(cinq cent quatre-vingt-sixième nuit)
Nimistaire, le ...
Mademoiselle,
Vous comprenez, j'en suis sûr, mon audace.
L'hypocrisie ici régnant oblige à la discrétion, non au silence. C'est encore assez d'air pour la sincérité et la confiance. Soyez-en remerciée.
Quoi qu'il provoque en vous, je vous prie d'accepter ce geste comme un hommage à votre beauté.
"... je n'avais plus ma voix, tant me battait battait, tant me battait le coeur, j'ai entendu ma bouche..."
Aragon, Blanche ou l'oubli
Blues for Cathie
Confidentiel c'est vrai ne convient pas vraiment
Vous souvient-il d'une rencontre un soir d'été
mais c'est le terme consacré
aussi n'aurais-je pu ici facilement
écrire l'autre mot secret
c'était en juin rue Saint-Saens
nous cheminions alors sur le même côté
Mignonne vous en l'autre sensOù le hasard avait-il si bien fait les choses
prenant dans les vôtres mes pas
je me disais allons vas-y parle-lui ose
Vous ah non non n'entendiez pasM'entendre vous dire... je ne savais que faire
vous n'avez su que fuir et là
sous une arche a coulé le long temps de me taire
de terrer mon silence et d'attendre hélasN'en fait pas moins attendre celui qui n'entend
que son coeur que le son de son
coeur qui ne bat ne bat qui ne bat jamais tant
qu'entendre de ta voix le sonLe son de votre voix
le frisson à vous voir
ah si je n'aimais pas en ferais-je une histoire
serais-tu vous serais-je fouFou d'ennui dans ces murs et d'obligés mensonges
je dirai bientôt tu à toutes
sauf à vous sauf à toi qui m'ensonges
et jamais ne m'ôtes d'un douteJamais d'un mot jamais pas même dans tes yeux
le reflet ou l'écho que diable
sais-je alors de vous toi que sais-tu que dieu
seul sait de moi d'inexprimableDe l'indomptable trouble où tu me jettes comme
s'il m'était facile de faire
comme si tu n'étais femme et de n'être qu'homme
sans toi où to come en enferL'avenir ne serait pas une affaire encore
vivre sans ton visage d'ange
ce Fra Angelico de sang de chair ton corps
Maillol danse un chant de louangeUn chant de jour d'amour un jour de chant d'amour
on n'a pas le droit d'être seul
avec sa soif d'aimer qui sans belle demeure
à mourir le dire à toi seuleMais le dire et te rendre hommage
même si vous même si moi même si même
rien ne change entre nous dommage
un rien n'est plus pareil quand on sait quand on s'aime
"Il faut être singulièrement sot pour attribuer à un poète les sentiments qui paraissent dans ses vers"
Paul Valéry
L'encre est ce sang qui fuse à la frontière où ton exigence est douanière
Animal chauvin, sois ton seul étranger, je est ton nègre
Le monde pose-t-il pour le poète ? Non, ne pause pour personne
L'ardent charbon de ta révolte ne brûle pas le papier d'argent, Cherche ta flamme. L'idée de l'odeur du journal demain matin.
(Dans le silence de mon voisin qui est sorti (c'est un flic)
À l'orgue de mes cheminées le vent
la pluie sur la peau tendue des fenêtres jette au hasard ses doigts violents
le bruit du monde est ma musique
la mascarade aux lèvres de tes yeux déride les plis de ton âme
la vie est une allumette
le jour on oublie la nuit jamais l'inverse
la femme qui n'est pas encore là te fait vivre
(six cent deuxième nuit)
Un jour, Catherine, je te raconterai la longue histoire de toi en moi. Longue, enfin... surtout de jamais n'avoir su te dire ce que je ressens quand tu m'apparais.
Histoire dont tu connais bien certains épisodes, moments où elle sortait de moi, où tu y entrais malgré toi... je veux dire l'anecdote de certaines rencontres, du temps où ton nom même m'était inconnu... du temps ensuite où je te disais vous.
Histoire dont après tout peut-être tu te contrebalances... on ne sait jamais trop ce qu'on va faire dans la vie des autres (mais que serait-on sans les autres ?), de quel droit je déboule dans la tienne... sous prétexte que tu n'es pas comme les autres...
Histoire dont je n'en peux plus de me la raconter seul, mais que je me refuse à te dire par le fait d'une situation d'un autre ordre, le travail ou ce qui va autour...
Si ce devait être, comme tu dis, une autre fois, comprennes que je n'attende d'autre printemps que ta présence.
Histoire qui ne tiendrait alors qu'en deux mots, si je voyais en toi qu'elle est déjà finie.
Ou bien... mais c'est une autre histoire...
(six cent cinquième nuit)
(...) Ils auraient pu ainsi parler des heures. Ne sois pas triste, avait-elle dit en partant. Quelqu'un dans sa vie. Des projets... Bon. Ne sois pas triste.
Tout s'effondrait. Rien.
Ils auraient pu ainsi parler des heures. Il lui avait donné à lire la lettre. Pas le poème de la Saint-Valentin (...) La première. Elle avait une vie ailleurs, alors... Ne sois pas triste... Mais ils avaient parlé. Elle d'elle. Lui de lui. Dit-on ces choses-là aussi facilement ? Si vite ? Il voulait croire qu'il ne s'était pas trompé à son égard. Il le croyait. Il pensait dans la vie posséder la faculté de reconnaître une personne dès la première fois. Catherine
Catherine. Le peu qu'il savait d'elle ne lui donnait pas tord. Elle avait une vie ailleurs. Il n'en était pas triste, d'ailleurs. Il en avait connu, pensait-il, le meilleur (...) Et ne savait pas trop si cela reviendrait pour lui. S'il en était encore capable. S'il le méritait bien. S'il en avait envie. Avec Catherine, il n'avait pas le choix. Elle lui avait dit de ne pas attendre. Il ne voulait pas être triste.
Il fallait bien que Catherine sortît de son rêve. Il voulait croire qu'elle entrait dans sa vie.
C'était encore un rêve.C'était encore un rêve : elle avait dit copain-copain (...) Lui ne pouvait envisager rien de médiocre entre eux. Rien de conventionnel. Il ne s'intéressait qu'à la vérité d'elle. Comme à la vraie couleur de ses cheveux. N'y voyant nulle indiscrétion. Pas plus qu'un manque de pudeur à lui parler de lui. Pourquoi tricher ? Il ne s'attardait pas sur ce qu'il pouvait y avoir en cela de suspect. La place que cela prenait. Le vide à combler... Et si tout ça l'intéressait, elle...
Il s'était même trouvé une consolation : la complicité qu'il recherchait était incompatible avec la vie conjugale. A moins d'une rencontre exceptionnelle d'êtres exceptionnels. Pouvant aller ensemble chacun au bout de soi. Dans le bonheur de perspectives partagées. Renouvellées. Périodiquement. Par-delà les contraintes, la vie matérielle, les habitudes, les petites haines... le prix à payer. On peut toujours appeler amour la force à sublimer tout ça... Ce qui doit bien arriver aux gens simples.
Simples et exceptionnels. Donc très rares.Lui qui avait la soif de l'absolu s'accommodait très mal du principe de réalité. Avec Catherine, il aurait voulu comme conclure un pacte. Il se berçait de l'espoir qu'elle en serait, qu'elle en était d'accord. Que même il serait mieux de n'en rien dire. Il savait la difficulté de ces amitiés tendres avec les femmes, qui avaient jalonné sa vie. De celà il était capable. Du moins le croyait-il. Il en avait besoin. Ne lui rendaient-elles pas ? Mais ce qu'il ressentait pour Catherine était trop pour cela. Maintenant. A des images qu'il appelait, à d'autres qui lui venaient, il voyait bien qu'il était tout à elle. Qu'il attendait. Qu'il attendrait (...).
Homme, assez égoïste pour ne pas trop s'inquiéter de ce qu'il bousculerait en elle. De son désir, à elle... de ce qu'elle lui concèderait... Car il considérait chaque minute d'elle comme un immense privilège. Ne voulant rien pour la faire fuir. Rien pour la perdre.
Il avait peur.
Parce qu'elle était ici son printemps, son eau vive, une rivière de printemps où l'on n'aurait osé le petit doigt au risque de la troubler.Il était là au bord pris d'un vertige irrésistible.
(six cent sixième nuit)
Au téléphone, Anita était belle. Une voix pareille, ça ne trompe pas. Bonne à tout faire chez des bourgeois Vallée de Chevreuse. Mais les branchées Nouvel Obs' pouvaient se rhabiller. Lectures. Peintures. Sculptures... Elle aimait aussi se rouler dans l'herbe, Anita... Là, elle partait en Lorraine... - Emmenez-moi... - Seriez-vous assez fou... si j'allais y retrouver ... un amant... un mari... - Hé bien, j'aurai toujours vu la Lorraine...
Les yeux verts, Anita. - En la voyant, les hommes disaient encore... Bref, on se verrait Gare de l'Est, voie douze, à sept heures. Au téléphone, Anita était belle... Une voix pareille...
Il n'avait prêté attention qu'à peine à ce petit bout de femme au bout du quai 13, mais quand elle vint à lui, c'était déjà fini. Peut-être pas le bon vert... Ou pas compris ce que disaient les hommes, les autres, en la voyant...
Au café, elle se disait nulle... - Nulle en quoi ? - En tout ! -
A quoi pensait-elle ? - Elle regardait le ciel... - Mademoiselle, on ne regarde pas le ciel avec la pensée... - Alors c'était au-delà du ciel...Pourquoi eut-il encore la cruauté d'ajouter que c'était pire, qu'il n'y avait rien derrière ? Elle avait les yeux verts, Anita. Verts. Et mouillés.
La règle du jeu : savoir jouer. Savoir perdre.Quand il revint, les mains propres, elle avait disparu... - Puis-je encaisser, Monsieur, j'ai fini mon service.
Ne sois pas triste, lui avait dit Catherine.
HORIZONS. Au bout de ma ligne. De métro. Club de rencontres. Vous souhaitez vraiment passer l'après-midi avec nous, monsieur ? Vingt francs la carte. André Verchuren. Le chemin du bonheur. Rien que des vieilles. Olé ! 25 mètres carrés. Carrelage moderne. Chaises d'école en tubes et contre-plaqué. Olé ! Un piano noir comme un cercueil. Couvercle sur une musique morte. Rien que des vieilles. Volets clos sur la rue. Un grosse à droite dans le coin. Montre ses cuisses. Olé ! A qui ? Compteur bleu. Spot rouge. tango. D'un coup le carrelage disparaît... - moi la musique c'est physique, je sens sa main qui me renverse... Les hommes aussi, trois et quatrième âge. Comme on dit des étages. Vers le ciel. Des sous-sols. Vers... Olé ! tous les sam'dis, je vais danser au Bal à Jo... Toujours que c'est pas ici que j'aurais rencontré Nathila Noire. Un nouveau venu. Fait le tour, la bise aux dames. Serre la main des messieurs. La musique s'arrête. ça chuchotte. - Moi, j'ai bien ma fille et mes petits enfants, mais chez moi... je préfère venir ici... vous habitez les beaux quartiers ?... Olé !... Les gens se regardent. Les yeux c'est pas pareil sans la musique. ça repart. On se gueule dans les oreilles. Paso. Olé !... ça redanse. Une porte. Privé. De quoi ? De qui ?... Catherine... Que reste-t-il de nos amours... Nos rendez-vous... un souvenir qui me poursuit sans cesse... un p'tit village... un vieux clocher... Catherine... Liérettes... 400 habitants... partir... gagner ma vie... C'est beau une femme qui danse dans les bras d'un homme... Drieu : "chose étrange mais point rare, Gilles aimait les femmes dansait mal..." et Catherine, comment elle danse Catherine ? Ne sois pas triste. Elle a sa vie ailleurs. Elle a dit de ne pas attendre. Olé !... ça redanse... maladie d'amour, maladie de la jeunesse.. comme je suis jeune... si tu n'aimes que moi... je n'aime que toi n'aime que toi n'aime que moi ? Dans le coin d'en face, au milieu des chaises vides, un Arabe, vieux, lunettes droit devant, vers l'écran où défilent les annonces avec la tronche des abonnés... afin de connaître la douceur d'aimer... Un grand vieux sec et blanc commente - on écrit bien n'importe quoi... Un monsieur triste vaguement asiatique vaguement sympathique avec une cravatte rouge se tord les doigts avec les doigts. Violons. Moi aussi je suis un Arabe avec autour de la musique tzigane et des chaises vides. Ça valse. J'ai envie. Catherine, pourquoi t'es pas là ? Sa vie ailleurs. Ne sois pas triste. Tous des Arabes heureux dans les violons et les chaises vides... La grosse a fini par se trouver un type... - le physique c'est important... la personne on l'a pas toujours dans le lit... mais, en face de soi... Bien bonne celle-là. Anita, elle ne me plaisait pas. Elle pensait, les yeux verts, et mouillés, au-delà du ciel. Pas ma faute si ya rien derrière... et puis elle avait disparu. Voilà pas que j'ai mal au ventre, maintenant. manquait plus que ça. Sans raison, en plus. Sans raison. Olé !
(six cent septième nuit)
Un mot sur la porte pour le recenseur : très sensible à l'honneur qui m'est fête, puisque vous êtes quelqu'un pour qui je compte, malheureusement absent...
Finalement, il n'est pas passé. Je ne compte pas. Je ne suis pas compté. Pas recensé. Pas censé exister. Je n'existe pas.
Comme ce jour où, sorti de la cage à photos automatiques, après l'attente habituelle, je me suis retrouvé dans la main une bande blanche. Rien. Circulez, rien à voir. Moi qui cherchait mon identité, je n'existais pas.
Je n'ai jamais existé.
(six cent huitième nuit)
Quatre jours Catherine cent heures sans te voir six mille fois une minute non je ne compte pas en temps le temps sans toi temps sans toi temps sans toi c'est le supplice de la goutte tes silencieux silences qui m'écrasent le coeur à chaque tour à chaque tour le poids du sang toujours plus lourd de ton absence les questions qu'elle pose dedans comme des bombes à retardement avec des mots pour toi sans toi nus et immenses sans oreille les mots qui m'agonisent dans la bouche les mots qui ont perdu leur sang avant d'avoir un son les embryons de mots qui s'agglutinent comme une foule d'analphabêtes imbéciles mortes-nées dans le noir de ma bouche l'avortement de mots crevés inutiles et vieux avant l'âge
Une
pluie
de
couteaux
me
tombe
dans le ventre
Ma gorge est le cercueil de mes espoirs
Je suis le cimetière de mes rêves(six cent neuvième nuit)
écrire c'est pêcher
à la ligne
ce soir, dans un bol de bouillabaisse, les mots sont clairs et frétillants comme des poissons cuits, sans noms, inidentifiables
ce mélange est la confusion de ta pensée, la bouillabaisse est néanmons la preuve de ta pensée, mais tu ne trouves pas les mots pour la dire, pourquoi ?
imagine qu'on te demande si ça mord, tu répondrais :
je pense donc je pêche
indicible car inavouable
(six cent douxième nuit)
Ah si je voulais Catherine
Écrire est cet acte d'amour
tout avouer en ces quatrains
il me faudrait plus que des rimes
je ne pense pas qu'à tes reins
qu'on fait avec les mots ce sont
les mains de nos rêves autour
de femme dont on a frissonLa peur au ventre de tes nons
que dire une chanson jamais
n'est belle assez devant ton nom
l'absence est présence à t'aimerOn ne parle pas à personne
est-ce à toi ou bien à moi-même
la solitude m'en soupçonne
il suffit que tu sois je t'aimeEn quelle aventure de plume
m'emmènes-tu seule à me lire
par le feu que toi seule allume
et ne saurait sans toi se direTu as les pouvoirs du destin
mon bonheur s'écrit par tes yeux
car sans eux le monde est éteint
la vie une lettre d'adieuIl faut bien que je paye ma dette
pour le jour que j'attends la nuit
femme qui me fait vivre en tête
sans elle à mourir un ennuiCatherine ma Catherine
belle inconnue de tous mes rêves
de mes vers ne te turlupine
je suis un poète à l'enversEs-tu en âge en expérience
de savoir ce que je te dois
est-ce la mienne ou ta conscience
qui apprend ce que l'autre voitOn ne mélange pas ici
les genres ce n'est pas ma faute
s'ils le sont la vie c'est ainsi
ma poésie ne dit rien d'autreAvais-tu remarqué la date
au matin que l'on t'apporta
cette enveloppe bureaucrate
j'en fis après coup le constatJour de si bel anniversaire
de femmes claires comme l'eau
vive de l'Histoire où la mère
de ma mère ou la dactyloDe mes premiers émois ou toi
les premiers pas sur le chemin
immenses où l'on se tutoie
de mettre à la pâte ses mainsEnsemble et pas uniquement
d'être là au travail qu'ils disent
mais que savent-ils seulement
du travail pas celui qui briseCeux d'en-dessous d'eux ils s'en foutent
comme de leur premier mégot
après qu'ils aient sans aucun doute
bien tiré dessus trop c'est tropAchetées comme cigarettes
à cinq mille balles par mois
des bonnes à qui l'on ne jette
en prime juste assez de quoiSe regarder de travers comme
des chattes autour d'une arête
Le diplôme ne fait pas l'homme
certes mais il monte à la têteCe qui fait grimper les enchères
l'ICPC pèse son poids
moins léger quant à la vie chère
que secrétair' ça va de soiEt toujours c'est lui qui décide
"en chef" dites ce n'est pas rien
Moins sûr si les filles lucides
parfois un non c'est non c'est bienEt va donc savoir à quoi sert
quand ces messieurs vont en mission
pour cause de bonnes affaires
sous les contre-révolutionsRuse d'argent rose de guerre
qu'on est bon aux peuples qui crient
malheur d'ici ne soucie guère
nos généreux de l'industrieTerres d'enfants sous les Tropiques
d'enfants nés pour crever enfants
nés pour servir d'engrais au fric
ou vendus en morceaux enfinJ'en passe et tu vois je m'emporte
sais-tu à quoi tout cela rime
ce n'est que frapper à ta porte
Catherine oh ma CatherineNe faut-il faire de ses jours
qu'apprendre à sortir de ses gonds
l'Art la Révolution l'Amour
Breton Desnos ou Aragon
"Una mujer sonada siempre en una forma amada"
Octavio Paz, Liberté sur paroles
Catherine, ne pouvant t'aimer dans la vie, je ferai oeuvre d'amour en ton nom. Ce livre sera vivre encore. Vibrer encore. Encore t'aimer de rendre possible l'impossible. Grâce à toi je chante à la femme rêvée que j'attends et qui s'incarne en toi.
(six cent quatorzième nuit)
"on reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en partant"
Louis JOUVET
Catherine, pourquoi elle ? Il s'en interrogeait depuis les premiers troubles. Il aurait même pu juger qu'elle n'était pas son genre. Passer à côté sans la voir. Ses airs trop sages. Ses tenues bien proprettes. Son style middle-class à tout prix. Cette impression qu'elle donnait de n'être pas en elle. Encore que là, justement...
Et puis, de là à dire qu'elle ne lui plaisait pas...
Rien n'y faisait. Et d'elle l'habitude ne lui venait pas. Elle était chaque fois une apparition. Divine. Elle avait quelque chose d'un Angelico. Présence en plus. Entre Botticelli et Francesca. Elle avait la couleur de Matisse. Elle était fille de Maillol. Il la voyait comme marcher sur l'eau parmi ses grandes soeurs de bronze dans les jardins des Tuileries. Apulée : " Bientôt... Vénus se mit insensiblement à danser. Ce furent d'abord des pas lents, puis la taille ondula légèrement et le mouvement s'éleva par degré jusqu'à la tête ". Elle ne possédait pas, elle incarnait pour lui la grâce naturelle. Qu'elle définissait. Qu'elle inventait.
Les autres ne seraient jamais que des imitations.
Il comprenait en elle que la beauté est une empreinte dans l'espace. Un vibration d'air autour d'elle...
le vide qu'elle faisait en partant
(six cent quinzième nuit)
Téléphone. HORIZONS. Un voix de chocolat fondu... Tu ne lui demandes rien. Au bout de deux minutes : - j'ai de belles jambes... je suis assez jolie dans l'ensemble, surtout les jambes... je fais aussi de la peinture à l'huile, du cheval, plus jeune que mon âge... l'écriture, c'est mon truc, là où je suis douée... les jambes c'est ce que j'ai de mieux...
Alors j'ai annulé Somville à Messidor, et va pour sept heures, Sarah Bernhardt Théâtre Châtelet, histoire de suite dans les idées : Nathalie, qu'elle s'appelait, encore une... La première, Nathila Noire, deux ans déjà, celle d'emblée reconnue au Bal à Jo, et dont j'avais cherché deux heures le nom dans l'annuaire, n'était pas venue... l'autre, l'année dernière, la monteuse, ne voulait pas de moi, ça se voyait tellement, pas besoin de demander...
Et pour ce que j'en pense, des jolies femmes... Mais, les jambes, c'est un autre histoire !
A la sortie du boulot, j'avais traîné par les librairies, je n'ai jamais appris à écrire introuvable, épuisé... Elle avait trois minutes de retard... Plutôt moche dans l'ensemble... Pantalon bouffant essaye toujours de deviner les jambes... Ne consomme pas, la fumée l'incommode... Leffe bâclée, sortons mais où aller, Pompidou fermé, grève des nettoyeurs... Au bout de dix minutes les deux assis sur les escaliers je me les gèle devant les érotiques de Tinguely Saint Phalle... Auriez-vous un franc m'sieur dame je sors de prison... Elle, pas froid aux yeux : - de quel signe êtes-vous ? Manquait plus que ça !
Les jambes, sûrement ce qu'elle avait de mieux, et peut-être sa maman communiste qui pourrait enfin retrouver le Roumain qu'elle aimait...
Nous tombons d'accord. Le mieux serait de se quitter comme ça... mais je voulais voir ses jambes, alors : - Voulez-vous voir ma peinture ? Métro, couscous, Charonne... Elle monte... C'est chouette chez toi et pis pas cher... Pigments, technique, médium. Chopin, Bartok... Non c'est vraiment trop dur... Je vais tout de même pas lui montrer mes collages... Tisane de verveine pour la route, une heure et quart de trajet - Je dois rentrer maintenant... - oui, montrez-moi vos jambes avant... - Oui mais je ne veux pas faire l'amour... Elle m'a montré ses jambes... Je ne voulais plus faire l'amour... Et si elle ne voulait pas rater le dernier RER, ce qu'elle avait de mieux à faire...
Soupault est mort hier. C'est quand la dernière fois que j'ai pleuré ?
"Une âme faite pour les passions sent d'abord que cette vie heureuse (le mariage) l'ennuie, et peut-être aussi qu'elle ne lui donne que des idées communes.
STENDHAL, De l'amour
Tu vois trop ce que cherchent certaines femmes. La sécurité plus que l'amour. La situation plus que l'homme. Celles qui appellent bonheur toi ce qui t'ennuie...
Je jette annonces aux horizons comme à la pêche, et tu te dis poisson
Au bout de ma ligne tu mords
Je suis pêcheur et tu es bouche, suis-je mordu ai-je une touche ?
Si je prends dame dans mes cordes, serai-je pris âme et corps ?
J'écris, évidemment, pour ne pas devenir fou.
(six cent dix-septième nuit)
L'écrivain, dans ce moment d'impudeur dont il ne peut jamais parler que par métaphore, ce geste de la création qui, devant vous, va lui paraître obscène...
ARAGON, Les Incipits, ou Je n'ai jamais appris à écrire
- Tu veux écrire ou baiser, à la fin ?
Il ne faisait pas bien la différence. Coriane, la Comtesse, lui avait posé la question alors qu'il s'emmêlait en se donnant des airs de cohérence dans des explications alambiquées...
Il faut qu'on ait bien bu au verre qui n'a qu'un / Pour qu'en lisant les miens on y prenne le sien
... Explications tarabiscotées quant au vers syllabique, à la musique des sens, au fait qu'il ne s'était pas d'abord agi d'écrire, mais d'écrire à Catherine... On n'écrit pas comme on veut pour séduire...
... Et elle que ce n'était pas lui, ses mots à lui, comme ceux par exemple qu'il avait découpé dans le journal...
... Et lui qu'il fallait entrer par là-dedans pour en sortir... que le vers libre (?) ne l'était pas pour rien... qu'il avait tout à apprendre, qu'il était le jardinier de sa spontanéïté...
Il avait aussi la conviction confuse s'il baisait qu'il ne pourrait plus écrire. Qu'il n'en aurait plus envie. Qu'il aimerait moins Catherine.
Tant et si bien qu'en lui-même plus tard, à la question de Coriane, il répondit : on verra bien, à la fin... passe d'abord au chapitre trois.