(six cent soixante-et-unième nuit)
lèvres
porte embrasée
frontière d'entre noir
et blanc présent tendu
au bord futur osé
où la fragilité
des chairs
vacille
(six cent soixante-deuxième nuit)
La principale cause des malheurs conjugaux est que les gens sont éduqués dans l'idée que le mariage donne le bonheur
Tolstoï, Journal
En cet instant critique du jeu de séduction où chacun se trahit, où le désir s'avoue pour ce qu'il est, sans que l'on sache trop si c'est au jeu, à l'autre, à soi... que l'on se prend : que s'était-il passé dans l'âme et dans le corps de cette femme qui lui avait tendu les lèvres, pas même pour un vrai baiser ? Que ressentait cet homme qui n'attendait plus rien de celle qu'il convoitait depuis deux années presque ?
Car il est entendu que Catherine ne l'attirait que par le mystère pour lui de sa grâce. Il la connaissait maintenant suffisamment pour voir qu'elle ne serait qu'obstacle à la fuite en avant de sa liberté, facteur de contraintes, de complication et d'angoisses à n'en plus vivre... Dans le monde tel qu'il est, il croyait pouvoir dénoncer la conjugalité et la famille comme des pis-allers insupportables. On pouvait toujours lui raconter des histoires sur l'amour supérieur et fécond qui résultait de l'engagement commun. A considérer ceux qui baignaient dans cette extase, il en pensait très exactement le contraire. Et, comme chacun, dans son orgueil, est porté à justifier sa situation, la solitude lui semblait à l'évidence la condition indispensable d'une relation sincère, intense et vraie à la nature comme aux hommes. A moins de renoncer à la vie créatrice. Le seul argument auquel il était sensible était la paternité. Mais, à cet égard, l'enfantement de son oeuvre en tenait lieu pour lui plus sûrement et mieux que toutes les corvées d'élevage... Voilà pourquoi il faisait tout pour fuir la catastrophe du mariage ou de ses succédanés, incompatibles avec la création, voire avec l'amour qu'ils tendaient inéluctablement à détruire, à moins d'une religion forte sur le sujet ou d'une rencontre exceptionnelle entre personnes exceptionnelles, et permettant d'éviter ce piètre ersatz de bonheur qu'est l'égoïsme à deux.
Il n'en ressentait néanmoins aucun mépris à l'encontre de qui que ce fût, car il considérait chaque couple comme exceptionnel, du seul fait de son existence. L'enjeu de ses réflexions, c'était son propre cas.
Il faudrait encore ajouter que cet état d'esprit était chez lui parfaitement conjoncturel. Qu'il lui permettait de justifier à ses yeux une situation obligée par une théorie bien ficelée dont il ne manquerait pas au besoin de renverser la dialectique savante. D'ailleurs, s'il se faisait intérieurement l'apologie de la solitude, il n'en crevait pas moins de celle qu'il traversait.
Toujours est-il que trois jours après, il n'en était pas revenu de ces lèvres offertes. Par une femme qui l'avait si longtemps fui. Il ressentait un trouble soulagement à la tension accumulée en lui durant tous ces longs mois voués au culte de Catherine.
(six cent soixante-troisième nuit)
Par une sieste d'oiseaux, sept couleurs du mot petit (sur fond blanc)
Le printemps frais étend sa couette de verts duvets sur les pierres grises et sous le petit vent blanc
Les marbres cachent de bien petits desseins mais ne font pas de concession à la silhouette du ciel
Le soleil apaisé dans l'âme des feuilles jeunettes fait des petits aux pâquerettes (au sol les ombres sont une sieste d'oiseaux quotidiens)
Petit à petit la saison nous pénètre puis nous habite des femmes très nues sous pas grand chose
La fille unique de la Liberté glisse un visage de lait entier dans l'incendie de ses cheveux, et sa tunique appelle au secours la caresse des petits regards sur les profils de son blanc sein
Un imbécile prend la photo de sa niaise petite amie bêtement grassement outrageusement posée sur la tombe de Paul Eluard, puis demande - Bon, qu'est qu'i' nous reste à voir ?
Une petite fille chemisier blanc et jupe rouge paysanne, brodée à la roumaine, en souliers noirs et mi-bas blancs, des fleurs de marguerite dans les tresses, tape dans ses mains et chantonne. Elle est assise gentiment sur les marches du monument aux mort de
Dachau
(six cent soixante-quatrième nuit)
Les manifs c'est passé de mode disent-ils. Voilà qui tombe bien : je n'aime pas ce qui se fait. Je suis seul on m'arrache à moi-même mais à jamais je marche. J'ai des raisons solides alors je manifeste.
j'ai mille pieds dans les pompes des potes
j'ai mille doigts dans les cordes sensibles
j'ai mille dents pour saigner la bourgeoise
j'ai mille mains pour aimer la payse
j'ai mille mille amies amis partout
j'ai mille traces mises dans leurs pas
j'ai mille mots et je n'en cherche qu'un
j'ai mille voies je n'ai qu'un horizon
j'ai mille feux pour éclairer les coeurs
j'ai mille nuits pour enseigner le mien
j'ai mille oiseaux dans mille feuilles
j'ai mille et mille morts pour vivre
j'ai mille voix qui chantent
un seul jazz me hante
j'ai mille notes à jouer
un seul blues à crier
j'ai mille trous qui saignent
un seul dont je plaigne
j'ai mille diables à louer
un seul dieu à tuer
j'ai mille âmes ensemble
je manifeste
j'ai mis l'unique mot l'
amour
Le petit bâteau
En papier journal
Qui danse sur l'eau
C'est toi
On se penche trop
Sur un reflet sale
Pour chercher le beau
En soiEt les yeux n'arrêtent
Pas les vaguelettes
L'image s'emballe
C'est le regard net
Qui fait le poète
Le flou lui va mal
Car il ne voit pas
Sur l'étang tranquille
Son âme au fond qui
Se noieEt ne sent pas la
Lame de fond qui
Coule la coquille
De noixLa vie c'est ainsi
La rime est facile
Et les temps sont durs
Tu es bien assis
Pour cacher l'habile
En un chant impur
Pour une belle de vingt ans
M'en voudras tu beaucoup
De ce retard
Qui est fort mauvais goût
Non mal mémoire
Vingt ans si belle et tous
Les sens de l'art
Femme, j'eusse été fou
A ne point voir
Ici les vers est court
La place manque pour
Parler d'un soir
Seulement du bonheur
A la main et ces fleurs
Nathila Noire
Pour une belle de un an
Une petite Irène
Si n'a qu'un an
N'est pas moins reine
Pour ses parents
Si pleure la sirène
Ce n'est que dent
Ils ont toute la peine
Tombés dedans
Est-elle polissone
Maman maronne
Aux couleurs d'un sourire
Papa fredonne
Un chanson friponne
Pour l'endormir
(six cent soixante-cinquième nuit)
... nous ne méritons pas le déshonneur du mensonge risible... un peu plus tard, on verra ce qu'il reste possible de faire, avec les morceaux de l'idée en ruine
Antoine VITEZ, à propos du PCF, janvier 1990
Antoine Vitez, qui fut secrétaire d'Aragon, est mort le jour des vingt ans de Nathila Noire, actrice. Le journal publie une photo de lui avec, en arrière-plan, l'affiche de "Catherine", d'après Les Cloches de Bâle, qu'il avait mis en scène.
(six cent soixante-sixième nuit)
Il avait reçu le matin une lettre anonyme, signée Mishima (Une soif d'amour) : Ne rien demander signifie que l'on a perdu la liberté de choisir ou de rejeter. Cependant Etsuka n'eut jamais plus tard l'expression d'angoissée de quelqu'un qui se noie. Jusqu'à l'heure de sa mort, personne, semblait-il, ne saurait qu'elle se noyait. Cette femme liée et bâillonée de son plein gré ne lancerait aucun appel.
Le diable est qu'il avait d'emblée pensé à la Comtesse, dont le fantôme errant lui était apparu, deux jours plus tôt, au défilé du Premier Mai, avec l'expression angoissée de quelqu'un qui se noie.Puis l'idée lui était venue, parce qu'à l'examen les écritures étaientfort proches, que Couleur H... le peintre de l'énigme, le peintre du silence, l'énigme silencieuse des pages détruites dans les nuits quatre-cent... Curieux autant qu'inquiet, il lui avait téléphoné. Ce n'était pas elle.
Donc la Comtesse. Mais alors, quelle hâtive et prétentieuse projection de sa part... elle n'était liée ni bâillonnée de son plein gré, mais pas sa volonté à lui et, qui plus est, déjà morte, assassinée par lui la six cent trente-deuxième nuit. D'ailleurs, que signifiait ce geste, sinon justement lui lancer un appel ? Que de contradictions, mal dissimulées sous le double alibi de l'anonymat et de la citation d'auteur.
S'il est une attitude qu'il ne supportait pas, c'était bien celle de personnes en admiration devant lui, qui ne le méritait pas, et bien placé pour le savoir. Il en concluait à leur aveuglement, à leur manque de lucidité ou d'exigence. Elles perdaient ainsi toute son estime. Très vite ne présentaient plus d'intérêt à ses yeux.
Voilà pourquoi il ne donnerait à la Comtesse aucun espoir, et par conséquent aucun signe, aucune suite à sa lettre.
Mais il n'avait rien reçu de Catherine, qui avait promis de lui écrire.
(six cent soixante-neuvième nuit)
... cette forme ridicule et mutilante du sonnet...
Pierre REVERDY, Circonstances de la Poésie
Comment le poète en herbe se fait sortir du cimetière des mots
Par les nuées d'un ciel incertain
Au son coulé de l'eau du goulot
Vol de colombes fui dans l'étain
Lourd je m'étais endormi là-hautA l'ombre molle cerveau éteint
Sourd d'habitudes sûres des cho...
Les yeux clos d'un jour blanc sans matin
Sans café sans faim sans fin de motsLes pensées mutilées aux pas com-
Ptés par neuf un flic vient et me dit
PelouzezégazonzinterditsMerci z-à vous frère censeur
Mais mes Maîtres qu'on con-
Sidère à leur mètre chanteurJe ne sais zouzaller j'ai com'
Mis l'impair en mes pas per-
Dus j'ai combat perdu com-
Pas perdu Au secours Monsieur Reverdy
Trois rondeaux, à la mémoire de
Marie Catherine Cécile
du Chollet de Costebelle
née Rondeau
+ 15 avril 1915faut qu'ça sai-gne !
Boris Vian, les Joyeux Bouchers, chanson
Faut qu'ça tour-ne !
C'est assez ronronné dans ton jus mariné
Te voilà dans la Rue de la Roquette en quête
D'une danse allant vers une rime over-nette
T'es au pied du Génie comment imaginerQue toutes les voitures que tu vois tourner
Mines honnêtes minent l'air aux mignonettes
C'est assez rond C'est assez rondC'est assez rondement mené pour butiner
Bastille en rut venez si gentille minette
Mais tu n'es que piéton Brille une camionnette
Rutilante et couchette où téton câliner
C'est assez rond
Mais trop facile on ne sait plus quoi inventer
Après Clément Marot on a vers laids c'est clair
Dans le rondeau marrant ne maraude pas Ver-
Laine c'est plus coton soyez cléments Chantez-Mentez-le moi s'il vous plaît laissez-vous tenter
La clé des chants est un mensonge il n'a pas l'air
Mais trop mais trop facileMétro voilà le truc à dire pour planter
Décor profondément contemporain moder-
Ne d'ailleurs je vais le prendre au mot c'est le der-
Nier point ne ment vrai pour m'en tirer vais m'enter-
RER trop métro c'est trop
Allons danser puisque j'ai raté le métro
D'où monte le monde débouche Rue de Lappe
Mon Auvergne est pourrie et j'entre au Balajo
Pas tell'ment d'gens dedans mais c'est le lieu qui frappeMi-désuet mi-disco mi-branché mi-rétro
ça fait déjà pas mal de moitiés qui décapent
Allons danserAh la fille ah la fille a les cuisses très haut
Talons aiguilles talent jupe et te retape
Boules bloquées mégots désargentés Bogard
Tren'six Hotel du Nord Parade et boléro
Allons danser AllonsC'est assez rond mais trop facile allons danser
Celui qui danse n'a pas pour objet de marcher
Paul Valery
(six cent soixante-dixième nuit)
Ah la la la la quell' méli-mélo, dit...
Bobby Lapointe
Le pied en moins, la rime en plus
Le vers zau bout a perdu son désir
La rime s'étant retirée d'un coup
On nous a dit d'inerver le plaisir
Et l'on nous l'a hiberné beaucoup
Tout effet Tout est fait Tout à fait
Mais tout a-t-il été dit de l'eau
On pêche maintenant sans le ver
Le poisson sec naked' l'hameçon
On a raison donnée aux dits vers
Faux poètes et contrefaçons
Tout a été fait en effet
Tout a-t-il été dit de l'eau
On nous bâtit prisons de verre
Mais où sont maisons de maçons
Vous ne verrez rien à travers
Et ne taisons point maudissons
Tout est effet tout à fait
Il en est tout dit dans l'eau
Baudelaire c'est beau de l'air
Et Rimbaud c'est rin beau
Ah Verlaine à l'envers
Apollinaire sur le dos
En effet tout est fait
Tout n'est pas dit de l'eau
On peut faire court
Ou dire long
Avec blancs autours
Dedans allons
ça fait de l'effet
Si c'est dit dans l'eau
Si le sens n'est
Ni la chanson
Où le sourd naît
Ne dansons
Tout a l'effet
De ronds dans l'eau
C'est l'été
Temps n'est fait
Il est beau
Tous à l'eau
Poète la vie
Te prête l'envie
L'effet reflète tes défauts
Poète nul
Se jette nu
A l'eau
Avec sa rime
Il reste sec
C'est rigolo
Les deux fatras de mes tracas
Si les canards font de beaux couples
Les couples laids font des canardsSouvent les canards vont par couples
Sur l'étang du Bois de Vincennes
Ils ont le cou la nage souples
Et c'est par les beaux temps qu'ils s'aimentMieux que les gens plus que les peuples
Dans les coins qui aux bords de Seine
Mal se séparent dansent peu
Font des coins-coins entrent en scènesSur la marr' je m'étends c'est tard
Y comme un défautaufatras
Couples allez faire la soupe
Je suis seul c'est pour chanter juste
Seul c'est bien juste pour chanterJe suis seul c'est pour chanter juste
Au bord de l'étang vient le soir
Longue est l'ombre au pied de l'arbuste
Où je mets tant coeur à l'histoireToujours à l'heure de surseoir
Sur l'eau les amoureux injustes
Tout doux en barque se rajustent
A tenter l'oeil compensatoireDans la marge j'ai tout ôté
Au joli buste rimé l'espoir
Seul c'est bien juste pour chanter
(six cent soixante-et-onzième nuit)
Courrier du coeur.
La lettre anonyme, pas la Comtesse : Gentilhomme. Nathila Noire n'a pas reçu la mienne. Moi rien de Catherine. Une carte de l'Infante Marie. Et les impôts.
(six cent soixante-douzième nuit)
C'est le retour de Catherine. Entrevue à peine. Bonjours. Sourires. Nouvelles coiffures. Chacun. Rien tenté pour la joindre. Elle me viendra ou rien.
(...)
Par la Rue de Charonne. Vers en bas.
Bastille ça tourne. Là-haut, sur sa boule, le pantin doré 89 montre son cul à l'Opéra. Il est nu. Son or brûle au soleil.
L'ombre du fantôme de la Comtesse, l'air angoissé de quelqu'un qui se noie. Pas tell'ment d'gens à la manif anti-raciste.
(La poésie n'a aucune efficacité sociale ou politique. Les combats que l'on peut mener -dire et faire- par d'autres moyens doivent être menés ainsi -dire et faire. Doivent)
Socialement l'importance de la poésie est nulle depuis longtemps...
Pierre Reverdy
Bastille ça tourne. Là haut, sur sa boule, le pantin doré 89 règle la circulation et fouette le soleil. Qui se couche.
(six cent soixante-quatorzième nuit)
Stèles violées, cadavre exhumé et empalé dans le cimetière juif de Carpentras...
L'HUMANITÉ, 11 mai 1990
Ils ne sont pas des bêtes. Ils ne sont pas des nôtres. Ils sont la brute engeance de ce monde. Ils grouillent dans la nuit des nuits. Ils ont fait religion de glaive. Ils forcent à demeure nos mémoires. Ils ont démence d'ultimes démissions. Ils sont à l'homme ce que n'est pas à l'homme l'homme. Ils nous ont interdit la métaphore.
(six cent soixante-quinzième nuit)
Il avait appelé Catherine.
Elle, venue dans l'heure, dans son bureau, rayonnante de beauté dans un rouge et noir d'une élégance délicieuse, l'avait entretenu de ses aventures tunisiennes, de ses jambes que menaçait la cellulite, et de la contradiction ville-campagne dans les régions de l'amour. Tout ça en réponse aux questions stupides qu'il lui posait, sur un ton de grande expérience. Elle lui avait conseillé d'accepter l'invitation de Thérèse Londonne dans son manoir de Touraine. T. Londonne était une relation commune de Nimistaire, femme généreuse et polyglotte, chaleureuse interprète, quarantaine, malheureuse, mal payée, entourée, pulpeuse et étouffante. Thérèse était moche.
Catherine les voyaient bien ensemble, Thérèse et lui. Qui la trouvait sympathique. Point. Le manoir, oui, avec toi, Catherine. Qui avait donc parlé d'autre chose. S'était abandonnée à quelques confidences à propos d'où venait son homme d'ailleurs. Interdit dans son pays. Ne voulant pas faire la guerre. Et la conversation avait glissé encore, juqu'à la scène du baiser. Lui n'avait pas compris le geste de Catherine. Qui n'avait pas compris son geste. Enfin. Qu'ils disaient. Pas vraiment un baiser, avait-elle, comme si nécessaire, précisé... Après tout, n'était-ce pas ainsi que s'embrassaient les Russes ?
Plus tard, sûre d'elle, irrésistible, la mélancolie montait en lui, submersion lente, comme dans une barque où l'on n'aurait su colmater aucune brèche, car les planches mêmes en était poreuses. Et tout fuyait en lui, et en dehors de lui... l'angoisse de quelqu'un qui se noie...
Alors il décida la mer.
Mais la tristesse en moi monte comme la mer
Baudelaire, Causerie
ENTRE-DEUX
Oh bras trop courts...
Arthur Rimbaud
Passage non pas de la solitude. De l'être-deux seul. Défaite du solitaire. Vaincu par l'étouffante présence de celle qui n'est pas là. Sans visage. Sans image. L'absente absolue. Coeur brisé entre des bras qui ne le prennent pas. Tenaillé par le vide. Ses propres bras ballants ballots lourds d'inutilité. Désespérément longs, tendus à s'arracher vers le rien masquant d'espoir la mort. Une croix de fer rouge dans la poitrine, entre ventre et gorge.
(goût à rien. impuissance de l'amitié. générosité détruite)
Sauf à de rares moments, dans son délire d'elle, il ne s'était pas interdit de vivre. Il était, il se sentait libre. Disponible. Nulle autre femme pourtant n'avait effacé Catherine. Que certes il n'aimait pas. Mais dont il était encore amoureux. Assez pour que l'image d'elle lui cache l'Absente Absolue. Il le savait, mais à quoi bon, puisqu'elle demeurait là. Elle. Catherine.
Existes-tu ? Qui ? Viendras-tu ? Quand ? Aimer sera-t-il possible ? Comment ? Puis-je hâter ta venue ? Que faire ?
Refus de l'inhumaine solitude. Inaccessibilité de l'humaine compagne.
Être seul, c'est s'entraîner à la mort
CÉLINE, Voyage au bout de la nuit
Le funambule se mit à courir comme un fou sur son fil. C'était en-dessous un damier d'espoir et désespoir. Un damier dame damnée. Le hasard maître de la chute (le funambule avait vendu son âme au hasard objectif).
Devenir le produit déshumanisé d'un monde déshumanisant ? Fuir en avant dans des combats (presque) stériles ?
Celui qui ne sait pas nager gesticule, avec l'espoir de gagner quelques minutes sur l'heure de la noyade. Tout est possible dans ces minutes-là...
Il s'était tant et tant agité dans son bain de ratures qu'il avait fini par provoquer l'ébullition, et s'était, oh sublime, et sans marchand de sable, endormi sur la page, l'amer évaporé...