RENTRÉE SOLAIRE, de nov 2011 à fév 2012

Suite, dans anti-journal, de JARDIN DES GLANES. Ouvert le 1er novembre 2011. Fermé 29 février 2012 Suite dans Cahier décharge

- « Au bord de l'explosion » ? 11 février
-
Littérature, idéologie, communisme, 5 février

- "De son propre chef", 1er février
- L'administration de l'aliénation 7 janvier 2012
- Poétique, subjectivation des rapports de l'individu comme sujet au tout-monde en mouvement 18 décembre
- Communisme et poésie ou d'une différence entre faire de la théorie et faire de la poésie 13 décembre
« Pourquoi écris-tu des poèmes ? » 26 novembre
- Éloge de mon désengagement 25 novembre
- Éloge de ma mise au placard
17 novembre
- De (l'écoute) de la musique : la musique est un excellent moyen de perdre son temps 15 novembre

 

28 février

« Triomphe français à Holliwood » Avis de mauvaise langue, un idiot français primé de se taire

Le seul point que je partage avec L.F.Céline, c'est n'aimer de français que la langue*. Je ne l'ai pas choisie. Ce titre envahissant la Une du Monde daté de demain vaut son pesant de cacahuètes (du nahuatl tlacacahuatl, terre et cacao), puisqu'il concerne un film muet, qui plus est intitulé The Artist, où tout naturellement, d'art il n'est pas plus question que de langue française, hors ces mots de "l'artiste" « Putain génial ! », à confronter aux félicitations du Président-candidat et à la pensée candidament française de son Français ministre de l'intérieur : « Il y a des civilisations qui valent mieux que d'autres...». Envie d'ajouter, surtout quand elles se taisent...

* Il y aurait la cuisine, mais d'une part Céline - avec sa meuf - en fut le plus nul des écrivains français, d'autre part, la cuisine française n'existe pas, que ce soit une choucroute, un aligo, une bouillabaisse ou une fondue, le confit de canard, le petit salé aux lentilles, le machin niçois, le boudin antiyé, les crîpes ou les trêpes... avec mes excuses pour les autres, rien de cela n'est singulièrement français. On perçoit sur quel terreaurisme put s'enraciner un régionalisme européen (au demeurant très écolo du terroir, ce concentré natureux de territoire fermé-ouvert par son identité...). Bref, Céline est nul en bouffe, et si je me laisse aller, en langue populaire aussi, quoi qu'on en dise pour le considérer génial ransposé du parlé à l'écrit. Dujardin ? Un idiot français primé de se taire, on ne saurait mieux dire où nous en sommes. Si la démocratie suit son cours, il sera candidat présidentiel dans pas longtemps.

26 février

From the other Side of the Things

DNDF nous délivre une image d'Iran, la peinture au pochoir, reproductible à l'infini, d'un homme de dos juché sur un chariot de supermarché, vide, dessinant le symbole de l'anarchie sur le mur intérieur d'un local désaffecté en briques, rouges, percé de fenêtres par lesquelles diffuse une lumière froide, blanche, quasi aveuglante. Il y a des jours comme ça, on tombe sur des images lumineuses...

Regrets de fond

Mais que manque-t-il aux "meilleurs écrivains français", tels Philippe Muray, Houellebecq, Marc-Edouard Nabe, pour transformer leur talent en génie de ce temps ? C'est assez simple, à mon sens : un sens de classe, ou dit en termes plus prosaïques, des éléments de critique de l'économie politique. Ces trois-là peuvent bien dire de la blue belle manière (la plus simple et directe) des choses bien senties, qu'à un moment donné, manquant de l'essentiel, ils sombrent (tels Bloy, Céline...). Ils se croient très lucides, ne le sont qu'en surface, d'où leur succès comme "sulfureux", en miroir de la médiocrité faite loi. Lucides, ils le paraissent sont davantage que tant d'écrivains classés à gauche, mais du point de vue étroit de la compréhension du monde, d'où ils écrivent, réellement réactionnaire. C'est pourquoi les trois ont gâché leur génie à jouer sur le terrain de l'adversaire, ici, prosaïquement le spectacle avec un petit p (en dignes héritiers de Sollers). Cela dit, encore faut-il les lire, puisqu'ils sont, parmi les médiatisés, les meilleurs de la plume. Muray à propos de Flaubert dans "le 19ème siècle à travers les âges" est assez convainvant, les pages sur Bouvard et Pécuchet (Occultisme et socialisme allant de conserve). Nabe à propos de Billie Holiday et Monk, sur quoi je le partage sans le suivre toujours - ce jazz est ma famille -, m'a poussé vers ses autres écrits, qui n'ont rien à voir avec les commentaires qu'on en fait, du moins pas plus que Céline avec Hitler*, d'un point de vue "artiste". Houellebecq, finalement, écrivant aussi mal que Balzac, il est étonnant que les sous-marxistes du défunt programme ouvrier n'aient pas songé à l'enrôler.

* C'est pourquoi on se demande pourquoi Nabe, dans Lucette, le roman de la veuve Céline (Gallimard 1995), se garde bien de retenir les preuves accumulées de la collaboration nazie de son Dieu écrivain, pour ne mettre en avant que des excuses à son racisme général, les thèses de sa défense et de sa danseuse. La littérature a bon dos... Après, ça nous fait une belle jambe que Nabe ne soit pas antisémite, qu'il conchie le célinœu Sollers ou reproche à Zidane et Debouze de ne pas soutenir leurs frères arabes... Raciser et religioniser le monde ne dénote pas une grande profondeur d'analyse. Dommage, il écrit vraiment bien.

20 février

Éloge du candidat en général, présidentiel en particulier, singulièrement français

« Il apparaît de temps en temps sur la surface de la terre des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu, et dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux; semblables à ces étoiles extraordinaires dont on ignore les causes, et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent après avoir disparu, ils n'ont ni aïeuls, ni descendants; ils composent seuls toute leur race.» Du Mérite personnel, Les caractères, La Bruyère 22 V

16 février 2012

Réparation de l'appareil d'Etat ?

Au pied d'un escalator en panne un panneau : « Cet appareil est en réparation pour votre plus grand confort ». Style président-candidat, ascenseur pour l'échafaud.

13 février

Présidentielles [il y a 7 mn]

Selon un proche, Patlotch a préféré ne pas se présenter, « parce que je n'aurais eu personne à qui me rallier », aurait-il précisé. Selon la même source, qui a préféré garder l'anonymat, il aurait ajouté « Inventer 500 signatures est un exercice d'intérêt poétique ». Mais pour une autre source - qui promet d'autres révélations - il aurait dit "imiter", et non "inventer", différence qui, on le comprendra, pourrait mettre la campagne présidentielle au bord de l'implosion.

Au temps pour moi, « Au bord de l'implosion » même succès (voir ci-dessous), au "petit string en cuir près"

La Grèce, naturellement... sinon, pour la presse, les mêmes dans le désordre : Pôle emploi, la CAF, le Nigéria, le capitalisme [implosion dite systémique], les institutions, Lampedusa, la Syrie, le Sénégal, l'armée française, la Côte d'Ivoire, la FFF, l'atelier du monde [Chine], le NAP [il est somme toute logique que capitalisme et anti-capitalisme implosent de conserve], Kings of Leon, les prisons françaises, le club bourguignon [AJ Auxerre], la majorité présidentielle [Cameroun], "nous" [selon la Cour des comptes], la zone euro, le vestiaire du Real Madrid, votre famille..., le Parti socialiste, le "nouveau Proche-Orient", les profs., etc.

Maintenant, une réflexion, au bord me semble convenir, physiquement, à l'explosion, le centre davantage à l'implosion. Exemples (qui n'engagent que moi] : les banques au centre de l'implosion de la Grèce, la Grèce au centre de l'implosion de la zone Euro... et pourquoi pas l'exploitation au cœur de l'implosion capitaliste ?

10-11 février

« Au bord de l'explosion » ?

Il ne fait aucun doute que Flaubert ajouterait aujourd'hui à son Dictionnaire des idées reçues, le mot "explosion : au bord de l'explosion". Consultant les récentes actualités, on y trouve pêle-mêle Une frontière Chine-Inde au bord de l'explosion, Saint-Nazaire au bord de l'explosion, un quotient familial au bord de l'explosion, le vestiaire tout entier au bord de l'explosion, Pôle emploi au bord de l'explosion, l'atmosphère feutrée au bord de l'explosion, le FN au bord de l'explosion, les finances publiques au bord de l'explosion, les jeunes cadres au bord de l'explosion, la protection sociale au bord de l'explosion,  l'école publique au bord de l'explosion, un petit string de cuir au bord de l'explosion, un couple au bord de l'explosion, une pulpeuse ingénue au bord de l'explosion, l'Europe au bord de l'explosion, une Amérique au bord de l'explosion, un système bancaire au bord de l'explosion, le Nigéria au bord de l'explosion, l'Irak au bord de l'explosion, l'Égypte au bord de l'explosion, le Sénégal au bord de l'explosion, la Libye au bord de l'explosion... la Grèce au bord de l'explosion. Et même l'eau au bord de l'explosion !

Nonobstant que de tout cela, le plus probable me semble une implosion sans borne, j'espère une explosion du journalisme de tous bords. Mon petit doigt me dit que c'est encore, des choses persistant à être ce qu'elles sont, le bord qui explose le moins.

Je m'explique. Dans ce monde, rien ne se présente plus comme bordé, limité à son existence interne. La mondialisation, globalisation en abîme, fait qu'au sein de partout se structurent interpénétrées les zones d'affrontements internes aux sociétés, à leur "société civile", centres de décisions grands-bourgeois de l'économie, salariat instable, poubelles sociales. Ce qui apparaît comme au bord de l'explosion n'explosera véritablement qu'avec son bord, qui le fait mondial, car même débordé de lui-même localement, il ne franchira pas nécessairement les limites du monde tel qu'il est. Quant à la Grèce, "au bord de l'explosion", elle risque d'y rester longtemps, car c'est d'une implosion qu'elle est menacée et menaçante, pas pour autant l'ordre de la restructuration "sans fin" du capital à laquelle nous assistons actuellement. C'est pourquoi je suis dubitatif quant à l'intérêt de se faire l'écho, sans accompagnement critique, d'articles de presse exposant les faits, d'un point de vue supposé neutre, alors qu'il n'est qu'idéologie dominante, dont le journalistes sont les pourvoyeurs purs voyeurs, avec ici cette notion de bord. Qu'est-ce d'autres que le récit passif d'apparences, et l'entretien d'illusions interventionnistes sous couvert d'observation théoricienne d'événements porteurs de changements historiques ? 

On ne peut pas théoriser la révolution comme simultanément mondiale et donner à penser qu'il se joue quelque chose de décisif (à moins de tenir pour décisive la cause théorique) dès qu'un pays - ici la Grèce -, un acquis social - le salaire, la retraite, l'école publique, la sécurité sociale...-, n'importe quelle réalité sociale-historique tenue pour permanente par habitude, sont remis en cause, qui plus est, dans les pays jusque-là relativement épargnés. Gaza, Haïti, par exemple, sans parler des bidonvilles de par le monde, nous indiquent qu'il n'est pas de limite à l'implosion sociale, à la misère organisée, au sacrifice délibéré d'une partie nationale ou régionale du prolétariat, auto-organisée dans l'ordre du capital. Alors, certes, on peut parier sur la capacité de "peuples" qui ont connu un certain niveau de vie (moyen) à refuser la dégradation drastique de leurs conditions de vie. Etats-Unis, Europe... Voire. D'une part la richesse et la pauvreté se déplacent géopolitiquement au rythme de l'économie et de sa crise. D'autre part, le glissement générationnel de ce qui est accepté, en France par exemple sous nos yeux, par la majorité de la population, ne porte pas à l'optimisme attribué à la révolte par les thuriféraires de l'émeute. Bref, tout cela m'évoque par trop ce que j'ai pu vivre à un niveau très bas, mais significatif. Vas-y, on est avec toi ! Mais quand tu te retournes, tu ne vois personne.

Toute théorie communiste...

Un homme ne vaut rien. Easy dort / Fèce qui me plait  / Complainte contre X

5 février

Littérature, idéologie, communisme

Il faut bien entendre que, lisant Volpi ou Caballero, comme d'autres nés depuis la fin des années 60, comme ayant tombé de leurs piédestaux les précurseurs français, dit "structuralistes", du post-moderne (Althusser, Lacan, Barthes, Foucault, Deleuze...), et fait de leurs doutes supposés progressistes et démocratiques, après la chute de Mur de Berlin et du Socialisme réel, une esthétique post-post-moderne, je ne vois rien chez eux d'un questionnement du communisme par l'art ou l'inverse, certes avec un immense talent littéraire, mais d'un aveuglement voire d'un effacement des réalités dynamiques du capitalisme restructuré. Là où Hugo est en phase avec le républicanisme, Rimbaud avec la Commune, Aragon-Breton dans la préoccupation révolutionnaire du surréalisme des années 20, Debord avec 68, ces écrivains me semblent déjà en retard sur leur temps, qu'ils n'écrivent qu'en le refrénant, au passé du présent. On a vu la dérive politicienne et spectaculaire d'un Onfray, parti de Palante anti-social pour devenir une vedette de la philosophie télévisée, en donneur de leçons libertaires et hédonistes (pour qui ?)... C'est au fond un problème entre éthique, poétique et politique, tel que le pose Meschonnic. On n'arrive pas vraiment à savoir d'où ils parlent, un point de vue qui peut s'avérer somme toute plutôt réactionnaire, ce que tendrait à prouver, sinon leur succès, du moins leur position institutionnelle. La dénoncer de l'intérieur, cynisme de cynisme, qui plus est jamais pointant la contradiction de classes, mais seulement des enjeux politiques, de pouvoir, c'est la faiblesse intrinsèque de leurs romans.

Quels que puissent être mes désaccords avec les théoriciens de la communisation, c'est à eux que je dois de comprendre ce temps, ou, plus modestement, de connaître et partager une compréhension de ce temps. Et c'est de là que j'écris, avec et contre eux, mais quoi qu'il en soit plutôt contre l'idéologie à la fois cynique et sceptique qui se dégage de cette littérature contemporaine, y compris quand elle ne verse pas, comme chez Houellebecq, dans la gadoue et le dégoût d'un monde où il se vautre.

En résumé, il s'agit de saisir deux choses essentielles, dans leurs dynamiques historiques croisées. La première c'est que le concept de démocratie est devenu réactionnaire, ce qu'il est plutôt aisé de voir en politique, comme en littérature. La seconde, que les dits communistes ont été, sont, et seront, à leur insu selon, les ennemis intérieurs du communisme face doublement, au capital, à l'individu. La question de l'expression tant communiste que poétique se tient par conséquent en funambule sur ce fil, et c'est pourquoi je ne peux l'exprimer qu'individuellement.

Écrit sous abri

Connaissez-vous l'histoire de cet écrivain japonais, qui, dans un abri aux bombardements américains sur Tokyo, écoutait un quartet de jazz américain en se disant l'Amérique est peut-être le diable, voire un de ses musiciens dans un de ces avions nous bombarde, n'empêche, je m'en fous... et qui, le Japon "libéré" par les Américains, se rendit à un concert de ce quartet américain de jazz, pour apprendre d'un de ses musiciens qu'il avait, effectivement, bombardé Tokyo depuis un de ces avions américains ? Mais ils ne purent le savoir, et se rencontrer, que parce que l'écrivain avait écrit son histoire, et qu'elle était parvenue aux oreilles du musicien américain de jazz.

Jazz

Il me faut signaler la parution de coffrets de jazz économiques en 4 CD regroupant 8 LP 33 tours, à 7,70€ à la FNAC, 20 les 4, soit quelque 60 centimes d'€ le disque noir certains au demeurant non réédités en CD. Remastérisés tant et si bien plus clairs que les originaux, ce qui rend particulièrement les batteries (cymbales) et contrebasses plus réalistes, plus présentes, plus chantantes. On trouve ainsi un Miles Davis, un Modern Jazz Quartet... mais surtout, car pour ce qui me concerne ceux-là, "indispensables", je les connaissais, des Kenny Dorham de derrière les fagots proprement inouïs, où j'ai même (re)découvert un certain Arthur Edgehill*, batteur que j'ai d'abord pris pour Max Roach enregistrant sous pseudonyme, au sein d'un sextet de 1955 live at Café Bohemia, avec des fulgurances d'un jeunot guitariste, étonnamment véloce avant d'entrer à l'écurie Blue Note, Kenny Burrel, et, comme il se devait à l'époque, les incontournables Bobby Timmons au piano et Sam Jones à la basse, bref la quintessence des rythmiques croisées de Miles Davis, d'Art Blakey (Messengers), et autres Horace Silver ou Roach/Clifford Brown (de même sur les rééditions des premiers disques d'Abbey Lincoln, qui aura joué avec le gratin à l'époque où Max Roach la sortait des guimauves pour l'introduire à son destin). Ajouter que dans le merveilleux Afro-Cuban, aux studios Van Gelder en janvier 1955, on trouve aux congas Patado Valdes qui, à mon avis, est bien meilleur, plus fin, plus inventif, plus réactif, que Ray Baretto dans ses utilités pour le latin-jazz devenu à la mode quelques années plus tard. 

* Cet Arthur Edgehill, je n'ai pas trouvé de photo de lui, il joue, excusez du peu, sur des disques de Shirley Scott, Ben Webster, Mercer Ellington, Kenny Burrel, Kenny Dorham, Arnett Cobb/ LockJaw Davis...

Un bémol toutefois, les indications de titres, orchestres, sont parfois imprécises, et même, il m'a semblé, fausses pour le coffret du MJQ, quant à la participation du guitariste Jim Hall, par exemple.

1er février

"De son propre chef" : du travail auto-policier à "la grève devant la société" (de la grève du poète au rêve général, avec Stéphane Mallarmé et Annie Le Brun)

Pour Nietzsche, le travail salarié constitue « la meilleure des polices », « il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance ».

Il ne suffit pas, en matière d'obligation sociale à travailler, de contrainte au salariat/chômage par l'économie, de faire la critique de l'État et de sa police, du management d'entreprise et de la hiérarchie, encore faut-il voir le travail comme auto-policier. L'expression "de son propre chef", qui signifie "de sa propre initiative, de sa propre autorité", relativement au travail, peut s'appliquer aussi bien au travailleur indépendant, sic d'auto-entrepreneur - cet auto-aliéné / parfois auto-exploité dans la mesure où il tient dans sa production tous les rôles du prolo au patron - qu'à l'enseignant devant sa classe, qui n'avait pas jusque-là de supérieur hiérarchique de proximité. L'évaluation par le chef d'établissement met fin à cette illusion qu'il serait indépendant au travail, responsable socialement face à ses élèves dans la classe. De l'employé au cadre de bureau, l'auto-motivation de tous ceux qui trouvent leur travail "intéressant", a quelque chose de l'autogestion. M'avait frappé de constater comment, au Japon, cette forme pseudo autogestionnaire du travail s'inscrit dans le cadre disciplinaire de l'entreprise, de "l'esprit d'entreprise", une idéologie néo-fasciste du travail, que les évolutions du management à la japonaise ont d'ailleurs complétement intégrée pour une plus grande fluidité-productivité, dans l'automobile, par exemple (toyotisme etc.). Le nec plus ultra de cette servitude volontaire est le travailleur en artiste, et réciproquement. L'auto-asservissement comme idéologie partagée, de moins en moins conflictuel en surface, voilà le constat. Aujourd'hui au coude à coude, politiciens et syndiqueux se font concurrence sur le marché nationaliste du "produire en France". Pourtant, dieu que la guerre sociale est plus jolie !

Il y a couramment confusion entre l'intérêt pour le travail et l'activité concrète qu'il contient, avec sa finalité sociale et le flou sur celle-ci. Est masqué le fait que ce travail, parce qu'il est travail dans la société capitaliste, est toujours de nature capitaliste, ceci d'autant plus que son produit est utile pour la société, et que celle-ci est globalement société capitaliste (capitalisée, dit Temps critiques); qu'il n'y a pas à en sauvegarder quelque partie vertueuse contre une autre (par exemple l'économie "saine" contre la finance" ou la valeur d'usage contre la valeur d'échange). Il n'y a pas d'échappatoire. Il n'existe aucune possibilité de libérer le travail de sa définition et de sa finalité capitaliste, sans abolir le capital qui définit le travail comme producteur de valeur via l'échange de ses produits par l'argent.

Il ne fait aucun doute que nombre d'activités pourraient être utiles dans un contexte débarrassé de la valeur, comme échange et comme usage, mais il serait hasardeux de vouloir les trier au sein des rapports sociaux actuels, qui sur-déterminent toutes leurs formes et conditions de réalisation et de reproduction.

Quant Mallarmé répond, dans son entretien avec Jules Huret, « l'attitude du poëte dans une époque comme celle-ci, où il est en grève devant la société, est de mettre de côté tous les moyens viciés qui peuvent s'offrir à lui.», il dit bien cet écart, cette limite, où le poète n'est pas vraiment, faisant grève, dans la société, mais devant elle, face à elle, comme auraient pu écrire Hegel ou Marx. Cette tension, autant dire que la plupart des poètes contemporains héritiers de Mallarmé, avec leurs pages blanches supposées dire l'indicible*, tous ceux-là l'ont bazardée pour le singer, et, par une grève des mots nommant les choses, s'intégrer à la société comme poètes qu'elle puisse reconnaître comme siens.

* Cf entretiens d'Annie Le Brun évoqués ci-dessous : « Aujourd'hui, à voir la pléthore de productions poético-littéraires, on peut se demander si la rétention, le silence ne sont pas plus intéressants. L'expérience des limites, la poésie blanche et l'impossibilité de dire qui vous permettent d'écrire 300 pages, c'est ça le nouveau conformisme, l'académisme de ce temps. On vit une époque formidable où les limites sont au devant de la scène comme toute cette subversion subventionnée devenue le fait des littérateurs professionnels.» Voir aussi mon poème Un rien obscur, dans Crise en vers, 13 décembre 2011

Annie Le Brun, une série d'entretiens

Entres autres merveilles, ce court extrait de ~ 2000, où s'affirme sans la nommer la nécessaire abolition du genre assigné socialement aux femmes (et aux hommes), mais qui en fait une question essentielle d'émancipation individuelle de tous, et non un mécano conceptuel, dialectico-structuraliste, entre genre et classe, comme chez Théorie communiste via DNDF *, qui d'un point de vue théorique, est esthétiquement "très beau", mais pratiquement, nous fait une belle jambe. Je souligne en gras.

« Immédiatement : En 1977, dans Lâchez tout, vous preniez violemment à parti les groupes féministes en montrant que le désir de pouvoir avait été le moteur de leur engagement et de leur succès. En 1990, dans Vagit-prop vous aviez vu dans le courant néo-féministe une même logique identitaire et de pouvoir. Dix ans après, quel regard portez-vous sur les discours dits « féministes » ?

Annie Lebrun : C'est un air déjà connu. Car si les actuelles néo-féministes paraissent dire des choses contradictoires avec celles avancées il y a vingt ans, leur fonctionnement idéologique est tout aussi consternant. Il s'agit toujours du discours du même, où l'identité est affirmée au détriment de l'individualité, de sorte que le groupe doit prévaloir sur toute autre forme d'existence. Avec bien sûr, derrière cela, la volonté d'occuper des positions de pouvoir.

Les féministes comme Simone de Beauvoir ou Élisabeth Badinter ont-elle trahi ce qu'était l'engagement d'une Louise Michel ou d'une Flora Tristan ? Ou bien pensez-vous que, dès l'origine, la revendication identitaire des militantes féministes les condamnait à cette revendication de pouvoir ?

J'ai admiré chez les premières féministes leur refus d'une obligation d'être, leur désertion du rôle. Et je ne peux qu'être pour semblable « affirmation négative » combattant toute identité imposée qui bride l'individu. Or ce que je déplore aujourd'hui, dans tous les mouvements identitaires mais surtout chez les féministes, c'est une attitude inverse. Comme si, à un moment, le refus d'obligation d'être devait se transformer en une nouvelle identité qui devient une autre obligation d'être. Là est le danger de toute revendication identitaire toujours en proie d'être relayée par un désir d'insertion sinon de pouvoir. Quant à la liberté des femmes, elle n'a aucun sens si elle n'est pas posée dans la perspective de la liberté de tous

* Théorie communiste via DNDF 28 janvier 2012 « la contradiction de classe EST contradiction de genre… et réciproquement ! « Pas de surtravail sans travail, pas de travail sans population comme principale force productive; là où nous avons exploitation, nous avons la création de la catégorie femme et l’asservissement de toutes les femmes par tous les hommes. La construction simultanée de la contradiction de genre et de classe (la structure même du rapport d’exploitation), introduit les clivages de chacune de ces catégories dans l’autre, mais aussi les contradictions propres à la construction sociale de chacune de ces catégories qui deviennent des contradictions inhérentes à l’autre » Extrait d’un document de travail de la revue Théorie Communiste. Commentaire DNDF : Il y a des jours comme ça, on tombe sur des phrases lumineuses...

Mehr Licht ! Par les enluminures de sa structure théorique toujours à jamais déjà re-fermée en naissance, Théorie communiste n'éclaire guère que ses illuminés, contemplateurs dans l'auto-complaisance de sa totalité abstraite et, désormais, de sa prétention à être "détermination objective" des "luttes théoriciennes" vers la communisation (revue SIC). Pour sûr, c'est "cohérent", dans la mesure où cette cohérence s'auto-nomme, comme fabrication idéologique d'une théorie, de sa "pratique théorique", et de considérations méta-théoriques sur elle-même à mille lieux d'une véritable distanciation. Quelle idéologie n'est-elle pas détermination objective de l'histoire, comme toute religion, tel le papisme construisant ses cathédrales ? Fallait-il croire en dieu pour autant ? Se reconnaître comme une facette de l'idéologie communisatrice serait plus sain, plus auto-falsifiable, et moins sectaire. 

C'est ainsi que, depuis sa 11ème thèse sur Feuerbach, Marx encule Roland Simon.

Voir en relation Découvrir Annie LE BRUN

Alexandre Steinlein dans le Chambard

TRAVAILLER POÈME.

La préface que j'ai rédigée est trop lourde. Elle écrase les poèmes. Pour l'heure, je la renvoie en postface. Une préface est-elle nécessaire ? Un peu contradictoire avec mon idée qu'il n'y a rien à rajouter aux poèmes, si ce n'est les situer a minima. Par ailleurs, j'envisage d'ajouter quelques éléments biographiques, relatif à mon chemin initiatique au hasard des arts, depuis 40 ans. Je complète "Anti-travail" et communisation, bibliographie sélective, m'en tenant à des textes accessibles sur Internet.

La révolution communiste sera individualiste ou échouera

28 janvier

Jean-Luc Mélenchon tel que je l'ai connu, à la fac de Besançon, en AG amphi Donzelot, en 1971 (Bonaparte au pont d'Arcole). Il était alors tête de turc des "staliniens", dont j'étais, comme responsable de l'UNEF. Il en est aujourd'hui tête de liste présidensable. Sans parler de Cohn-Bendit, les jeunes gauchistes feront les vieux cons, disait alors Aragon.

(TRAVAILLER POÈME)
"Anti-travail" et communisation, bibliographie sélective / Préface 

27 janvier

Pour le capital, gauche ou droite, c'est égal

J'ai apprécié cet article, en cette veille d'élections, parce qu'il fait la démonstration, mieux qu'une comparaison des programmes des candidats, que l'économie politique n'est pas tributaire de qui dirige l'Etat, sur l'échiquier politique. Certes, on s'en passait pour le savoir. Il suffit de constater notre oubli de qui, depuis trente ans, a été aux commandes dans les pays européens, par exemple. Ne boudons pas notre plaisir, devant cet hommage du vice à l'absence de vertu.

L'économie serait-elle indifférente aux élections ? par Jean-Charles Simon, chef économiste de Scor, La Tribune 25 janvier L'élection présidentielle est souvent présentée comme un enjeu majeur pour le pays. En fait, elle ne fait que peu bouger les lignes : pour preuve, les enquêtes sur le moral des ménages ou des chefs d'entreprise ne montrent pas de mouvement significatif. 

La Belgique est fantastique. Elle a permis d'observer que l'absence prolongée d'un véritable gouvernement pouvait être sans conséquence économique apparente. Une simple gestion des affaires courantes, à défaut de pouvoir former un gouvernement, n'aura en rien affecté l'économie belge ces dernières années au regard des performances des pays voisins, quels que soient les indicateurs étudiés : croissance, chômage, confiance des ménages et des entreprises... En points de PIB, l'écart entre la dette publique de la France et celle de la Belgique - qui avait atteint des sommets dans les années 1990 - s'est même réduit de moitié depuis le début de la crise !

Pourtant, le débat public en période électorale, en France comme ailleurs, en 2012 comme par le passé, est prompt à dramatiser l'importance des enjeux des scrutins majeurs. Or, là aussi, il est intéressant de se demander si leur importance n'est pas très exagérée... en matière économique tout au moins.

Si l'on s'intéresse de près aux échéances électorales récentes en France, on ne détecte ainsi aucune fébrilité particulière des agents économiques à l'occasion de ces élections. C'est vrai des investisseurs : aucun mouvement spécifique perceptible des indices financiers, pourtant les plus volatils, au lendemain des résultats des dernières élections.

La Bourse de Paris est ainsi restée étale, comme ses voisines, après les deux tours de la dernière présidentielle ou lors de la précédente. Pas de mouvement sur la place française au lendemain du 21 avril 2002, par exemple. Lors de la victoire de la gauche en 1997, le CAC 40, qui avait reculé après le premier tour, progressa légèrement à l'issue du second tour de ces législatives anticipées.

Le fameux "spread" entre les obligations d'État françaises et allemandes s'est également montré insensible à l'issue de toutes ces élections : il n'a pas bougé lors des deux dernières présidentielles ni lors des législatives de 1997, au cours desquelles il était resté imperturbablement en légère faveur... des OAT françaises.

Un constat identique prévaut si l'on s'attache à la confiance des ménages et des chefs d'entreprise. Les enquêtes les concernant, qui sont des indicateurs importants du climat économique, ne montrent aucune différence entre les évolutions de leur moral en France et dans les autres pays européens au moment des dernières élections françaises. Comme si leurs situations et perspectives économiques ne dépendaient pas des changements politiques pouvant résulter des élections.

Si les agents économiques sont donc peu sensibles aux résultats des séquences électorales, c'est qu'ils sont tout simplement lucides et rationnels. Car, pour au moins trois catégories de raisons, ils n'ont ni espoir majeur ni forte crainte à avoir en matière économique à l'occasion de ces possibles alternances gouvernementales, en France ou dans d'autres pays. Dès lors, naturellement, que ces élections ne peuvent se traduire par un basculement radical de l'ancrage politique et régional de la démocratie dont il est question.

La première explication de cette indifférence relative est certainement la mondialisation, et donc l'interdépendance considérable des économies. Les cycles mondiaux d'expansion et de récession semblent beaucoup plus s'imposer aux pouvoirs nationaux qu'être entraînés par eux.

Les grands choix de politique économique paraissent en partie neutralisés ou au contraire dictés par les mouvements de balancier des cycles de l'économie mondiale. De même, les grandes mutations technologiques, l'innovation, au coeur de la croissance économique, résultent de processus complexes, structurels, sans lien perceptible avec des choix politiques, surtout ceux d'une puissance moyenne.

Par ailleurs, en partie sous l'effet de la cause précédente, les alternances politiques ne semblent pas devoir entraîner des bouleversements, le pouvoir politique ne disposant que de leviers limités sur l'économie. De telles contraintes ont toujours existé, ne serait-ce qu'avec l'encadrement des pouvoirs exécutif et législatif en démocratie (règles de droit, pouvoirs locaux, prérogatives des acteurs économiques privés ou institutionnels...). Elles sont encore plus importantes pour un pays de l'Union européenne, et singulièrement de la zone euro : politique monétaire gérée par la BCE, élaboration de normes confiée en partie à l'échelon communautaire, libre circulation des capitaux et des personnes...

Enfin, à l'instar des enseignements de l'école du Public Choice fondée par les économistes Buchanan et Tullock, les agents économiques observent que les responsables politiques essaient avant tout de maximiser leurs chances de remporter les élections. Ménages et entreprises n'attachent donc qu'une importance toute relative aux engagements préélectoraux. "Les promesses n'engagent que ceux qui y croient", aurait dit un homme politique : force est de constater que ceux-là ne sont en fait pas si nombreux. 

24 janvier

TRAVAILLER POÈME / Sommaire. Préface. Esquisse de présentation des rapports "anti-travail" / communisation, avec bibliographie sélective. 

23 janvier

L'individu prolétaire contre le travail

à propos d'une remarque de Michael Seidman dans L'étrange histoire du livre "Ouvriers contre le travail".

22 janvier

TRAVAILLER POÈME

J'engage le projet d'un premier livre de poèmes, à l'occasion d'un prochain arrêt de travail définitif.

21-22 janvier 2012

« Patloch et sa prétention à vouloir "poétiser la révolution» ?  Allons donc...  Moi, la prétention d'une ânerie ?

Jacques Guigou (co-auteur de Temps critiques) se propose, dans Poétiques révolutionnaires et Poésie (texte en cours, hiver 2011) des « critiques de Patloch et de sa prétention à vouloir "poétiser la révolution"». Ne sachant trop me comprendre moi-même, je le lirai avec attention, peut-être m'éclairera-t-il sur cette supposée prétention, s'il parvient à la fixer et la cerner. Ma poétique est mouvement, mieux "définie" par mes poèmes que par tout ce que je peux en dire, qui n'est jamais qu'une réflexion l'accompagnant en coulisses - pas une méthode, pas une théorie à faire des poèmes. Ma poétique n'est pas une théorie poétique. Ma poétique ne vaut que pour moi et ne prétend pas servir à d'autres. Les poètes, je l'ai dit, je m'en fous, la plupart m'ennuient et leurs critiques m'enragent, commissariats de police de la pensée. Je refuse l'idée d'un communautarisme de poètes, d'un champ clos de la poétique, d'un discours sur la poésie qui ne serait pas d'abord une pensée de la vie passant par chaque poème, pas par une "poétique", ni par "la poésie" en général, encore moins par sa critique. Toute poétique générale n'est qu'un avatar de l'esthétisme d'un genre. Autrement dit, je ne vois pas bien sur quoi pourront porter ces "critiques" sans passer à côté, encore une fois, du poème, de chaque poème. Ma poétique ne regarde que mes poèmes, elle n'existe pas séparée d'eux. Chaque poème fait, défait, refait sa poétique, ma poétique. 

Après tout, il n'est pas impossible que j'aie laissé entendre, ici ou là, vouloir "poétiser la révolution" - auquel cas je souscrirais aux critiques de Jacques Guigou. J'ai dit un certain échec de la structure d'horizon de mon site, où poésie et révolution se rejoindraient à l'infini. Il me semble pourtant que tout ce que j'ai écrit, notamment à partir du jazz, s'inscrit en faux contre une tentation de gauchisme esthétique. Cela dit, je reconnais être sur le fil, en funambule pro-révolutionnaire, et bien conscient qu'ici ou là, je tombe dans ce que critique Tsetaeva (voir plus bas - quelques "poèmes" par trop politiques, philosophiques...), dans la mesure où je maîtrise la technique pour mettre en vers n'importe quoi, comme les classiques et les publicitaires, ce qui ne fait pas toujours du poème.  

Quand j'affirme aujourd'hui "sans poésie pas de révolution", c'est plus modestement pour révolutionner ma poésie et la situer dans ma vision d'une révolution qui satisferait mes attentes individuelles, et par là (re)définir l'exigence de mon rapport au monde, que pour "poétiser la révolution". Si les révolutionnaires ne partent pas d'eux-mêmes, s'ils n'ont pas d'exigences individuelles, ils ne feront qu'une révolution de dupes, et pour les autres un champ de ruines. Que ceux qui feront la révolution se débrouillent, avec la poésie. Ce n'est pas mon problème. Ce n'est le problème d'aucun poète en tant que tel. Pour que ce soit bien clair, dans une "révolution" sans poésie, je veux que mes poèmes soient brûlés comme contre-révolutionnaires.

Quant à l'expression "poétique révolutionnaire", je la rejette radicalement. Une poétique révolutionnaire n'existe pas, sauf si l'on entend révolution dans la poésie, révolution interne dans et par son langage (par exemple Hugo, Rimbaud, Mallarmé, révolutionnent en ce sens la poésie). Il y a ou non poème (cf Meschonnic pour les critères). Il y a un rapport direct entre poésie et révolution, parce que dans les deux la vie est en jeu, directement, pas par l'intermédiaire d'une poétique pour la première, ou d'une théorie pour la seconde. Elles leurs sont immanentes. Vouloir un poème "révolutionnaire" relève du gauchisme esthétique, il n'y a pas à en sortir. Nulle part je ne revendique ma poétique comme révolutionnaire, je n'ai la "prétention" de cette ânerie. Autrement dit, ce pourrait être un parfait contre-sens que me critiquer dans un texte sur "les poétiques révolutionnaires". Il doit être clair que je renverse le rapport, entre poésie et révolution, qui fut celui des situationnistes après les surréalistes sur la base de Lautréamont et Rimbaud (la poésie faite par tous non par un, dont j'aurai si longtemps fait un mot d'ordre définissant mon "style" à partir des collages, tressages, de Livredel pour l'écriture). Aujourd'hui, je revendique pleinement le poème comme transfiguration du langage, de l'être, de la vie, à un niveau profond individuel, relationnel entre uns par le poème, non d'un ou plusieurs pour des masses anonymes dans un particularisme de classe prolétarienne. Une fois pour toute, ma poésie n'est pas une musique militaire, un cantique militant.

Ayant lu Le poète et le temps, de Tsetaeva en 1932, que Guigou place en exergue, "Le thème de la Révolution / est une commande du temps./Le thème de la glorification de la Révolution/ est une commande du Parti.", je pense que la ligne de démarcation qu'elle définit peut être juste, mais demeure floue, ici déshistorisée et séparée de la singularité de Tsetaeva dans son rapport à la poésie et à la révolution. Pourrait-on écrire la même chose de l'amour ? Quel poème d'amour s'écrit "sur le thème de l'amour" sans être "glorification de l'amour" ? La glorification n'est pas un "thème" sur lequel on écrit, un objet à distance, c'est la matière-sujet même dont le poète fait de sa vie poème, par son langage. Tsetaeva n'ayant jamais pris parti pour la révolution communiste, d'où elle parle, elle est cohérente avec elle-même, mais pas pour d'autres poètes de son époque ou de la nôtre. On ne peut s'en revendiquer sans être normatif. Elle a raison de rejetter le gauchisme esthétique - le réalisme socialiste, pour parler de cette époque -  qui tue l'art, la poésie, mais on n'épuise pas la question sous la notion de thème, de sujet du poème. Si un poème "glorifie" la révolution, c'est l'affaire d'une vie, pas un thème dont le poète ferait de la poésie. On n'écrit pas un poème comme un essai philosophique (bien que l'essentiel de la poésie post-moderne, reconnue, le fasse, et l'académise, Guigou félicité par Bonnefoy, sic de révolution). Voilà encore une idée de professeur en poétique, et en révolution. Une critique de fort en thèmes. Une critique de petit bourgeois des lettres, planqué dans l'institution culturelle. Une critique plus philosophique que poétique. Une critique qui confond la poésie comme "genre littéraire" et le poème comme œuvre-sujet dans sa présence (Meschonnic). Une critique qui, de fait, n'en a rien à faire, de la révolution, sauf des dissertations universitaires, des généralités surplombantes, un discours passe-partout parlant de nulle part, jamais de soi, au monde entier. De quoi se mêle ce genre de critique ? Un genre dont n'ont besoin, dans leur praxis individuelles ou de classe, toujours situées, ni les poètes, ni les révolutionnaires.

Aujourd'hui, dans la crise du capital, chemine la nécessité d'une révolution communiste. Personne ne peut y échapper, parce qu'il y a unité dynamique, dialectique, de la crise économique et de la perspective communisatrice, avec et sans théorie. Moins encore le poète ne saurait le refouler. Quel triste poète de son temps, celui qui l'évacuerait au nom de la poésie !? Le poème appartient à son temps, pas à une poétique, pas par l'intermédiaire d'une poétique. Le poème est ou n'est pas de son temps, dans son temps, performatif. Critiques universitaires de la poésie, foutez-nous la paix ! Vos gréguerres ne nous concernent pas. Alors oui, se pose la question, non de "poétiser la révolution", mais bien de "glorifier la révolution", pas comme "thème", mais comme nécessité au présent du futur, et pas seulement de tester mon nombril sur l'air du temps poétique à posture pré-pro-révolutionnaire. Il n'y a pas à "poétiser la révolution", parce que sans poésie elle ne sera pas la révolution. Je ne chante pas depuis l'objectivisme froid d'une théorie, mais depuis ma subjectivité, serait-elle dans l'erreur d'appréciation. Mon nombril ? Chacun de mes rapports sociaux, relations du singulier au général passant par le particulier, me constituent comme individu dans le capital contre le capital, mon nombril parle à mon petit doigt qui me cause d'une révolution nécessaire. Je verrais mal que mes poèmes en réchappent, contemplatifs, quand cela me travaille de part en part. Par nature de ce que la révolution (m')est devenue une question au présent, ma poésie ne saurait la fuire, sauf à se trahir, à me trahir. Quelque chose a basculé, depuis la posture surréaliste, la posture situationniste, et leurs suivistes post post post. Quelque chose qui n'est pas à comprendre mais à prendre, en compte, au sérieux, à bras le corps, le poème, son pied, à en chasser tout esthétisme de l'art pour l'art, mais à assumer notre temps, un temps revenu de révolution nécessaire. De poésie nécessaire.

« - C'est de toi, Ricardo ? interrogea Escobar. Pompeux, non ?
- Pssss... C'était il y a fort longtemps. J'ai écrit ce sonnet à vingt ans, et je suis toujours là. La poésie conserve. Mais il faut la prendre au sérieux, mon petit : pas comme toi. Toi, tu as peur du ridicule. C'est ce qui te tue. Donne-moi un autre cognac. »
Antonio CABALLERO, Un mal sans remède, Bogotá 2004, 10/18 2011, p.187

Crise systémique globale - 2012 : L'année du grand basculement géopolitique mondial  (GEAB 61)

14 janvier 2012

Il me fallait franchir le pas d'une rupture relative avec le milieu communisateur (2010-2011) pour assumer de ne plus parler qu'en mon nom, pouvoir ressentir et penser la révolution communiste comme produisant l'immédiateté sociale des individus, double affaire, nécessitant l'abolition des classes du capitalisme par le prolétariat, et posant dans le même mouvement la nécessité pour les individus de dépasser par eux-mêmes leur individualité aliénée dans et par les sociétés humaines jusqu'ici. Le cheminement par lequel j'y parviens n'a rien d'orthodoxe, il repasse, comme chez les surréalistes, comme chez les situationnistes (ces groupismes enrôlés par des chefs de file, Breton, Debord...), par la rencontre entre l'art et le communisme, ce que fait l'art au communisme. Bref, il s'agit d'assumer l'individu contre le capital et de pouvoir dire "Moi, je, communiste...", sans se revendiquer d'un individualisme révolutionnaire tel qu'on l'a rencontré chez Jouffroy et autres libertaires, aveugles à l'exploitation capitaliste (lutte de classes) comme moteur et nœud de l'histoire, comme au demeurant à la domination de genre dans son essence. Sur sa base initiale, engloutie par ses modifications successives, mon site a échoué à joindre à l'infini poésie et révolution, mais de cet échec surgit, comme renversement problématique (Temps basculés) la quasi impossibilité pour moi de parler de l'un ou l'autre séparément. Désolé pour la lecture, qui s'en trouve en surface déboussolée, les catégories classant art et révolution tendant à la caducité dans leur séparation.

Pour changer les individus, le combat communiste. Pour changer le communisme, le combat des individus.

12-14 janvier 2012

L'individu dans la communisation, un point de vue poétique, texte impossible à ranger dans les catégories poétique ou communisation, tant il brasse les deux points de vue, tel que je me le proposais à la fondation de ce site en 2004. 

7 janvier 2012

L'administration de l'aliénation

L'administration - la Fonction publique - en tant qu'elle est l'instrument de gestion de l'État comme celui de la classe dominante - le capital - est l'institution par excellence de la collaboration de classe. Tout ce qui défend la Fonction publique, sous l'appellation vertueuse de service public relève, plus ou moins à son insu, de l'idéologie du capital et de l'État.

Cette collaboration de classe est davantage aliénation - des salariés de l'État, du syndicalisme  et de la gauche politique -, qu'exploitation au sens d'appropriation de plus-value, puisque l'action de l'État ne produit aucune valeur, et que les moyens d'actions, de fonctionnement et le salaire de ses agents (fonctionnaires ou pas), sont prélevés, via l'impôt, sur la valeur créée dans le secteur productif de marchandises.

Aux yeux de ceux qui la subissent et l'alimentent, cette aliénation est constamment aveuglée (dans la mesure où d'une aliénation/addiction on peut aussi être conscient sans pouvoir lui échapper, ici l'aliénation se redouble d'être insaisie), par la supposée vertu des missions de service public, dont il est particulièrement difficile de comprendre qu'elles participent de l'organisation, du fonctionnement et de la reproduction globale du système, les capitalistes ne pouvant assurer séparément toutes ces fonctions, y compris dans le plus ultra des libéralismes, comme en témoigne dans la crise le recours aux ressources d'État (via l'impôt) pour sauver les banques, par exemple (2012 nous en apportera une nouvelle et cruelle démonstration).

Plus difficile en tous cas de discerner ce rapport aliéné pour un fonctionnaire que pour un travailleur d'usine ou du commerce, dont la confrontation est directe via l'activité productrice avec la logique du profit, dans la création de valeur et sa transformation en capital additionnel. Il s'agit davantage pour le fonctionnariat d'assurer les conditions générales du retour de la force de travail au moment de l'extorsion de plus-value. L'Etat garantie la présupposition du rapport capitaliste. Cela se décline en fonctions concrètes, selon l'époque.

On peut certes distinguer des missions de service public plus ou moins éloignées de la "vertu" - plus encore les professions de santé que celles de l'enseignement -, et d'autant plus que le contact avec le "public", les "usagers" devenus "clients", est direct, et non activité gestionnaire de dossiers, à distance. Là où je travaille, administration centrale d'État, non seulement cet éloignement (du "terrain") est à son comble mais l'idéologie aussi : celle de l'écologisme d'État sous le vocable de développement durable. Très peu perçu comme service (actions d'ampleur nationale et idéologie) de l'État au capitalisme vert.

Dans ce milieu, les tâches internes de DRH sont elles aussi perçues comme vertueuses aux deux niveaux, de la finalité écologique dont la propagande interne est systématique, et de la création d'emplois assurant ses fonctions supports - l'organisation sociétale étatique du développement durable. D'où par exemple les fusions de corps séculaires des Ponts et Chaussées avec les Eaux et forêts, en Ponts et Forêts (sic), grandes écoles et concours liés. Naturellement, cela est caractéristique de la technocratie et de la bureaucratie de toute administration, au sens concret du terme, mais cette gestionnite s'exacerbe aujourd'hui dans un taylorisation informatisée et la division du travail entre tâches de pilotage et d'exécution, y compris au niveau administratif central (nombres de bureaux sont devenus des soutiers sans aucune réflexion associée, ces fonctions étant dissociées dans les organigrammes).

Il en résulte que la plupart des agents (les salariés d'État quels que soient leurs statuts et niveaux de grade), même conscients qu'ils viennent au boulot pour gagner leur vie, pensent que cet objectif n'est pas le seul à faire leur, et qu'en somme ils travaillent pour la vertu, du service public, du développement durable, comme ailleurs dans l'enseignement, la recherche, voire la police assurant la sécurité des citoyens... Leur travail, comme activités, tâches concrètes, leur apparait comme plus ou moins intéressant, et leur rapport au travail toujours déterminé subjectivement par cette illusion source de culpabilisation, au-delà même du fait que tels types de tâches contiennent plus ou moins, en elles-mêmes, toujours un peu d'intelligence, une valorisation source de reconnaissance ou d'auto-satisfaction de leurs "compétences" (savoirs, savoir-faire, savoir-être, dans le jargon managérial déterminant l'employabilité, la mobilité, la flexibilité, la polyvalence..., autrement dit le cumul de plusieurs métiers autrefois séparés - par exemple dans la réforme en cours actuellement les gestions d'actes administratifs et de paye <=> faire plus et 'mieux' avec moins, qui rencontre quelques limites visibles et potentiellement explosives, ou plutôt implosives d'un système menacé d'effondrement sur lui-même comme l'Union soviétique, puisqu'avec moins, l'expérience montre qu'on fait plus mal.

Bref, le fonctionnaire est toujours assez persuadé que son travail est utile à d'autres, et davantage à la société qu'à l'État même, celui-ci de plus déconnecté du capital (hors la lucidité de hauts-fonctionnaires, bourgeois bien conscients d'appartenir à et servir la bourgeoisie classe du capital, position de classe plus que position politique, car ce "sens de l'État" est le même pour des hauts-fonctionnaires de droite et de gauche.

Autrement dit, il n'y a chez les fonctionnaires aucune désobjectivation du rapport social du travail, du salariat. L'idéologie du service aux citoyens fait écran, et même constatant sa remise en cause "ultralibérale", il convient de la défendre en résistant, cad pour ceux de gauche en travaillant bien (les chefs de gauche et les syndicalistes sont plus redoutables de ce point de vue que les droitiers). Du moins distanciation ne s'exprime-t-elle pas, car l'exprimer fait de vous une véritable racaille, un ennemi dans les murs, s'attirant inimitiés et ennuis, et se coupant du consensus de relations tranquilles avec collègues et plus encore hiérarchie.  Relations tranquilles au vécu près, "le stress" provoqué par le manque de moyens, l'austérité nécessaire, concernant le fonctionnement comme les salaires. La relation de travail comme l'idéologie syndicale étant fondées là-dessus, elles ne peuvent remettre en cause le rapport salarial en essence. En résumé, c'est l'idéologie de l'État-patron, d'où la connivence de plus ou moins de dialogue social, et de l'accompagnement syndical du management le plus apte à éviter les retombées inévitables de ce qui est devenu, renversant le harcèlement moral ou professionnel de quelques-uns, une logique managériale, une morale du harcèlement de tous (cf suicides dans la Fonction publiques et mesures psycho-sociales prises pour pallier aux inconvénients les plus visibles... si vous avez des problèmes, les mêmes qui les ont provoqués prétendent vous aider à les résoudre, ce qui ne saurait encourager les réfractaires à leur faire confiance).

Au fil de ces dernières années, j'ai eu de plus en plus de mal à exprimer mes opinions (grosso-modo de plus en plus radicales et communisatrices, et donc entre autres abolitionnistes des rapports salariaux et hiérarchiques). Le faire m'isola de plus en plus, jusqu'à la placardisation (cf plus bas Éloge de mon placard), qui l'un dans l'autre, fut pour moi un moindre mal : à aucun moment je ne l'ai ressenti comme un déni, une non-reconnaissance de mes capacités professionnelles, comme la plupart de ceux mis dans cette situation. Faire des heures vides de toute activité professionnelle et de tous contacts n'est certes pas facile, et complique votre présence même au boulot, mais au bout du compte, j'échappais à tant de situations devenues insupportables que je vivais mieux que beaucoup les acceptant sans broncher, gérant leur stress sous camisole chimique en cachets divers - y compris le cachet de "la carrière" qui monte, ce charme discret de la petite bourgeoisie. Ma carrière a baissé, mon salaire et mes primes avec.

À la faveur d'une nième réorganisation, ma hiérarchie a réussi à me remettre au boulot, sans que je puisse user des ruses qui avaient si bien marché durant presque cinq ans, et qui faisaient mon seul tourment, ma seule cause d'angoisse : comment leur échapper ? J'aurai avec bonheur favorisé des circonstances favorables jusqu'au bout. C'est fini. On reconnait le bonheur au bruit qu'il fait en partant (Jouvet). Me voilà donc à nouveau confronté, à quelques mois de la retraite, à ce rapport quotidien infantilisant, humiliant, qui est la meilleure façon de me déresponsabiliser et de me faire travailler mal. Je travaille ou je ne travaille pas, mais j'ai du mal à travailler mal... Un chef ne pourra malgré lui que me faire mal travailler, sauf à me laisser tranquille. Il n'a pas fallu plus de deux semaines pour que j'explose, et dire à mon chef que tout chef n'est pour moi qu'un "flic du travail", ce qui ne fait pas plaisir, ce simple constat étant pris comme insulte blessante. Cela concerne autant le chef gentil que le méchant, le plus "humain" comme le plus pervers, cynique et sadique comme naturellement la fonction y est poussée, sur la pente des compressions d'effectifs. L'autoritarisme sera de moins en moins larvé, la mise au travail forcé de moins en moins compatible avec la gentillesse. Sans doute le rempart hypocrite de la bonne ambiance d'équipe dont le rebelle trouble le consensus tranquille finira bien par se fissurer un jour, mais là où je suis, l'heure n'en est manifestement pas venue, et trouver des complicités est quasi impossible. On ne peut faire semblant d'être servile sans l'être réellement. Il n'est pas rassurant de désobéir, alors mieux vaut anticiper les ordres et fermer sa  gueule... On se met aux ordres de façon naturelle, et tous les prétextes n'y changeront rien : ceux qui ne remettent pas en cause explicitement le rapport salarial et hiérarchique de l'intérieur ne font que l'entretenir et le justifier.

Au niveau de l'encadrement, je parle essentiellement de l'encadrement intermédiaire et de proximité - je n'ai plus accès à l'échelon supérieur des tireurs de ficelles et d'échelles -, la bonne conscience de ceux qui appliquent (voire inventent) scrupuleusement toutes sortes de mesures scélérates pour mettre en oeuvre la politique d'austérité, y compris à l'encontre des fonctionnaires (sauf à eux-mêmes, les primes dépendent de la façon de servir, collectivement et individuellement), cette bonne conscience est proprement incroyable, planquée derrière l'ordre donné, la règle à appliquer, l'interdit de ceci ou cela... C'est pétainiste à souhait. Pas besoin d'une Le Pen aux commandes; il va sans dire que les fonctionnaires ne lui poseraient pas de problèmes majeurs.

Tout au plus, à exprimer peu ou prou ce que les moins payés ressentent malgré tout comme leur lot quotidien, puis-je conserver un capital de sympathies de longue date acquise. Mais, dans ce contexte, les syndicats n'ont qu'un but, vous faire rentrer dans le rang du travail pour votre bien. Comment pourraient-ils défendre un "anti-travail", quand le rapport salarial est leur raison d'exister ? Toutes leurs critiques portent sur les moyens et salaires qui manquent à un "bon service public" et ils défendent d'autant mieux les "bons" éléments "injustement brimés", sur des critères où ils entrent en concurrence entre eux et avec l'administration. Leur discours ne peut donc, sauf pour la galerie, se démarquer des critères du management hiérarchique. Pas étonnant que l'ambiance générale, via l'accentuation de la crise, semble à la résignation généralisée.

Toujours est-il que dans ces conditions, et en l'absence de situations de luttes collectives, il m'est devenu impossible de continuer. Je vais devoir accélérer ma mise à la retraite, si je veux éviter d'en venir à quelque acte de légitime violence, qui m'attirerait inutilement les pires ennuis, sans plus personne pour me défendre, sauf comme cas pathologique. Mon rapport de force contre l'institution est devenu absolument défavorable, et plus aucune ruse ne fonctionne pour en sortir (les techniques psychologiques du management sont devenues redoutables, si bien qu'en face à face, aucun n'est dupe des objectifs de l'autre, et cela peut se dire de la façon la plus cynique, dans une violence psychologique et symbolique terrifiante, au demeurant de ma part renvoyée réciproquement avec le plus visible mépris).

Pour autant, dans ces quelques mois où il me faut encore tenir après 37 ans dans la boutique, il ne faut pas trop compter sur mon silence. Je n'ai pas eu toute ma vie la dignité de certains combats - y compris en me trompant - pour finir ma "carrière" couché. Vaincu, sans aucun doute, mais pas soumis. C'est dire qu'un certain nombre de personnes, qui s'y attendent le moins, vont avoir le déplaisir de me voir sortir encore de mes gonds et leur envoyer à la face tout le bien que je pense de leur lâcheté, de leur cynisme satisfait, et de leur parfaite adéquation à cette évolution accélérée qui fait d'eux, explicitement, les petites mains consentantes et zélées de la collaboration de classes, d'autant que beaucoup se pensent à gauche. À gauche de quoi ?

À titre personnel, en partant, à ces valets cadres moyens et supérieurs, j'offrirai un choix de mes poèmes concernant le travail et ce que j'en pense, dans l'espoir de provoquer quelques plaisirs ou déplaisirs, voire quelque réflexion rétrospective sur le fait que je me suis foutu de leurs gueules pendant des décennies à un degré qu'ils n'ont pas même envisagé possible de ma part, en quoi ils ne croyaient pas si bien faire en me mettant à l'écart (sic).

De façon moins égocentrique, supposons que la dégradation des salaires et conditions de travail et de vie, dans la crise, conduise progressivement, ou par bonds à la faveur des luttes, les fonctionnaires à se positionner comme les autres salariés ou précaires, dans le rapport salarial, il ne faut pas attendre de leur part des merveilles de désobjectivation de l'Etat et du capital. Ils ont formés les gros bataillons du démocratisme citoyenniste. Ils fourniront ceux qui, jusqu'au bout, défendront l'État, la démocratie, la politique, l'administration des choses d'en haut - à la Saint-Simon plus qu'à la Marx - comme instruments, non du capital, mais d'une toujours plus virtuelle résistance au capital (et à l'anarchie communisatrice). En attendant, ils ne sont même pas foutus de s'indigner !

30 décembre

"Dada, on ne joue plus", un texte inédit d'Henri Meschonnic

Annoncé depuis 1982 (!) son livre "Langage histoire, une même théorie" paraîtra en mars 2012, chez Verdier. Lire, de Serge Martin, L'historicité radicale du langage

23 décembre

Il était nécessaire que je me dégage d'un objectivisme de la communisation, pour l'appréhender comme création au présent, oubli-savoir de sa théorie - quelle qu'elle soit. En ce sens, j'apprécie que mon site ne soit plus référencé par ceux qui ont de la communisation une vision quasi programmatique, et qui se rapprochent au nom et en place de la classe de façon grégaire et partisane (rapprochements tributaires d'un passif révolu, qui anarchiste, qui ultra-gauche, qui autonome... bof... mieux vaut n'être de rien, au présent). Je n'en parle que depuis un désir individuel de la chose.

Communisme, une révolution double en essence, dans un mouvement réciproque

21 décembre

Communisation, militantisme et parti, une vague de vagues réflexions

20 décembre

Chambard'œuvrages ?

Dictionnaire d'argot   CHAMBARD, n. m. De chambarder. tapage, bruit, chahut, raffut, désordre, vacarme, bastringue, esclandre, hourvari, querelle, barnum, barouf, bouleversement, chambardement, ramdam, renversement, tapage, révolution 

19 décembre 2011

Pour l'individualité communiste

18 décembre 2011

Poétique, subjectivation des rapports de l'individu comme sujet au tout-monde en mouvement

En somme, ayant abandonné ce qui structurait le site du début en 2004 à juillet 2011 - d'une part le cheminement poétique pour un dire&faire individuel, et d'autre part la réflexion théorique se voulant regard impersonnel sur le monde - avec la perspective qu'ils se rejoignent à l'horizon révolutionnaire, me voilà convoqué à considérer ma poétique comme tenant le tout, naturellement sans prétention théorique, mais prenant acte que je suis incapable de porter sur le tout-monde en mouvement un regard de théoricien, un regard sur-plombant.

Il me faut admettre, en nuançant mes propos de fin novembre sur mon désengagement et mes raisons d'écrire des poèmes, que par cette poétique, le poème, ce transformé du monde en moi par ma subjectivité en "forme de langage", aspire à transformer le monde comme "forme de vie". C'est sa valeur performative, pour autant qu'elle existe et produise une effet.

Dans ce basculement je rejoins par conséquent Meschonnic* quand il soutient que le poème, comme œuvre-sujet présente au présent doit tenir ensemble la poétique l'éthique et le politique. Où il convient de préciser que le sujet du poème n'est pas, par son "je", l'auteur-individu qui l'écrit.

* Particulièrement dans Critique du rythme : Anthropologie historique du langage, 1982, récemment réédité, et dans Politique du rythme, politique du sujet, 1995. L'auteur annonçait, bien avant sa disparition en 2010, un livre en cours, Langage histoire une même théorie.

> Notes / poétique 2010 - 2011

13 décembre 2011

Communisme et poésie ou d'une différence entre faire de la théorie et faire de la poésie

Le rapport du théoricien de la révolution à la société, s'inscrivant en tant qu'individu dans la lutte de classes, est nécessairement schizophrénique. La théorie n'est performative qu'en prise dans la praxis de classes. Ce rapport change nécessairement dans le processus révolutionnaire.

Le rapport du poète à la société - même dans un retrait prétendu anti-social, se revendiquant comme activité individuelle nécessairement située dans la lutte de classes - n'est pas déterminé par elle en tant qu'activité poétique produisant des poèmes, oeuvres-sujets directement performatives. C'est le genre de contradiction qu'est supposée dépasser une révolution communiste. Comme activité individuelle, la production de poème (l'art) est à elle-même sa praxis. Sauf à y perdre la poésie, ce rapport ne doit pas changer dans la révolution (la phrase de Marx selon laquelle, en substance, il n'y a plus dans le communisme de poètes, mais tout au plus des individus faisant des poèmes, est déjà vraie dans le capitalisme, car en vérité ce sont les poèmes qui font les poètes, et non l'inverse, dans les termes de la définition sociale du poète).

Ce qu'ils ont de semblable est une quête du dépassement de soi dans "les autres", que ce soit en tant qu'individus dans leurs singularités ou en tant que rapports sociaux de classe.

Le poème (plutôt que le poète) n'a pas de problème (de principe) avec la révolution, avec le communisme. Mais le communisme a un problème avec le poème, parce qu'il a un problème avec l'individu, les individus. Non une contradiction, mais un problème à résoudre, enjeu d'une révolution dans la révolution définie comme abolition des classes sociales.

10 décembre

Visites du site

En novembre 2946 visites, soit une centaine par jour, comme en octobre. Depuis juillet, et la déestruction des pages "Communisation, ressources classées", la fréquentation a baissé de 5 à 30%. Rien à voir, certes, avec les jours de gloire (quelque 12.000 en 2007), mais tellement de relais de choses visibles ailleurs : à quoi bon ? Tisser sa toile pour s'y prendre les pieds ?

7 décembre 2011

Les caractères religieux du communisme

Léon Pierre-Quint, EUROPE, n°79 du 15 juillet 1929, p.473, LA CHRONIQUE DES IDÉES, cité par Henri Béhar, Le surréalisme dans la presse de gauche (1924-1939), p. 142-143

26-27 novembre 2011 maj 30 nov

Le 'prolétariat universel' au bord de la crise... de nerfs ?

Pour le fun, Jean-Louis Roche, Pourquoi la gauche est-elle cuite ?  24 novembre

« Pourquoi écris-tu des poèmes ? »

« Pourquoi écrivez-vous ? » Aragon, Breton, Soupault, Littérature, 1921

Avertissement : j'ai écrit ce texte parce que je m'ennuyais, mais n'avais pas la force d'écrire un poème. Il est spontané et fort décousu, mais je n'ai pas souhaité le recoudre. Il se peut que je prenne ici le contrepied de choses écrites au fil de Notes sur ma poétique, 2003 - 2010. Mon rapport à la poésie a changé...

Pourquoi cette question ? Si chaque poème ne répond pas à la question de savoir pourquoi il a été écrit, c'est qu'il n'aurait pas dû l'être. Donc j'écris pour avoir, à chaque fois, une réponse différente, être surpris par le poème comme s'il était d'un autre. J'ai l'absolue conviction que mes poèmes ne servent à rien, socialement parlant. Pourtant aucun ne me semble avoir été écrit par inutile. Alors peut-être la réponse est-elle : j'ai écrit ce poème pour l'écrire, plus que pour l'avoir écrit. Chaque poème est une réponse, chaque fois différente.

Si je dois répondre de façon plus générale : pourquoi des poèmes, et pas autre chose, ou rien ? Autre chose il y a, qui est donc différent, et ne satisfait pas le même besoin que la poésie. Mais quel besoin de poésie ? La poésie des autres ne m'intéresse plus, et je dois dire que je trouve certains poètes réputés, y compris des classiques, assez mauvais, très peu soigneux. Toujours est-il que la plupart ne me touchent pas ou plus. C'est peut-être pour ça que j'écris des poèmes, pour retrouver l'émotion, ré-inventer l'émotion perdue devant le monde télévisé. Je ne me sens aucunement appartenir à une communauté de poètes, morts ou vivants, parce qu'en tant que tels, ce ne serait qu'une communauté identitaire d'artistes, de faiseurs de livres de poésie à vendre, soit une horreur économique... Je ne suis pas plus solidaire des "poètes" que des poissons rouges.

« Le livre doit être inachevé.» Albert Camus, notes pour Le Premier Homme, 1960 (Camus meurt avant d'achever ce livre).

Un jour j'ai commencé, bien persuadé que je n'y arriverai pas. J'y ai pris du plaisir, alors j'ai recommencé, mais pas du tout en me considérant poète, ou même en pensant que j'écrirais toute ma vie des poèmes. C'était davantage un jeu qu'une "vocation" et encore moins un métier. Un jeu de mots. Cela devait plus à Alphonse Allais qu'Ah ah ah à Arthur, triple A inaccessible de la poésie. Puis, dans une période où écrire m'aidait à vivre, cela s'est construit peu ou prou comme un livre, parce qu'une structure m'était nécessaire, et par elle une obligation quotidienne de m'y coller. Un livre interminable. Mais pour qu'il ne se termine pas, contrairement à ce que j'avais d'abord envisagé (un fin à Livredel), il fallait continuer (en 2010, je rouvre Livredel auquel j'intègre tous mes poèmes depuis 1991). Je n'en suis pas sorti. J'ai fait en sorte de ne pas pouvoir en sortir vivant. S'y coller prend parfois l'allure d'une discipline, d'un devoir, mais cette idée me satisfait. C'est un devoir mais pas une obligation, c'est sans doute le seul qui m'oblige, avec le soin des miens. Les grandes idées, le communisme, ça vous a toujours quelque chose de religieux, dont je me méfie comme de la peste. La poésie est une praxis, individuelle, voire individualiste, mais c'est une praxis, un faire sans attendre. Jusque-là j'aurais trouvé très prétentieux de m'autoproclamer poète, bien que j'aies écrit d'assez nombreux poèmes ces dernières années. Je me suis autorisé cette année à me nommer poète. J'ai eu finalement le sentiment simple qu'écrire des poèmes tels que les miens, avec le sérieux que j'y attache, le temps que j'y consacre et la place que cela prend dans ma vie, tout cela me fait, par définition, poète. 

Parfois, ce n'est qu'un exercice de style, ou du moins ça s'engage comme tel, avant de devenir poème, ce qui n'est jamais acquis d'avance. Rarement, mais cela arrive, le poème s'écrit dans la tête, au lit, la nuit. Il s'en construit ainsi plusieurs strophes que j'apprends pas coeur avant de les noter, sinon, le lendemain, pfuit... plus rien, comme un rêve enfui. Toujours est-il que je ne me pose plus de questions de formes. En ayant imitées, expérimentées, inventées toutes sortes, je prends celle qui vient se construire en chemin sans programmation préalable. J'ai gagné une certaine liberté, ou ce qui revient au même en art, une intrication de la forme et du sens telle que la forme est contenu sans qu'il soit possible de les séparer. J'écris directement dans la forme le (du) contenu, et ne m'en pose plus la question séparément. Ce n'est pas la forme poétique qui définit l'être poème, l'oeuvre-sujet, mais sa forme-contenu. Je reste attaché à des formes construites (non "libres") parce que j'y trouve ma liberté. Ma prose se lira de plus en plus comme des vers, et peut-être même que je ne saurais plus un jour m'exprimer que par ce langage. Mon idéal, comme poète s'entend, serait de "perdre" toute réalité sociale, et tout lien contraint avec le langage de ce monde. Ce n'est pas très loin d'un idéal révolutionnaire de destruction des "rapports sociaux".

« J'en suis arrivé à me sentir coupable quand je n'écris pas. est-ce une raison de vivre ? Dans les moments où ça va mal et où il ne reste rien d'autre, peut-être. Mais je dirais plutôt que l'écriture m'est devenue une façon de vivre. » Roger Grenier, Pour être aimé, dans Le Palais des livres, Gallimard 2011

J'écris aussi parce que c'est un défi permanent, dès que j'ai terminé le dernier poème. C'est difficile d'écrire un poème, du moins pour moi. Il m'arrive d'avoir peur de ne plus en être capable, cela devient très angoissant. Il me faut la preuve du contraire. La faire. Un poème, vite !

J'écris un poème pour avoir envie de le lire, du moins dans les instants qui suivent son achèvement, quand il apparaît comme un tout, à la manière d'un tableau achevé, "résolu", comme dit Fadia Haddad. J'aime l'effet de surprise que cela me procure, parce qu'en commençant, je ne sais ni comment cela finira, ni par où cela passera, ni la forme, la structure qui se construira en route. Même les sonnets ne commencent pas pour être des sonnets, mais cette forme me prend la main, et j'ai du mal à lui résister.

« Ah, je les aurai connues, les affres du style !» Flaubert, Lettre à George Sand, 27 novembre 1866

Il y a le jeu avec les mots, les sons, les rythmes. J'en ai parlé souvent, mais maintenant cela fait partie de mon "style", et j'ai gagné en liberté, en souplesse, en virtuosité, si bien que ce n'est pas le plus difficile. Il faut faire en sorte que jamais rien ne soit gratuit, ne renvoyant qu'au bon mot pour le bon mot. Le plus difficile, dans cette quête, c'est de trouver une solution poétique, c'est d'échapper à la pensée du monde, qui est indispensable à la poésie, mais qui la dévore. Un poème peut être sous-tendu par une philosophie, mais elle ne définit pas son contenu, elle risque plutôt de le détruire. Le poème doit tenir la philosophie, mais à distance. Le poème est extrêmement fragile, friable, comme une bulle de sable. La pensée arrive avec ses gros sabots...

Être irrité par les jeux de mots de ma poésie, c'est ne savoir ni la lire, ni la sentir, tout simplement. Ce qui peut être jugé puéril est une façon d'alléger ce qui est dessous, le rapport à la vie qui fait que le poème est poème, tout sauf l'exercice de virtuosité qui en est l'enveloppe, comme d'une lettre avant de l'ouvrir.

« L'approbation du public est à fuir par dessus tout. Il faut absolument empêcher le public d'entrer si l'on veut éviter la confusion » André Breton, Second manifeste du surréalisme, 1930 *

« On ne peut écrire sans public et sans mythe... » Sartre, Qu'est-ce que la littérature ?

Je ne sais pas qui lit mes poèmes, et ne tiens pas à le savoir. Les pages poésies de mon site ne sont pas lues moins que les autres, et je suppose que j'ai des lecteurs ou lectrices fidèles, quasi quotidiens.  À l'expérience, je n'ai aucun scrupule à me considérer comme mon public le plus exigeant et le plus pertinent, concernant mon écriture et sa lecture. Naturellement, je ne suis pas indifférent au fait d'être lu - tant mieux ou tant pis si d'aucuns sont touchés ou y prennent quelque (dé)plaisir, le temps d'un sourire ou d'une exaspération. Cette complicité doit demeurer tacite, inter-dite, désir et attente du poème, non entre poète et lecteur/lectrice. Je juge éthiquement et poétiquement indispensable de ne pas en tenir compte, et pas davantage en qualité qu'en quantité d'un lectorat. Ceux qui n'ont rien à dire m'intéressent davantage, mais je n'ai pas les moyens de les faire parler. Je n'attends des autres aucun retour, d'aucun intérêt, non qu'ils ne diraient rien d'intéressant, mais rien qui me concernerait en tant que poète.

« L'impatience qu'ont les gens de lettres à se voir imprimés, joués, connus, vantés, m'émerveille comme une folie. Cela me semble avoir autant de rapports avec leurs besognes qu'avec le jeu de dominos ou la politique.» , Flaubert, Lettre à Ernest Feydeau, 15 mai 1859

Quelle vulgarité que ces rencontres de poètes et leurs lecteurs, ces "marchés de la poésie" portant si bien leur nom ! Le rapport à un poème n'est qu'intime, et hors cela, le silence s'impose. Si le poème n'impose pas ce silence, c'est qu'il est mauvais. Il n'y a rien à ajouter à un poème, pas plus qu'à une peinture. Aucune critique n'est poétiquement pertinente, par définition. Toute critique, même la plus justifiée, tombe à côté de la poésie ou l'assassine, comme expliquer un calembour lui ôte tout humour. Je publie sur Internet qui évacue totalement le problème de l'édition, car la poésie n'existe pas pour aboutir à des livres et les vendre. Internet change le mythe dont parle Sartre. Il permet la publication en supprimant son caractère d'échange, d'avoir un public potentiel, ne pas se l'interdire, mais n'en point faire un objectif, troublant inévitablement la problématique poétique et infuençant l'écriture. Pour qui le souhaite, c'est bouteille à la mer. Le monde de l'édition est un bordel marchand comme les autres. Je ne suis pas un prostitué. La poésie ne fait pas le trottoir.

« Je vais mourir, et cette pute de Bovary va vivre !» Flaubert

Lire la poésie s'apprend, il n'y a pas de lecture plus complexe, à tant de niveaux simultanés. Ce n'est pas parce qu'un poème est court qu'il peut se lire plus vite. Ce qui s'y condense peut être aussi plein qu'une prose dix fois plus longue. Un avantage de la poésie, pour moi qui écris trop facilement en prose maintenant, c'est sa condensation, sa concentration, qui est le produit d'une grande difficulté technique. Écrire de la poésie est une provocation contre la vitesse de la vie contemporaine, et le poème court n'est pas court à la manière d'une brève de journal ou d'un sms. Il faut du temps pour écrire de la poésie, beaucoup de temps, mais combien consacrent celui nécessaire à sa lecture, non pour en saisir la fabrication, les procédés, mais parce que c'est difficile, du premier coup, d'appréhender ensemble les niveaux qui constituent ensemble le poème. Sauf peut-être pour quelqu'un d'expérimenté, une lecture hâtive passe à côté. Cela dit, on lit tant de "poèmes" dont les auteurs ne savent pas que poème il n'y a que mariant ces différents niveaux; ils balancent des images ou des assemblages de mots qu'ils croient poétiques, dans une versification maladroite ou simplette dont ils pensent qu'elle labellise le poétique. Un peu comme le premier venu une guitare à la main se dirait musicien.  En tant que telle, la poésie est totalement décalée dans notre société, plus encore que tout autre genre, bien plus que le roman (et quels romans, quand les romanciers qui se vendent le plus considèrent qu'écrire un roman, c'est raconter une histoire... Si c'est ça, je préfère les histoires de la vie réelle, elles sont bien meilleures, et combien plus palpipantes).

« Créer ou ne pas créer, cela ne change rien.» Albert Camus

J'écris contre l'ennui, c'est certain, contre l'ennui du monde et contre mon ennui tout court. Je m'ennuie quand je ne crée rien mais rien me désennuie davantage que de faire cette chose inutile socialement qu'est la poésie. Je la revendique comme inutile, invendable, comme un bras d'honneur à ce monde. Certes il s'en fout et ça ne le change pas. Mais moi, ça me change la vie, d'écrire de la poésie, et de savoir que cela lui échappe, que cela échappera même à tout autre monde possible. Écrire est un oxygène et une hygiène. La poésie n'a pas de valeur, elle est liberté à l'état pur. Liberté du poète. Liberté inutile. Liberté asociale. Liberté de la liberté.

Il n'y a, contrairement à ce qu'on prétend ici ou là, aucune noblesse à écrire de la poésie. C'est un acte absolument ordinaire pour le poète, et cela n'en fait pas un être plus méritant qu'un éboueur.

« Ai-je encore quelque chose à dire ? Encore à dire je ne sais quoi...» André Gide, Ainsi soit-il ou les jeux sont faits

Écrire de la poésie devrait être mon devoir quotidien, mais j'avoue manquer de la discipline nécessaire. J'ai tellement de progrès à faire. Ce n'est pas que j'ai tant à dire. Contrairement aux apparences, je n'écris pas des poèmes pour dire quelque chose, c'est bien malgré moi si mes poèmes disent quelque chose, ou plutôt, ce qu'ils disent m'échappe, à la manière d'un lapsus. Je ne sais pas ce que je vais dire avant de l'écrire, et j'écris pour le savoir. C'est complètement le contraire d'une démarche théorique où, même si la pensée prend forme par l'écriture, le trajet et même l'aboutissement sont généralement connus d'avance. Le poème ne se justifie que par lui-même. Il n'est pas une abstraction, il n'a pas sa pratique en dehors de lui. Sa théorie, oui. Il ressemble davantage à une fleur qu'à une idée.

« Nous écrivons tous sur les murs de notre prison.» Louis Guilloux, cité par Dominique Rolin.

J'écris pour donner la plus grande importance, dans ma vie, non pas à la poésie elle-même, mais à l'inutile, à la poésie en tant qu'elle est inutile socialement, et donc invendable, puisque tout ce qui est utile, dans cette société, se vend, s'achète, s'échange. Ou plus exactement tout ce qui se vend est utile, son utilité étant d'être vendable. Bref, marchandise. Il n'y a pas besoin de crier « La poésie n'est pas une marchandise ! », tout le monde le sait, surtout ceux qui n'en lisent jamais, puisqu'elle ne fait pas partie de leur monde où tout ce qu'ils ont s'achète (ou se vole mais c'est pareil, en tant que valeur). En ce sens, si la poésie est par essence asociale (de nul effet sur la société), le fait d'en écrire est pour moi un acte anti-social. Je prends le contre-pied de poètes "engagés", liés à tel engagement militant. Je me revendique poète désengagé (voir ci-dessous, Éloge de mon désengagement). C'est depuis longtemps une condition de la poésie, de l'art en général, une position anti-gauchiste (quelle fumisterie que prétendre à un "art révolutionnaire" !), qui devient aujourd'hui en phase avec les tendances du conflit de classes. Mais attention, je n'écris pas une poésie pour la communisation, seulement une trace singulière et subjective de mon temps. (« [la poésie] est un aliment que la bourgeoisie, en tant que classe, a été incapable d'assimiler » Octavio Paz, l'arc et la Lyre). Car si, en un mot, la poésie échappe au capital, pour autant elle ne peut rien contre lui, qui s'en fout, de la poésie (voir mon sonnet Triple Z, du 15 novembre). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle lui échappe. Mais autant en profiter. À condition de ne pas la vendre.

« L'écriture est-elle une raison de vivre ? Je crois que l'on a intérêt à aborder le problème d'une façon plus modeste, un ton plus bas...» Roger Grenier, id.

Je n'écris pas pour donner un sens à ma vie, plutôt pour en souligner le non-sens, sa vacuité pour ce qu'elle est en ce monde. En écrivant, j'affirme ne pas avoir que mes chaînes à perdre, mais que mon bien le plus précieux, pour aussi indispensable que soit manger, se loger, n'est pas ce que je paye de mon salaire, mais ce que je suis capable de faire en dehors du rapport qui me lie à la société capitaliste : aimer, écrire des poèmes, cultiver mon jardin...

Nous sommes contraints d'être toutes sortes de choses dans ce monde, jamais d'être poète. Le poète n'est pas un être exceptionnel, mais il fait exception, de façon performative. En écrivant des poèmes. Une exception ordinaire. Comme un arbre fait des feuilles mortes.

Nota : Les citations sont extraites de Le palais des livres, de Roger Grenier, Gallimard 2011, sauf *

25-27 novembre

Éloge de mon désengagement, ou l'immédiateté individuelle, contre le capital et la communisation sous camisole

Soupault dit... « un militant doit obéir à des règles, Goethe... dès qu'un poète veut faire de la politique, il doit s'affilier à un parti et alors, en tant que poète il est perdu... il lui faut dire adieu à sa liberté d'esprit, à l'impartialité de son coup d'oeil et tirer au contraire, jusqu'à ses oreilles, la cagoule de l'étroitesse d'esprit et de l'aveugle haine...» Cité dans Livre de Catherine 3 

« Quelques polices historiques vous créeront, selon l'époque et les circonstances de votre lecture, des difficultés qui vous paraîtront insurmontables. Il faudra entrer en rapport avec quelques-uns des policiers qui réglementeront encore certains de vos processus mentaux, et déjouer leur autorité en les intoxiquant vous-même de votre propre poésie Alain JOUFFROY, L'individualisme révolutionnaire et la poésie, 1995, Tel Gallimard, p.67

Avant-propos

Écrivant mon désengagement, je l'exprime à la première personne comme non adapté à d'autres personnalités dans d'autres situations sociales. Chez moi, il est un luxe qui me convient dans la mesure où j'ai les moyens de ma politique. J'écris « désengagement », et non désobéissance, face dont la dépendance est le pile d'une monnaie sociale sans profondeur. Celui qui désobéit par principe (« désobéissance civile » ou autre) se  contraint à faire le contraire de ce qu'on lui ordonne, si bien que c'est la société qui décide de ses actes à sa place (citoyenne). Il est une marionnette gesticulant dans le miroir du même (à l'extrême, un José Bové). S'il est antisocial, c'est toujours produit de et par la société contre, mais parfois pour la société (même exemple). De par sa nature interne mais potentiellement destructrice, cette forme de désobéissance est liée au pourrissement social (y compris ses manifestations soft dans les couches moyennes) et devrait disparaître avec la société comme ensemble de "rapports sociaux", mais le capital la retournera pour son compte jusqu'au bout (ex. l'activisme écologiste, cf. aux Etats-Unis). Je ne prétends pas être en dehors de la société; je ne nie pas être le produit de ses rapports sociaux, mais j'entends, contre toute société, n'obéir qu'à moi-même sur mes critères, et cela n'exclue pas de décider avec d'autres la même chose qu'eux. Mon individualisme est relatif. Ma position tient d'un individualisme radical, étranger à l'individualisme libéral du capitalisme contemporain, mais aussi à tout collectivisme ou communautarisme à prétention anarchiste ou communiste, faux-nez ou cache sexe de petits communautismes dans la communauté (humaine). Cela dépasse une opposition à la société de nature capitaliste pour engager une conception du communisme individuel. Me (se) désengager n'engage et n'engagera jamais que moi (soi).

Remarque : je ne place pas ce texte parmi mes réflexions sur la communisation, en raison de son caractère excessivement singulier.

À la guerre comme à l'église

« Engagez-vous ! ».  A-t-on bien remarqué que c'est l'armée (ou la police) qui résume le mieux ce que d'autres font sous le drapeau de l'entreprise, de la religion ou de la politique ? C'est un premier aspect, militaire (militant est du même tonneau) de l'engagement, avec ce qui s'en suit d'obéissance à des ordres, à une hiérarchie. Les avatars en sont l'esprit d'entreprise, d'église, de parti, bref, ce qu'on peut condenser en « esprit de boutique », qui en révèle le commerce sous-jacent (pour ces considérations, voir les écrits de Georges Palante ou la déliquescence avancée des partis et de la politique en général).

Ici, l'aspect militaire, où l'ordre vient de l'extérieur par voie hiérarchique, se voit redoublé ou remplacé en proportions variables par une injonction intime, d'ordre religieux, moral, idéologique, ou simplement grégaire, l'incapacité de se passer du groupe comme collectif (famille) de pensée ou d'action, l'incapacité de se construire une identité, donc une individualité, hors d'un collectif (voire d'un communautarisme), toujours opposable à d'autres collectifs, car c'est une de ses raisons d'être comme clôture sociale. Le militaire verse insidieusement au militant. C'est un deuxième aspect.

Croire qu'il s'agit d'un libre choix s'harmonise intégralement avec sa raison aliénée. Les premiers à le subir et le promouvoir sont ceux qui le dénient. Mais, accessoirement, ceux qui opposent au concept d'aliénation la validité critique englobante de celui d'exploitation devraient y prendre garde, car le spectre militant hantera la communisation. Ce point aveugle est un troisième aspect.

Une liberté pathologique manifestant un symptôme de la contradiction entre individu libre et capital

J'ai eu la chance - mais subi aussi les conséquences - d'être soumis très tôt à une pulsion de refus d'obéir. J'ai compris tardivement qu'elle structurait ma personnalité, déterminant pour une part inconsciente nombre de mes actes et choix. Plus exactement, comme dirait un freudien, mon surmoi, cette instance morale, me pousse à ne faire que ce avec quoi je suis d'accord, ce qui est sensiblement différent d'un refus systématique d'obéir, comme je l'ai noté en avant-propos. Dit comme ça, cela paraît banal et fort répandu, mais en réalité, rares font preuve de beaucoup d'exigences dans leurs compromis sociaux, qui ont bon dos, alors que dire "non" ne va pas sans risques ou inconvénients. Les "petites mains" du capital, comme disait Isabelle Stengers, pullulent.

Je préfère assumer mes ruptures que vivre des situations contraires à mes convictions – autrement dit 99% des situations sociales auxquelles je serais confronté, si je ne les fuyais pas. Car, pour autant que je n'y peux rien changer, je m'en vais, point barre. Point Chabar. Je privilégie, sans regrets ni remords que la peine produite, mes principes à mes sentiments. Ce n'est un choix, une liberté, qu'en apparence, puisqu'en vérité, cela m'est imposé comme fidélité à moi-même, et ne pas m'y plier vécu comme trahison. Autrement dit, je n'ai aucun mérite puisque c'est le contraire qui me demanderait plus d'efforts.

Bien qu'armée d'une capacité de résistance au-dessus de la moyenne, et soutenu d'un goût pour la solitude, cette "liberté" est donc pour partie pathologique. Une maladie "produite" pour qui s'oppose au capital et à l'Etat (en vérité, une grande part de ce qui est diagnostiqué comme folie est directement causé par l'exploitation et la domination capitalistes, leur Etat, et leur idéologie). Paradoxalement, cette maladie que jme reconnais garantie son efficacité et son plus-à-jouir : refusant, car reniant ses critères, toute "réussite" sociale, je ne l'ai pas poursuivie, ni pour le pouvoir, ni pour l'argent, ni pour le témoignage d'un succès d'estime. Ma boussole n'est qu'individuelle. Ce qui serait pour la plupart un échec social, loin d'être vécu comme tel, me renvoie la preuve, en boucle, de mes bonnes raisons.

Cela dit, cette chance pathologique, encore faut-il en accepter, en supporter le prix. En effet, si la plupart ne peuvent pas se payer ce luxe, ce n'est pas seulement pour des raisons économiques, mais aussi psychologiques (idéologiques au niveau singulier), car enchaînés à la valeur, tant comme valeur d'usage que valeur d'échange (note 1). Jamais misère économique n'a conduit obligatoirement à la révolte sociale. Et cet attachement (à la valeur) est d'autant plus fort qu'on ne sait pas ce que l'on est capable de créer par soi-même, tant qu'on n'a pas essayé, expérimenté, sous une forme ou une autre, une preuve qu'on pourrait se passer du capitalisme, de son système fondé sur la valeur. Ici, il s'agit bien de pointer la nature positivement communiste (au sens dynamique) d'activités effectuées sous et contre la domination historique du capital, et pas d'alimenter l'illusion d'une société parallèle autonome, concurrente, ayant la moindre chance de l'emporter à petits pas, en jouant petit bras contre le capital.

note 1 : Ici, il faut considérer que même l'échange de sentiments se fait sur le mode de l'échange économique, de la même façon qu'en toutes choses, on est prié de "gérer" sa vie, sa carrière, ses amours et ses bourses comme un "patrimoine" (sic) même quand on n'en a pas. Bref, quand il est de bon ton de considérer que l'air qu'on respire n'est pas une marchandise, on ne s'inquiète guère d'élire ses affinités sur le mode marchand de l'échange d'intérêts. 

Désengagement de quoi ?

Il est nombre de situations, en effet, où cette chance n'a rien d'avantageux sur le plan social.

J'excluais de trouver une place où j'aurais à obéir, et donc à commander, les strates hiérarchiques envahissant réellement non seulement le travail, mais les organisations de toutes natures (note 2).

(note 2) Il va sans dire que cet aspect est plus ou moins masqué objectivement et subjectivement, par les méthodes et le vocabulaire du management, de participation, d'autogestion et plus généralement la servitude volontaire, y compris dans les partis et groupes politiques, jusqu'aux activités démocratiques « de base », et même assez vite dans la so called auto-organisation, dès que précisément, elle s'organise; cela arrange ceux qui ne font réellement qu'obéir, de penser qu'ils n'ont pas de chefs; du vocabulaire du management à celui de l'auto-organisation, c'est l'illusion qu'entretiennent ceux qui tirent les ficelles.

J'ai exclu d'assumer une fonction dans un collectif artistique, soit sous la direction d'un chef (d'orchestre) soit donnant des instructions à des exécutants. Mais là, je reconnais que c'est manquant des qualités requises pour animer ce genre, dont le jazz, le théâtre, et les arts de la scène esquissent pour moi une belle exemplarité.

J'ai exclu de vendre ce que je produis, d'abord par principe : tout artiste qui vend son œuvre affirme, même s'il prétend le contraire, « l'art est une marchandise ». Ensuite parce que j'ai refusé (ou renoncé) de dépendre d'un quelconque intermédiaire, marchand ou autre, ou de m'adresser à une clientèle ou un public payant, donc socialement sélectionné, et n'ayant rien à cirer d'une rupture sociale.

Je me suis défendu de vouloir exercer une influence, que je ressens comme une forme de pouvoir sur de plus faibles que moi. Est-ce par hasard  que l'on en vienne à « faire autorité » ou, comme Debord, à « avoir fait son temps » (note 3).  C'est sur des formes subtiles de cette sorte d'autorité, trop souvent un rapport de forces pour un passage en force, que s'appuie le type pervers du « leader objectif » qui, pour refuser à raison la dictature de la démocratie majoritaire, pour prétendre refuser l'organisation et sa structure hiérarchique, n'en finit pas moins, en usant et abusant cyniquement de sa supériorité intellectuelle et de son charisme, par manipuler ses camarades, ce qui évoqueune secte dont le gourou vendrait à ses ouailles le mythe de l'« intellectuel organique ». Poil à l'éternel retour de l'encouillonnade volontaire.

note 3 (maj 27 novembre) : Est-ce uniquement « avec un peu d'humour » que Roland Simon (orphelin de l'ultra-gauche ?) trouve « beau comme du Lénine dans les quelques mois précédents Octobre » le texte « Sans toi aucun rouage ne tourne… », au demeurant excellent. Dommage, en termes d'annonce communisatrice, que la Grèce soit si petite... Je n'ai pas relu Lénine récemment, mais rien de ce texte ne me semble léniniste, et c'est heureux. Plus inquiétant que Roland Simon, théoricien influent du "coutant communisateur", et "leader objectif" de son caractère "objectif" dans la lutte de classes au présent, ne réponde à la question de l'après (la révolution) que par, en substance, "on verra bien, cela est hors de portée de la théorie, et relève du récit idéaliste de chiens crevés de la théorie, tel Bruno Astarian, « merci patron» " (moi, de peser très peu, Patloch zéro division, me vaut encore d'être épargné). Quant à l'après Octobre 17, on a vu, et si l'on ne l'a pas vécu, on en est revenu. Jusque-là, je pensais que Roland Simon aussi... mais allez savoir, ressemblent à tant d'autres, historiques, un Grand Homme, et ses gros tomes... Je reviendrai sur le fait, déjà relevé, à la suite de Christian Charrier (La Matérielle) qu'écrire impersonnellement de la théorie est contradictoire - relevant de la philosophie objectiviste - à tout point de vue singulier, et dépendant du vécu d'un individu au milieu des classes. Sa posture est son point aveugle, et de se rassembler en quelques dizaines marseillaises ou franco-européennes n'y change rien. Des attitudes de prof, comme la sienne ou celle d'un Léon de Mattis, finissent par être insupportables y compris à leurs camarades, et l'on espère à leurs yeux, nonobstant leur surmoi, "agiter la fin attendue justifie les moyens". Aucune contorsion sur le rapport de "détermination objective" de leur théorie à la lutte des classes (bel objectivisme) n'évitera leur relation subjectiviste au monde. Marx le faisait, mais quant à l'écart induit avec sa pratique politique (vis-à-vis de l'Internationale, dont il fut un "leader objectif"), il fermait sa gueule, et réservait sa schizophrénie aux lettres à Engels, ou à des textes qui ne furent publiés qu'après sa mort (Critique du programme de Gotha...). Dieu sait ce que contiennent les écrits privés, intimes, ou post-mortem, d'un Roland Simon...

J'ai même exclu de répondre à l'appel d'un théoricie, on en est revenun communisateur qui exprimait le besoin d'être « soutenu » par quelqu'un comme moi. Que pourrais-je soutenir dont je n'ai rien décidé ? Comment s'engager pour les idées d'un autre ? Je me trouverais ridicule de demander à quiconque de soutenir les miennes, mais c'est peut-être parce que je les trouve, non pas inintéressantes, mais peu importantes, ou prématurées.

Bref, je préfère n'être lu que par dix personnes plutôt que me compromettre en compagnie de quelque douteux pour m'assurer cent lecteurs. Par dessus tout, mes lectrices s'en foutent, qui sont fidèles.

La double pente logique d'une tel ordre intime de désengagement est par conséquent le retrait social et la solitude créatrice - dans ce domaine, je fais flèche de tous bois, à commencer par celui que je ramasse dans les poubelles, tant j'avoue que rien ne m'a jamais procuré plus de bonheur que créer de ma tête et de mes mains sans rien demander ni devoir à personne, et tant aussi me répugnent les plaisirs mondains à quoi aspirent généralement ceux qui en sont privés, et qui se rabattent sur des ersatz à leur portée économico-sociale. Tous les rapports sociaux singent le capitalisme, y compris en milieu "révolutionnaire" (ne me contrediront pas les tenants d'une subsomption réelle de la société sous le capital, supposés modstement conscients de leur schizophrénie de "préviseurs").

Art de la fuite ?

Par certains côtés, ce n'est pas sans évoquer l'Éloge de la fuite (Henri Laborit, Gallimard 1985), ou tel stratagème de Sun Tzu, dans l'Art de la guerre.  Il est vrai que dans des situations conduisant à l'affrontement, j'ai préféré la fuite, non par manque de courage, mais par désintérêt du résultat, comme s'il s'agissait d'un autre que moi dans un théâtre d'apparences, un jeu de vie vain.

J'ai abandonné des études d'ingénieur pour ne pas servir (ni affronter) un patron, démissionné de fonctions syndicales électives pour ne pas servir la négociation piège-à-cons ni encourager la passivité indécrottable de mes mandants...

Au service militaire, pendant les manœuvres, alors que les camps rouge et bleu se tiraient dessus à blanc, je me tirais dans les bois, et revenais après la bataille, avec diverses ruses pour échapper aux ordres et punitions (en 1972, désertion en temps de guerre virtuelle ne valait certes pas comme en 17 d'être fusillé, seulement d'être mis au cachot). Je fuyais encore dans les bois, pendant les marches avec le barda (sans fusil, car j'en étais "dispensé au-delà de 5 minutes", encore au bénéfice d'une ruse de sioux). Là nous étions plusieurs, et pouvions au moins jouer aux cartes dans telle clairière de la forêt de Rambouillet, ou ramasser champignons et fraises des bois à offrir au retour au sergent, un fort gentil militaire professionnel qui gueulait un coup, mais ne nous dénonçait pas, se faisant notre complice.

Plus tard, assurant malgré moi l'intérim d'un chef, je refusais de donner certains ordres à des "collaborateurs" placés sous ma « responsabilité ». Si certains collègues en conclurent que j'aurais fait « un bon chef », ce ne fut pas mon cas ni celui de ceux dont dépendait ma « carrière », tant il est vrai que tout ordre donné au-dessous obéit à un autre reçu du dessus, explicite ou implicite, et que refuser de commander équivaut à désobéir. J'ai toujours été d'accord avec mes hiérarchies les plus perspicaces sur un point : ne pas davantage vouloir être chef qu'elles ne jugeaient bon me proposer à cette promotion, offerte à tant de responsables politiques ou syndicalistes locaux au gré des changements politiques. Les mêmes situations se reproduisirent au travail, au syndicat, au parti...

Je ne développe pas cette idée communément admise : en fuyant ton adversaire, certes tu ne l'a ni vaincu ni soumis, mais tu échappes en partie à son emprise; à partir d'un certain seuil, le rapport entre lui et toi (vous) perd sa raison d'être. Avec toutes les contradictions du marronnage, qui a toujours été tributaire, et dans certains cas complice (Guyane par exemple), de ce qu'il fuyait...

Impur désengagement contre stricte lutte de casses

Refuser l'affrontement, ne pas monter au front (supposé), cela passe en général pour une lâcheté, ou du moins pour un refus d'assumer des responsabilités conformes à ses convictions, un peu comme on oppose une théorie à l'absence de pratique qui en découlerait. Voire.

D'abord on a toujours à voir avec qui l'on affronte. En matière de lutte de classes, c'est l'implication réciproque entre le capital et sa chose le prolétariat, jusqu'à preuve du contraire, à savoir la mort des deux, le capital comme mode de production et les prolétaires en tant que marchandises à production de valeur. Tant qu'on ne franchit pas le pas communisateur, on ne peut se défendre qu'en reproduisant le système par ce qu'on attend ou exige de lui - revendications, luttes démocratques et politiques sous toutes leurs formes, y compris "de base".

de la peur...

Ensuite, il convient de mesurer les enjeux, car selon l'objectif qu'on s'assigne, telle bataille peut être perdue d'avance, et l'on comprend que certains hésitent à s'y engager. Si le 'conflit désespéré' ou la 'lutte suicidaire'  appartiennent au cours de la lutte de classes, ils peuvent comporter une part de masochisme ou d'aveuglement. Comme si le constat que cela existe ne suffisait pas, il faudrait y voir le courage avant, et plutôt que, la peur qu'il contient (à cet égard c'est aussi un « parti de la trouille » qui fera la révolution, n'en déplaise aux distributeurs de bons points prolétariens révolutionnaires... à échanger le moment advenu contre la participation à telle mesure communisatrice, pour une part de bouffe confisquée ?). Dans les situations de danger, il n'y a que les fanatiques qui n'ont pas peur. Il me semble qu'avoir l'intelligence de son combat et l'espoir de le gagner n'épargne pas la peur, mais permet de la surmonter. Et puis une plus grande peur de ce qui arriverait sans se battre devient motivante. Aujourd'hui, je n'ai aucun moyen intellectuel de me mettre à la place de quelqu'un qui a des raisons pressantes d'avoir peur de demain. Toujours est-il que je ne me vois pas stigmatiser la peur des autres.

Enfin, la question se posera toujours d'une complémentarité entre actes d'affrontement et actes de fuite, car la dialectique fermée et simpliste d'une stricte adversité ruine par avance toute possibilité de création positive, et toute mise en œuvre pratique d'une imagination, d'une invention, sortant des critères capitalistes. Sur quoi je reviendrai inlassablement, car il n'est pas question de laisser ceux qui n'inventent rien de ce genre mais crient « Il va nous falloir de l'imagination, camarades ! », professer « Tout ce qui existe mérite de périr »... pas question de les laisser tirer dans le dos d'autres qui, sans théorie, feraient preuve d'imagination historique positivement utile à la survie de l'humanité, comme il en est déjà au sein du capital. Une révolution conçue dans la stricte adversité au capitalisme, comme stricte lutte de casses, sans coquille, irait droit dans le mur de l'histoire.(note 4)

note 4 : Quand bien même des concepts seraient justes structurellement, au bout de litanies dialectiques sans fin, ils ne nous serviraient à rien en pratique (c'est déjà le cas de la chute ad nauseam de Théorie communiste : " la seule question à laquelle tout se résume : comment une classe, agissant strictement en tant que classe de ce mode de production peut-elle l'abolir et abolir toutes les classes ? ». Si l'on apprécie que le résultat de toute cette (lourde) théorie aboutisse à un questionnement auquel tout le monde se heurte sans théorie, on ne manquera pas d'observer 1) que le "comment" n'a pas reçu la moindre esquisse de réponse hors la généralisation de situations extrêmement réduites dans le monde. Dernier enthousiasme "léniniste", la Grèce... 2) Que le problème pourrait résider dans la question, étant donné qu'« une classe agissant strictement en tant que classe » est une formulation conceptuelle et structuraliste bien plus que réaliste, que ses manifestations se dispersent en autant de contradictions concrètes un tantinet plus complexes que la structure ne veut bien le dire, et qu'en résumé la percée théorique, ainsi concentrée, est du genre à faire bander les puristes davantage qu'armer la moindre critique ou lutte pratique que ce soit. On ne déniera pas aux théoriciens le droit de s'être fait plaisir pendant trente à quarante ans, et d'avoir fait plaisir chemin faisant à quelques emportés de mon genre, "en attendant la fin" (DNDF, site d'agitation... sic), et tout en dénonçant comme "vides" (BL de TC) ceux (TropLoin) qui disaient "il va falloir attendre" (à mon avis et sans aucun doute, plutôt le début que la fin). Il n'empêche que "la seule question à laquelle tout se résume[rait]" selon eux ne fait pas avancer le communisme d'un pouce, puisqu'elle se ramène à une démonstration par l'absurde d'une situation créée réellement par la restructuration capitaliste. J'estime heureux pour le communisme que son énigme, nonobstant les plus fines théories, demeure entière.

L'individu immédiat est à rêver

Je conclus d'une boutade ce texte qui veut ne pas s'achever. 

Quelle étrange individualité, sociale ou non, serait produite par des individus qui ne se manifestent jamais qu'en bandes ?

J'entends préserver et étendre, en toutes circonstances, et contre quiconque s'y opposerait ou m'en empêcherait, serait-il strictement révolutionnaire à titre prolétarien, ma possibilité individuelle de faire ce que je veux, comme je le veux, ou et quand je le veux, avec qui je le veux et le voudrait réciproquement. Mais j'entends aussi défendre collectivement ce point de vue individuel.

Peut-on rêver individualité immédiate plus immédiatement individuelle ?

18 novembre

Je salue ce soir Jean-Louis Roche, dont certes je ne partage pas la vision prolétariste du communisme, pour avoir mis le nez sur un bouquin que j'ai cité récemment, et adoré sans fin : " À LIRE ABSOLUMENT L'OEUVRE DE DOROTHY PARKER et nota en poche "Hymnes à la haine": Je hais les hommes / Ils ont le don de m'irriter..."

17 novembre

Communisation (mes textes récents sont ici)

La revue SIC est apparue, porteuse sans contradictions apparentes, « dans le moment actuel, de la théorie comme ensemble d’activités concrètes (écriture, revue, réunion, diffusion sous de multiples formes, etc.) [et devenant] directement elle-même une détermination objective » dans la longue marche (en chinois pinyin : Chángzheng), vers la communisation.

Éloge de ma mise au placard

La mise au placard, quand elle est la raison d'un suicide*, est doublement triste. D'abord, c'est un suicide, ce qui se dispense de commentaire. Mais c'est aussi l'aveu que (seul) le travail tenait en vie.

* Il n'est guère de cas où cette raison est unique, mais beaucoup où c'est celle qui en déclenche d'autres, dans la vie privée.

Le (la...) placardé (placardisé ?) n'est plus véritablement exploité, puisqu'il ne produit rien. Littéralement, il est payé, serait-ce moins bien, à ne rien faire. Se suicide-t-on pour une baisse de salaire ? Relativement pas. Si l'on reste payé, c'est travailler qui manque, parce que c'est la seule activité par laquelle on se croit utile socialement, par laquelle généralement on est reconnu (à commencer sur le lieu de son travail, mais bien souvent par son entourage, la famille...) et qui, si elle ne donne pas toujours un sens à la vie, renvoie du moins l'idée flatteuse qu'on est capable de quelque chose, voire quelque chose de mieux que d'autres, donc conférant un rang hiérarchique et social. Les cadres supérieurs mis au placard perdant toutes raisons de, et situations dans lesquelles, se sentir supérieurs, leur image sociale s'effondre (le vocabulaire salarial ne prévoit pas "cadre inférieur"). De ce point de vue, pas question de les plaindre.

En résumé, le suicide du placardé est l'ultime absurdité de l'aliénation par le travail comme donnant un sens à la vie.  C'est aussi un complément de l'aliénation citoyenne, à la démocratie et à la politique.

Si l'on conçoit le travail salarié strictement comme source d'un revenu pour vivre, et si l'on n'en a point besoin pour se prouver ses capacités ou les mesurer à d'autres, alors la mise au placard peut être vécue comme une libération. Une libération du travail, même très relative, un desserrement de ses contraintes hors celles de 'faire ses heures'. Naturellement, il faut avoir le cœur bien accroché et de fortes convictions pour supporter, des années durant, l'absence totale de rapports sociaux au travail : ni coups de téléphone, ni courriels, ni visites, rendez-vous, réunions ou conversations à titre professionnel, et bien vite à titre privé dans ce cadre, sauf inodores et sans saveur... Dure expérience, surtout quand on est naturellement porté aux échanges avec les autres, qu'on a été syndicaliste... Il n'est pas facile de tenir le coup - à ne rien faire, ou autre chose que travailler, par exemple écrire ce texte -, parmi des collègues souvent débordés, confrontés aux baisses d'effectifs, qui ne savent pas trop ce que vous faites, et avec qui il est quasi exclu de partager ses véritables (dé)motivations, puisque tôt ou tard, cela pourrait vous nuire.

Il importe néanmoins de ne pas passer pour un glandeur (à ses propres yeux l'on n'est pas un fainéant quand on croit juste de ne faire que ce qu'on a décidé soi-même, et que l'on a par ailleurs des activités où l'on ne compte ni sa peine, ni son temps). Il est bon que l'on puisse vous plaindre, ce qui est généralement le cas, comme victime de « harcèlement professionnel ou morale » (dont la mise au placard est qualifiable juridiquement, alors que la gestion managériale est devenue une véritable morale du harcèlement), bon qu'on pense que vous préfèreriez être occupé à travailler. Il faut bien se garder d'en dissuader; au contraire, il faut abonder dans ce sens, laisser croire que vous aspirez à montrer vos compétences – autrefois reconnues -, que vous vous considérez comme victime, et non comme baignant dans le bonheur d'avoir atteint, en attendant la fin, votre idéal du travail en régime capitaliste : un salaire contre rien ! Si (et seulement si) la question se pose, il faut laisser entendre que rien ne vous plairait davantage que vous remettre au boulot, d'avoir cette excellente raison supplémentaire et gratuite de vous lever le matin et de prendre guillerettement le merveilleux RER vers la juste pointeuse.

Il ne faut surtout pas engager de démarche dénonçant ce harcèlement, pas plus auprès des syndicats que de la hiérarchie, parce que cela n'aboutit que rarement en faveur des harcelés, mais surtout parce que, syndicats et hiérarchie partageant la même idéologie du travail, les premiers aideront la seconde à vous redonner du boulot, fut-il bidon, pour éviter l'accusation de harcèlement. Il faut laisser pourrir cette situation de telle sorte qu'avec le temps, les preuves de votre mise à l'écart s'accumulant, on ne puisse même pas vous reprocher de ne rien faire, puisqu'on vous a privé de travail des années durant. Au premier supérieur qui vous cherche des ennuis, il faut laisser entendre que vous pourriez engager des poursuites, mais ne pas en avoir la moindre intention. Il faut également rendre difficile que l'on vous remette au boulot, en exigeant dans ce cas une augmentation, qu'ils ne vous accorderont jamais...

Bien entendu, il ne faut suivre aucun des conseils diffusés ici ou là pour vous ré-insérer socialement au travail, puisque tous, qu'ils viennent de patrons, syndicats, psychologues ou autres associations, tous sont fondés sur l'idéologie du travail comme nécessaire à la santé psychique par le lien social blablabla, au delà de sa simple nature de contrat salarial. Il faut être intimement convaincu que tout lien social, dans la société capitaliste, est une paire de menottes dont le capital garde les clés.

Si votre objectif est réellement d'être payé à ne rien faire, il faut en assumer les conséquences notamment psychologiques, parce que vous trouverez plus facilement des ennemis que des complices dans la place. Il faut en faire un combat personnel, d'abord intérieur, une sorte de jeu dont vous avez défini la règle, une raison secrète de venir au travail, une démonstration de l'absurdité du rapport salarial. Il faut naturellement se garder de toute provocation trahissant ce "combat" et votre fierté de l'avoir finalement gagné, et par ailleurs savoir que ce jeu est absolument dérisoire, d'aucun effet contre le système, étant singulier et sans valeur d'exemplarité. C'est un "merde au salariat !" strictement individualiste. Avant qu'advienne l'"individu immédiatement social" (sic), encore faut-il qu'apparaisse l'individu immédiatement asocial. J'en suis un.

Pour comprendre que je puisse parler de mise au placard libératrice, il est nécessaire de mettre, en face des inconvénients évoqués bien connus, les avantages incomparables d'une telle situation :

- n'avoir rien à faire pour un chef, un patron, c'est moins de fatigue inutile chaque jour;
- n'avoir rien à demander à personne, ni obéir à aucun ordre, c'est s'épargner la mascarade des catégories, niveaux, grades... Bref, c'est n'être dépendant ni d'en haut, ni d'en bas;
- n'avoir aucun contact ni réunion, donc aucun désaccord, conflit, ni stress en découlant; n'avoir jamais à tenir un rôle de façon schizophrène, etc. C'est s'épargner des dizaines de conversations stupides et creuses avec des imbéciles imbus de leurs fonctions et rang sociaux, ou pire, des conversations paraissant intéressantes avec des gens ayant l'air intelligent;
- n'avoir, une fois rentré chez soi, aucune angoisse professionnelle, aucun insomnie due à quelque mauvaise expérience ou relation, etc. Être entièrement disponible pour ses activités et pour les siens.
- n'avoir aucun dossier, donc n'être jamais en retard pour l'achever, n'être jamais contraint de rester plus qu'on ne souhaite le soir (dans la limite certes des horaires variables), jamais obligé de partir en mission perdre des heures de liberté, jamais prié de fixer ses congés en fonction d'échéances professionnelles;
- être totalement dés-impliqué professionnellement, tenir une place d'observation distanciée, et le cas échéant, s'amuser beaucoup de la façon dont certains, à tous niveaux, se prennent réellement au sérieux, n'imaginant aucune séparation entre leur être social et leur raison d'être; accessoirement, il est bon de s'illusionner un peu, en pensant que l'on est moins ridicule, moins fou (on dit aliéné), voire plus libre (d'esprit, ce n'est pas difficile);
- ne pas travailler, c'est être cohérent avec ce que l'on pense du travail, du rôle réel de l'État et de la Fonction publique – du moins dans le type de fonctions censées être les miennes.

Maintenant que toutes mes lectrices (et lecteurs) sont persuadées des bénéfices (pour moi) de cette situation, il leur faut savoir qu'elle a nécessité des circonstances favorables quasi indépendantes de ma mauvaise volonté, quelques atouts contre l'employeur, des années de construction obstinée, stratégique, tactique, l'abandon de scrupules quant aux aspects cyniques voire pervers envers quelques personnes malgré tout honnêtes qui voulaient "m'en sortir" (du placard), un certain doigté pour ne pas dire un certain talent. Parvenir à être payé à ne rien faire (au demeurant un idéal capitaliste) cela exige des compétences, comme tout travail... C'est mieux quand cela va dans le sens de la nécessaire abolition du salariat. Si je fais des envieux, qu'ils s'y essayent plutôt que d'enrager. Que vienne donc le jour où l'on ne sera plus conduit au suicide pour être mis au placard*, privé de travail, mais pas des moyens de vivre.

* Il va sans dire que la situation économique et la crise font et feront que la mise au placard est et sera de moins en moins une solution managériale, compte tenu de son coût, y compris dans la Fonction publique. En témoigne la Loi mobilité, sur laquelle, comble du sort, on voudrait me faire travailler ! Pour le coup, à la guerre comme à la guerre, me voilà de surcroît objecteur de conscience !

16 novembre 2011

Visites du site de janvier 2005 à octobre 2011

15-27 novembre 2011

DE (L'ÉCOUTE DE) LA MUSIQUE

Écouter (de) la musique est un excellent moyen de perdre son temps.

La musique, il faut l'écouter. Pour l'entendre, faut-il préciser. C'est une activité, qui n'en souffre aucune autre, ni diversion, ni distraction. Elle exige intérêt et concentration, comme la littérature, bien qu'on n'ait pas, pour « écouter de la musique», de mot équivalent à « lire (un livre) ». Certes l'écoute active n'est pas réservée à la musique (conférence, conversation, chasse et pêche...), mais davantage sélective que la vue, encore moins destinée à la seule lecture de livres, surtout par les temps qui courent. Aussi bien, de ce double et strict point de vue, ne devrait-on ni lire en écoutant de la musique, ni écouter de la musique en lisant. Sinon, on a affaire à la musique dite d'ambiance, pour accompagner les affaires (magasins, loisirs), ou le travail domestique (sauf l'aspirateur, qui est antagonique à la musique, comme l'a dit Nougaro), bien que l'essentiel de cette musique n'ait pas été créée comme telle ni pour cet usage, l'ambiance (vous avez dit atmosphère ?). Mettre de la musique de qualité pour vendre, c'est violer et la musique - qui n'a pas été conçue ni jouée pour ça -, et ses musiciens - qui resteront ignorés de la masse et volés par les utilisateurs.

Avant l'invention de la reproduction sonore, avant et après celle du concert public, au XVIIIème siècle – avec ses caractères de classes manifestes et clivés –, on ne pouvait écouter qu'en présence et vue des musiciens (sauf de loin, à travers les murs, etc.). Avec l'invention de la reproduction sonore au XXème siècle, on perd de vue les musiciens, mais on gagne la possibilité d'une qualité d'écoute, sinon de reproduction, à proprement parler inouïe. La haute fidélité ouvre la possibilité d'une écoute qui peut égaler voire dépasser, en termes de qualité sonore, celle du concert (selon la sonorisation, la place, etc.). On perd le caractère vivant de la présence des musiciens, qu'on ne voit plus (sauf par le cinéma, la télé, le DVD...); on perd l'ambiance du public indispensable à certaines musiques; on gagne de pouvoir écouter plusieurs fois, donc mieux connaître et apprécier; on gagne de mieux entendre la musique, que ce soit en musicien, en mélomane, ou en audiophile, étant entendu que chacun tend à privilégier une écoute qui l'intéresse (le plan de la technique musicale pour le musicien, le plan "musical" pour le mélomane, ou la reproduction sonore pour l'audiophile). À chacune de ces écoutes correspond la prédilection pour des spécificités de cette reproduction - je n'entre pas dans ces détails. Elles sont naturellement compatibles ou recherchées en alternance, c'est mon cas. Toujours est-il un paradoxe, car une telle qualité d'écoute subjective (et par certains aspects objective), on ne l'obtient au concert qu'en fermant les yeux, c'est-à-dire en annulant une raison d'être là : voir les musiciens, l'orchestre.

Pour résumer, que ce soit en musicien, en mélomane, ou en audiophile, je préfère écouter la musique sans les images, tout simplement parce qu'alors j'écoute, et j'entends, mieux.*

Aujourd'hui que sortent nombre de DVD reproduisant concerts et émissions de télé des grands musiciens de jazz, j'ai (j'aurais) naturellement plaisir à revoir ceux que j'ai entendus (et vus) en concerts (autrement dit des centaines, dont la plupart de ceux vivant encore dans les années 60-70, j'y reviendrai), ou découvrir des inédits, mais l'écoute des seules bandes sons (CD, radio) est une madeleine de Proust plus sûre, car elle convoque par le son les images de la mémoire visuelle d'un lieu de concert - peu importe qu'il soit celui reproduit ou non, s'il est moment d'une même tournée d'un même orchestre (c'est typiquement le cas des enregistrements ex-pirates de Miles Davis, Mingus, Getz...).

Encore deux remarques.

1. Les enregistrements live sont, sous certaines conditions, toujours plus réalistes que les enregistrements studios, sauf exceptions, mais elles se font rares (où sont les Van Gelder d'aujourd'hui ?). En effet, il ne suffit pas de bien mixer des timbres bien enregistrés séparément, encore faut-il (re)créer un espace sonore authentique (église, caveau, théâtre, salle de concert, extérieurs, voire studio conçu 'comme au concert'...). Car il est indéniable que le jeu sur scène favorise la sonorité d'ensemble et les interactions harmoniques, dont jouent admirablement entre eux certains batteurs, bassistes et pianistes, sans parler des saxes et cuivres... cf les témoignages d'Art Blakey ou Albert Ayler, sauf erreur dans Jazz et problèmes des hommes, II1.3 la création collective, les échanges, l’individualité et le groupe ). Ces interactions sont tuées par un enregistrement isolant chaque instrumentiste. C'est ainsi que des enregistrements en studios des années 50 sont plus vivants, plus réalistes, que certains plus récents, pourtant enregistrés avec des moyens techniques plus performants (on peut comparer aux deux époques des disques de Sonny Rollins, Toots Thielemans, et tant d'autres...). Chaque instrument est mieux défini, mais l'ensemble est moins bien rendu.

2. Il est assez peu connu que la meilleure source sonore à domicile est encore la radio FM, sous certaines conditions de réception (zone, antenne), et de reproduction (tuner...), qui est menacée de disparition avec le numérique et le prétendu « dématérialisé ». Compression ? Répression ! Régression ! Et que parmi les émissions radio, le must est le concert en direct (France Musique, France Culture, FIP, Radio Classique et TSF Jazz transmettent correctement en analogique sans trafiquer le son, pour ce que j'en perçois). En effet, le concert est, par définition, en partie dématérialisé : des micros et un émetteur, mais pas de support d'enregistrement à la source. Allez savoir pourquoi je n'ai pas la télé...

Moralité : Écouter (de) la musique est un excellent moyen de perdre son temps.

* il faut ajouter aux considérations subjectives sur l'impossibilité qu'a le cerveau de bien faire deux choses à la fois, quand chacune exige concentration, le fait que les systèmes home-cinéma, même les "meilleurs", ne sont en aucun cas conçus pour recréer des sons réalistes, instruments de musiques ou autres, mais celui d'une bande-son destinée aux salles de cinéma, avec gonflement des graves et autres effets surlecutants; pas plus réalistes, sauf rarissime exception et selon votre place dans la salle, sur le plan spacial que timbral. Qu'importe, dira-t-on puisque la grande masse ne connaît pas le son des instruments réels...

La plupart des intérieurs domestiques où sont calamiteusement installés ces appareils aussi moches que chers, sont calamiteux sur le plan acoustique, ce qui s'améliore pourtant à moindre frais que le matériel acquis sur les conseils de vendeurs peu scrupuleux, ignorants ou malhonnêtes. Je ne suis pas partisan de la correction active moyennant une équalisation électro-numérique, qui n'attaque pas la cause d'un déséquilibre acoustique, et ne modifie la perception qu'en un point d'écoute individuel, sans même pouvoir tourner la tête... Voir une vingtaine d'idiophiles mâles assis devant de tels systèmes conçus pour une écoute parfaite en un point est, pour reprendre leur parler, surlecutant...

Les sons des musiques actuelles - produits plus que reproduits - ne sont pas et n'ont pas à être « fidèles » à une quelconque source sonore réelle, alors que tel est l'objectif de la reproduction de musique instrumentale ou de sons 'naturels' par la haute fidélité, de l'enregistrement à la reproduction, en passant par des "écoutes" professionnelles (celles-ci n'intéressent la police que mélomane), jusqu'à la vôtre, de haute lutte finale. La conception des systèmes multivoies n'est pas, dans ses choix actuels, adaptée à la reproduction de concerts, sauf systèmes rarissimes pour SACD multivoies, abandonné parce que non rentable vis-à-vis du home cinéma grand public et de la copie directe d'enregistrements audio-videos. Il est aisé de comprendre que les fabricants aussi bien que "les gens" (leurs clients) ont préféré, à la reproduction musicale de qualité poursuivie des années trente aux années quatre-vingt, la sonorisation merdique de merdes audio-visuelles déferlant depuis vingt ans, sans quoi c'est le SACD qui coûterait moins cher (que le DVD-video). La qualité sonore ne s'accommode du capitalisme ni du côté patrons, ni du côté consommateurs. Qu'ils aillent, ensemble, au diable !

1er novemvre 2011

André HODEIR, auteur entre autres de Hommes et problèmes du jazz, 1954, que j'ai détourné en Jazz et problèmes des hommes dans une critique de son occidentalisme, est décédé ce premier novembre, ainsi que Christiane LEGRAND, des Double-Six, et autres...

IndexHODEIR André (compositeur, musicologue, écrivain) ; LE BRUN Annie
PLAN DU SITE INDEX