- art et modernité de Baudelaire à Meschonnic

Nous abordons maintenant les aspects les plus « théoriques » de cette première partie : des réflexions en apparence les plus éloignées des problèmes du jazz. Par ce détour, nous y reviendrons avec une nouvelle grille de lecture.

Il s’agit ici de discuter et de préciser la notion de « modernité », en partant de la réhabilitation contemporaine de Baudelaire par Henri Meschonnic, en relisant les enjeux de l’art moderne chaussés de ces lunettes d’aujourd’hui, ceux du jazz, pour enfin aboutir aux concepts qu’il élabore pour une « critique de la modernité ». Il l’élabore en tant que théoricien du langage, mais elle déborde largement sur le domaine de l’art en général, de la philosophie, pour se constituer en théorie critique d’ensemble.

C’est le chemin qu’il fait lui-même, par exemple dans « Modernité Modernité » (1988, B ), et parallèlement dans ses travaux théoriques (La Rime et la vie, 1990 ? B , Politique du Rythme, politique du sujet, 1995, B ).

Nous n’en retiendrons, pour notre sujet, que les aspects les plus généraux, les moins spécifiques de la théorie du langage en tant que telle.

 

2-31 Baudelaire « invente » une nouvelle notion de l’artiste

« Baudelaire est moderne maintenant pas seulement parce beaucoup de ses poèmes continuent leur activité de poèmes, et parce qu’il a lancé, pensé le poème en prose et le prosodie de la langue française seul de son temps (...), il est moderne parce qu’il a transformé, réinventé la modernité » (Politique du Rythme, politique du sujet, B , p.469).

"... la dissociation des concepts de contemporain et de modernité, mais également la dissociation, plus étonnante peut-être, mais certaine, et féconde, entre moderne et modernité. Cette dissociation apparemment aberrante commence dans Baudelaire, qui invente contre la valeur traditionnelle du moderne opposé à l'ancien ou au classique et contre la valeur seconde et subjective qui en découle, qui identifie empiriquement le moderne au contemporain, un concept instable, difficile, mais propre à l'art, de modernité, tel que la spécificité de l’art et de la modernité deviennent un seul et le même. » (p....)

« Tenant à se séparer du Beau, du Vrai, du Bien à la Victor Cousin (voir l’art pour l’art en 111, l’art et la morale), Baudelaire a l’air de se mettre dans l’esthétique, dans l’esthétisme, en parlant de Gautier.(...) Mais Baudelaire postule une éthique dans et par l’art et la poésie, considérant « toute infraction à la morale, au beau moral, comme une espèce de faute contre le rythme et la prosodie universelle » (Baudelaire, Théophile Gautier, 1859, in B , p.476)

Puis vient cette définition du « beau », dans le Peintre de la vie moderne (chap. Le beau, la mode et le bonheur) : « le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la qualité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté à la nature humaine » (Baudelaire, B p. 205)

De la même façon que le passé est intéressant à la fois pour la beauté des oeuvres et sa « valeur historique (...),  le plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi à sa qualité essentielle de présent. » (id. P. 204)

Il nous suffit alors de rapprocher cette dualité (l’éternel et le transitoire) dans l’oeuvre d’art selon Baudelaire des propos de jazzmen rapportés en ...(l’art c’est la vie) pour en percevoir la parenté.

C’est ainsi, par exemple, que nous pouvons reconnaître nos revivalistes de tous styles, dans le jazz de la fin de siècle, chez ces « peintres modernes » fustigés par Baudelaire : « Soit « tirer l’éternel du transitoire », soit le transitoire plus l’éternel, de toute manière la modernité Baudelaire s’extrait violemment hors de l’académisme des « peintres modernes », en essayant de faire l’art à partir de la vie moderne. La modernité tient la vie et l’art ensemble au lieu que les « peintres modernes » (Delacroix excepté), n’ont que l’art. » (Meschonnic, B , p.377)

Nous retrouverons cette conception dans notre approche de la critique (...), avec Giovanni Joppolo (Critique d’art en question, B ), qui voit en Baudelaire, auteur de « Le Peintre et la vie moderne », le « pionnier d’une éthique intransigeante », annonçant « les Gauguin et les Van Gogh (...) Modigliani et Soutine (...) Giacometti et Pollock, artistes de la révolte et de l’isolement existentiels dans le recueillement de l’atelier... » , jusqu’à « aujourd’hui (...) où l’artiste tente de sortir de l’atelier pour socialiser le plus possible son art,(...) pour devenir un fabricant d’événements, un artiste en dandy éthique, celui pressenti par Baudelaire, (aspirant) toujours à la révolte et à la résistance, en affirmant que son rôle est avant tout d’être un questionneur et un perturbateur de l’ordre formel et de l’ordre social. » (Joppolo, B , p. 25)

« Baudelaire invente une éthique de la modernité. En renouvelant la notion de modernité. Depuis l’éthique et la poétique sont inséparables. Depuis, la poétique et la modernité sont une seule et même chose » (Meschonnic, B , p.467)

Baudelaire a « inventé » la figure de l’artiste moderne.

De quelques débats sur l’art moderne au 20ème siècle

Ainsi, pour Meschonnic, avec Baudelaire, la modernité se définit-elle, « dans la littérature et dans l’art, (...) comme l’invention de sa propre historicité. Et la modernité de la modernité est la reconnaissance de cette historicité. La modernité est le point de rencontre de toutes les grandes formes de pensée contemporaines. Mais à prendre leur rapport au signe, ce qu’elles montrent presque toutes est leur acritique : marxisme, phénoménologie, herméneutique, structuralisme, philosophie analytique. » (6, p. 17)

Quant à la psychanalyse, avec son oreille double (signifiant-signifié), « il y aura à écouter de plus près ». Chemin faisant, nous la retrouverons.

(inachevé)

IndexBAUDELAIRE Charles (écrivain) ; JOPPOLO Giovanni ; MESCHONNIC Henri (poète, théorie du langage)
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