à part" n'ont aucune potentialité révolutionnaire, et partant aucune responsabilités individuelles à assumer pour se libérer de leurs entraves ? Même si l'on considère la classe prolétarienne dans son concept de particularité de la totalité 'société capitaliste', et non comme simple addition de conditions sociologiques, cette classe n'est rien sans les individus concrets qui la composent. Je prie le ciel qu'on attende pas d'eux une simple mécanique des fluides communisateurs, potion magique révolutionnaire métamorphosant l'opium du peuple, psychologie de foules révolutionnaires. Même critique à l'analyse par Théorie communiste de la contradiction de genre, qui s'enracine pourtant dans le singulier, toute la vie privée étant interindividuelle. C'est pour eux une mauvaise question, le problème ne peut qu'être dans la question, ma question de pauvre individu dépourvu de division armée pour "porter" (Sic) la bonne parole communisatrice. Voire... Il y a peut-être un peu qu'ils ne peuvent pas avouer leur position comme celle d'un groupe rangé au service d'un théoricien unique en sa propriété, assuré de la posture et de l'aura d'un chercheur voire, j'y reviens, d'un artiste, avec une équipe à son service (tel Michel Ange ou Rodin) toute l'équipe devenant son "autre", quitte à nommer ça pour le gogol de base "fonctionnement organique", air de la flûte dont les staliniens connaissaient le doigté par coeur - j'ai connu les deux de l'intérieur, d'oussque je ne me fais aucune illusion sur ce que valent les (auto)critiques héritées de l'anarchisme et de l'ultra-gauche, relativement aux programmatistes "staliniens".
C'est pourquoi ils sont schizophrènes, entre leur désir de révolution, et leur obligation prétendue de vivre comme tout le monde. Beaucoup vivent de moins en moins comme tout le monde, sans prétendre faire la révolution. Mieux vaut encore un bon "intermonde" expérimentant de nouveaux rapports humains dans l'illusion, mais la réalité face au mur sociétal capitaliste, qu'une survie de merde sur l'étagère de la vie consommée. Au moins y apprend-on un style de relations humaines qui servira à quelque chose dans la révolution. Les taxer d'ex-communistes est d'un mépris à retourner contre les inventeurs de la formule (d'authentiques communistes suédois auto-labellisés par leur revue internationale Sic très lue dans l'intermonde théorique de la future communisation, 'nous les bons, les autres mauvais', ça mange pas de pain manichéen, l'idéologie c'est toujours celle des autres, et nous la vérité comme détermination objective de l'histoire sous nos yeux). Bref, pire qu'un récit, une récitation. Je préfère considérer certaines contributions aux intermondes comme annonçant de futurs communisateurs.
L'artiste a beau faire, il ne peut pas vivre comme tout le monde, parce que sa vie, son rapport au monde, ses rapports sociaux, sont structurés par une finalité, un projet : son oeuvre. L'artiste est un programmatiste de sa révolution, mais suivant son projet, au présent du futur (dire tout cours 'au présent' autorise toutes les pirouettes et les tours de passe-passe théoriques, alors qu'ils relèvent plus d'une rhétorique que d'une dialectique - cf les distinctions de Meschonnic concernant la modernité et le contemporain, in texte rapporté dans mes notes/poétiques.
Si le communisme en tant que combat de classe se conçoit comme destruction du capital et de ses valeurs, il est aussi combat positif pour l'affranchissement de chaque individu. Écrire des poèmes me place d'emblée sur ce terrain, parce que c'est ainsi que je vis mon rapport au monde, un rapport singulier qui ne prétend pas faire la leçon aux milliards d'individus du monde entier.
L'art n'est pas un loisir créatif compensateur
L'écriture (l'art) ne vient pas essentiellement et d'abord compenser une frustration de la vie. Loin d'affirmer que c'est vrai pour tout artiste, la poésie dans mon cas encourage la rupture sociale comme nécessaire à sa propre création, même si réciproquement celle-ci rend la vie sociale plus supportable, puisque le but essentiel du poète n'est pas tant à ses yeux sa vie personnelle, dont l'intérêt pour lui-même est relativisé, mais son œuvre au-delà de ce qui lui en revient. Si c'est une souffrance, ce n'est pas un sacrifice, car il est psychologiquement impossible qu'il en soit autrement. Quand on cesse de créer, c'est toujours pire.
L'ennui, le préférer seul qu'accompagné
Si je m'ennuie, aucune situation sociale hors lutter ne me désennuie, y compris celles dites de loisirs, voire de fêtes, elles deviennent vite insupportables, et comme je n'ai plus envie de donner le change, de faire le clown, je me suis retiré et exclu de tout ce qui s'assimile à ces mondanités creuses. La solitude n'est pas une souffrance, quand elle est choisie. Je précise ici que je ne considère pas la lecture et le rapport à l'art comme loisirs culturels, mais comme médiation directe entre le monde et moi. C'est pourquoi j'ai eu tord de ne pas assumer totalement jusqu'ici et pour moi-même, comme foi, mon être artiste; cette fausse modestie fut suicidaire par nihilisme de l'art aussi dans sa dimension relationnelle, sociale - le discours situationniste sur la mort de l'art et son renversement dans le quotidien est au fond un immédiatisme qui s'effondre dans la nostalgie des bons pinards (Debord), une idéologie de la qualité de vie des bio-producteurs qui alimentera l'écologisme du capitalisme vert. [revenir sur Tzara années 60 dans Positions de la poésie]. Je ne regrette pas mon refus de l'art comme profession, qui n'aurait fait que déplacer et masquer le problème (vivre de l'art marchandise en prétendant qu'il ne l'est pas); je parle d'un retrait excessif refusant une audience au moins potentielle, en toute gratuité, pour générer le sentiment d'une reconnaissance, vitale. Je suis bien malgré moi contraint d'admettre que créer donne un sens à ma vie (que ce soit bon ou mauvais est une autre histoire; petit ou grand, l'artiste est dans la même posture face à la vie, la souffrance du petit est de même nature, mais sans la compensation d'une reconnaissance). Oui, la création est devenue pour moi une raison de vivre, parce qu'en dehors de ça - le bien-être de mes proches n'est pas en soi une raison de vivre satisfaisant mon idéal d'être au monde – en dehors de ça et d'envisager une révolution sans pouvoir l'entreprendre, il ne reste que le suicide. Cela n'interdit pas la saine ironie, la distanciation de sa fonction de "poète", mais cela suppose de prendre le poème au sérieux. J'ai souvent écrit mon relatif désintérêt de la vie normale (cf "l'homme sans ambition"), mais je ne l'avais pas ressenti et renversé dans sa positivité poétique. En tous cas, je suppose, avec le temps, que cela ne tient pas chez moi d'une pose, mais d'une incapacité pathologique à vivre autrement, à subir la quodienneté comme la plupart des gens. De ce point de vue, créer tend à échapper à la schizophrénie entre souhaiter la révolution et vivre comme tout le monde en attendant... Le prétexte, par les temps qui courent, est confronté à un échec que j'ose dire éthique.
L'art comme auto-apprentissage de la liberté individuelle
S'il y a une dimension socialement révolutionnaire à l'art, ce n'est pas via le contenu de l'œuvre, c'est en ce qu'il met potentiellement l'artiste en position de rupture face au social, parce qu'il ne peut pas créer en ayant une vie « normale» (cf plus haut Liscano), ou plutôt que la vie sociale de son "autre" est limitée, surdéterminée par la nécessité de réinventer toujours et servir l'artiste. L'art par essence est d'un côté rupture sociale et de l'autre n'existe que dans son acceptation sociale (un Salon des refusés est encore un salon pour se faire accepter), même si la plupart des artistes ne peuvent pas l'assumer, parce qu'ils doivent se vendre aux bourgeois en déniant le caractère marchand de leur art - encore une belle schizophrénie - car leur premier souci n'est pas de faire la révolution sociale, mais de s'auto-glorifier dans leur génie propre (Otto rank, L'art et l'artiste, 1929).
Dans l'éventualité d'une révolution, je me suppose une motivation double d'en être, en rejoignant le combat de classe et à titre individuel, tout simplement parce que je n'aurai pas d'autre choix face à moi-même. J'imagine que je serais contraint en tant qu'individu - et pas seulement être de classe - à réaliser ce que je suis, et que la période révolutionnaire en aura produit la possibilité. D'une certaine façon, c'est en tant que les artistes sont égocentriques qu'ils montrent bien la nature double du communisme, combat de classe pour l'abolition des classes, et combats individuels pour l'épanouissement des individus, parce qu'ils ressentent et expriment plus que les autres - hors les fous – la réalité du capital et de la société comme aliénation, mais aussi le caractère aliénant de toute appartenance à un groupe.
La libération de chaque individu sera aussi son œuvre propre. La poésie à faire par tous commence à l'être par des uns. Marx plus fécond que Lautréamont, on le savait déjà...
23 décembre 2011
Communisme, une révolution double en essence, dans un mouvement réciproque
« Partir des mots et faire qu’en quelque sorte ils pensent pour moi (me dictent au lieu d'être par moi dictés) » Michel LEIRIS, Langage Tangage (méthode dont j'ai hérité dès Livredel première époque et qui conditionne ma poétique)
Inutile de prévenir que ce qui suit n'a aucune valeur théorique, au sens de la rigueur qu'on attribue habituellement à ce qui en relève. J'accepte que cette élaboration soit qualifiée, par la théorie, de fantaisiste. Je la revendique comme poétique, au sens fort.
Il était nécessaire que je me dégage d'un objectivisme de la communisation pour l'appréhender comme création au présent, dans l'oubli-savoir de sa théorie - quelle qu'elle soit. En ce sens, symptôme, j'apprécie que mon site ne soit plus référencé par ceux qui ont de la communisation une vision quasi programmatique, et qui se rapprochent au nom et en place de la classe de façon grégaire et partisane (rapprochements tributaires d'un passif révolu, qui anarchiste, qui ultra-gauche, qui autonome... bof... mieux vaut n'être de rien, au présent). Je n'en parle que depuis un désir individuel de la chose.
Communisme, je veux l'entendre de deux manières :
1) Commun < isme
Ne partant pas de rien, mais de l'état présent des rapports sociaux, le capital, le communisme est un mouvement < contre le capital-isthme, dont l'issu est chaos, caillot de l'humanité en la nature. Le communisme se génère (s'arrache) en tant que communauté comme l'autre du capital. Il crée dans ce mouvement le commun (du fait essentiel que le capital ne peut être aboli que dans un mouvement du commun pour le commun, lutte de classes, etc.). Le communisme veut le "libre développement de tous" (contre ce qui l'entrave, le capital, contre son être-prolétaire).
2) Comm > unisme
Le communisme ne crée pas n'importe quel commun, dont les individus seraient des produits interchangeables. Définis par ce qu'ils auraient de commun, trop commun, ils ne produiraient jamais le communisme... Chacun est unique, et partie prenante, unique et sans propriété. Le communisme est plus un unisme qu'un collectivisme. Le communisme comme tout ("libre développement de tous") veut et dépend du "libre développement de chacun" (Le Manifeste)
À partir de là, une dialectique 'vertueuse' - où pointe une éthique communiste - est à dégager entre les deux mouvements - la tendance au commun, et la tendance à l'individualité plurielle - dans une dynamique qui cherche historiquement l'harmonie entre ces termes, et leur transformation réciproque. La révolution suppose un mouvement de 'tous' (contre le vieux monde) et un mouvement de chacun (pour le nouveau monde). Paradoxalement, c'est la recherche par chacun de sa liberté qui conditionne celle de autres, mais dans un rapport qui ne doit plus rien à la démocratie, ni en concept, ni en pratiques. Chacun de ces mouvements est tributaire de l'autre.
Les rapports sociaux du vieux monde sont transformés en rapports nouveaux dont sont éradiqués les valeurs - en tous sens du terme - du capital, autant dire l'échange économique, la gestion relationnelle. Les rapports sociaux du nouveau monde apparaissent fondamentalement comme une transformation volontaire et organique des individus dans la production d'une nouvelle communauté. La métamorphose est intrinsèquement invention de son éthique, de sa politique (Meschonnic), comme invention de la relation au tout-monde (Glissant).
Il n'est pas possible de penser l'individu du communisme à partir de l'individu prolétaire (ou bourgeois) du capitalisme, ni de leurs figures politiques, l'individu citoyen (ou prince) de l'Etat. Il n'est pas possible de tracer une continuité entre les expériences de fuite dans le capital (intermondes divers) et la production d'un individualité communiste. On ne peut la penser qu'à partir d'une perte quasi absolue, à la fois contrainte (économique) et plongée volontaire (refus des rapports sociaux anciens). Que ses chaînes à perdre, facile à dire, tant qu'on n'y est pas confronté... où la situation désespérée du suicide (individuel ou collectif prolétarien), trouve, sur la base commune d'un rien accepté et assumé communément comme nécessaire, la ressource vitale, insécablement individuelle et collective, de construire du neuf. Dans cette situation, l'individu crève ou se métamorphose en produisant des rapports nouveaux qui construisent la communauté nouvelle.
Le 2) dépend du 1), mais sans le 2), le 1) échoue.
La révolution communiste est donc par essence double en une.
21 décembre 2011
Communisation, militantisme et parti, une vague de vagues réflexions
Je reparlerai du communisme. C'est mon dada. Un de mes. Mon communisme est dada. Dada ist da.
Je me disais qu'avant - je n'ai pas dit c'était mieux avant - je me disais qu'on devenait communiste en fréquentant des communistes. Je veux parler de n'importe quelle variante de communistes sur le marché de l'horizon du pouvoir prolétarien, de haut en bas, de bas en haut et de tous les côtés. Même les plus mal cotés, les plus moins nombreux, les moins moins chanceux, bref, les moins fréquentant-fréquentés. Les plus mal famés, les plus affamés. Pouvait-on être communiste sans être militant ? Oui mais alors on ne l'était pas vraiment. Donc non. Donc militant d'un parti, et même ceux qui ne voulaient pas du pouvoir d'un parti faisait des groupes, qui ne voulaient pas être un parti mais surtout n'en avaient pas les moyens. Les caractéristiques, oui, comme chez les anarchistes et libertaires (non individualistes). Eglises. Parmi les militants communistes, et anarchistes, une majorité appartenaient certainement à la classe ouvrière. Parmi leurs rangs, également beaucoup d'instituteurs, de professeurs : des pédagogues ! Toutes sortes de pédagogues, selon les pédagogies, plus ou moins directives... Mais dans tous les cas, un pédagogue n'est-il pas un militant ? Ça, c'était avant...
En résumé (comme d'habitude, je ne démontre rien), on n'imaginait pas de combat communiste sans militer ni sans parti. Cette réalité était-elle liée à la perspective d'un pouvoir prolétarien (ou du parti prolétarien) ou à la nécessité de s'organiser pour faire la révolution ? Va savoir démêler l'un de l'autre...
Aujourd'hui, je partagerais a priori les thèses communisatrices en ce qu'elles ont hérité de l'ultra-gauche le refus de constituer un parti, en tant qu'organisation de militants communistes, pour préférer la constitution (transitoire) de la classe pour soi faisant la révolution... pour tous. Un peu quelque chose du parti au sens du Manifeste. Aujourd'hui, les communisateurs affirment ne pas être des militants, dont ils ont fait la critique : subjectivisme, objectivisme... Autrefois, quand la révolution se présentait comme victoire du prolétariat sur le capital et ses alliés, on ne pouvait pas dire que les militants communistes faisaient preuve de subjectivisme ou d'objectivisme. Lénine et ses camarades à la veille d'Octobre avaient complètement saisi la situation présente dans laquelle ils pourraient faire la révolution. Avec le recul, il est un peu vain de condamner le militantisme communiste de cette époque en tant que tel (naturellement telle action, telle tendance, tel parti au pouvoir... mais ce n'est pas l'objet ici, je verse toute l'époque dans la vision programmatiste du pouvoir prolétarien).
Il y a deux périodes devant nous. La première est entre aujourd'hui et l'engagement du processus communisateur. La seconde ce processus proprement dit, la révolution communiste, c'est-à-dire les mesures communisatrices.
Il y a un problème pour la première période. Autant dire que je ne crois pas que les luttes soient théoriciennes au sens d'auto-expérience spontanée vers l'engagement de la communisation. Ce thème n'est jamais sorti d'aucune lutte, l'idée de limites à franchir a pu émerger, voire : limites oui, franchir, pas... Par contre il existe des théoriciens et des partisans de leurs thèses qui s'organisent pour les diffuser, dans des luttes auxquelles ils participent ou pas, et plus souvent loin d'elles. Autant que possible des luttes susceptibles de monter aux limites, de montrer ces limites de telle sorte que la théorie puisse s'ancrer sur des activités concrètes, ne seraient que des discussions : en être "une détermination objective", dit Sic, revue internationale pour la communisation. Le but n'est certes pas de faire des adeptes, la question étant chaque fois posée, ou non, par la lutte. On peut toutefois imaginer que les contacts entre porteurs conscients de leur théorie ressemblent un peu au type militant. Ou au type pédagogique... Je ne vois pas comment il pourrait en aller autrement, dans cette première période, aujourd'hui. Le pas à franchir serait celui du prolétariat débordant ce militantisme. En attendant...
Franchissons plus qu'un pas, un saut, imaginaire, pour nous retrouver au début du processus communisateur. Deuxième période, devant nous. Il y aura(it) eu une montée en puissance dans les luttes du concept de communisation et du nombre de ceux qui se battent avec lui, le concept, pour elle, la communisation. Seront-ils moins militants et pédagogues parce que les luttes auraient évolué de telle sorte d'être toujours plus près des limites à franchir (destruction du capital en essence), qu'ici ou là elles le tenteraient sans qu'on puisse les juger "immédiatistes", comme ce serait le cas aujourd'hui, en ce début de crise ? Moins militants et pédagogues parce que plus nombreux au sein des luttes mêmes, sans nécessité d'une quelconque intervention extérieure de théorie (ou de bras) ? Le concept se sera-t-il emparé des masses au niveau qualitativement et quantitativement suffisant ? Communisateurs, combien de divisions ? Questions oiseuses ? prématurées ?
Pourtant quelque chose de la façon dont cela s'engagera dans cette seconde période est en partie fonction de la manière dont on s'y prend aujourd'hui dans la première. Et je penche pour supputer que la communisation ne se fera pas sans militants ni pédagogues, et sans doute pas, ici ou là, sans organisations tendant à la constitution non seulement de la classe révolutionnaire pour soi, mais bel et bien à se structurer en parties organisées, comme parti(s) : nous, le capital, les autres (le "parti de la trouille", ceux qui diront "c'est à nous", les socialisateurs...). Je n'imagine pas comment on pourrait l'éviter. Mais si cela devait être, mieux vaudrait s'en préoccuper dès maintenant.
Il est vrai que ces réflexions sont par trop abstraites, coupées du contenu des mesures communisatrices et de la dynamique des luttes qui peut pousser des groupes de prolétaires non structurés en parti à les prendre, par la nécessité qui apparaîtra et leur volonté de franchir le pas, mais... qu'est-ce ça change à la pertinence de mes questions, quand il s'agit d'interroger les formes-contenu du processus ?
Pour revenir au début de ces réflexions, s'il s'avérait, par malheur, qu'on ne puisse pas faire, subjectivement et objectivement, la communisation sans militer dans et pour un quelconque parti de la communisation, il est possible que son échec soit dès lors programmé. Quid de la dissolution du prolétariat comme classe et de la constitution d'individualités non dépendantes d'une identité collective séparée de la communauté... Il ne suffit pas de s'auto-proclamer 'prolétaires communisateurs'. Sur quels critères ? La force ? Garante de quels contenus ?
Dernière réflexion. Si l'on doit considérer la révolution comme une affaire de classes (sans quoi pas d'abolition), le prolétariat pour soi n'est certes pas une somme d'individus "pris à part" dans leurs singularités... Il n'empêche que toute activité collective supposant une volonté collective dépend de la volonté individuelle de chacun d'y participer. Concrètement ce sont des individus concrets qui mènent la lutte de classe concrète. Le rapport de chacun de ces individus au collectif n'est pas une affaire simple, il est extrêmement variable selon les capacités et les personnalités, et certains ont un poids plus important dans l'engagement, ou non, d'actions décisives. Mon souci n'est pas ici de prôner des pratiques démocratiques, dans lesquelles des individus de pouvoir émergent tout autant, et par lesquelles on manque souverainement d'audace pour entreprendre le plus difficile, le plus risqué, le plus dangereux, et peut-être le plus juste, le plus opérant, efficient à terme... Mon propos est de poser ce rapport, de chaque individu au collectif communisateur et à ces figures de pédagogues, voire de "leaders objectifs". Si la question est inutile, alors tant mieux. Que continue le combat pour le libre développement de tous et chacun. Combat de tous les chacuns et chacunes.
19 décembre 2011 maj 21 déc.
Pour l'individualité communiste (Notes du RER A)
1) Les individus ne peuvent pas vivre sans croire. Sans idéologie. Plus ou moins individuelles ou collectives. La matrice, le modèle du rapport de chacun à son idéologie est celui de la religion. De ce point de vue, rien de nouveau depuis Feuerbach, sur lequel s'appuie Marx pour sa critique de la politique.
2) L'idéologie la plus partagée est celle du capitalisme et de ses valeurs - dans tous les sens du terme, à savoir qu'elles ne déterminent pas seulement les rapports économiques et sociaux en termes de contradiction entre classes antagonistes, mais aussi à divers degrés les échanges inter-individuels y compris en ce qu'ils ont de non marchands.
3) Fonction de sa situation dans les rapports sociaux-économiques et de ses intérêts de classe, de sa compréhension du monde et de son expérience individuelle (sphère privée), l'individu adopte, consciemment ou non, des idéologies prêtes à porter plus ou moins amendées. Dans certains cas, qui peuvent être individuels ou de groupes - mais quel groupe sans leader objectif ? -, s'élabore une idéologie singulière, celle d'un philosophe (d'une philosophie), du théoricien (d'un corpus théorique), du scientifique (vers la philosophie), de l'artiste (ou de tel courant d'époque).
4) Cas de l'art. À l'extrême de la personnalité individualiste (égocentrique), l'artiste ou le poète se bricole son idéologie qui, sauf à faire conflit intérieur doit tenir ensemble sa vision du monde et sa vision de lui-même, et dans son cas déterminer son oeuvre, produit de cette dialectique.
5) En ce qui me concerne, il est clair que mon adoption en 2005 des positions communisatrices, particulièrement celles de Théorie communiste dans leur aspect totalisant, ne pouvait conduire à terme (échu en 2010-2011) qu'à un conflit, évidemment avec ses partisans, mais surtout à un conflit intérieur, parce qu'apparaissait l'incompatibilité d'une pratique communiste théorique et sociale avec la continuation d'un projet poétique dans la visée d'un communisme pour l'individu. Conflit qui n'est en rien, essentiellement, un problème d'emploi du temps, mais qui porte des deux côtés de la 'contradiction' entre l'individualité et, pour faire court, le social, la société, ce qu'il importe de préciser pour ne pas tomber dans le lieu commun de cette opposition.
6) Du côté de la théorie communiste, il s'agit de sa difficulté à penser l'individu, le sujet, en dehors du rapport de classes, et par conséquent, on l'a vu, de l'absence de toute pensée de la transformation des individus dans l'abolition des classes (sauf chez Bruno Astarian > référence texte). Cette incapacité est structurelle dans la théorisation dialectico-structuraliste de Théorie communiste, dans la mesure où le niveau psychologique des individus singuliers est hors champ, mais aussi, pour le dire avec humour, la psychologie des foules (Gustave Le Bon)... Elle existe chez Lucien Sève depuis quarante ans, mais bouffée par le reste de programmatisme et de démocratisme hérité du passé.
La personnalité artiste pose une question qui s'élargit à celle de tout individu. D'où l'intérêt des travaux d'Otto Rank (l'art et l'artiste, 1930) qui se démarquent de la psychanalyse freudienne, de Vygotski (Psychologie de l'art, 1925), et de la poétique selon Meschonnic (Politique du sujet etc.).
Car si la révolution doit produire des "individus immédiatement sociaux", et si doit être pensée une "révolution dans la révolution", il me semble que c'est prioritairement celle de l'individu dans le mouvement de l'abolition des classes. Elle contient, sans lui ôter sa spécificité, l'abolition des genres sociaux (classement en sujets sociaux hommes et femmes), mais de façon autrement constructive, positive. N'oublions pas que la question féminine (qui est aussi masculine), pour les communistes, était à résoudre après la révolution. Aujourd'hui, elle s'en mêle. Elles s'emmêlent. Pourquoi pas les individus ?
7) Du côté de l'individu, la personnalité artiste est intéressante pour aborder le problème, dans la mesure où la création est par nature "moderne" au sens d'Henri Meschonnic, c'est-à-dire en rupture avec l'état présent, les valeurs de l'époque. Et cette rupture est individuelle et individualiste (y compris quand elle faisait groupe, dans les Avant-gardes du siècle dernier). Il est remarquable que l'individu artiste n'aspire pas, a priori, et même s'il peut chercher à marquer son temps, à imposer son point de vue individuel à d'autres, considérant qu'il ne vaut que pour lui. La question, c'est que ce point de vue, celui que porte son œuvre, est une affaire vitale, qui engage la totalité de la vie et des rapports au monde. Pour l'artiste, cette exigence domine toutes les autres, que ce soit dans les moyens de gagner sa vie ou la façon dont il construit sa vie privée. Un intérêt de la personnalité poétique, au plus profond, c'est-à-dire dans la production de son œuvre, et s'il tient son éthique, c'est qu'elle est incompatible avec toute concession au groupe, sauf, naturellement pour les arts de la scène (tendant au spectacle, y compris le récital de poésie), ou pour des raisons économiques. L'artiste, et particulièrement le poète, est celui qui fait le moins de concession à la société, mais qui n'est pas pour autant, a priori, un être asocial, loin de là...
Je précise qu'on rompt avec le point de vue situationniste de la mort de l'art et de son renversement dans la vie quotidienne, encore très marqué par le surréalisme (cf Guy Debord « La révolution au service de la poésie » Vincent Kaufmann, Fayard 2001), c'est-à-dire par le romantisme. Il n'y a pas, contrairement aux apparences, de pensée de l'individu chez Debord, et ne parlons pas de la guimauve de Vaneigem.
15 décembre 2011
L'individu-sujet dans la communisation : franchir le pas... pour marcher au pas ?
L'individu -toujours être humain social - déborde son individualisme (égotisme / égoïsme) dans le capital et la démocratie/Etat qui l'invente comme citoyen de la société civile. Son individualité se remplit de toutes ses subjectivations. Pour cet individu, la position révolutionnaire est une prise d'intérêts dans la lutte de classe, pas une prise de parti. Le parti, qu'il soit organisation constituée, ou sur-moi communisateur construisant de façon schizophrène l'identité communisatrice sans parti, dénie cette individualité, et lui dénie par là sa potentialité révolutionnaire, une subjectivation qui ne peut-être qu'individuelle.
Le véritable objectif d'une révolution communiste n'est pas l'abolition des classes. Celle-ci n'est que le moyen, le chemin, les mesures communisatrices... Il est, dans le mouvement de la désobjectivation (de l'économie et de la l'Etat social) un maximum de (re)subjectivation sociale de l'individu dans sa relation aux autres. Conceptuellement, on peut l'appeler "immédiateté sociale", mais pratiquement ce n'est pas réductible à des relations directes (immédiates) entre individus. La révolution n'est pas la production spontanée d'activités communisatrices, produites ici ou là par des relations inter-individuelles locales, par une nécessité globale simultanée (la crise de reproduction et l'activité spécifique du prolétariat mondial à ce moment-là). Cela relève de l'utopie. Pour un révolution mondiale, il faut des liens mondiaux, qui ne sauraient se réduire à des relations interindividuelles plus ou moins spontanées/organisées. Une telle vision est impuissante à produire une abolition des valeurs du capital - ne serait-ce que théoriquement, et c'est pourquoi elle l'exclut comme un problème pour plus tard, de même que jusqu'à récemment le problème du genre était pour plus tard.
Un enjeu de la pensée communisatrice est de pouvoir penser et agir une individualité sans individualisme, la subjectivation révolutionnaire sans subjectivisme. Penser cette praxis avec, dans et au-delà la lutte en tant que classes. Parce que la communisation est aussi une lutte en tant que sujets individuels (pour autant que l'expression ne soit pas redondante, et voir comment elle peut ne pas l'être).
Cette subjectivation de classe (prolétarisation révolutionnaire) relève non seulement de mesures communisatrices mais de l'invention d'une éthique en leur sein. Éthique de la subjectivation révolutionnaire, au coeur de laquelle le sujet est l'individu, pour l'individu social. C'est une politique de l'individualisation révolutionnaire, qui n'est que transitoirement une subjectivation de classe (sans quoi pas de révolution). Au-delà de l'implication réciproque de classes et en elle, se pose l'implication individu-communauté, et dans la communisation celle-ci devient activités, production de sujets différents, de rapports sociaux différents (il y a évidemment toujours, sinon une "société", des rapports sociaux, sans quoi pas d'humanité). Cela se produit comme praxis d'un projet, non comme simple contrainte à réaliser un être prolétariat s'auto-abolissant, le projet d'une désaliénation individuelle au-delà de l'abolition de l'exploitation, et qui, au demeurant, est consubstancielle à l'abolition du genre social -désaliénation sexuelle du social.
La théorie de la communisation ne peut pas éviter ce questionnement sur la transformation des individus, sauf a rester prisonnière d'une conception marxiste (plus que marxienne) de l'individu toujours pris dans la masse, la structure de classe du social. De ce point de vue, l'anti-humanisme est à dépasser autant que le prolétarisme (programmatisme du pouvoir prolétarien).
Il faut en finir avec la fausse modestie de la théorisation impersonnelle, sans sujet individuel, qui confine à l'inverse à son corps défendant, un universalisme qui se veut concret mais qui en écarte une condition. Je ne vois dans le fonctionnement du milieu communisateur aucune garantie d'une libération individuelle, bien plutôt un militantisme de groupe assez traditionnel et honteux de l'être, ce qui est inévitable tant qu'elle perçoit de façon marxiste vulgaire les individus comme des marionnettes de la structure dont on attend qu'elle descende dans la rue.
J'ai l'intuition que le langage même de la théorie est inadéquat à la communisation, parce que ce langage est impuissant à construire une subjectivation désaliénante.
Je demande à la poésie de me désintoxiquer des oeillères idéologiques de toute théorie révolutionnaire qui ne dit pas d'où elle parle, comme sujet. La théorie, malgré qu'elle en est, est toujours philosophie, et en tant que telle toujours idéaliste, d'autant plus quand elle s'autoproclame, seule, détermination objective, avant même d'être reconnue comme telle par la lutte de classes.
Il n'y a pas à différer ces questions, sans quoi l'on ré-inventera un stalinisme de base, sans parti, le communisateur avec son parti intérieur comme sur-moi, différent des autres peu ou prou tous dans le camp de la contre-révolution, tranchant ce qu'il faut faire ou pas. Manichéisme. Bref, franchir le pas serait marcher au pas derrière les révolutionnaires auto-définis, auto-proclamés, mais jamais transparents face à eux-mêmes en dehors de leur tribalisme "portant toute la misère du monde". On ne leur en demande pas tant. A qui dénie l'individualité dans le groupe, je ne saurais reconnaître un statut d'avant-garde, bien plutôt une fonction de commissaire politique et idéologique. La nécessité, au sens historique, de mesures communisatrices contre toutes les vieilleries exploiteuses, n'implique en rien de se construire une identité (une essence ?) de communisateur(s). Cmme sujet, je prends parti pour une communisation individualisante, responsabilisante dans et au-delà de la lutte de classes.
23 novembre 2011
J'ai supprimé les Ressources classées sur la communisation, construites au fil de ma découverte de ces théories à travers celle, devenue centrale, de Théorie communiste (TC). Elles étaient par trop structurées autour de ses (mots-)concepts et de leur articulation insécable (la fameuse "cohérence interne" de TC). Si j'en retiens une part comme cohérente avec la réalité présente (cohérence externe), dont je ne manque pas de faire profit dans mes réflexions, il ne m'était plus possible d'exprimer des divergences de façon conséquente sans faire exploser la bulle théorique de Théorie communiste, ni de me situer de façon propre.
Il me fallait donc reprendre mon point de vue à partir de questions ouvertes dans mon texte de 2006, "Communisation, troisième courant", et d'autres que la dernière période aura posées, notamment avec la parution de la revue Sic, à laquelle, après quelques observations internes en 2009-2010, j'ai décidé de ne pas participer. Je précise que j'ai rompu tout contact avec ce milieu, dont je ne supportais plus les copinages, le faux-cultisme, les commérages de coulisses, et le caractère identitaire annonçant un communautarisme de truculente "immédiateté sociale".
Mes seules sources de réflexion sont publiques, à la portée de qui s'en donne la peine; j'en fait une exigence de principe. Je reconnais que TC, et d'autres théoriciens ou idéologues fonctionnant en groupes partisans et réseaux d'influence, ne pouvaient se soustraire à cet engagement militant qu'ils ont jugé de leur responsabilité dans la période ouverte. J'avoue sans modestie que je ne cherche à influencer personne, que je n'accorde que peu d'importance à mes divagations solitaires, et qu'elles ne répondent qu'à mon besoin égoïste de l'ouvrir pour dire ce que je pense, et basta... Je ne me considère pas comme un théoricien, ne fournissant pas d'efforts à ce niveau de "rigueur", et ne souhaite pas créer un corpus parallèle, bon nombre de questions posées par Sic étant aussi les miennes. Je me contente de faire des remarques, de caractère théorique ou non, et j'assume entièrement les limites de cet art de la fugue, plus intuitif et subjectif qu'élaboré dans le rationalisme du métier.Dans un premier temps, j'aborderai ces questions de façon relativement improvisée, comme elles me viennent, et je ferai le point ultérieurement.
La présentation des textes est chronologique de bas en haut (sur le principe "demain je découvre le haut").
25 novembre 2011
Ce texte ne figure pas ici en raison de son caractère excessivement singulier et polémiste (victoire !). Il comporte néanmoins des observations en rapport avec le sujet dans sa généralité.
21 novembre, maj 25 novemvre
LA COMMUNISATION ENTRE THÉORIE ET IDÉOLOGIE
Du manque de communisme
Quel manque est décisif ? Pour qui, pour quoi ? Que faire, de quelle nécessité de qui ? de quoi ? Aller à révolution comme à dame, damer le pion au capital en nous ? Le jeu terminé, l'adversaire achevé, une autre partie ? Envers et contre qui ? Le manque se comble de mots théoriques, politiques, poétiques, colériques, hystériques... Il n'est pas de désir sans manque.
Le communisme est l'idéal du manque, il manque de lui-même, mais par la grâce du capital. Quand il ne sera plus en manque, mourra-t-il en l'état, conceptuellement, d'une définition trop parfaite ? Si l'on ne peut parler du communisme sans parler du capital, c'est parce que celui-ci est son géniteur, et lui prête vie contre lui. Le capital mort – l'argent du beurre - pas plus de communisme que de beurre en broche ? Le communisme, en abolissant le prolétariat, ne s'autodétruit-il pas en tant que tel, parce qu'en tant que tel il n'a plus de sujet, ou mieux n'est plus défini par sa contradiction antagonique avec le capital ? Autant dire que les théories creuses, car sans concrétude, sur l'individualité communiste immédiate, sont les contes de fées de moines copistes pour combler le manque de communisme de moines soldats.
À tort ou à raison, le nombre est d'or, seul décisif. Le nombre, c'est la masse des prolétaires, leur poids historique. Mais quelle quantité ferait la qualité ? Ou, quelle qualité fera la quantité ? (Astarian pose la question d'un seuil...). Le nombre manque, la classe s'exprimant massivement, pour le savoir. Mais le nombre marque aussi, dans l'histoire, par son ombre. Le communisme du nombre sera-t-il autre que l'ombre du communisme au soleil noir de son utopie négative, noyé dans les eaux et le papier glacé du calcul pratico-théorique d'un petit nombre, pour l'action théorico-pratique d'un grand nombre ? Rien ne l'exclue, au nom de la communisation, en l'état de sa version revendiquée* "canal historique".
* à preuve cette formule délicate de Bernard Lyon (Théorie communiste) à propos des thèses de Bruno Astarian : « sa version de la communisation n'est pas des plus exotiques »
De textes communisateurs
Certain texte communisateur ne révèle pas seulement un illogisme, une contradiction sémantique interne (voir ci-dessous 18 novembre). Celle-ci n'est pas une aporie (l'absence de description positive du communisme comme état), ni la fausse démonstration d'une contradiction résolue par avance. J'y relève une tautologie, glissant par sauts dialectiquement gérés d'une science de l'histoire à une anticipation mystique, en passant par une interprétation du présent qui joue sur les mots. Dire que l'on parle au présent de communisation, tout en l'affirmant non immédiatement (actuellement) engageable, avoue être gagé sur un avenir dont la prédiction irait comme de soi. Ce qui définit un récit... (j'y reviens plus loin). Le problème n'est pas de parler au présent d'une chose à venir. Il est de nier la part d'idéalisme que cela suppose, dans tous les sens du terme. Gargarisme matérialiste ? Méthode Coué pour le moral du parti intellectuel organique ? Polémique obsessionnelle ?
Contrairement à ce qu'ils prétendent d'eux-mêmes, les textes de ce genre ne sont pas seulement de nature théorique, mais aussi, d'emblée, idéologiques, dans une intrication qui rend tout tri impossible. La « théorie de la communisation » est aussi théorie de son idéologie, mais celle-ci tend à devenir première, pour le meilleur et pour le pire, dans certaines circonstances que nécessite la propagande. Est-ce un signe du présent, de la faiblesse de ce qui ne serait qu'une annonce ? Affirmant « Il n’y a pas de lutte idéologique, la lutte pratique est théorique », Bernard Lyon (Le Pas suspendu de la communisation, Sic n°1) peut à juste titre opposer théorie et idéologie, mais pas masquer l'acception extensive et sur mesure que TC donne à théorie, en tant que pratique, dans un présent où le lien entre les deux n'est que militant; c'est au mieux un tour de passe-passe sémantique, au pire de la propagande manipulatrice. Dans les deux cas encore un jeu de mots (sans preuve, l'idée de communisation étant absente des luttes "qui parlent" mais n'en parlent pas, ne produisant en termes de contenu qu'un discours théorique communisateur externe aux prolétaires en lutte). La théorie communisatrice comme "détermination objective directe» des luttes de classes (éditorial de Sic*), cela reste un voeu pieux. À moins que cela ne relève, comme une part du reste, de la foi du croyant en son 'récit'. Puisqu'aussi bien, Théorie communiste (TC) a fait, chez tous les autres théoriciens, de leur « récit » une cible à boulets 'plus rouge que moi tu meurs', relevons par conséquent que certaines pages de TC, particulièrement des textes de Bernard Lyon, ne tiennent pas moins du récit que d'autres (Astarian, TropLoin..). Un autre récit certes, mais une interprétation du présent liée à une anticipation qui ne serait pas un récit, selon les auteurs de TC, puisque vraie, seule et uniquement juste théorie, « adéquate à l'époque », qui le produit en « préviseuse»... Théorie communiste a beau jeu de relever une attitude idéaliste chez Astarian (dans La communisation comme sortie de crise, sur son site Hic Salta), une attitude politicienne de Dauvé et Nesic (dans leur texte Communisation sur leur site TropLoin), en faisant plus que s'accommoder de celles de Léon de Mattis qui, avec son texte "Qu'est-ce que la communisation ?", un avatar des thèses de TC dénotant une sérieuse inflexion de ses thèses depuis son livre "Mort à la démocratie", tenterait de se refaire une santé théorique dans le petit milieu étendu avec Sic à l'Europe, avec la perspective alléchante d'un leadership (chefferie en français québecquois et africain) et d'interventions polyglottes mondialistes ? La modestie de l'opportunisme s'affranchit des frontières. C'est, de longtemps, d'un interventionnisme très français.
* Editorial de Sic : « Porter le devenir social du concept-clé de cette théorie, la communisation, tel est l’objectif de cette revue. Cette tâche, c’est l’activité de partisans de la communisation, engagés dans des luttes de classe avec les conflits qui les traversent. Dans le moment actuel, la théorie comme ensemble d’activités concrètes (écriture, revue, réunion, diffusion sous de multiples formes, etc.) devient directement elle-même une détermination objective.»
Accessoirement, en termes de petite histoire vécue du petit milieu français de Meeting à Sic, de 2005 à début 2011, le duo Roland Simon-Bernard Lyon, par les aléas de son ménage à trois (intellectuel) avec Léon de Mattis, m'aura éclairé en retour sur la perméabilité réciproque de la théorie et de l'idéologie politique, révélant selon moi un caractère idéologique initial dans Théorie communiste, préalable à l'engagement théorique, ce qui est sans doute inévitable. En manque, au présent, d'une lutte de classes prolétarienne pratique explicitement théorique dans le sens de la communisation, comme à toute avant-garde, vient à la bouche -« détermination objective »... - cette sorte de boucle "eux c'est nous c'est eux...". Éclairé aussi sur les tendances à l'autoritarisme et à la posture de leader de certains critiques radicaux de la démocratie, ce qui ne manque pas d'être gênant, ne serait-ce qu'entre "camarades" dont on connaît, avec ou sans (auto-)organisation, l'esprit de parti... En réalité, Théorie communiste mène aussi, en même temps qu'un travail théorique remarquable que l'on soit d'accord ou non, un combat idéologique, subjectiviste et objectiviste, par des moyens classiques du militantisme intellectuel, car c'est un autre mythe auto-construit, un autre jeu sur les mots, qu'affirmer, en substance, « les communisateurs ne sont pas des militants...». Peut-être qu'en Messieurs-Dame Jourdain de la communisation, TC fait de l'idéologie et du militantisme sans le savoir. Pourquoi pas ? Il n'y aurait, au fond, et au présent, pas de honte à cela.
Pour une idéologie communiste
Le communisme n'est rien sans ceux qui le font, et ressort autant de leur sens d'une justice humaine que de nécessités matérielles face au capital, à preuve le comportement de prolétaires (ou pas, au demeurant) placés dans les mêmes circonstances, et dont la théorie n'est le tigre dans le moteur, ni avec ni sans phrases. Le communisme, sans l'action volontaire de ses partisans, n'irait nulle part par sa simple logique d'adversité interne au capital (la contradiction). Il relève autant, au niveau singulier, du hasard que de la nécessité. Mais aucun groupe de prolétaires ou collectif de théoriciens ne peut prétendre s'élever au niveau (au grade ?) du général sans risquer contredire son idée que le problème se situe mondialement au niveau de l'action, de masse et jusqu'au nombre d'or, de toute une classe.
Quand mourra le capital, qui a donné vie au mouvement communisme, de quoi vivra celui-ci ? Aucune histoire ne se fait uniquement contre son passé, encore moins quand elle prétend en faire table rase. Et l'avenir de la révolution, même au présent, a horreur du vide.
18 novembre
L'UTOPIE COMMUNISATRICE DU COMMUNISME COMME ÉTAT ou le ver dans le fruit de la théorie communisatrice
J'avais en 2010, dans "Communisme, mouvement vs résultat", relevé la confusion entretenue par Théorie communiste dans un quelconque texte de Bernard Lyon.
Dans Qu'est-ce que la communisation ? SIC n°1, Léon de Mattis parle du communisme comme un état à atteindre, produit par la communisation. Extraits : « Par communisme, nous entendons une organisation collective débarrassée de toutes les médiations qui, pour le moment, servent à la société pour relier entre eux les individus : argent, État, valeur, classes, etc. [...] Le communisme sera donc le moment où les individus se rapporteront les uns aux autres directement, sans que leurs relations interindividuelles soient surplombées par des catégories auxquelles tous devraient se soumettre.[...] Le communisme est un monde sans argent, sans valeur, sans État, sans classes sociales, sans domination et sans hiérarchie. [...] toute forme de division communautaire, ethnique, raciale ou autre est également impossible dans le communisme, qui est d’emblée mondial »
Cette acception du mot communisme (comme état) n'est certes pas étrangère à Marx et Engels, puisqu'elle est celle de la société communiste en deux phases, dans la Critique du programme de Gotha (1875, publié en 1891), initiant le marxisme programmatiste pour le siècle qui suit. Mais elle n'est pas celle des textes théoriques de jeunesse. 'Manuscrits de 1844' : « Le communisme est la forme nécessaire et le principe dynamique de l'avenir immédiat, mais le communisme n'est pas en tant que tel ni le but du développement humain ni la forme de la société humaine ». 'L'idéologie allemande', 1845 « le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. » Le communisme est pour eux « le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. » Marx y revient, en 1860, dans 'Herr Vogt', à propos de la Ligue des communistes des années 40 : « il ne s'agissait pas de mettre en vigueur un système utopique, mais d'intervenir, en connaissance de cause, dans le procès de bouleversement historique qui s'opérait dans la société. »
Marx et Engels, par cette usage du concept de communisme, sont en phase avec celle qui sous-tend la définition actuelle de la révolution communiste comme communisation, telle qu'explicitée par les théoriciens communisateurs, et qui tourne le dos au programmatisme initié par Marx et surtout Engels à la fin du 19ème siècle. À rebours, Léon de Mattis, dans ce texte idéologique de vulgarisation, définit le communisme comme « organisation collective», « d'emblée mondial », et lui confère, à un moment donné, le statut d'un état du monde. On peut toujours arguer qu'alors, dans la communisation triomphante, « le principe dynamique immédiat » sera la création par les mesures communisatrices d'une organisation communiste mondiale, mais on craint alors d'y perdre un peu de vue l'individu immédiatement social... Contrairement à ce qu'affirme ce Léon, le communisme ne serait plus seulement le moyen, le chemin, mais bien le but, le résultat de la communisation comme mouvement révolutionnaire. Il faut être quelque peu Tartuffe pour nier que ce but là anime la plupart de ceux qui se réclament encore du communisme, y compris les purs et durs communisateurs sur la base du "moment présent".
Même s'il ne s'agit pas d'une description positive de cet état du communisme, elle figure en creux, comme ce dont on ne peut rien dire, miroir du capital dont c'est la négation, une utopie négative, en quelque sorte. Sans y prendre garde, serait réintroduite une dimension utopique, voire un caractère de projet à ce qui glisserait alors à son corps défendant vers un programme communisateur. Pourquoi pas ? Mais il serait mieux de le dire, plutôt que se rêver en leaders objectifs (l'expression est de Bernard Lyon à propos d'animateurs des événements grecs qui avaient sa sympathie), d'un mouvement abstraitement juste dont Sic représenterait en Europe (sic) le canal historique.
C'est une contradiction dans les termes pour la théorie communisatrice comme "détermination objective" (sic éditorial). Et cette contradiction révèle que certains sicistes (?) sont animés de l'esprit militant de l'intervention, et de l'esprit de parti (pensant et parlant pour le prolétariat comme avant-garde) dont la logique induite est la formation d'un parti communisateur, sur une base idéologique et communisatrice programmatique, comme l'a relevé par ailleurs Bruno Astarian dans « Où va Théorie communiste ? »
Pour sortir de ce qui n'est plus, chez Léon de Mattis, une ambigüité comme chez Bernard Lyon, mais une contradiction symptomatique, il faut cesser de nommer communisme l'organisation du monde post-capitaliste produite par la communisation, et réserver ce terme au mouvement révolutionnaire d'abolition du capital. Sur ce point du moins, il convient d'en revenir au jeune Marx, avant qu'il ne fasse bouillir les marmites de l'avenir...
17 novembre
Communisation
La revue SIC est apparue, porteuse sans contradictions apparentes, « dans le moment actuel, de la théorie comme ensemble d’activités concrètes (écriture, revue, réunion, diffusion sous de multiples formes, etc.) [et devenant] directement elle-même une détermination objective » dans la longue marche (en chinois pinyin : Chángzheng), vers la communisation.
1er novembre 2011 (corrigé 7 nov)
Divagations brouillonnes et sans preuves sur le communisme
(doit être considéré, entre autres et sans détour, comme une critique de la théorie du communisme selon Théorie communiste (sic, où l'on remarquera, en attendant la fin et la revue qui s'annonce, que l'auteur du best-seller 'Mort à la démocratie', Léon de Mattis (le dormeur du Valls) répond à la question "Qu'est-ce que la communisation ?", à faire pâlir d'envie wikipédia.
Communisme et positivité
Si communisme est le nom de l'abolition du capitalisme par la lutte de classes, il ne peut être celui du monde post-capitalisme, résultat de la communisation victorieuse. Choisir la terminologie, c'est renoncer à cette double signification paradoxale. Naturellement, ce résultat n'est pas un état sans histoire, il est lui-même mouvement historique et dialectique après la rupture, sur la base de ses propres contradictions – par exemple les tensions entre individu et communauté(s), et celles entre individus, entre communauté(s) anciennes – d'essence non totalement capitaliste – et nouvelles – solidarités émergeant dans la lutte pour la survie qu'est aussi la communisation.
Parler positivement du communisme, ce serait donc, pour éviter toute ambiguïté, parler de la positivité du mouvement prolétarien contre le capital, et par conséquent admettre que cette composante positive existe dans le prolétariat en lutte - qu'elle lui soit inhérente ou non est une question -, qui reste le seul pôle antagoniste au capital susceptible de l'abolir sur sa propre base, c'est-à-dire strictement en tant que capital. Autrement dit, le caractère strict de l'abolition du capital par le prolétariat a valeur de condition nécessaire, mais non suffisante. Affirmer que cette positivité relève nécessairement de l'humanisme théorique, transhistorique, serait une caricature. La dialectique ne se réduit jamais aux formules tranchantes auxquelles elle peut aboutir par souci de compréhension (voir chez Marx).
Parler positivement du post-capitalisme, résultat du communisme comme luttes entre classes antagonistes, sexuelle pour l'abolition du genre social, du genre humain pour sa survie, c'est reconnaître qu'il existe aujourd'hui, dans le capitalisme, des éléments susceptibles d'être positivés et dans la lutte, et dans son résultat, comme lutte pour l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme et des dominations – sexuelles, raciales,... - internes au genre humain. C'est reconnaître que ces éléments ne sont pas strictement prolétariens, ni monopole du prolétariat en tant que tel, mais néanmoins partie prenante de la lutte pour l'abolition du capitalisme et la construction d'autres rapports vitaux.
L'abolition du capitalisme ne peut être considérée comme stricte affaire du prolétariat qu'en termes théoriques isolant cette dimension d'autres où elle est immergée, en tant que niveau dialectique (Bertell Ollman) dans la totalité des rapports sociaux et environnementaux (ordre animal, végétal, minéral, leurs reproductions et changements...). Cet isolement par la théorie est une opération anti-dialectique, aussi bien sur le plan historique (le temps), qu'en nature et en extension (l'espace). Cette opération théorique est prisonnière de son caractère partiel, et de son mécanicisme structuraliste qui ramène la vie réelle à sa détermination par une partie de la structure. Il relève aussi de l'affirmation que la communisation met fin non seulement au capitalisme, mais à toutes les formes antérieures d'exploitations et dominations, qu'elle inclue nécessairement des formes de luttes qui ne sont pas strictement anti-capitalistes, et d'existences qui ne sont pas strictement subsumées sous le capital. Le communisme a plus d'une flèche à son arc historique. La subsomption réelle tend certes à être totale - asymptotiquelent - mais n'y parvient jamais, à commencer par produire une multiplicité de fronts qualitatifs antagonistes. Partant, la contradiction essentielle (entre classes antagonistes) ne contient ni ne détermine jamais toutes les autres totalement.
Prétendre que parler positivement du résultat post-capitalisme de la communisation relèverait d'on ne sait quelle projection idéaliste, voire d'un résidu de programmatisme ouvrier faisant de ce résultat un projet, c'est de la polémique à bon compte. Ce n'est que la justification d'une théorie qui touche à ses propres limites et à celle de ses critères - dont le relatif succès révèle le sectarisme (sans parler de l'opportunisme théoricien, ni de la mauvaise polémique au long cours, et des bonnes occasions internationalistes d'échapper à l'isolement français).
Dire que les théories de la communisation constituent au présent une dimension objective de la lutte de classes (chute de l'éditorial de SIC) relève de l'évidence, sans quoi leurs partisans seraient des ectoplasmes, des individus de caractère indéterminé dans la réalité sociale, un non-sens pour eux-mêmes. Mais c'est précisément au nom de cette évidence que les mêmes devraient pouvoir parler de positivité de la lutte humaine du prolétariat pour un autre monde que le capitalisme, sans quoi il leur faudrait admettre que leur posture communisatrice, qui ne peut être aujourd'hui que théorique embarquée (mais sans début de réalisation pratique de l'engagement communisateur, alias sans immédiatisme) relève d'une morale communiste davantage que de la lutte de classes concrète.
Théorie, idéologie, parti, organisation, etc.
La question du parti (communiste) et de l'organisation (de la communisation) ne sont pas réglées théoriquement. Rien n'exclut qu'un parti se crée sur la base de la théorie de la communisation, à savoir une dimension non programmatiste de la lutte révolutionnaire. La façon dont le milieu communisateur actuel fonctionne est à cet égard lourde de questions ouvertes, surtout quand ce milieu se considère, à juste titre, comme détermination objective des luttes actuelles (voir plus haut).
Il semble par ailleurs difficile qu'une lutte de classes conséquente, c.a.d. massive et multicentrale, mondiale, s'engage sans idéologie de la communisation. Il est un temps, certes programmatiste, où l'on parlait de « lutte idéologique » sans que cela soit connoté négativement. La lutte d'idées est inséparable de la lutte des armes (avec et sans guillemets), mais ne peut pour autant être qualifiée de théorique, chaque prolo s'improvisant Monsieur Jourdain de "la théorie vs la pratique".
Il faudra par conséquent assumer la nécessité d'une (ou d') idéologie(s) de la communisation. Tout un programme pour les futurs militants communisateurs, et leur(s) parti(s)...