Il y a des gens qui vivent comme s'ils écrivaient leur biographie, ils règlent leur conduite de façon à ce qu'elle s'inscrive d'une certaine manière dans le cahpitre prévu par l'auteur...
Elsa Triolet, Le Grand Jamais
C'est aujourd'hui dimanche.
La difficulté, voyez-vous, pour écrire quand on n'a jamais appris à lire... Je me souviens, la première fois qu'il m'a fallu compter les douze mesures d'un blues, j'en écoutais depuis dix ans, et je pensais même en connaître un rayon... compter, je m'en battais l'oeil, jusqu'au jour où, l'instrument sur les hanches... on ne l'entend plus de la même oreille...Ecrire, pour moi, c'est pire, ou bien autre chose encore. Ce ne sont pas les livres, c'est Catherine, souvenez-vous, qui m'a donné l'envie, parce qu'elle ne voulait pas coucher avec... avec Lui... avec Mon Personnage (je n'écris pas ma biographie, moi), et la littérature, alors, je m'en foutais pas mal... "C'est elle, l'Impératrice, et la Russie en profite..."
"VERSION III
Catherine est une petite bourgeoise allemande avant la lettre. Elle le restera toute sa vie. Il fallait l'état déplorable du pays pour que cette femme ait pu faire figure de grande dame et de grande souveraine. Une petite bonne femme, fraîche et gentille tant qu'elle est jeune, mais qui prend vite de l'enbompoint et son célèbre double menton. Sans fierté ni principes, elle attendait son heure qui arriva malgré elle..." (id)
La Comtesse, je l'entends déjà s'insurger, dire que non, je n'ai pas le droit, comme ça, de citer Aragon ou Triolet de manière parfaitement anecdotique et hors contexte de leurs romans, sous prétexte d'un prénom... cette façon de couper... ma démarche réductrice... et que je passe complètement à côté de l'enjeu, proprement révolutionnaire, et pas seulement sur le plan littéraire, de ces romans-là... Bon. De quoi elle se mêle, la Comtesse ? Je veux dire, de quoi je la mêle ? Parfois, ici, je regrette sa mort. De n'en avoir pas profité davantage. On ne peut tout prévoir...
C'est vrai que ma Catherine à moi, à Lui, si vous préférez, elle est sténo-dactylographe, pas Impératrice de Russie... mais après tout, Coriane, la Comtesse, elle est bien fille d'ouvrier... "D'ailleurs...dans son célèbre livre sur la Grande Catherine, l'histoire d'amour est si intense qu'on ne songe plus ni à l'époque ni aux événements historiques...". Quoi qu'il en soit, Lui, depuis qu'il ne l'aime plus, sa Catherine, Il la voit davantage sous son vrai jour, avec son côté petite bonne femme fraîche et gentille tant qu'elle est jeune, mais ... l'enbompoint... et le double menton pas même célèbre qui menacent... C'est très très bien vu, un sacré éclairage, Elsa... autant que je n'ai pas à écrire moi-même, puisqu'elle le dit si bien et que c'est ma Catherine tout craché. Je ne l'ai pas inventé... On a toujours un peu de sa vie dans les romans des autres. Sans quoi on ne les lirait pas. En plus, je peux bien vous le dire, maintenant, elle est gonflée, la Comtesse. Je ne voulais pas... elle va encore juger ce procédé déloyal, mais elle l'aura voulu. Voilà, l'autre jour, la Comtesse, elle me dit - Pourquoi tu ne fais pas quelque chose avec Catherine d'Aragon ? Elle est dans le Petit Robert... Vous me voyez, vous, moi, écrire un truc dans le genre Catherine qui n'est pas d'Aragon Aragon pas aragon Catherine d'Aragon qui n'est pas la Catherine d'Aragon ni la mienne et l'autre, maintenant, Elsa, qui ramène la sienne...PRES DE 80 PIERRES TOMBALES du cimetière juif de Stuttgart-Bad Cannstatt ont été profanées dans la nuit de vendredi à samedi. Les criminels ont signé leur forfait du nom de "loge 750'
L'HUMANITÉ, 30 juillet 1990
Le jour où nous sommes entrés, Mon Personnage et moi au Père-Lachaise, vous vous doutez bien que nous avions chacun nos raisons... "Nous pénétrons profond dans le cimétière..." (Elsa...). Lui, je ne sais pas trop. Moi je cherchais Corya. Et j'ai cherché cherché. A dire vrai, de façon systématique, seulement dans le carré délimité au Nord par l'Avenue Circulaire, à l'Ouest par l'avenue transversale n°1, au Sud par l'avenue des Feuillants et à l'Est par l'Avenue du Boulevard, ou bien du Boulevart, parce que sur les plaques, on trouve les deux et qu'on ne sait plus, avec la réforme de l'orthographe.. Je ne peux donc prétendre à un travail scientifique, pas plus que le Lalande d'Elsa dans ses improvisations sur Catherine. Mais disons que, statistiquement, il n'y a pas de Corya au Père-Lachaise. Par contre, les Comtesses se ramassent à l'appel.
Comtesse Sérurier
née Hermine Freund
1853-1894
Joséphine Adélaïde de la Cropte
Comtesse de Bourzac
1792-1875
Anne de Prysie Comtesse de Chabrol-Chameane
décédée le 13 avril 1832
Elisabeth Smith
Comtesse de Jarnac
Morte le 23 novembre 1843
Ici repose
Comtesse Maxime Félicité d'Agneaux
décédée le 30 mars 1874
à l'âge de 74 ans
Dorothée Le Brun
Comtesse de Chabrol
1792-1863
Rose Blanche Eléonore de Monti
Comtesse de Slade
Décédée le 7 janvier 1872
à l'âge de 87 ans
Sept d'un coup. Là, au moins, laissez-moi vous dire que ce sont de vraies mortes, donc de vraies vies, et pas des personnages de romans... Mais pas de Corya. Ce qui statistiquement tend à prouver qu'elles ne meurent pas, comme les Coriane, les Comtesses ou les Catherine. Les Corya sont coriaces. Et je suis amoureux d'une immortelle...
PRES DE 1,3 million d'entrées ont été vendues en quatre mois, selon les organisateurs. A l'occasion de la mort du peintre, qui s'est suicidé le 29 juillet 1990 à Auvers-sur-Oise (France), 133 tableaux et une collection unique de 250 dessins et aquarelles avaient été rassemblés dans deux musées, le musée Van Gogh d'Amsterdam et le musée Kroeller-Muller à Otterlo
L'HUMANITÉ, 31 juillet 1990
Pendant ce temps-là, Lui, Mon, Personnage, c'est tout de suite en entrant qu'Il l'avait vue, en haut de l'allée pavée qui sépare les 62ème et la 63ème divisions... jupette bien portée et ses cheveux ondulent... ces jambes... elle passait... elle passa.. Il m'avait bien encore un peu accompagné dans ma recherche à travers tombes, mais je sentais confusément que Lui, Corya ne l'intéressait guère... à deux, nous aurions pu... mais non, j'étais bien seul, les yeux fouillant les inscriptions de pierre en pierre... Lui me laissait tomber et son regard fuyait dans les allées. Il n'avait manifestement qu'une idée en tête, son obsession le faisait d'un sans-gêne que j'en avais honte, les vieilles dames dignes autour de nous... et tout soudain Il se mit à courir... Il disparut... C'est plus tard qu'il me fit le récit suivant.
(sept cent quarante-septième nuit)
Par l'entrée Nord, au sortir du métro qui porte le même nom. La fraîcheur immédiate sous les arbres et déjà, malgré ou par-dessus le bruit des voitures tout près derrière le mur déjà, le silence. Le silence. Le silence d'ici plus fort que la ville. Plus fort que les touristes. Pas d'oiseaux. L'allée pavée, cinquante mètres plus haut. Elles sont deux, surtout une... de ces jambes, sa jupette qui vole, ses longues boucles brûnes. Toi tu n'es pas là pour ça. Avec en tête ta Corya. Depuis sept jours que tu sillonnes ce cimetière avec ton idée fixe... rien ne compte pour toi... tu n'es sensible à rien, tu ne sens pas le vent, c'est la saison pourtant, ni le parfum tu ne sens rien tu ne vois rien... ni sa jupe qui vole ni ses cheveux ni la dentelle blanche, regarde comme elle danse, quelles jambes nom de dieu, tu ne penses qu'aux mortes, regarde comme elle vit, elle, tu es tout à l'Absente, regarde comme elle est... Merde ! elle a disparu, t'es content, c'est bien toi, tout pour ton bouquin moi je ne compte plus, je te parle d'une fille et tu penses à une autre, la Comtesse avait bien raison, dire qu'une fois tu l'as tuée, une femme exceptionnelle... ça y est, la voilà... là, au bout de mes yeux... et sa jupette vole c'est l'été... elle a de ces jambes... et je file ses pas... Avenue des Feullants... elle est là, sur ce banc, Dieu quelle belle femme !
UN CIMETIERE de Haute-Garonne profané... Les gendarmes de Lèguevin et de Toulouse enquêtent depuis le week-end sur des actes de vandalisme et des profanations commis dans la nuit du samedi au dimanche 29 juillet dans le cimetière de la Salve-Saint-Gilles... Des inscriptions racistes "Mort aux Juifs et aux Arabes", "Le Pen vous brûlera", "Carpentras c'était bien, nous c'est mieux", ont été retrouvées sur ces tombes...
L'HUMANITÉ, 31 juillet 1990
Il, Lui, s'était posé là, à côté d'elle, à la distance du... non, le banc était à l'ombre elle avait aussitôt enlevé la bouteille d'Evian qui le séparait d'elle... Je ne vais pas vous la prendre... C'était pour vous faire de la place... Et sa jupette était ouverte de deux ou trois boutons sur le devant, elle avait la peau brûne et tendue des filles de la Havane... "accessible comme un petit four.." (Elsa, Le Grand Jamais)... il faisait même à l'ombre une chaleur... "si tu voyais ces jambes !... Un corps !..."... Elle faisait mine de rien, avait sorti un livre de son sac... Kundera, L'immortalité, alors Lui Votre idée est touchante de lire ça ici... Il n'y a pas pour lire un endroit plus qu'un autre... Connaissez-vous le Père-Lachaise... Je n'y étais jamais venue... Moi si souvent c'est toujours la première fois... Les touristes passaient devant eux... "sur un banc. Les gens passaient devant eux, les dévisageaient...", elle demandait Have you got a cigarette avec l'accent de la banlieue Sud et la plupart répondaient non d'un geste ou bien ouais, des Gitanes... ces jambes... d'un coup il s'était approché d'elle, l'avait prise par la taille, embrassée "sur la bouche avec furie. Le contrôleur s'excusa avec un sourire complice, en les écrasant contre la cloison"... ça c'est pour la Comtesse, le contexte... D'ailleurs, pour ce qu'Il m'en a dit, de ce baiser, et de la suite... et puis "l'auteur en sait toujours tellement plus long sur ses personnages qu'il ne veut bien en dire"... Moi, je ne vais pas tout vous répéter.
MAIS BIEN plus dangereuses pour l'espèce humaine sont les dernières diatribes de la Bardot dans les colonnes grandes ouvertes de la presse lepéniste... "pour que nous n'ayons plus à subir l'infâme rite de ceux qui ont envahi notre pays et n'ont même pas la décence de respecter nos coutûmes et nois lois" Sic... Dans la foulée, la tradition israélite du sacrifice animal et "autres pratiques indignes d'un pays catholique" sont clouées au pilori... Et dire que Dieu créa la femme ! On finira par admettre la mysoginie d'Allah si B.B. s'entête à prêcher le lynchage des humains au nom des animaux. On a du mal à croire que la sublime gazelle de l'écran ait viré à l'ayatolette intégriste... C'est hélas le cas. A l'affiche de nos fantasmes, déchirons donc sa blondeur tiède et sa bouche rose baiser.
Michel Boué, L'HUMANITÉ, 2 août 1990
Je ne sais plus si c'était devant Marylin ou devant Les Vaches. Il y en avait tellement. De toutes les couleurs. Lui s'en souvient sûrement mieux que moi. Il n'avait pas voulu que je L'accompagne... Après le coup que tu m'as fait au Père-Lachaise... Des jambes pas terribles. Peut-être l'effet de la jupette. Il ne faisait pourtant aucun vent. Oui. La jupette. Vraiment très, très courte. Très. Tee-shirt rouge. Bouclettes noires. Yeux verts. Joues rondes. Démarche de danseuse. Mi-bas blancs. Baskets. Pas nettes. Les jambes, vraiment pas terribles. Mais la jupette... la chaleur... le manque de vent... "Il y avait comme toujours du vent"... les couleurs... un peintre, WARHOL ?... Pour Aragon, un Dali américain... Va pour les images, va pour l'Amérique, va pour la mort partout... Warhol croque-mort de l'art... rétrospective ou cimetière de l'art ? Mais... avec tout ça, où est-elle passée, bouclette ?... Mao, Mao, Mao, Mao, Mao, Mao, Mao,... la voilà, devant Marylin, une des Marylin... cent Marylin valent mieux qu'une.. qu'il disait, Warhol. Tout de même, prétendre immortaliser Marylin sans montrer ses jambes, faut le faire ! (Corya, elle dit que ce n'est pas le but de la manoeuvre, admettons, mais quand même...). Bon, je... non, Lui, va s'asseoir. C'est aussi ce que j'aurais fait. Je me sens parfois si proche de Mon Personnage. Mais pas toujours. Lui va s'asseoir sur ce banc. Pas beaucoup de bancs dans les expos. Pas de banc. Pas de vent. La chaleur... à peine avait-Il posé sa bouteille d'eau à côté de Lui qu'elle arrive et s'adresse à Lui... Puis-je asseoir ?... Elle met le nez dans son guide. Warhol, ce n'est pas comme la peinture, ça se voit vite... Plus tard, au café, quand Il lui avait demandé qu'en pensez-vous ? elle avait répondu cela dirait une usine... Warhol... Ou Pompidou ? Anglaise, et de goût fort classique... encore qu'elle n'avait pas non plus aimé Notre-Dame, où ils étaient ensuite allés ensemble. Elle trouvait ce édifice pas fini... Elle l'imaginait sans doute avec des fanfreluches et des pointus à la Big Ben... Papa américain, maman koweitienne, en vacances à Deauville... La chaleur était lourde et devant Notre-Dame, elle avait sur ses cuisses très haut remonté sa jupette... "la jambe nue de Caroline tressautait tout près de lui..." (Elsa...) des jambes vraiment pas terribles mais... oui, bien sûr, je vous guiderai dans Paris...
EMEUTES AU VENEZUELA des émeutes ont éclaté mercredi à Maracay, ville industrielle.. autobus incendiés, magasins pillés... suite à une manifestation étudiante ralliée par des centaines d'habitants, contre une nouvelle et forte hausse de lessence... La répression a fait de nombreux morts
L'HUMANITÉ, 3 août 1990
C'est là qu'elle est partie hier, la Comtesse. Moi, gentiment, je lui dis de passer de bonnes vacances, de bien se reposer, de tout oublier... elle, elle m'envoie promener avec mes stéréotypes, qu'elle dit, elle veut faire de la politique, danser la lambada mais dans les bouges pas dans les boîtes, et suivre la trace de Bolivar... Elle emporte La poésie moderne et la structure d'horizon, pour se détendre, entre deux lambadas politiques... à femme exceptionnelle vacances exceptionnelles... Elle a horreur de la mer, ne se baigne jamais. Bon. Chacun son truc. Moi, l'horizon sans la mer... Lui, les vacances, c'est utiliser des travellers-chèques à Paris, pour se changer les idées..., le Balajo... tenez, justement, le 14 juillet, Il s'était pointé à la Bastille, pour le bal... rien ! Rien le 14 juillet à la Bastille. Bon. Sâle époque.. Allons danser puisque... débouche Rue de Lappe... 14 juillet pourri et j'entre au Balajo... Sur qui Il tombe... la Comtesse... avec la robe que lui a offerte l'ambassadeur du Mexique... elle était en pleine lambada, toute seule, et elle a fait semblant de ne pas Le voir... Bon, maintenant, elle est partie au Vénézuela, la Comtesse. Dans les émeutes. Si elle pouvait y... Non, j'exagère... mais j'espère qu'elle n'a pas emporté mon manuscrit. Pourvu qu'il ne lui arrive rien. A la Comtesse. Avec la mission que je lui ai confiée... mais CECI N'EST PAS UN ROMAN D'ANTICIPATION...
FRIEDRICH HÖLDERLIN, qu'Aragon plaçait plus haut que Goethe (et comment !) séjourna à Bordeaux de janvier à mai 1802... césure décisive... à un moment où tout bascule : la Révolution est forclose, on revient aux valeurs d'origine, au Christianisme (avec Chateaubriand). C'est alors qu'éclate la révolte des Noirs aux Antilles... Hölderlin éprouve en France la violence de l'Histoire, sa vision se transforme, sa poésie entre dans la modernité, laisse pressentir Büchner, Rimbaud même... pour lui tout est "foutu", et la poésie même. On voit que l'émission (France-Culture, dimanche) n'est pas sans enjeu...
L'HUMANITÉ, 4 août 1990
"Marie-Noire désespère de l'imagination. C'est passager. "Qu'est-ce que tu joues, Philippe ? Je ne connais pas cet air" Lui retrousse son fil et balance la tête : "Tu ne connais pas ? Thelonious Monk... Rhythm-a-Ning... - Ah ! dit Marie-Noire. Elle avait oublié Thelonious Monk..." (Aragon, Blanche ou l'oubli). Rhythm-a-Ning, avec Johnny Griffin, Art Blakey, le plus Monk des batteurs... New-York, 15 ami 1957, Blue Note 68... "Ecrire en vrac, et, ensuite, y mettre l'ordre des saisons et des heures, des événements extérieurs, selon leur véritable écoulement, l'âge des personnages..." (Elsa, Le Grand Jamais). Quelquefois, ce dont on manque le plus, c'est de désordre... l'esprit d'ordre est un esprit perturbé... qui se sent supérieur (Corya, lettre du 21 juillet 1990)... Parfois, ici, j'ai besoin de ce désordre, dont je sens qu'il est le mieux à même de rendre compte du rapport de l'homme à la vie, au temps, grand fatras de désordres... et l'Autre qui se débat dans ses fantasmes de tout maîtriser,sa façon de compter, son besoin obsessionnel de totalité, son grand tracas de l'ordre...
C'est aujourd'hui dimanche. Il existe bien une HUMANITÉ-DIMANCHE, me dira-t-on... Je n'aime pas les magazines... N'en parlons plus.
A PARIS, LE GÉNIE DE LA BASTILLE a été affublé d'un tutu rouge par des inconnus dans la nuit de samedi à dimanche
L'HUMANITÉ, 6 août 1990
Encore un coup de la Comtesse. Non. Impossible. Elle est partie le 4 août. Pas elle. Gentilhomme. Non plus. Il n'est pas un héros de roman... mais alors, peut-être que, justement... ou bien Lui, Mon Personnage... Non sûrement pas. Avec son respect des traditions révolutionnaires, comme Il dit... enfin, qu'Il dit... parce qu'Il est fort capable de retourner sa veste, celui-là... Vraiment, sâle époque !...
MILLE TONNES DE DROGUE ont été détruites au Mexique en vingt mois ainsi que plus de 5.000 hectares de plantation de cannabis et autant de pavot : 11.500 personnes ont été arrêtées et 44 policier antidrogue tués
L'HUMANITÉ, 7 août 1990
Peut-être avez-vous pris la panne d'ordinateur pour un procédé littéraire... Moi, je ne sais plus, parce que... retour de vacances, c'est vrai, pas moyen de rentrer les textes. Plantée, la machine... Je ne l'ai pas inventée, cette histoire... mais, en fait, je ne sais plus, à force de mentir... "un homme qui avance des choses fausses pour en tirer profit est un escroc... tiens ! c'est une bonne définition du romancier en général" ( Elsa, Le Grand Jamais). Après tout, on ne peut tout prévoir, mais tout ce désordre... je m'y perds... "L'art, c'est de mettre de l'ordre dans cette masse de matière, d'en tirer l'essentiel... Mes difficultés sont oiseuses, dira-t-on..." (ibid). Retour à Nimistaire, Lui, Mon Personnage, ne pensait même pas à Catherine. Il n'avait pu pourtant refuser de l'accompagner à l'ambassade du Mexique... Catherine, elle passe au bureau des heures à rêver sur les catalogues des agences de voyages, elle irait bien, Catherine, au Mexique, avec Lui... Mais Catherine, c'est le passé... L'important, c'est que Corya soit née un 31 mars, comme Octavio Paz... Bien sûr, pour vous, pour n'importe qui, c'est un non-événement, une simple coïncidence... De chacun selon ses contraintes, à chacun selon ses hasards...
COMMENT ECRIRE SOUS SURVEILLANCE... Christa WOLF... ce qui reste... cette fois, ils ont failli m'avoir... user des "armes de l'écrivain", dire ce qui fut, le dire vite, tout au moins le confier au papier... "ce qui reste"... Hölderlin... à Bordeaux... "ce qui reste est oeuvre des poètes"... mais il n'existe pas de technique permettant de transposer dans une langue linéaire un tissu d'événements incroyablement enchevêtrés les uns dans les autres, dont les trames s'entrelacent selon les lois les plus strictes... Le processus réel, la "vie", a toujours plusieurs longueurs d'avance...
Cité par Claude Prévost, L'HUMANITÉ, 8 août 1990
Qui me surveille, moi ? Personne. Vraiment, personne ?... Je vous assure. Lui, Mon Personnage, peut-être... La Comtesse ? Pas exactement de la surveillance. Je peux vraiment tout écrire. Tout. Sauf n'importe quoi. Question de principe. Mon problème, c'est de choisir... "mon désordre est ausssi inextricable que mon écriture" (Elsa...)... Je devrais me surveiller un peu. Me faire surveiller ? Par qui ?... A moins de payer des lecteurs... Tout écrivain n'est-il pas surveillé par l'idée qu'il se fait d'un lecteur, c'est-à-dire, en définitive, par l'idée qu'il se fait comme lecteur ?
LE PORTUGAL RAVAGÉ PAR LE FEU plus de 10.000 hectares de forêts de pins, d'eucalyptus et de cultures diverses détruits par des dizaines d'incendies
L'HUMANITÉ, 9 août 1990
Corya !... pourvu que... juste le jour où il avait reçu la lettre où elle disait... la maison est entourée d'arbres, et dehors est illuminé de bougies... Non. Puisque le 8, elle avait encore appelé... "Il courut au téléphone... Il attendit très longtemps, la petite trompette répétait son appel, son S.O.S. "Le numéro ne répond pas..." dit la téléphoniste. Où était-elle ? peut-être simplement pas encore rentrée, après tout ? Une subite fatigue lui coupa bras et jambes et il s'endormit dans le fauteuil" (Elsa...) mais le 8, elle avait encore appelé... "Ce téléphone est impossible... Tu ne réponds jamais... Je n'aime pas qu'on se soit quittés si longtemps..." Moi non plus, Corya, je ne trouve pas le sommeil, je cherche près de moi ton corps, Corya, je... On n'écrit pas ces choses-là... ça ne vous regarde pas ! mais toutes ces nuits d'attendre... l'absence maintenant qui porte un nom, les pensées errent d'image en image de toi, Corya. Corya c'est le nom de l'amour et le corps de l'amour c'est le tien, que mes mains cherchent dans ce vide, à cette place qui t'as reconnue et t'attend, qui se prépare dans la nuit et...
Il n'y avait eu que sept jours d'ivresse mais Il ne voulait voir dans les semaines qui passaient sans elle qu'une parenthèse. Il ne voulait que faire provision d'amour pour elle à son retour. Il ressentait une patience d'impatience... "Imaginez-vous qu'ils s'écrivaient, ces tourtereaux..." (Aragon, Blanche ou l'oubli) LES lettres de Corya arrivaient chaque jour... Hier, je me promenais, distraite, dans les rues de Lisbonne, et je tombe nez à nez avec un grand drap, qui m'enveloppe et me caresse doucement fraîchement avec un sens propre d'odeur réconfortante... Je me suis rappelé tous les malheureux qui, distraits, se cognent contre les poteaux... J'ai un regret, sur les villes, les grandes villes comme Paris où l'intimité est gardée cmme un intérieur incommunicable... où c'est interdit dans les trottoirs d'étendre simplement des grands draps qui vous réconfortent quand tu les sens en passant ou tout simplement en les regardant... la confusion, la bagarre des gens qui ne se taisent pas, loin de ce que tu imagines, et qui te fais peur... Les LETTRES de Corya arrivaient chaque jour... tu me fais de plus en plus peur... les défenses naturelles renaissent contre toi et mon coeur chagriné pense déjà à une fin... c'est une exagération qui existe un peu... j'ai envie de pleurer... Les lettres DE Corya arrivaient chaque jour... j'étais très heureuse de recevoir la carte de Chagall avec les belles fleurs roses... je suis heureuse que tu me dises de ne pas avoir peur... j'aime ces fleurs, pour toi... tu me manques très fort... Par moments j'aimerais VRAIMENT que mon séjour ici n'existe plus... les moments sont rares où je suis ici heureuse de l'être... Les lettres de CORYA arrivaient chaque jour... j'avais besoin d'une parole pour tranquilliser, je suis bien, je t'écris... je suis dans le train pour Porto... Je t'embrasse avec des lettres... j'ai très envie de te revoir... Les lettres de Corya ARRIVAIENT chaque jour... tu me manques beaucoup... je ne vois vraiment pas -j'ai beau chercher- une raison pour être encore là... Je meurs d'envie de te voir... j'imagine mille choses... j'ai envie de te dire que je t'... mais il n'est pas bon de tout avouer surtout lorsqu'on est sûr de rien... Les lettres de Corya arrivaient CHAQUE jour... je suis heureuse que tu me reçoives les bras ouverts, la porte ouverte, les rues ouvertes, le coeur ouvert, tout ouvert... Les lettres de Corya arrivaient chaque JOUR... Allô, j'arrive !