Chapitre 1

C'est vrai qu'on est pas tenu d'attendre le premier avril pour prendre de grandes décisions. Vrai qu'on ne peut de tout décider. Qu'on ne peut tout prévoir. Tout anticiper... l'esprit d'ordre est un esprit perturbé... un esprit qui se sent supérieur... C'est Corya qui écrit ça. Sa lettre au courrier ce matin. Ce matin de la sept cent-cinquante et unième nuit. Oui, là, c'est dans le texte. Tout n'est pas perdu, malgré la panne. D'ordinateur. Heureusement, il y a le journal.

Mais, donc, je disais qu'on ne peut tout prévoir. Par exemple, ce matin, en raison de la grève des NMPP, pas de journal. Enfin... si. Mais pas d'HUMA... "ces gens qui ne lisent pas l'Huma, à eux, ça leur était égal... vous me direz..." (Aragon, Blanche ou l'oubli). C'est aussi Aragon qui dit vous me direz, vous me direz qu'elle tombe bien, cette grève, au lendemain des sept semaines qui précèdent. Mais ce serait compter sans les jours où l'on n'écrit pas. Parce que ce jour-là, ce lendemain-là, 17 juillet 1990, il y en avait une, d'Huma, la preuve :

UN TRAFIC de petits oiseaux protégés - tarins, chardonnerets, serins, bouvreuils, linottes et verdiers - a été démantelé par les gardes nationaux de la chasse de la Seine Maritime...

L'HUMANITÉ, 17 juillet 1990

Je disais donc on ne peut tout prévoir. Il faut compter aussi avec le hasard. La vie n'est pas un roman d'anticipation. Il faut donc compter objectivement avec le hasard. Pare que la notion de hasard objectif (Breton, Najda), elle me paraît totalement subjective. Tout à fait ! Ce genre de coïncidences qui ne renvoient qu'à soi, auxquelles pourtant on voudrait accorder un sens, comme un pouvoir surnaturel, une signification "objective"... " j'en vois ici que je connais, en 1965, qui n'aimeront pas cette histoire... un pure coïncidence, d'ailleurs, un hasard. Ces esprits forts se sont fait un Dieu nommé hasard. Drôles de matérialistes" (Aragon, Blanche...) et le Petit Robert qui, lui, est presque Dieu, stipule, à coïncidence : événements qui arrivent ensemble par hasard...

DÉCOUVERTE DU CRÂNE et de dix vertèbres cervicales de l'un des plus gros dinausaures du monde, dans le désert de Gobie, par des paléontologues chinois et canadiens. La trouvaille a été faite le mois dernier dans la région du Xinjiang, à l'issue d'une campagne de prospection de quatre années. Selon M. Dong Zhiming, le chef de l'expérience, l'animal, vieux de 140 millions d'années, aurait pu mesurer jusqu'à 30 mètres.

L'HUMANITÉ, 18 juillet 1990

Tout de même, il y en a, de ces coïncidances... Tenez, lui, sa rencontre avec Corya. Je veux dire sa première nuit avec elle. Hé bien, ça tombait pile le 7 juillet, deux ans jour pour jour après sa rencontre avec Catherine, "si vous vous souvenez"... et, qui plus est, l'anniversaire de son père. La première nuit. Sans elle. N'allez pas penser qu'il avait tout prémédité. Moi, je me contente de faire une hypothèse... "L'hypothèse est le point de départ de l'imagination... " (Aragon -id-). Moi c'est moi. Lui c'est Louis. Aragon Aragon. Le journal le journal. Le dinosaure... Corya... D'abord, c'est Elle qui avait appelé... "Dans la mesure où le monde imaginé à partir de l'hypothèse se développe conformément à cette hypothèse, nous disons que l'hypothèse demeure valable" (Aragon, Blanche...). Le téléphone sonnait à l'instant précis où il ouvrait la porte. Il venait de quitter Coriane. La Comtesse. A vrai dire, il l'avait bien un peu abandonnée. Devant les Nus Rouges. De Pignon. L'Ernest. Mais c'est elle qui voulait rester là. Ne plus partir. Jamais. Elle ne faisait que répéter : La peinture, on ne peut que la regarder... C'est tout de même quelque chose de voir une exposition avec une femme exceptionnelle, qui arrive à l'heure, etc... et qui dit ça ! A côté de tout le bavardage qu'on peut bien entendre sur la peinture, comme si on ne pouvait pas la penser comme ça, dedans, avec des yeux sans mots, des yeux qui pensent, d'une pensée-regard, d'une pensée peinture, sans phrases... comme si toute pensée ne devait se traduire qu'avec des mots... "toutes les langues dans toutes les bouches leur impuissance à dire la femme..." (Blanche ou l'Oubli...)

Comme là, retour de l'expo, le téléphone qui sonnait à l'instant précis où il ouvrait la porte, d'entendre la voix de Corya, il n'y a pas de mots, il y a bien des mots, forcément, au téléphone, ou alors... mais j'entends que ces mots-là ne faisaient que lui dire une voix, le son d'une voix, la matière de sa voix, le songe d'une femme, Corya... - je voudrais reprendre mon pull... Elle viendrait chez lui, le jour dit, à sept heures. Elle ne vint qu'à huit, mais ça ne comptait pas.

IL Y EUT ENSUITE un bref débat, introduit pas Henry Deluy, au cours duquel se posèrent les questions de la prosodie, du retour au récit, des grands aînés dont il faut se débarrasser pour accéder à sa langue propre, etc. Vastes problèmes, non résolus (le seront-ils un jour, et d'abord est-ce...

L'HUMANITÉ, 19 juillet 1990

Le jour de l'été, Catherine lui avait donné un baiser. Un vrai. Presque. Il n'avait pas très bien compris pourquoi. Non que, parfois... mais là,  précisément, il ne demandait rien. C'était retour d'un déjeuner au restaurant. Au bureau. Elle avait bien un peu bu mais ça n'expliquait rien. Depuis quelques temps, il est VRAI qu'ils se voyaient plus souvent. Elle lui racontait les choses de sa vie, sa liaison avec un homme marié rencontré dans le train du Nord, avec qui elle vivait à l'hôtel la semaine à Paris... son aventure dans le désert avec un gardien de chameaux, son attirance pour les hommes d'un certain âge, et les idées qui lui venaient, fussent-ils laids et bedonnants... "Elle me racontait ses amants : je me taisais sur mes médiocres aventures..." (ibid) Une fois, je ne sais si c'était avant ou après le baiser, le vrai, elle n'avait pu retenir ses larmes et lui avait demandé un mouchoir... "Moi j'avais un mouchoir un peu sale, mais dans ces conditions historiques ! Je lui essuie le visage avec. Elle renifle... " (ibid). Elle n'avait pu retenir ses larmes parce que son homme, son homme d'ailleurs, qui n'avait pas de travail, envisageait de retourner dans son pays, mais sans Elle, car la vie y était impossible pour une femme d'ici. Elle disait qu'Elle ne pourrait survivre à la séparation...

ECUREUIL DIABOLIQUE. Avant de déménager, je donne un poêle 'Godin' en état de marche et 500 kg de noisettes. Qui est preneur ? Par contre, pour déménager, j'ai besoin d'un 'diable' pour déplacer les colis, les meubles... qui pourrait me dépanner ? Tout cela se passe à Paris 18è. D. 07.75. 7115.

L'HUMANITÉ, 20 juillet 1990

Le jour de l'été, il faisait très triste temps. Catherine lui avait donné ce baiser, ce vrai baiser, puis s'était aussitôt enfuie en disant... "Ne m'appelle plus... ne m'appelle plus jamais... Jamais !" Le lendemain c'est Elle qui l'appelait chez lui... "allô allô, c'est moi, c'est toi ?... on entend la misérable petite voix dans l'appareil posé sur la table de nuit. Une grimace de voix. Interrogative. Et le silence... J'attends. Cela grince un peu, puis se tait. Allons..." (ibid). Il Lui avait dit ne sois pas triste... "Allons, bon, on nous a coupés" (ibid)

DEUX ENFANTS âgés de 7 et 12 ans, interpellés jeudi en fin d'après-midi, ont reconnu être les auteurs du saccage commis au cimetière de Nançois-sur-Ormain, dans la Meuse, près de Bar-le-Duc où une trentaine de tombes avaient été dégradées mercredi. Ce sont les dimensions des traces laissées par les deux enfants qui ont mis les gendrames sur la piste.

L'HUMANITÉ, 21 juillet 1990

Tout était terminé. Tout était terminé déjà les fleurs tombaient. Les fleurs tombaient déjà la chaleur était lourde et les parfums montaient des roses rouges et des rouges oeillets. Toutes ces fleurs comme on est bête sans leurs noms. La chaleur était lourde et le SILENCE même dans l'ombre des platanes. Le silence était lourd à l'ombre des parfums les gerbes des camarades. TOUT était terminé il n'y avait plus qu'un vieux qui maugréait au bord du trou couvert d'une plaque de tôle ondulée au nom de LECREUX Frères. Au bord du trou le vieux parlait aux fleurs des camarades avec des mots de camarades. Des fleurs de mots avec des noms de camarades. Des noms de fleurs. Devant les noms des communistes morts passaient des gens l'air de ne pas comprendre. Les fleurs ne parlent pas pour les touristes. Des Allemands. Ni d'Est ni d'Ouest. Allemands de partout. Partout des Allemands. Ni verts ni rouges... l'Allemagne sera une puissance mondiale ou ne sera pas (Adolph Hitler, Mein Kampf)... Il avait sursauté... viens voir, Flora, Jean-Baptiste Clément...

C'est à la Une de l'Huma du lundi qu'il l'avait appris. Paul Laurent était MORT. Il avait replié le journal sans le lire. La chaleur était lourde... "Il y avait quarante ans qu'il n'avait pas fait si beau à Paris en pareille saison" (Blanche...) En réalité il faut remonter aux archives des années 1982 et 1983 pour retrouver des colonnes de mercure flirtant avec les 40 degrés (L'HUMANITÉ, 23 juillet 1990). En réalité, Aragon, qui parle ici de l'improbable printemps de 1966, nous avait prévenu CECI N'EST PAS UN ROMAN D'ANTICIPATION... Paul Laurent était mort. La chaleur était lourde. Et le silence. Dans le vacarme de la rue de Crimée. Corya voulait acheter des tomates. Il avait pris sa main.

Tout était changé. Corya depuis sept jours. Elle n'était venue qu'à huit heures mais ça ne comptait pas. Elle avait apporté des cerises. Elle riait comme une enfant. Elle ne pouvait boire d'alcool à cause des médicaments. Elle aimait bien pourtant. Il avait préparé la salade pendant qu'elle regardait un livre sur Picasso. Elle aimait beaucoup La femme qui pleure, en rose et vert (18 octobre 1937, la période de Guernica)... Comme la nuit fut douce à Crimée. Après le cinéma. Bogard dans Key Largo... Sarah Vaughan... Ils avaient raté le métro. Être heureux c'est marcher. Mais pas seul. Il s'était trouvé là. simplement. dans le lit de Corya. dans les bras de Corya. Simplement. Dans les draps rouge capucine. Avec la chatte noire aux yeux verts. Et c'est ainsi que tout avait changé. Ils ne s'étaient plus quittés. Durant ces sept jours. Et puis, le septième jour, Corya était partie dans son pays. Son pays de soleil. Mais tout avait changé. Elle avait oublié de reprendre son pull. Son pull soleil.

Je ne sais plus Corya comment tu es venue à moi comment je suis allé à toi... Ta voix est comme l'eau le plus beau bruit du monde... Ton nom est l'algue incandescente et fraîche aux lèvres de la nuit... je ne sais plus Corya comment tu es venue comment je suis allé à toi.. Fontaine de mon souffle... tu m'as rendu des bras pour mesurer le ciel...

Le XXIème SIECLE verra arriver à l'âge de la retraite les enfants de l'après-guerre, plus nombreux que ceux de mai 68. L'Insee ouvre le dossier "retraite" et crie au loup. Au chapitre des "solutions" proposées : la baisse des pensions et l'allongement de la vie active.

L'HUMANITÉ, 24 juillet 1990

Je faut dire qu'Il n'avait guère, durant ces quelques jours, pensé à Catherine. Il avait atteint, dans cette relation, le paroxysme de la frustration. Cette façon qu'Elle avait de repousser toute ses approches, de refuser sa main, d'éviter tout contact et puis là, tout soudain, quand Il s'y attendait le moins, de tomber dans ses bras et follement de l'embrasser. Sa façon de lui dire... Ce n'est pas de l'amour... je ne te désire pas... et la minute qui suivait... Je pourrais t'inviter chez moi dans le Nord, te donner les clefs... Et Lui qui se prétendait assez fort pour faire la part de l'écriture et de la vie... Tu m'utilises pour ton livre... je te dirai tout faux... Que m'importait, à moi ? Mentir pour mentir... Quoiqu'il se passe entre un homme et une femme, c'est toujours une histoire d'amour... Et puis, d'abord, je n'écris pas un roman d'amour... à preuve, la Comtesse, fervente lectrice et femme exceptionnelle, n'a pas caché sa déception quand elle a découvert la vraie nature de mes écrits... enfin... ce qu'elle en croit. Quand à Lui, le Personnage, Il... "je croyais être amoureux, je m'étais fait l'ombre d'une femme qui était entrée en moi comme un courant d'air dans la chambre" (Aragon, id) Le Personnage, Il, croyait bien ce que je voulais, je vois mal comment Il aurait pu revendiquer la moindre autonomie, dans cette histoire, c'est tout de même moi qui l'écris, qu'on se le dise, non, des fois que... mais quand serai-je ton amant Jamais Embrasse-moi Je n'ai pas envie... Elle l'embrasse sur la joue Elle L'aime bien ça se voit mais... Ah ! tout de même, leurs promenades les midis d'été dans les Jardins de Port-Royal, rue des Petits Champs et Galerie Vivienne, bras dessus bras dessous, ses petits bras un peu gras mais si doux, Elle s'émerveillait de rien, Il devait se croire bien amoureux... quelle bêtise ! Lui qui, les livres... ils ne s'étaient même pas arrêtés chez la bouquiniste... avec la Comtesse il y restait des heures... si au moins Catherine... non, même là, dans les coins, Elle ne se laissait pas embrasser... Alors Il décida d'en finir avec Elle... Mademoiselle L-B - - - -, Les anniversaires me sont toujours l'occasion de grandes décisions. Parfois, c'est le premier avril... parfois le jour de l'été. Parfois, ici, ce sont ces deux années passées. A espérer l'amour. Offrir l'amour. Attendre l'amour. Pour rien... On se raconte une histoire. En béton. On se construit une prison... CAPITALE DES VOLETS CLOS... On ferme les yeux... l'histoire n'arrive pas... Moins elle arrive plus elle est belle... les yeux fermés... deux années ! Trop. Rien. Trop rien. Je vous disais l'amour ou rien. J'ai eu le rien. Tout le rien. Je vous le rends. Vous le méritez bien, Catherien. Je vous ai fait la poésie. vous ne m'avez pas fait l'amour. J'avais pour vous de l'estime jusqu'en votre refus. Et vous l'avez volée dans un baiser de papillon. Dans un baiser qui vous faisait mentir. Un baiser désinvolte et sans âme. Vos manières de jolie femme qui se croit tout permis. Vous ferez bien encore tourner quelque tête grise et bondir quelque ventre mou??? J'ose une dernière demande. Je cherche un jour où je ne vous aurais pas connue. Laissez-moi. Laissez-moi vous oublier. Et si vous voulez bien m'aimer un peu, que ce soit par votre silence... Elle ne répondait jamais à ses lettres. Pour cause, Il ne lui envoyait plus depuis longtemps. De ces lettres qu'on écrit, récrit vingt fois au milieu de la nuit. Où tout doit être dit, bouclé, définitif, sans remors, sans bavures, callygraphié vous ne saurez jamais comment... qu'on déchire au matin quand ce n'est pas, comme Gentilhomme, aller le lendemain fouiller la boîte de la belle pour éviter qu'elle ne vous lise... "mais tout de même on n'écrit pas pour soi seul..." (Aragon, id). A quoi bon à quoi bon écrire, si l'on n'écrit pas à quelqu'un, écrire, c'est toujours une lettre d'amour, non ? "Quelqu'un qui écrirait pour ne pas être lu, j'imagine mal comment il aurait la tête..." à moins que... "On pense bien pour soi seul. Ecrire, après tout, ça peut être une façon de penser. Sauf qu'on oublie, pensant. Ecrire, on y revient..." (ibid). On y revient, on y revient... pas forcément... C'est un peu une fuite en avant, comme marcher marcher sans jamais revenir sur ses pas... Ce qui est fait est fait, écrit écrit... Et je suis là dépourvu de toute maîtrise de tout métier de toute lumière à m'avancer aveugle sur les chemins de l'écriture, dans les reins le couteau du temps, j'en suis encore à lire apprendre, j'ai trop laissé aller mon impatience, j'ai voulu "provoquer mon ignorance" je me suis "(consterné) de mes frontières, secoué les bornes de mon propre savoir" mais l'on ne peut aller plus vite que la musique... à trop vouloir aller plus haut que soi, on finirait par s'arracher la tête... De chacun selon ses possibilités, à chacun selon son talent... Eviterai-je de "laisser aller le récit à la confusion..." quand, ma vie.. qu'est-ce que j'en sais ? qu'est-ce que j'en fais ? quelle maîtrise en ai-je ? qu'est-ce que j'en invente de ma vie, au jour le jour ? Est-ce que "je suis le personnage, l'irréel, l'inventé ? l'imaginaire ?" est-ce qu'"il faut m'y résoudre" ? A quoi bon écrire si ça ne m'apprend pas à vivre ?

LE MILIEU DU LIVRE qui est celui de l'édition n'est pas tellement le mien; mon milieu, c'est celui de la rue, de la vie de tous les jours, de l'Histoire, mais elle, elle appartient à tout le monde... à la fête on est proche d'un public qui n'est pas forcément celui que l'on attend en littérature alors que la littérature est faite pour tout le...

Jean Guerres-Hi, L'HUMANITÉ, 26 juillet 1990

La Comtesse, elle dit que ça ne va pas du tout quand je parle du téléphone. Mais c'est un problème d'écriture. Pas de téléphone. Au téléphone, avec elle, ça dure des heures. Tenez, sur l'annexe à la facture TELECOM, par exemple, le 10 juin à 00h54, 2 heures 23 minutes et 23 secondes; le 11 juin à 20h59, 1 heure 12 mn 15 s; le 17 juin à 21h12, 2 h 8 mn 27 s... C'est donc bien un problème d'écriture... "La voix qui passe les murs. Je n'ai pas fini de m'émerveiller de ce téléphone et de subir sa terreur... et tout le monde peut avoir accès par cette machinerie au plus blessé de mon coeur..." (ibid) La sonnerie me réveille. Un bruit de fond. Ce doit être la ligne sous la mer... " une voix au loin... Allo ?... une voix que je ramasse et porte à mon oreille..." Corya, c'est toi... à cette heure, et puis, si loin, c'est très cher, mais je voulais... Corya, j'avais envie... je voulais te dire... non, c'est trop tôt, pas encore... "et le silence. Et encore la voix... (...) Ecoute, Blanche, je te dis, écoute..." Ecoute... Corya elle dit souvent ça, Ecoute !... Alors tu dresses l'oreille, parce que ce doit être important, et non, c'est seulement une manière à elle, comme dans ses lettres... Ecoute ! mes voisins de compartiment sont charmants. Oui, je n'aurais pas dû... je me sens intimidée par le petit garçon... il s'est installé entre nous quelque chose de délicat c'est lui qui m'a donné cette feuille... Il lui écrivait aussi. Chaque jour. Chaque jour trouvait d'elle une lettre au courrier. Chaque jour ! Deux parfois... Ecoute ! Tu as vu ce château ? c'est ton château. Je te vois tout à fait bien habiter là et puis aussi monter ces hauts murs pour me rejoindre par la fenêtre quand je ne t'attends pas... Tu m'appelles bientôt... Il l'appelait. Elle l'appelait. Au milieu de la nuit. A l'autre bout du monde. cela devait coûter très cher...

FIDEL CASTRO "... faire de La Havane la capitale la plus humaine du monde... qui aurait pensé que le camp socialiste s'effondrerait comme un château de cartes... grand incertitude... espoir de l'impérialsime de voir tomber Cuba... économie de guerre..."

L'HUMANITÉ, 25 juillet 1990

Coriane, la Comtesse, elle aussi écrit chaque jour. Mais elle c'est à moi PAS à Lui... Cher Monsieur, je viens de terminer le 7ème volume de votre oeuvre aux éditions... C'est un chef d'oeuvre ! J'aimerais vous rencontrer pour en discuter avec vous. Est-ce possible ?... Quel sens du théâtre elle a la Comtesse, une femme exceptionnelle, même qu'elle dit... sans démagogie, quand t'es fille d'ouvrier, c'est pas facile de faire ta vie dans le théâtre... Mais là, dans cette lettre, anguille sous roche... C'est encore un prétexte pour me voir... en plus, à se prendre comme ça pour la vestale de mes écrits... Parfois, je regrette sa mort, à la Comtesse...

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LES lettres de Corya arrivaient chaque jour... Je ne t'ai pas envoyé une lettre très romantique, que j'avais écrite... Les lettres romantiques font peur on les relit et l'on y trouve plein d'erreurs... Les LETTRES de Corya arrivaient chaque jour... Je t'écris une autre lettre en même temps que l'autre, parce que je suis profondément ambiguë, confuse... je me mets les pieds dans les mains... je suis contente de t'avoir écrit ma lettre romantique. Elle est très vraie... Les lettres DE Corya arrivaient chaque jour... Je voudrais être enterrée vivante avec ces deux lettres... Je suis fatiguée, malade, j'ai un manque d'imagination, je t'écris n'importe quoi... mon écriture s'évanouit. Les lettres de CORYA arrivaient chaque jour... J'avais envie de te demander de m'embrasser, mais ce n'est pas le moment... Les lettres de Corya ARRIVAIENT chaque jour... Là on peut s'embrasser... parmi toutes ces couleurs... on pourrait s'allonger sur chaque creux de ligne... le blanc pour voir le rose des bouches... le marron pour la pâleur des corps... les maisons verticales pour qu'elles s'écroulent le long de la colline, et qu'on puisse sauter dessus... les verts, les bleus... les corps disparaissent comme avec l'eau, et puis il y a un petit oreiller avec des roses, bordé d'oranges, pour nous reposer... (c'est un carte reproduisant Small Pleasure de Kandinsky)... Les lettres de Corya arrivaient CHAQUE jour... je compte jour après jour...

A NOS LECTEURS Suite à la poursuite des mouvements de grève dans les centres de distribution, en particulier en région parisienne, la distribution de L'HUMANITÉ notamment n'a pu être effectuée dans les conditions habituelles

L'HUMANITÉ, 28 juillet 1990

Le roman ne sera le roman que le jour où le poète n'aura plus à inventer son amour

Aragon, Blanche ou l'oubli

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