Chapitre 3

Comme certains quartiers se révélaient magiques à André Breton au cours de ses errances, le cimetière, derrière ses murs de quartier réservé, apparaît, pour qui n'y pénètre pas en service commandé, l'un des rares et derniers refuges du rêve et de l'inconnu, de l'extraordinaire et du magique. Univers mensonge nié aussitôt qu'affirmé et pourtant...

André Chabot, Erotique du cimetière

(six cent dix-huitième nuit)

Je prévois un homme-soleil et une femme-lune, lui libre de son pouvoir, elle de son esclavage...

Octavio PAZ, Liberté sur parole

Aujourd'hui, j'ai retrouvé Catherine. La vraie. Après une semaine de silence, dans le grand tremblement à lui envoyer les poèmes... Elle. La vraie. Aujourd'hui. Venue. Vénus. Venue me dire qu'elle les avaient trouvés très beaux. Qu'elle préférait n'en point parler. Que non elle ne fuirait pas. Que oui elle me lirait encore. Que pourquoi toujours elle allait donc se mettre dans de ces histoires...

Elle était là. Sur le banc. A mon côté...

Assise à prendre la couleur soleil, la place du soleil, assise près de moi assise à la distance du soleil, et d'elle à moi les mots à tire-d'aile, attiré d'elle à tirer d'elle ses rayons d'or à l'oreille, également le silence à merveille, par les nuages et par le ciel, un seul rayon c'est non pareil

Alors peut bien venir maintenant ma nuit d'encre. Je suis un homme-lune et ne brille que d'elle.

(six cent dix-neuvième nuit)

Le livre tient-il lieu, ici, d'amour ?

Edmond JABES Ça suit son cours

Il lui écrirait. Elle le lirait. C'est ainsi qu'ils feraient l'amour. Sur les papiers couchés. D'un livre. Ivre d'elle. Qui le lit.

Elle avait une vie ailleurs. réelle. Avec un homme. D'ailleurs. Lui serait son amant de plume. A l'encre de son désir d'elle.

Catherine tu sais comment je t'aime
et combien cela m'est souffrance
à combler ta réelle absence
du bonheur d'un poème
où je me vois tomber
sans en avoir l'r 
au trou d'air
vide sous
le mot
Toi

Pour l'heure entre eux un pacte était scellé. Elle avait mieux que lui compris ce qu'il est préférable de taire. Des choses dont elle lui communiquait son intuition.

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Aragon, Les yeux d'Elsa

Les yeux de Catherine sont à la dérobée. Libellule. Couleur d'elle. Les yeux de Catherine sont une bouche de lumière où perle son coeur en mots d'elle. Croiser son regard est un baiser volé. Demoiselle envolée. Les yeux de Catherine sont à la dérober.

(six cent vingtième nuit)

Quand on désire une femme dont on ne sait pas le nom, apprendre son nom, c'est comme l'ébauche de la posséder. Le nom est déjà une âme.

Henri de MontherlantLes jeunes filles

Les lettres de ton nom sont l'alphabet de mes désirs et j'écris à partir de toi : C-a-t-h-e-r-i-n-e.

La lettre a est dans ton nom où je peux naître. Créer est par ton nom. Je tire à l'art sur toi ses lettres. Je me sens riche de ton nom. L'écrit est dans ton nom. J'y ai trouvé mon carnet. Je m'ennivre au nectar de ton nom. Tu es ma reine dans ton nom. Il est mon je de cartes. La raie la nacre et la natice, ton nom a la magie lointaine des fonds de mers du Sud. Par train en char en car de la Chine à l'Iran dans ton nom je voyage. L'aîche et l'actée, le caret et le cétérac sont les mystères de ton nom. Le chêne et le hêtre dans ma forêt de rêve. Le chien le chat et l'âtre. Le thé et le tic-tac et je suis en famille. Irèene et ton nom est ma paix. De toi j'ai hâte et crainte par ton nom. J'en ai le trac et cernes de ton nom. Ton nom est ma chaîne et j'écris à la craie ton nom sur l'écran terne qui nous sépare. Il y a dans ton nom un tyran, ton absence. Je suis le pauvre hère de ton nom. Hier est passé dans ton nom sans te voir. Je ne peux que chanter ton nom. Que sur l'air de ton nom. Mais à quoi sert le mot chair dans ton nom ? Tu n'es pas dans ton nom Catherine. Et je ne suis certain que de ton nom. Inerte dans ton nom. Je suis le rien parmi les lettres de ton nom. Je ne fais que lettres à ton nom. Je ne suis l'être que de ton nom.

Catherine,

C'est aujourd'hui dimanche. Qui passe. Il a fait beau temps, Catherine, ce qui ne gâte rien. J'ai samedi fait provision de plumes. Et d'encre. J'en use... Le soir nous a traînés Chouber et moi de bar en bar, une bande de gens d'art bien paumés, sans le sou et buveurs, fallait voir... hommes bavards et déchirés... tristes femmes muettes. Beaufs de bohème. Je ne me supportais plus là au milieu. Je suis rentré. Malade. Cassé.

Ici j'ai fait des mots parmi les morts, dans le bel air du Père Lachaise où j'affectionne le coin d'herbe près de J-B Clément et de Paul Eluard : le texte les lettres de ton nom que je t'envoie. J'hésite dans le choix pour toi d'autres morceaux. Toi seule leur confère une unité. Un réalité... Il me faudrait du temps pour bien écrire cette histoire-là.

Nous nous verrons peut-être. Ce serait un bonheur. Et tu me parlerais de toi.

Le printemps vient. Et les merles moqueurs.

(...)

Sa vie d'ailleurs, avec un homme d'ailleurs, ne devait pas l'intéresser. Sa vie d'avant seulement. Son enfance. Il partageait cette idée de Pavese : "C'est un signe d'amour certain de désirer connaître, revivre, l'enfance de l'autre."

(six cent vingt-et-unième nuit)

Effronté ! Téméraire ! Laisse les morts en paix !

(La statue du commandeur). Mozart. Don Giovanni.

C'était hier dimanche près des Communards reposant dans Le temps des cerises. Il faisait printemps et j'étais dans le nom de Catherine depuis une heure peut-être. De temps à autre je levais le nez. Les promeneurs défilaient devant les noms gravés de Vaillant-Couturier, Cachin, Thorez, Duclos... Je me demande bien ce qu'ils voyaient dans ces noms-là... après Berlin, Prague, Sofia, Roumania, Managua, Mandela, Afrika... et s'ils avaient du monde une vision plus ou moins optimiste... Peut-être bien que la plupart s'en battaient l'oeil, tout à leurs problèmes ou à l'absence de problèmes de cet ordre... Bien sûr, tout le monde n'avait pas un amour derrière le mur, à retrouver après des années. Et puis, chacun son mur, d'abord... Catherine !

J'étais depuis deux heures peut-être dans le nom de Catherine. Il faisait printemps. De temps à autre je regardais passer les gens devant les communistes morts.

De jeunes Allemandes et Allemands étaient couchés dans l'herbe derrière moi. Maintenant ils ne parlaient plus, mais j'avais entendu le mot grün quand ils avaient décidé de se poser sur le gazon. Verts ou Rouges ? Est ou Ouest ? Unis ou désunis ?... Catherine !

Catherine. J'étais maintenant dans son nom depuis près de trois heures. Il faisait printemps. Levant le nez, soudain, je vois cette très jolie femme devant Paul Eluard... Elle a jupette bien portée et ses cheveux ondulent... ses jambes... ces jambes ! Elle passait. Elle passa.

Je revins à mes mots, mais eux ne venaient plus à moi, la jupette à l'esprit (on dit bien à l'esprit ?). Elle avait de ces jambes ! D'un coup, tiré du nom de Catherine, je ramassais les feuilles mortes de mes mots. Une Allemande sursauta.

Je mis grands pas à la chercher par les allées en haut du Père Lachaise... Jardin du Souvenir... tellement sûr de la retrouver... Oscar Wilde... que venez-vous chercher ici ? Laisse les morts en paix Laisse les morts en paix Laisse... Non, pas par là inutile de couper à travers les tombes prends à droite... Elle est là ! Au bout de mes yeux. Et sa jupette vole il fait printemps elle a de ces jambes et je file ses pas... Avenue Transversale... Combattants étrangers... Porte de la Dhuyse... Rue des Rondeaux, trottoir de droite, deux mètres d'elle... - Mademoiselle, si vous marchez trop vite, comment puis-je vous suivre ?... Mademoiselle, m'entendez-vous ?... - Monsieur, de compagnie point n'ai besoin... Ses yeux... Dommage. Elle avait de ces jambes ! Mais elle m'échappait. Belle.

Je revins à Catherine, à mon coin vert et rouge... L'Allemande ouvrit de grands yeux. Je pensais à Truffaut, à L'homme qui aimait les femmes, à Charles Denner... Tiens, encore un ancien communiste...

J'avais faim. Et les merles moqueurs...

(...)

Ce que j'écris n'est pas une histoire d'amour. C'est un livre d'amour. C'est-à-dire un livre de manque d'amour. D'amour d'une femme. Catherine. Impossible. D'amour d'écrire. D'amour d'écrire à cette femme ? Non. Par cette femme ? Oui et non. Ceci est une histoire de tous les jours. Qui passent. Non. Ceci n'est pas une histoire. Ceci est rien. Qui passe.

(six cent vingt-deuxième nuit)

Catherine j'ai eu si peur !

Ce message téléphonique. Tu avais un petit service à me demander. C'était sûrement un prétexte. Quelque chose à me dire. ça y est elle ne veut plus te lire. J'ai écrit quelque chose de trop. On s'attendrait ce soir à la sortie. Petit service un prétexte. Tu avais quelque chose à me dire. Quelque chose à me dire et tu ne venais pas à la sortie elle ne veut plus te lire et tous ces gens en trop à la sortie et tu ne venais pas escaliers quelque chose à me dire sûrement qu'elle ne veut plus me lire Voyage au bout de la nuit était sur son bureau et tu n'y étais pas dans ton bureau quelque chose à me dire et rien dans le petit miroir plus me lire posé sur ton bureau dans les couloirs non plus elle ne veut ascenseur plus me lire tu n'étais pas venue peut-être sur le quai escaliers mécaniques quelque chose à me dire non sur le quai non plus et demain c'est au bout de la nuit à quoi bon elle ne veut plus me lire écrire je remonte escaliers mécaniques escaliers escaliers Tu es là ! Et me parle tranquille comme si de rien n'était. Tu es là. Des boucles bleues et d'or à tes oreilles. Quelque chose à me dire et nous parlons de rien. Mais tu es là. Tu n'étais pas venue à cause des gens en trop à la sortie. Tu es là... Tu es là maintenant un café en haut des champs. - A te dire ? Non. Rien. Juste un petit service à te demander. C'était un petit service qu'elle voulait me demander. Tu es là. Je regarde tes mains. Tu me liras encore. J'ai eu si peur Catherine.

(six cent vingt-troisième nuit)

Mais il faut entendre autre chose encore. Car les hommes de création, qu'ils peignent ou qu'ils écrivent, ne considèrent jamais l'enfant comme le but. Le but est toujours de mieux aimer, plus fort, plus sûrement, pour atteindre enfin la merveille.

Aragon. Je n'ai jamais appris à écrire

Je n'écris pas pour Catherine. J'écris par Catherine. J'entre par sa grâce en écriture. J'enfante d'elle écrire je suis un homme-lune elle est femme-soleil. L'enfant ne se libère pas d'elle encore. Pas d'aile encore. Pas d'elle en corps.

Écrire et le réel sont deux pays voisins. On peut imaginer : la guerre, les diplômates, les immigrés politiques, les échanges en tous genres, les mariages mixtes, les barrières douanières, les trafiquants, les écrivains chauvins, les bilingues lettrés, l'accent des Belles étrangères... ceux qui ne sont pas de ces pays-là pas d'ici...

Mais dans quel sol puise-t-on les richesses, au pays d'écrire ? Où sont les mines ? Je suis un citoyen des deux pays et je traverse chaque jour la frontière. Aller-retour quotidien du réel à l'écrire. Catherine est cette frontière. Non. Un pays même. Lequel ? Non. Catherine est le no woman's land entre le pays réel et le pays d'écrire.

(six cent vingt-quatrième nuit)

Hier je n'ai vu Catherine qu'au travail. A son travail. Dans son travail. M'a pas plus. C'est pas ma Catherine. Pas celle que j'aime. Mais aujourd'hui nous avons pris ensemble un café. Deux cafés. En tout quatre cafés.

- Tu as l'air ailleurs - Je ne suis jamais si présent qu'avec toi - A quoi penses-tu - N'ai-je pas le droit de t'aimer - Tu veux m'aider - N'aide-t-on pas celle qu'on aime - Restons amis - Ce terme ne convient pas je te désire - Je suis choquée je croyais - Tu ne vas pas me quitter - Tu dis ça comme si nous étions - Oui - Tu crois que nous sommes liés - Nos amours sont particulières - Comme tu es ambigu - J'ai besoin de toi - Tu veux que je te lise encore - Je t'attends

Quinze heures. Il fallait s'arracher. Retourner au travail.

(Ecrire, comme travail ? Oeuvre accomplie de soi ? Mise au monde ? Accouchement ? Enfantement ?)

Catherine dit que je n'ai pas besoin d'elle pour écrire.

(six cent vingt-cinquième nuit)

Lui veut toucher le visage de Catherine mais ne le fait pourtant pas

Thomas Bernhardt, Simplement compliqué

Il la désirait. Elle se dérobait. Il lui parlait d'amour. Elle répondait amie. L'air autour d'elle faisait rempart. Il en faisait le siège. Il envoyait des yeux dans son espace aérien.

Un si petit bouton monte la garde au col
de son corsage d'où les mains furtives nues
son cheveu fait à l'oreille un aveu de couleur
son teint donne à ses bleu les justes tons d'un accord diminué mineur
sa bouche retient des oiseaux verts
à dessein la lèvre

(six cent vingt-sixième nuit)

Vous perdez votre temps de me dire mal d'elle
Gens qui voulez divertir mon entente
Plus la blamez, plus je la trouve belle
S'esbahit-on si tant si m'en contente ?

Clément Marot, Chanson XXXV

Couche avec elle. Écris pour toi.

Écrire ou baiser. Maintenant, il voyait mieux la différence. Il voulait faire les deux. Coriane, la Comtesse, même jalouse, avait raison.

Agathe et Berthe, qui l'aimaient bien, et qui lisaient les planètes (de Catherine il connaissait le jour de naissance, il leur avait communiqué), disaient que cette femme était trouble, insupportable à vivre, qu'au lit ça ne collerait pas, qu'elle n'était pas bonne pour lui et qu'il méritait cent fois mieux. Que c'était une vraie chance qu'elle se refusa à lui.

Il ne voyait pas le rapport avec sa Catherine. Il ne voulait pas croire aux planètes.

Pierrette, qui avait la plus belle bouche du monde, moquait ses amours platoniques - Elle va se retrouver comme moi avec une pleine boîte à chaussures de lettres. Elle disait, et Gentilhomme aussi - L'amitié entre sexes passe d'abord par le lit. Lui n'en pensait pas moins. D'ailleurs il n'avait jamais cherché à faire de Catherine son amie. Cela viendrait ou non, avec le temps. Ce qui le motivait était la permanence de son désir, la tension de l'état amoureux. Sans pour autant qu'il puisse garder avec elle ses distances. Toujours lui fallait-il encore l'approcher.

Approcher d'elle en restant loin s'éloigner d'elle toujours plus près. Aller chaque matin au pays d'elle en cueillir les beautés mais rentrer chaque soir au pays d'écriture les accommoder.

Écrire ou se branler.

Là au moins c'est clair. T'as le choix. d'une masturbation à l'autre. Choisir la trace. Ce qu'il en reste.

Sam a dit ça aussi. Samedi, avec Chouber... D'accord, Sam, il sculpte, mais c'est pareil, on taille ce qu'on peut. Sam, il a dans sa tête un sexe gros comme Le Pouce de César. Tient pas en place, Sam...

Mais je ne peux plus écrire à Catherine. Plus comme avant. Pas tout. D'ailleurs, jamais je ne lui ai tout écrit. À moi non plus. Et je lui ai envoyé si peu, alors... Mais Catherine il me la faut. Et il me faut écrire. Je la veux. Je l'avoue. Mais je veux écrire. Je lui ferai moins mal au plumard qu'à la plume. Et je serai deux fois plus vrai. Écrire et faire l'amour.

Trois fois plus vrai. Parce qu'en plus, j'existe, maintenant. La recenseuse sort d'ici. Je suis recensé. À nouveau censé exister. J'existe, puisque je compte :

Ce livre aura 999 nuits. Pour mille il me manque un bit. Mille et Une, on l'a déjà fait. Et aujourd'hui, tout va plus vite, il faut faire du neuf. Depuis le premier jour, celui où Catherine m'est apparue, je compte. Le 999ème jour tombe un premier avril.

J'existe, poisson d'avril. Je suis donc je pêche.

Au bout de mon fil une annonce : H. DÉSIRE CONNAÎTRE FEMME AYANT AMOUR DE L'ART POUR INVENTER ENSEMBLE ART DE L'AMOUR, en 84 lettres, signes ou espaces. Sept fois douze.

Il avait comme ças au bout du fil attrapé Anita, une voix, les yeux verts... Nathalie, ses jambes, ce qu'elle avait de mieux... Et Rose.

Rose. Trente six. Mariée. Mari. Jumeaux. Inspectrice des douanes chef de la discipline du personnel. Au téléphone,  elle lui avait demandé ses diplômes... Porte des Lilas. Cette femme voulait se prouver qu'elle pouvait encore plaire. Quitte à tout foutre en l'air : -mon mari est adorable, parfait, je lui dis tout... elle lui cause tendresse, le frotte, le chauffe, réveille en lui l'animal... et, chef de la discipline, le jette au dernier métro, Porte des Lilas. Elle le réveille une heure plus tard - Êtes-vous bien rentré ? Quelle pitié ! Proust ? Trop long ! Picasso ? Quelle horreur ! Bon. Boudin ? Eugène. A Orsay... - Jamais vu Honfleur... Votre annonce était vraiment très originale. Mon cul. En 84 lettres, l'avait pas trouvé de place pour caser la révolution - C'est pas un peu dépassé ?... Des claques ! Le pire, c'était lui. Adorable avec elle, en plus. Jusqu'à lui dire ses quatre vérités. Il l'avait bien cherché. Ne sois pas triste, lui avait dit Catherine.

Samedi. Le matin, c'est le marché. La tranche de hampe, celle de foie d'agneau, les carottes, les radis, la mâche, les petits chèvres à trois balles, les oeufs frais, le bouquet de menthe, Mado et ses Humas, les excités du Front National, Mataf et ses toiles cirées - Depuis 1951 je suis là tu comprends chacun ses idées viens-voir ils m'ont crevé le radiateur de ma bagnole tu comprends je suis juif je vends ici depuis 1951 tu comprends je vais partir quitter la France partir dans le désert partir Mataf, beau lui dire que je suis auvergnat, me prend pour un Juif polonais. Un point commun quand même, on rigole bien avec les Communistes. Enfin, moi, pas toujours. Tiens, l'an dernier...

Il est absurde et criminel envers soi-même de donner à l'Histoire plus qu'elle n'est capable de vous rendre, soi-même vivant (si l'on ne croit pas au paradis, à l'enfer, etc.)

Roger VAILLANT, Journal intime

dedans t'étouffes dehors tu t'empoisonnes tu vas où tu fais quoi tu peux toujours chercher l'air pur dans les montagnes de ta pensée voir ça de haut croire que t'es un aigle t'es qu'un moineau blessé en chute libre t'es tout seul et sans ciel deviens pas un vautour t'as pas raison tout seul t'as seulement des raisons déraison démission t'as seulement des visions dérision et la nuit c'est chacun son aire chacun son nid chacun sa grotte là t'atteinds des sommets en philosophie caverne contre caserne ça c'est drôle on dirait de la joie du Jouary Lajoinie d'la pensée la joie triste à mourir et dedans forcément si t'as le nez dessus quand ça pue c'est terrible tu prends la porte et tu crois prendre l'air tu prends tes jambes à ton tes désirs pour des du coup t'en viendrais même à plus sentir du tout et pas la merde que font dehors les autres t'en as jusqu'aux genoux si t'es fort jusqu'au cou si c'est faible et sans parler des morts de tous ceux qu'on voit plus noyés dedans dessous qu'on marcherait dessus à pas lourds à pas faire attention et qu'on y plongerait comme d'autres s'y baignent ils en ont plein les yeux se croient au chaud dedans au chaud d'un ventre ventre toujours fait con comme dirait l'autre sans parler des assis au bord qui font concours de pêche avec leur carte en poche société privée d'exploitation du genre humain et du reste alors faudrait mener ta barque au large en optimiste toutes voiles dehors te dire que vievent ceux qui rament contre vents et marées non ceux qui rament crèvent vogue la galère et vivent ceux qui rêvent faudrait repartir à zéro et tout recommencer quoique les re ça t'as de ces relans de ces requins qu'on sait plus trop à qui bien mal a qui déjà tout seul c'est pas aisé à deux t'es bien souvent baisé alors quand t'es un peuple t'as beau te dire sans parti pris les autres feront la part de tes excès et toi de leurs raisons in-tel-lec-tu-el-col-lec-tif ou duel collectif il faut choisir son camp renoncer à soi-même apprendre les réponses avant de poser les questions douter de tout douter de rien maxime contre minime chacun son goût de l'absolu tout est si relatif on coupe en quatre les cheveux de l'autre ça fait des tifs ou des têtes qui tombent sous les superlatifs des plumitifs laisse béton qui peut Le Puill peut le moins plus Spire des deux n'est pas celui qu'on coupez ici on ne pense pas on s'approprie on se nettoie dit le Petit Robert s'il se nettoie c'est donc ton frère de combat dieu que c'est compliqué il en faut du courage l'ennemi à ta porte ouverte dans les deux sens alors ton frère toi-même as-tu bien su t'approprier prier te nettoyer passez-moi le savon de Marseille mais qu'est-ce que tu dis t'oublies faut dire que la mémoire faudrait s'en faire une autre sur mesure appropriée nettoyée oublier ce qu'on a ou ce qu'on n'a pas dit ou écrit ajouter ce qu'on ne pouvait pas tout savoir inventer l'avenir pourtant moi qui croyais le mieux serait d'être un jeunadéran un adhérentanplan pas un amer en plan pas un Rouge à la mer cherchant le vent du large le mieux serait d'être un proche de nous pas trop curieux un loin de nous mais qui réfléchit bien un qui conserve ses désaccords en attendant d'avoir compris que ce sont des erreurs le mieux serait d'avoir confiance pas en soi mais en eux de leur faire aveugle confiance sourde confiance et muette confiance le tout bien digéré par toi autogéré par eux avant-garde appropriée et auto-nettoyante professionnels de l'erreur infailliblement corrigée reconductibles éternels dialecticiens à la faucille pédagogues de l'oubli hommes au passé plus que parfait courageux du silence exonérés d'autocritique machines à pomper l'air castrateurs de l'esprit critique parasites de l'espoir médiocres incasables concours lépine de l'échec stratèges du déclin rassembleurs d'eux-mêmes et encore ventilateurs d'air en boîte philosophes de casernes désaffectées chefs d'armées introuvables monarques de l'autogestion majoritaires automatiques Don Quichotte des non-dits tendanciels et des valeurs unilatérales pourfendeurs de l'idyllisme visionnel grands thermomètres de l'influence réelle indicateurs universels de l'horizon hommes nouveaux toujours nouveaux toujours nouveaux toujours nouveaux toujours

Calme-toi ! Offre leur ta pitié. Réserve ton mépris. Garde ta haine pour ceux d'en face, les tiens (?) ne t'auront plus. Panse ta blessure. N'oublie pas ceux que tu aimes encore et ne leur dis pas adieu puisqu'en partant tu demeures

Elle te laisse un peu seul, ta Révolution...

Il te laisse un peu seul le petit peuple de Nimistaire pas même représentable s'entend dans l'honneur mais dont tu es censé porter parole paroles qu'il ne prend paroles de muets que tu t'inventes non tu n'as rien à dire au nom de ces fantômes aux âmes mortes ah s'ils n'étaient conditionnés que d'air mais l'air du temps les a vidés d'eux-même pourquoi te devrais-tu de forger un pouvoir à mettre dans leurs mains s'ils ne voient pas qu'elles se ressemblent ah nom de dieu qu'ils se les prennent qu'ils les rassemblent qu'ils te surprennent enfin et ne te poussent pas au désespoir de les abandonner au désespoir de n'être plus qu'un animal chauvin et déshumanisé plus qu'un enfant sauvage non qu'ils te gardent de la haine qui te guette et qu'ils t'aident seulement un peu à les aimer ah les aimer tiens revoilà donc l'amour c'est vrai l'amour ton Amour parlons-en

Il te laisse un peu seul ton Amour

Catherine où est-elle tu la baiserais bien en place d'écrire ah l'art d'écrire justement oui ton Art parlons-en

Il te laisse un peu seul ton Art

Tout te laisse un peu seul il se fait tard

Tu es seul comme un vieux dans ton trou d'art 
Tel un vieux seul au bord du trou de terre
tu te terres dans ton art
et lui se meurt 
toi tes mots
il me
tu
m

 

(six cent vingt-septième nuit)

Matérialisme, il y a dans cette matière-là assez d'infini pour supplanter toutes les religions

André du Boucher

Par la rue du Repos. Il pleut.

Café. C'est aujourd'hui dimanche. Deux Allemandes qui ne rouleront pas dans l'herbe... Kaffee... Postkarten... Katherine... Je suis sorti de son nom. Elle ne sort pas de moi. C'est dimanche. Il pleut. Aucune idée de triste temps. Il fait bonne pluie. Augenblick de la plus jolie... ein Märchen auf alten zeiten... elle a du poil aux pattes, un sac à dos... ses jambes, c'est pas ça. Je sors. Par la rue du Repos. Il a plu.

Par la Grand'Porte. Il a plu.

Choses d'après la pluie. Transparues. Transapparues par les allées pavées. Lavées. Transvues. Une pie chante. Un air de menthe. Blanche et noire. Les yeux de menthe après la pluie. Tombe une goutte très mouillée. Tombes. Lavées. Pavés. Mousses. Gorgées. Soif.

Dimanche, il a plu mousse tu me plais, par le temps pie qui chante, choses d'après la pluie, aux yeux un air de menthe, blanche.

Par les tombes. Il pleut.

Famille... Famille... Famille... Tombes cassées. Mousses. Prères. Delacroix... dans cette division les concessions réputées abandonnées font l'objet d'une procédure de reprise s'adresser à la conservation. Tombes cassées. Fissures. Mousses. Pensées. Bruit ! Derrière moi. Personne... à perpétuité... Madame Catherine Élisabeth Henriquet Épouse de Charles Brunot de Rouvre... Catherine... pensées... fissures... Un chat noir traverse l'allée... une jeune femme rouge et blanc parapluie... le mien est noir et jaune... il pleut, c'est vrai, et revoilà le chat... du monde maintenant... familles... surtout des vieilles. Elles sont partout les vieilles. En bande, seules.. au cimetière comme au club... dans l'autobus aussi... les vieilles ça fait peur... les vieilles inconnues... sorcières !... font plus bander, alors... Mais sont partout. Comme la mort... Tombes cassées... fissures... pensées... concessions... Ingres. Et revoilà le chat. Bruit. C'est un geai... une jeune femme noir et vert parapluie... un merle... Ponge a tort à Paris on ne voit que moineaux et pigeons.. moqueur ! Il pleut. Une jeune femme rouge et vert parapluie... un merle... revoilà le coin d'herbe et de Rouges que j'aime... famille...famille...famille..

familles concessions fissures, derrière moi personne, tombe, une jeune femme rouge et noir parapluie, un chat des vieilles

et les merles moqueurs

Par les pavés. Il ne pleut plus.

La vie par les chemins que dessinent les pavés mal joints. Ou tu choisis ou tu vas au hasard. Au bout c'est pareil. Par les tombes aussi. Tu ne vois pas où tu vas. Tu tournes en rond... tombes cassées... pensées... concessions...fissures... Ici tout est cassé tout est tombé. En ruines. C'est à croire que les morts aussi font la guerre. Avec les pierres. La nuit. se font l'amour les morts ? D'où vient sinon l'érotisme absolu de ce lieu ? Un jour j'emmènerai Catherine au Père Lachaise. J'ai froid. Je sors. Rue du Repos. Café. Les Allemandes sont parties.

La vie est pavée de hasards objectifs, les morts aussi se font l'amour

Pierre. J'ai froid.

Je n'envoie plus rien à Catherine. Mais tout lui appartient. Ce livre m'est vivre. Me nourrit. Je me nous rient. Nourrissons.

À mon feu qui s'éteint rends la clarté première. C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière.

Voltaire à Catherine II de Russie

Si la désire plus que l'aime
n'en déplaise aux pensants
et même où cela mène
réponse je suis sans

Enfant du Nord et de la Vierge
demoiselle des champs
son père a de son père
je prendrais tous les gants

Métiers de bois près de lières
Lièrettes
                exactement
m'a-t'elle dit hier

Mais tient-elle de sa maman
douces mains d'infirmière
pour panser un aimant

mourir dure. mourir. mou rire. mourir mou. mourir dur. dure.

À la mémoire de
Aimée Sonnet
Veuve Chenal
1852-1940

À Coriane,

Comtesse il est minuit sonné
au raccroché j'écris sonnet
pour te dire que le son n'est
qu'un parmi sens arraisonné

À Catherine,

N'ai-je de rouge que la neige


Ferré de la couleur des pleurs
je ne connais rien de la vie
la nuit s'avance dans les heures
où tu me reviens poursuivi

N'ai-je désir que désirer
et n'ai-je de toi que l'absence
n'ai-je de blanche incandescence
que neige rouge déchiré

Plus que de mots merles moqueurs
semer d'immortelles ton coeur
veiller mon champ inassouvi

J'écris ancré de dépendance
les mains me brûle à t'adorer
le froid saisit à la béance

 

(six cent vingt-huitième nuit)

L'un des enseignements les plus pernicieux de Rimbaud, c'est d'avoir enfoncé plusieurs générations dans l'idée qu'il faut se révolter contre la mort et qu'à cela seul on reconnaît le vrai poète 

ETIEMBLE, Aragon et Claudel

Somme toute, peu de Catherine au Père Lachaise. Faut croire qu'elles meurent moins que les autres. J'en ai toutefois trouvé quelques-unes

Lucie Berthe Catherine Delprat
27 septembre 1911 - 7 avril 1912

Madame Louis Renée Holstein
née Jeanne Catherine Gauthier
décédée le 13 avril 1823

Ici reposent (...)
Catherine Marie Franchet
Veuve Charpentier
décédée le 8 février 1870
dans sa 90ème année

Catherine Pélagie Levrais
décédée le 10 juin 1871
à l'âge de 42 ans

Catherine Blanchard
1863 - 1907

Catherine Le Bois
1822 - 1901

Dame Catherine Sophie Foncier
Comtesse de France
née le 31 juillet 1786
décédée le 31 mai 1866

Aimée Catherine Adrienne Marette
Veuve de L-F Richer
décédée à Paris le 3 juin 1905
dans sa 54ème année, regrettée de sa famille et de ses amis
Priez pour elle

Catherine Louise Lecomte
Veuve de Louis Anselme Delavigne
décédée le 3 novembre 1853

Madame veuve Bruneteaud
née Catherine Adèle Dauvin
décédée le 30 mars 1882 dans sa 75ème année

Madame Duteyrat
née Catherine Alexandrine Marie Botte
10 déc.1842 - 31 mars 1878

Catherine Ligout
Veuve Bandsept
décédée le 19 décembre 1873
à l'âge de 60 ans

Toutes du dix-neuvième siècle. Comme la mienne. Enfin, la mienne... Catherine elle aurait voulu vivre sous le romantisme... qu'elle dit... (et travailler quinze heures par jour ?) et puis, elle n'a jamais mis les pieds au Père Lachaise, alors, qu'est-ce qu'elle en connait, du romantisme ?

Par les prénoms. Parlez, prénoms.

Marie-Emélie, Sophronie, Marie-Honorine, Elise-Joséphine Pétronille, Marie-Estelle, Cécile Adrienne, Armelle Alphonsine, Louise Léontine, Prudence Pauline, Clémence Clothide, Agnès Cunégonde, Victoire Aglaé, adélaïde Sophie, Judith Charlotte, Micaëla Josefa, Virginie Gertrude, Juliette Reine Bathilde, Anne Clémentine, Armantine Célestine, Caroline Rose, Aline Eugénie, Angeline Marie, Berthe Alice, AglaéMarie Césarine, Rosalie Colombe, Paquette (pas que des composés), Aurélie Mélanie Estelle, Germaine...

Jardin du souvenir... 88ème division... Marie Laurencin

SOUPAULT dit une sale punaise Marie Laurencin..., mais paix à son âme... les yeux de Soupault, ceux de Picasso, de Miro, des frères voyants comme disait Eluard. Des yeux affamés de réel... Breton, un ton de médecin qui fait une observation... le surréalisme... nous sommes les enfants de la guerre... libérer la littérature de tous les tabous...

Soupault dit que Péret... ces jeunes hommes n'étaient qu'à moitié endormis... la politique... Aragon Eluard ont adhérer au parti communiste... Hegel, Marx, mais superficiellement, Breton totalement... Clartés, clartés...

Soupault dit... un militant doit obéir à des règles, Goethe... dès qu'un poète veut faire de la politique, il doit s'affilier à un parti et alors, en tant que poète il est perdu... il lui faut dire adieu à sa liberté d'esprit, à l'impartialité de son coup d'oeil et tirer au contraire, jusqu'à ses oreilles, la cagoule de l'étroitesse d'esprit et de l'aveugle haine...

Soupault dit que Victor Hugo écrivait avec une virtuosité qui n'a d'égale que celle d'Aragon... Aragon a-t-il cessé d'être poète ? Soupault dit... rester lucide...

Catherine me revoilà à tes genoux toute la nostalgie du siècle qui crève pitoyablement je ne suis qu'un morceau de viande sur l'étal du boucher où aller que faire tout est si lent c'est si facile de faire scandale dit Soupault Catherine je n'ai que toi au monde faudrait que j'appelle Sam peut-être. Oui j'appellerai Sam.

 

(six cent vingt-neuvième nuit)

Ecrire ou dégueuler.

Les pensées qui te donnent la nausée. Les doigts tout au fond... tout sortir... te vider... Mais faudra déboucher l'évier demain. Alors seulement tu pourras écrire. Écrire net. Nettoyé. Peut-être.

Écrire ou gueuler.

À la mémoire de

Madame Veuve Labitte
née M-E Charpentier
Premier avril 1857 - 17 février 1917

Ah ! Chanson vive...
Elle chante, elle fuit et je m'efforce en vain
De la suivre en courant derrière, je m'essoufle,
Je la saisis au vol, je la perds en chemin

Marie Noël, Les Chansons

L - B - - - - C'est son nom. Catherine L - B - - - -. Disons LaBelle. Par discrétion. Ceci n'est pas un roman. Toute ressemblance avec des personnes privées est loin d'être fortuite et dépend entièrement de la volonté de l'auteur. Donc LaBelle. Catherine LaBelle

LaBelle que je ne connais que de nom que de nons
m'a comme revenu l'ancienne La Belle Inconnue
inconnu de vous ce label qui n'est plus souvenu
de Lionel quelques-unes et quelques-uns sinon

M'est revenu l'antienne le refrain rongé
de nos années communes où tournaient mes grilles
une page a tourné ma guitare est rangée
les notes ou les mots ce ne sont pas des billes

Qu'on jette comme ça sans dire d'être sûr
on ne joue pas avec à la récréation
si je n'ai jamais eu le sens de la mesure
ne cherchez en mon chant aucune distraction

J'ai délaissé les notes comprenez-en raisons
plein les mains trop de doigts j'en étais comme un manche
j'avais en tête appris tant de combinaisons
sur le papier d'accord l'instrument sur les hanches

N'est pas la partition ne s'improvise pas
musicien qui ne fait que courir au derrière
de sa propre chanson n'entend plus les copains
pas de cette oreille eux sont déjà devant galère

Non pas la toi t'es resté au sol eux sont si
sûrs d'eux sur deux accords t'es perdu lequel est-ce
qu'est-ce que tu fous ils sont passés par ici
et tu l'as dans le dos Chouber n'a sur ses caisses

Pas de pitié pour moi c'est la règle du jeu
à la baguette ou du balai cette musique
n'est pas dans mes cordes pourtant dieu sait que je
l'avais dans les tripes le jazz des Amériques

Ou d'ailleurs qu'importait pourvu qu'il me fut noir
en dedans chacun reconnaît bien sa famille
au son des voix des pas à son goût d'au-revoir
je n'ai pas quitté Monk je suis resté sa fille

A marier j'ai Miles amant Parker que j'ois
à jouir j'entends au ventre résonner Ornette
jouer aux bois Dolphy Don't stop the Sonny's joie
and Lady Day Oh Lady Day Lady violette

Oh ma planète rouge et bleue Billy ma soeur
de Solitude un coeur gravite en tes anneaux
les nuits de blues aux Fruits Etranges sans douceur
pendu à tes cordes vocales
                                                  All for me now

Oui je reviens à moi ce n'était que paren-
thèse ha la famille on se croirait au cime-
tière j'y étais justement hier c'est marrant
vous voyez comme je me promène ici me

Direz-vous les mots les morts ce n'est pas pareil
ce n'est pas drôle pour tout le monde Monsieur
un peu de respect que diable et laissez les vieilles
en paix les jeunes ce n'est pas l'endroit qui sied

Pour leur courir au derrière je me répète
justement hier j'ai trouvé Gitle Lionel
ta grand-mère dont il sort toujours de ma tête
parce qu'à prononcer son nom est difficile

Enfin c'est bien la seule que j'ai mis en terre
ici te souvient-il ce triste temps de pluie
et de camps revenus il n'en restait plus guère
la peine était mouillée sur les visages juifs

Demeuré là devant planté lesprit dedans
une fleur bleue dormait allongée sur la pierre
je vois encore ta mémé au premier rang
rien au monde elle n'aurait raté un concert

Voilà qui nous ramène au doux temps des duos
tu étais Lion et moi Mouton la belle fable
il ne sortait pas seulement de ton alto
des miracles Mingus s'avouait injouable

Je ne savais le blues qu'à moitié Half Nelson
pas très Cool mais les amis sont contents alors
on a même fait une bande à deux ça sonne
comme ça peut et rajouté que je ressort

Ah ça quel son nouveau au Minton's en syncopes
d'un sax' ténor à cordes micro stupéfiant
clichait les passing-chords dansant du swing au bop
sous les doigts électriques du fou Charlie Christian

Egrène vite et clair les muscats du jazz blanc
sur le manche moins long dessine le solo
à l'automne des feuilles venues cerfs-volants
chorus en ronds-dans-l'eau insolent Tal Farlow

Comm' toi personn' aux doigts ne sonn' le bois Gibson
du fond il naît si raffiné le son Raney
accords et âme mélodie coule
Body and Soul

La gorge brûle un jazz et l'urgence au Meeting
pour ennuis personnels softly Mister Thomas
chair déchirée j'encaiss' droit au coeur ton feeling
ultime humour la mort amer l'anonymat

Mon jazz s'écrivait mieux alors qu'il ne se jouait surtout
le titre et nous faisions ménage à trois Mario
enchantait les bongos tirait de bois secs tout
un parfum latin de vagues et le trio

L'attendait au début une heure quatre temps
à la fin oubliés sourire et voix en or
de Colombie même fait une bande tant
pis fallait voir nos pyjamas rayés on n'aur-

Ait pu faire très fort mais si mais ou si quoi
au juste le sais-je oui je n'y suis pas pour
rien à vouloir une femme-violon c'est moi
non pas Man Ray une Noire sans blanche autour

De moi et mon idée cosmopolite trop
pour être au net du poème avec ça enfin
ça mon Octavio Paz El Cantaro roto
Harpas jardines de harpas ou les confins

De la poésie au creux de mes mélodies
les rêves bleus entre mes mains de neige rouge
font de l'à chaque jour suffit sa peine dit
ce n'est pas ton testament que tu écris bouge

Au lieu de anstatt dass Sie was täten was' nen
Sinn hat und 'nen Zweck Machen Sie Spass
ça s'amuse
et tu n'es pas au bout non pas au bout des tiennes
ce soir vas te coucher laisse veiller ta muse

 

(six cent trentième nuit)

Dur le retour au turbin rompu du dimanche
et que l'Arche à tes pieds te paraît loin de douze
sur le tard rendez-vous à la table la blanche
les attend où l'oubli se donne nom Le Blues

Non L- B - - - - que tu n'as pas revue depuis sept
jours et la nuit rempile des coïncidences
le bleu n'est pas celui désiré qui te guette
sans les yeux de LaBelle
                                       tu n'es pas à la danse

Les pronoms je et tu sont vides de référend fixe; ils ne se "remplissent" qu'en fonction de chaque situation discursive nouvelle qui redistribue les rôles du locuteur et de l'allocutaire. Dans le cas du poème, c'est la scène de l'écriture, et la scène chaque fois différente de la lecture qui joue le rôle et le contexte de référence. 

Michel Colot, La poésie moderne et la structure d'horizon

Coriane à m'offrir quelque chose qu'elle n'a
pas et dont je ne veux pas dirait Lacan a-
lors ça de mon âme amoureuse s'écrie-
t-elle t'écrit-elle telle tellement cri-

Minel serait ne pas l'ouïr mais si crispant
sont-ce là tes amours de celle qui ne t'ai-
me pas à celle que tu n'aimes pas jeté
par le sort et là seul sur ton lit sacripant

 

(six cent trente-deuxième nuit)

A la mémoire de

Madeleine de Montesquiou Fezensac
Comtesse du François de Maillé
1865 - 1896

Cette nuit-là, il décida d'en finir avec la Comtesse. Au bas d'une feuille écrivit :

Coriane. N'écris n'appelle plus. Ni dieu ni diable. Des deux l'odieux. Ni jeu ni fable. sérieux. Adieu.

Lettre à la boîte. Poignard au coeur de la malheureuse. Brûla celle où elle se déclarait amoureuse de son âme, avec d'autres qu'elle lui avait envoyées. Dans le grand saladier réservé aux cérémonies de la laitue auxquelles il l'avait initiée. Le récipient sous la chaleur se brisa. La Comtesse était morte.

Il jouissait de son pouvoir de mort.

De vie également. Lors du recensementde la population, il avait accouché nombre d'individus. Payé à la personne recensée (comprendre à la tête du client), il s'était remboursé du plaisir de faire naître à tout âge, de choisir sexe, nom, profession, comme un romancier. Mais en vrai. Comme Dieu. Il était diablement Dieu. Et la Comtesse était morte, amoureuse de son âme. Dieu l'avait eue.

Ayant tué celle dont il ne voulait pas, il se retrouvait seul avec celle qui ne voulait pas de lui. Avec... façon de parler.

 

(six cent trente-troisième nuit)

Ressuscitée, la Comtesse me tire du lit ce matin. Téléphone j'entends. Elle n'a pas eu ma lettre. Donc pas encore morte. Prétexte à m'appeler : la manif de l'aprèm. Non !... Elle irait donc seule. J'ajoute qu'on est toujours seul et je raccroche. Depuis quand les morts se mêlent-ils de réveller les vivants ?

Écrire c'est marcher.

Semer les mots. Semelle et mots. Écrire c'est semer. S'aimer. Se mêler. Manifester c'est semer. S'aimer. S'en mêler.

Manif. Santé. Sécu. Les manifs c'est la santé d'un peuple. Un peuple crève ou manifeste. Exige. S'exige peuple. S'érige en peuple.

Écrire c'est manifester.

Exiger. S'exiger. Exister. S'exit-er. S'exciter ? S'exiler ? Sex... ?

République. Faubourg du Temple. Foule. Tambours. Camarades. Jean, Marie, Pierre, Julie.. Pierrette, la plus belle bouche du monde... et des jambes... Marche ! Sème ! Exit sex !

République. Métro. Saint-Maur. Père Lachaise. Quand tu sors de la bouche Guimard embrasse le ciel. Souris à la grimace !

Par Ménilmontant. Il fait beau temps.

J'entre. Montée pavée. Pierres levées. Rougequeue noir. Phoenixurus ochruros. Black Redstart. Hausrotschwanz. Codirosso Spazzacamino. Colerrojo tizon (l'ordre dans lequel le dictionnaire range les langues, sans, jamais, l'arabe). Noms d'un oiseau. Un chat noir. Il ne fait que passer. Par ici. Il trépassera par là. Se cachera pour mourir. Deux vieilles. Lunettes. Deux jeunes. Les nattes. Parfums. Avril arrive. Carrefour. Fontaine. Max Pol. Un banc. Une femme très belle caresse les cheveux d'un très bel homme. D'ailleurs. Allongé. Assise... Catherine... je ne fais que passer... un merle... on siffle... on ferme... Par la rue du Repos je sors. Je rentre.

Par la Roquette. Autour de Minuit.

Mizar au zénith Monk's Mood Un chat roux tourne rue Lespagnol Blue Walk Un homme en blanc poursuit son ombre Cité Aubry Just a Gigolo par les pavés d'où sourd l'eau Villa Riberolle Who knows Un arbre baise la pierre à la faucille et au marteau I should care Du linge aligné pend aux fenêtres rue Lignier Skippy Haut le mur rue de la Réunion en haut Evidence Le Chien des Baskerville fait pipi à l'angle des Pyrénées et de la rue de Bagnolet Brilliant Corners Un escalier conduit à Stendahl Nutty Work Rue Renouvier Reflections on the bridge La lune se penche aux lucarnes de ton cimetière rue des Rondeaux Roundlights qui est dedans ? Worry later Square Champlein Coming on the Hudson Boulevard Ménilmontant Straight no Chaser la Grand'Porte du Père Lachaise dessine un phallus planté en terre We see Rue du Repos m'attend le chat roux

Round Midnight

Je n'entrerai jamais la nuit au cimetière. Je ne fais que passer autour à minuit. La Comtesse est morte ce matin. Coriane. Mais la soirée fut douce à Crimée. Corya. Elle a un chat noir. Aux yeux verts. Black cat. Cathie... je n'y pense plus. Corya. Je ne suis plus triste. Demain il fera jour.

IndexCHRISTIAN Charlie (guitariste) ; COLOT Michel (littérature) ; Du BOUCHET André (poète) ; ETIEMBLE (théoricien littérature) ; FARLOW Tal (guitariste) ; JABES Edmond (poète) ; MONK Thelonious (pianiste, comp, lead) ; MONTHERLANT Henri de (écrivain) ; PAZ Octavio (poète, écrivain) ; RANEY Jimmy (guitariste) ; SOUPAULT Philippe (écrivain) ; THOMAS René (guitariste) ; VAILLANT Roger (écrivain)
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