Chapitre 5

(six cent cinquante-quatrième nuit)


 

RIEN


Toute la pluie
tombée


La nuit avale un bruit ramassé dans la cour
des voix fugitivent (chauves-souris)
d'autres, de talons, d'escaliers, de serrures
d'avion, puis


rien


mon jazz bat la noire à soixantE
ren ne pensE


ELLE


A propos de tout de


rien



(six cent cinquante-cinquième nuit)

si tu prenais maintenant ta guitare tu commencerais pas la désaccorder. l'accorder hors tempéramment. hors système. tu poursuivrais des heures trois 'notes'. quatre peut-être. dans un registre moyen de ta voix. Avec un vrombissement en pédale. plus bas que ton grave. Un chaos d'autres sons en grappes. très à côté des premiers. Un rythme déployé dans les rencontres objectives du hasard. comme se promener tomber sur un ami inattendu. et se tenir avec plaisir conversation (Chouber cette après-midi). Hors tempo. ou presque (la pluie scande au sol de ta cour). soutenu en toi. Avec des parenthèses. pour commenter. Des couleurs rabattues au silence. des trous. des violences. Avec une couronne de trois ou quatre notes très en haut. serrées. autour de la douzième de chanterelle (il aurait fallu déplacer nettement le chevalet). à la limite de ta voix égosillée. avec cette hésitation à choisir. comme de pierre en pierre pour franchir un torrent le bon déséquilibre sans rompre l'élan (Monk). Les médiums en sons riches. hommage au luthier (Michel Legoubé). dans la bonté de l'érable ondé. Et pas mal de mauvais traitements. cordes claquées au pallissandre de la touche. gifles. les grosses crissées d'ongles.

Alors tu trouverais bien quelques paroles :


Un pigeon dans le caniveau ne s'est pas caché pour mourir (ce matin Rue du Sommet des Alpes)
Une pierre du Macchupichu bleue comme une orange (Pierrette)
Un bois sec du Saint-Laurent (Chouber)
Un caillou ambré d'un trottoir de Vitry-sur-Seine
Un coeur de chataignier des Cévennes (Joséfine)
Un éclat fossilé de la Muraille de Chine ( l'eurasienne blonde)
Ton ami creuse une maison sans femme (Chouber)
Toi emballé aux yeux aux jambes enfin tout de cette brune qui te fixe dans le métro dans son tailleur canari dans le programme du TNP
Sur le quai Rive gauche au Pont-Neuf j'ai acheté Ristat Le fils perdu parce que les pigeons se posaient sur les genoux de la bouquiniste
Des milliards de voitures mangent l'air de Paris. tu n'en as pas besoin. ailleurs ils t'obligent. rien que pour acheter le journal. par exemple. ou le pain.
Lepista Irina. lépiste à odeur d'iris, en groupe; presque capiteux, d'une vingtaine d'individus, ou grégaires, formant de vastes cercles bien dessinés dans les pâturages; sur sol acide ou calcaire... mais l'odeur aromatique de la chair ne convient pas au goût de chacun...
Je bénis l'autodidacture contre la dictature de l'auto
Le peuple n'a pas grandi encore mais c'est son tour
La poésie doit être faite par tous, non par un... (Lautréamont)
ma musique est d'un Facteur Cheval


Quelle place peut-on réserver dans sa vie à une femme à laquelle on a renoncé ? Une idée de pacte revient. Vide.

(...)

Lénine aurait aujourd'hui cent-vingt ans. Jeune somme toute. Soupault disait... un homme remarquable, on n'avait pas besoin de le mettre sur un piano... tout ça pour gagner du fric... Dali, un marchand de lui-même...



(six cent cinquante-sixième nuit)

Viens chez moi je te montrerai Catherine

Mon vert wagon mon rouge capucine
Mon violet manganèse et mes ombres
Brûlées mes cadmium citron
Mon vert de zinc et ma terre
Pourrie mes bleus clairs d'outre-
Mer mon noir d'ivoire mes blancs
De titane ou d'ailleurs

Qu'importe viens chez moi



(six cent cinquante-septième nuit)


Il avait senti un défi dans les dernières paroles de Katia, mais il ne le releva point
Dostoïevski, Les Frères Karamazov


Il lui avait donné la lettre. La dernière. Catherine l'avait lue devant lui. Sans émotion en apparence. Simplement suspendu plusieurs fois sa lecture d'un regard qu'il ne lui connaissait pas. Beau. Grave. Profond. N'avait pas même fait mine de penser que son je renonce à te voir fût un choix qui s'imposa à elle. - Alors qu'est-ce qu'on fait ? Mais sa façon de dire espérait le voir encore. N'avait-elle pas ajouté le mieux serait de se voir plus intensément, tu te lasserais de moi... Qu'avait-elle compris d'un homme qui désire ? Lui ne pouvait qu'avouer sa faiblesse. L'impossible noblesse du refus. Et quand elle le quitta, lui souhaitant bon week-end, elle avait ajouté A lundi !
Il y avait eu alors ces deux jours détestables. Où il s'était comme jamais senti amoureux d'elle, qui lui venait en tête pour rien... un article sur la Turquie... un bord de Seine... un regard de Garbo... Les Cloches de Bâle à dix francs... un couple à vélo... une tarte à la fraise... une blonde... une brune... une avec des talons... une sans talon... Où il se sentait pour elle toutes les bontés... Où Chouber lui avait demandé s'il ne pensait pas qu'il y avait dans cette relation quelque chose de pervers...
Pervers... il l'avait replacé le lundi dans la conversation, quand elle était venue le voir, au prétexte de lui porter un catalogue de voyages organisés, car, voyant sa mine défaite, elle lui conseillait des vacances...
Lui, au bord de la déprime et des larmes, considérait le vide de ses objets d'amour, et l'impossibilité de partager avec cette femme les sentiments qu'il éprouvait pour elle.


Trois hirondelles de fumée se sont évanouies sous la lampe
Seule une pluie chantonne une nuit malheureuse et fragile
Ma vie a tous les sorts de cette cour sordide
Un ciel carré si minuscule et sans étoile, couvercle ennemi sur Paris
Où sont mes horizons devenus


Ce soir j'ai comme une guitare accordé ma guitare

 

(six cent cinquante-huitième nuit)

Quel est ce nulle part où je suis, à côté de mon corps inutile ? où suis-je à côté d'où je suis ?
Qui est l'homme dont je suis l'ombre,  l'ombre craintive de son talon, craintif de son étreinte ?
Quel est l'ailleurs où l'on dit que je suis ?



(six cent cinquante-neuvième nuit)


Efface CatherinE

mirage de ton désert

Efface CatherinE

buée glacée à ta fenêtre

Efface CatherinE

écran trop petit pour ton film

Efface CatherinE

miroir de ton cri nu

Vois ! pitoyable aveuglé, Vois ! secoue ton regard, Vois cette chair sans étreinte, Vois ! son coeur n'a pas de bras, qui cloue ta bouche et coud tes lèvres

nourriture de craie

soif de soif

puits perdu

source de sel

sècheresse

Dürre

CatheRIEN !

 

ta page est blanche d'une foule d'amours

Ecris !




(six cent soixantième nuit)

Catherine était à la veille de partir en vacances pour deux semaines. Elle lui avait proposé deux jours auparavant un rendez-vous après le déjeuner." Les repas était pour Catherine un insupportable supplice" quand il le lui rappela, dans la matinée, ce n'était plus possible... trop à faire... lui téléphonerait début d'après-midi. Il pensait trouver là une raison supplémentaire à son renoncement, effacer pour de bon Catherine, enrayer le processus de consentement à la souffrance, cesser de donner à cette femme des gages passionnés de son amour, pour ne rien recevoir en échange... Il n'en était pas pour autant libéré, le mal rongeait dedans. Encore il attendait. Il crut à son emprise sur lui-même en offrant à Pierrette un bouquet de muguet, à son emprise sur le temps en prenant le RER pour une exposition Alain Ghertman rue Quincampoix. A deux heures il était de retour le témoin allumé un message c'était elle ! Monsieur... rappelle-moi ce qu'il fit elle monta le rejoindre elle était fausse blonde et belle dans son pull noir du rouge aux ongles pour la première fois c'est toujours la première... "Elle était belle, Catherine" Ils n'avaient que quelques minutes à se voir. Elle le trouva en bonne forme c'était, lui dit-il, qu'il commençait à l'oublier elle raconta qu'elle ne reviendrait pas qu'elle allait changer de travail quitter Nimistaire "Tout ça travaillait Catherine" mais ce n'était de part et d'autre que mensonges intentionnels qu'ils s'avouèrent aussitôt pour faire plus vrai il la pria de lui écrire ajouta qu'elle lui manquerait à quoi elle répondit qu'elle ne partait qu'une semaine l'heure avançait il fallait maintenant se séparer il voulut lui faire la bise "Catherine regarda Jean dans les yeux" elle exigea des explications se rassit et la conversation reprit mais il fallait se séparer elle se leva tourna et retourna dans le bureau "Catherine collait son nez aux vitres" elle fit mine de regarder quelque chose dehors prit des papiers les reposa et se rassit tripota des crayons des gommes et des règles "Catherine sentait grandir en elle de très vilains sentiments" se leva et faisons-nous la bise "Catherine s'approcha de lui" elle lui tendit de loin la joue il y posa sagement un baiser et sur ses épaules les mains "une espèce de vertige emportait Catherine" elle fermait les yeux "elle fermait les yeux" et lui offrait ses lèvres


C'est Catherine qui se jeta au cou de Régis...
Louis Aragon, Les Cloches de Bâle

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