DEUXIEME CHORUS

créoliser penser 13

Nous sommes des hommes de culture, donc de réflexion et de création. Nous sommes par vocation bâtisseurs de beauté et messagers de justice et de fraternité. Nous tissons et meublons l’univers humain de ces formes magiques qui sont fondement et armature de la nouvelle société.

Alioune Diop, écrivain14

Si, de leur identité, les Noiraméricains15 inventent en métissant un art nouveau qui renouvelle l’art, il y a lieu pour en parler de s’abreuver aux sources culturelles où puisent ses singularités. On l’a peu fait. Beaucoup parlé blanc, moins noir. Depuis, on est en France sourd, ou lourd. Meilleur serait un choeur bigarré. Un big band critique pour une polyrythmie culturelle, une harmonie de voix plurielle, prenant leçon d’ensemble, pour faire le son ensemble.

La « critique de jazz » en France s’est très tôt instituée en Eglise. Ses papes successifs ont mené leurs guerres de religions, chacun armé de la « vraie foi » en sa définition éphémère et stérile d’un jazz qui, pour rester lui-même, s’empressait de les fuir. Des décennies durant, on a vu ce petit monde courir après le furet. Faute d’une musicologie adaptée, dépourvus de rigueur sociologique16, gonflés d’intellectualisme universitaire, aveuglés par leurs passions idéologiques, radotant les variantes de leur vulgate, ces figures classiques du sectarisme17 ne pourront qu’échouer sur une plage sans pavés, entre récifs à « mort du jazz » et sables mouvants du spectacle marchand, où les velléités de résistance seront noyées dans la publicité glacée. Adorno18 doit bien rigoler. Religieux du jazz, nous voilà !

D’un pape à l’autre, ils ont tous eu, un temps, raison, même en ayant tort, car peu ou prou ils diffusaient en France le jazz, dont ils ont su parce qu’ils l’aimaient transmettre l’essentiel : la musique. Pape hot et son vrai jazz19. Pape qui cherche l’essence et qui rencontre des problèmes20. Pape nous qui savons en ses Cahiers21. Pape à chroniques22. Pape des ondes nationales23. Pape hier mâché24. Papes de papiers25. Pape free jaloux de son Power26. Pape au zob sec27. Papoteurs pour discothèques de gentilhommes post-modernes28, branchés sur le supermarché multimédias. Sous-pape esthète fin de siècle29. Pape à romances30. L’Angel hic white spirit révisitant les enfants de l’Afrique31, fermant un siècle après la boucle des histoires d’une musique de nègres qui ne leur devrait rien : au départ, ce n’était pas de la musique, à l’arrivée c’est celle de l’Occident.

Hodeir disait un jour que l’universalité du jazz ne faisait pas de problème : son destin est lié à celui de la civilisation occidentale, celle-ci est en expansion, et le jazz l’est avec elle.

André Malson, Docteur en jazz, 1964

... pour qu’il cesse d’être perçu comme l’ultime avatar de l’occidentalisation du monde, il faut aussi que l’Occident cesse de se considérer comme l’unique figure de l’avenir de l’humanité. Son indéracinable culture de la suprématie, la volonté hégémonique dont il continue de faire preuve en toutes circonstances et le souci obsidionnal de sa centralité ont été jusqu’ici le terreau le plus fertile des passions réactives dont les Suds ne cessent d’essuyer les violences. C’est pourtant ce double abandon, par les Occidentaux de leurs certitudes et par les autres de leurs crispations, qui pourrait annoncer de nouveaux recommencements.

Sophie Bessis, historienne et journaliste, 2001

Ces discours s’inscrivent à partir des années cinquante dans les courants de l’intellitgensia française. Ils promouvaient certes le jazz et ce n’était pas rien. Pourtant, par-delà ses oppositions stylistiques, esthétiques ou socio-politiques, et malgré ses fusées éclairantes, la critique de jazz française s’est globalement distinguée, à des degrés divers, par une incapacité à dépasser son euro-égocentrisme culturel, qui jette un voile sur les réalités du monde, et fait sa tache aveugle. Où elle s’est mis le doigt dans l’oeil, car cela pose, vue la nature multiculturelle de l’objet, un problème récurrent : la place de l’«autre », celui qui fait le jazz32. Lui, afro-américain33, métisse : il joue. Le critique blanfrançais explique : il sait.

Je m’en prends à la racine même - et peut-être à l’intention - du langage dans lequel on écrit l’histoire... C’est exactement ainsi qu’a commencé cette musique nommée jazz, née de la même nécessité : non seulement pour racheter une histoire non écrite et méprisée, mais aussi pour mettre en échec la conception européenne du monde. Car, jusqu’à présent, lorsque nous parlons d’histoire, nous ne parlons que de la façon dont l’Europe voyait - et voit - le monde.

James Baldwin, écrivain, 1979

Ha les heures frileuses des free-loosers qui ont perdu la liberté de dire pour gagner le pouvoir de se taire. Power! Silence dans l’élan. On ne discute pas. On prie. Bigots. Confesses. Paroisses. Ragots. Ils l’ont décidé. Ils l’ont suicidé : leur jazz est décédé. Scellés les CDs. A céder. Brader, d’autres s’en chargeront. Obsèques mafieuses. Grandes pompes obséquieuses. Fin de l’histoire34. No futur. Black out. Revenu de la messe, on éteint les lumières du siècle.

L’époque est post-, elle se dit post-, elle hérite du post-. Or le problème de l’art et d’une pensée de l’art (...) est celui des historicités. Et le post- n’est pas une simple suite, un après comme tous les après. C’est un refus de sa propre historicité, plus qu’une dénégation de son historicité. Une vocation à ne pas exister. Par amour de l’art. L’amour de l’art est la mort de l’art.

Henri Meschonnic, théoricien du langage et poète, 1995

Alors que les uns ferment dans le noir, d’autres gèrent l’héritage sous les spots post-modernes. Les experts35 se réquisitionnent en putes de la pub sur le trottoir du magasin culturel. Alors que les enjeux du jazz ont cessé d’être centralement afro-américains, un Pape noir succède aux blancs pontifes et dit l’office en bas latin figé. Ce nouveau Messie virtuosé de conservatoire, ce VRP unicarte sponsorisé du jazz politiquement correct révise l’histoire de la musique de «son peuple» et alimente l’ordre propret des choses au pays de la vente immaculée36. Car la fumée d’un pape à l’autre est toujours blanche, qui fait écran aux ancêtres gênants et stérilise le jazz dans la conserverie formelle qu’il avait hier fuit pour souffler vif sur les braises, ailleurs où

loin des églises les jazz des infidèles continuent à danser

Tandis que les premiers « modernes » recherchaient dans l’histoire de nouvelles intuitions, la modernité « académisée » veut réécrire l’histoire comme une caution de ce qui est. Rejettant toute contradiction, elle apparaît comme l’antithèse de la curiosité moderne.

Benoît Duteurtre, écrivain, 1995

 

Où l’on voit se mêler les enjeux de l’histoire, du présent et de l’avenir. Car tricher aujourd’hui c’est piétiner sa propre mémoire, déraciner l’espoir et perdre tout sens d’orientation. D’où la nécessité de repenser l’histoire du jazz et sa critique. Où il apparaîtra que celle-ci reste à nourrir encore de son objet et qu’il peut éclairer plus largement une pensée critique.

La Négritude, cela je le dois au jazz.

Michel Leiris, écrivain, 1984

Penser donc mais tisser, métisser la pensée, pour méditer sans censurer. Resituer dans l’histoire sans oubli. Remettre en perspectives sans oeillères. Décoller son blanc nez du nombril. En débrancher les tuyaux du marché. Faire mots dire aux maudits tabous. Ceux des « histoires du jazz » euro-centrées, qui n’ont jamais su ni cherché ce qu’un inconscient blanc comme neige leur cachait. Leur vulgate : l’Afrique est effacée, lessivée par l’esclavage en Amérique du Nord, et diluée, mais seulement en spécificités musicales, dans la genèse et l’évolution du jazz37. Sans bien entendre la psyché qui continue l’Afrique : l’ontologie existencielle38 qui nourrit la constitution d’une identité afro-américaine en quête de libération, à l’oeuvre dans le jazz afro-américain39, la longue reconstruction d’une humanité et d’un destin commun par ceux qu’on comptait comme des bêtes. Eux qui ont engagé il y a quatre siècles la tâche humaine qui nous attend tous. Eux qui nous ont appris, du coeur de l’Empire naissant, comment se forge une conscience de multitude, eux qui en ont battu musique.

La spiritualité africaine ne pouvait s’exprimer à travers les vieilles religions, ce n'était pas autorisé. Elle a trouvé un exutoire dans l’Eglise noire d'Amérique. Et c'est arrivé de différentes façons partout où étaient les Africains. Vous trouverez ce genre de spiritualité là où nous sommes. Quand j'étais gosse, mon père me disait que je devais comprendre l'Afrique pour me comprendre moi-même. Sinon, j'aurais une tête européenne, pas africaine. L'Afrique est le foyer de l'humanité, de nous tous. J'essaie d'utiliser la musique africaine pour nous rassembler, pas nous éloigner. Un bon concert rapproche les gens, non ?

Randy Weston, musicien, 1998

 

Où les « histoires du jazz » qu’on raconte au début du 21ème siècle40 pour édifier la jeunesse française partagent pour le moins, avec les relectures du colonialisme, des silences, quand l’Occident fait « repentance » de ses crimes, lave plus blanc pour mondialiser sa suprématie, fût-ce en utilisant les « différences » qui justifient son nouveau racisme impérial41. Où l’on préfère parfois les Noirs des autres.

La volonté actuelle d’oublier les questionnements d’il y a trente ans pour restaurer le lustre de l’aventure coloniale, le refus de la majorité des Européens et des Américains de s’interroger plus avant sur les ressorts de leurs rapports aux autres, montrent leur incapacité à se représenter un monde qui ne serait pas construit autour de leur centralité.

Sophie Bessis, 2001

Où l’on cherche à trier encore au nom de ce nom jazz ce qui en relèverait ou non. Quand ceux qui continuent continuent sous ce nom, sans lui, ou contre lui42. Quand sous ce nom il ne continue pas toujours. Où l’on préfère l’étiquette à l’éthique : world jazz, jazz français, jazz européen, jazz africain, jazz oriental... : jazz ethnique ? Où l’on revient à la case départ (celle de l’Oncle Tom ?) car depuis le début, l’étiquette est idéologie43, refus d’un concept et en lui de l’affect. Misère d’un nominalisme : il ne faut pas appeler la chose par un nom qu’elle refuse. La vie n’entre pas dans la cage des mots.

Les définitions de la musique sont réservées au pouvoir, à la structure politique.

Anthony Braxton, musicien, 1995, TrA

Où l’on en vient, sauf notables exceptions44, à considérer que « l’originalité première » du jazz « aura été de promouvoir, à l’intérieur du langage occidental, cette valeur de vécu que nos sociétés ont toujours eu si fortement tendance à évacuer»45. De cet art fait par d’autres l’intérêt principal serait pour nous. Certes, on l’aime... mais en quoi ? Car on dit moins ce que, le faisant pour eux, ces autres font pour tous. C’est que le loup est dans la bergerie. Il est connu comme le bon berger. Il gère et trie - de gériatrie - sa sélection bêlante de vieux visage pâle pour le marché bestial du disque46. Prétendu allergique à l’attraction des masses, le jazz est encore bon pour le parc de loisirs d’une élite cultivée, pour le marché du goût ou des ambiances : jazz de dessert, désert du jazz, dont les pourvoyeurs médiatiques affichent leur virginité en perpétuant les vieilles querelles jazzistiques à la française : exception culturelle ? De cette même France qui n’entend pas entendre ceux qui métissent le français ? De celle qui refoule son propre passé colonial et maquille sa honteuse présence africaine pour mieux abandonner ses ex-colonies ? De celle qui crie « Racistes ! Front National ! » mais banalise la séparation sociale par l’origine et vend aux dupes de basse politique sa marchandise globale ? De celle qui met en vitrine ses « valeurs » mais ne veut pas savoir comment on crève dans les sous-mondes ? De cette France qui joue et jouit petit en croyant rester « grande », ou européenne ?

L’oubli du monde est idéologie puisqu’il construit un autre monde.

Serge Halimi, journaliste, 1997

Pour dire le jazz, il faut écouter ceux qui parlent-jouent, du lieu où ils le font et pour ce qu’ils en font. Selon qu’ils furent d’abord musiciens noirs. Selon qu’ils sont depuis artistes of all colored peoples, héritant des anciens, méritant au présent l’avenir.

Encore faut-il leur donner une écoute - au moins prêter l’oreille. Et qui l’a, sinon absolue, du moins assez fine pour les entendre en tous sens ?

Philippe Carles, journaliste et critique, 2001

Comment alors dire le jazz sans assourdir de mots la musique, qui ne les requiert pas pour accomplir son oeuvre ?

C’est la philosophie de la musique noire qui est essentielle, et cette philosophie est seulement en partie le résultat de la disposition des Noirs en Amérique (...). L’analyse musicologique stricte du jazz ( ...) est une voie de la critique aussi limitée qu’une approche strictement sociologique.

Leroi Jones, poète, dramaturge et critique, 1963

Comment dire la singularité du jazz ? Si l’on entend qu’il continue, et donc qu’il n’est pas mort d’arrêt d’accords, de spécificités musicales ou de socio-logiques morbides, de centrismes raciaux ou de ratios sans traits, d’obsessions en prises de notes ou de têtes, en crises d’esthètes... Laisse tes tics au musée !47 Quelque chose de l’ordre d’une permanence, d’une continuité traversant les époques, styles, formules orchestrales ou instrumentales... ? Quelque chose qui, sans prendre la tangente essentialiste, dessinerait l’enveloppe d’une unité plurielle dans le temps et l’espace ? Quelque chose qui serait là depuis le début, dès la genèse, tigre dans le moteur à explosions, dansant dans ses révolutions, garant d’un avenir qui le reconnaîtrait ? Quelque chose qui distinguerait une reconnaissance ?

Il y a une nécessité et une urgence de la poétique, par la nécessité et l’urgence de l’éthique et du politique en elle.

Henri Meschonnic, 1995

Comment tenir ensemble : l’histoire, la psychologie jusqu’en l’économie politique, les cultures, l’art des hommes et des femmes en leur musique. Par la philosophie ? L’art est trop lourd de vie pour elle. Vision du monde ? Mieux : praxis poétique. Perception, intuition, conceptualisation. En rotation. Raison et affectivité, objectivité plus feeling. Baignées dans le fleuve jamais le même d’une éthique48. Rien que ça. Ça ou rien. Le jazz est éthique ou n’est pas, n’est plus le jazz. Mais seulement de ça, fort de ça, il est continué. Ethique de la modernité, de l’universalité, conscience de la multitude, de l’être en soi des autres au monde, présence au présent des oeuvres comme sujets.

jazz en conscience est le rythme de l’âme

Avec le jazz (elle joue aussi de la contrebasse en contexte classique), je m’aperçois que j’ai affaire à plus d’humanité, à plus de fragilité. Cette musique, devenue universelle, représente un état créatif constant, un état de liberté et de révolte ; le risque d’être soi et de chercher. C’est une musique de coeur, d’âme, de questions, où le musicien est responsable.

Joëlle Léandre, musicienne, 2001

 

 

 

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13 N’ignorant pas les débats sur la notion de créolisation, je la retiens ici parce qu’elle dit clairement qui fait le métissage. Philippe Carles/Jean-Louis Comolli, FreeJazz BlackPower, 1967 : Définir le jazz comme « musique syncrétique », « synthèse des influences occidentales et africaines », peut sembler constituer la prise en compte de ces différences ; c’en est en fait la méconnaissance, dans la mesure où elles ne sont convoquées qu’une fois pour toutes, à la naissance (mythique) du jazz, et donc tenues pour résolues depuis, synthétisées précisément.

14 Alioune Diop fonde en 1947 la revue Présence africaine, rejoint par Senghor, Leiris, Sartre, Richard Wright. Il organise le Festival Mondial d'Arts Nègres à Dakar en 1966, où Senghor invite Duke Ellington, qui présente La plus belle Africaine.

15 Noiraméricain, selon le néologisme de Eddy L. Harris dans Harlem : Blackamerican et sa traduction par Christine Denizon.

16 Pierre Bourdieu qui ne pense pas l’art s’y cassera une dent, dans les années soixante.

17 Penser aux religions, idéologies, corps d’Etat, sciences séparées, héritiers de Freud, institutions usées des utopies sociales*, avatars des troubles fois nouvelles : consuméristes, statistiques, sportives, culturelles, communicationnelles, boursières, etc. * Ironie de l’histoire, les « révolutionnaires » héritiers de ces utopies se sont enlisés dans le système institutionnel qu’elles se donnaient pour but de renverser : communistes ligotés, trozkistes découpés, anarchistes plombés ou situationnistes spectacularisés. Leur impuissance conceptuelle à comprendre les enjeux actuels et à s’inscrire concrètement dans les dynamiques alternatives traduit ceci : en tant que porteurs des possibles, leur avenir politique est derrière eux. C’est ce qui arrive quand on préfère l’église à la foi, la foi à l’utopie concrète, la lutte finale à la lutte initiale.

Toutes proportions gardées, un parallèle est à saisir entre les destins des mots jazz et communisme : idéaux inventés sous ces noms, ce qu’on en a fait, et où ils sont continués, congelés, ou trahis. Exemple des icônes de John Coltrane et Che Guevarra.

18 Il vouait le jazz, agréable à danser mais détestable à écouter, au fétichisme de la marchandise dans la culture de masse.

19 Hugues Panassié : propagateur du jazz en France avant la deuxième guerre mondiale, fondateur en 1932 du Hot Club de France. Il refuse après-guerre l’évolution du jazz dans le be-bop, qualifié d’anti-jazz.

20 André Hodeir (voir note 2) défend le « jazz moderne » contre Panassié. Il emprunte des éléments à Ellington et au be-bop pour ses compositions (improvisation simulée...). Il prétendra, après le free-jazz, que le salut du jazz est dans l’écriture. Denis Levaillant : Cet attachement à un style daté étendu à toute la musique possible (L’improvisation musicale, 1981).

21 Lucien Malson : Les maîtres du jazz (Que sais-je, 1952) et autres ouvrages réédités pendant quarante ans (Histoire du jazz...). Fondateur de la revue Les cahiers du jazz. Chroniqueur au journal Le Monde. Homme de radio.

22 Boris Vian : Chroniques dans JazzHot, de 1946 à 1958. Talent énorme. Une plume. Humour et flair variables. Polémiqueur plus que critique. Souvent injuste. Mais cadavre intouchable.

23 André Francis : Jazz, 1958, et autres. Django d’Or 1997 pour ses 50 ans de jazz à la radio.

24 Hugues Panassié, après le schisme des années cinquante, continue à promouvoir le vrai jazz jusqu’à sa mort, en 1974.

25 Les trois revues mensuelles françaises, entretenant le flou de ce qui les distinguerait, ne font plus que gérer : Informations-concerts, chroniques au fil du marketing. Interviews bonnes à lire. Absence de toute analyse musicale. Réflexion à la retraite.

26 Philippe Carles et Jean-Louis Comolli : Free Jazz Black Power, 1971. Ce livre replace l’histoire du jazz dans le contexte historique et socio-politique afro-américain. A l’occasion de ses rééditions (la dernière en 2000), il est jugé « incontournable » sans qu’on en garde pour autant l’essentiel (voir note 39), ni qu’on en critique les limites : son impensé de l’art comme du politique. Philippe Carles est rédacteur en chef du mensuel JazzMagazine et producteur à France Musique depuis 1971.

27 Michel-Claude Jalard : Le jazz est-il encore possible ? 1986. Historiquement, le jazz appartient au passé, il faut s’y résoudre.

28 Les ouvrages du genre Le meilleur du jazz en 200 CD... et tout ce qui le présente comme prêt-à-porter culturel.

29 Gilles Mouëllic : Le jazz, une esthétique du 20ème siècle, 2000. Fige 15 ans après dans ses réponses les questions de Jalard.

30 Alain Gerber. Grande plume du jazz et romancier. Philosophe pensant le jazz dans les années 60/70 (Le jazz et la pensée de notre temps, 1966, Coltrane, 1972). Chroniqueur pour la revue Diapason. Compilateur de ses écrits. Lecteur de lui-même à la radio. Un maître critique de la grande époque. Un mentir-vrai du jazz (lire son Lester Young).

31 René Langel : Le jazz orphelin de l’Afrique, 2000. Ce livre constitue une véritable entreprise révisionniste. Il dénie, par un montage d’arguments fouillés mais étroitement sélectifs, ignorants et tendancieux, la part africaine des origines du jazz. Il a figuré plus d’un an en première place sur les étals des libraires. L’auteur est un des promoteurs du festival de Montreux.

32 Ce sont par exemple les alertes de Michel Leiris : Race et civilisation, 1951

33 J’y inclus les Blancs et autres non-Blacks qui ont apporté leur pierre au jazz dans sa période afro-américaine.

34 Cf notes 27 et 29, 45, 101 et 104. Mais Michel-Claude Jalard est conséquent, il ne fait pas semblant de continuer.

35 Une critique visionnaire du rôle idéologique des experts est faite dès les années soixante par les « situationnistes », et notamment Raoul Vaneigem : Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, 1967

36 Winton Marsalis, trompettiste virtuose, et idéologue charismatique du jazz afro-américain. Il relance dans les années 80 l’intérêt pour le jazz, en le centrant sur ses caractéristiques musicales traditionnelles, et en privilégiant la relecture voire l’interprétation de cette Grande musique américaine : Swinguer, jouer le blues sont les fondements de notre musique. La musique de Duke Ellington est une de nos valeurs essentielles... l’improvisation, la création de solos cohérents dans un environnement swinguant ; voilà nos valeurs fondamentales. Nos valeurs essentielles sont fondées sur le swing... En 2000, il produit avec Ken Burns une série télévisée très documentée, JAZZ, dont la promotion est assurée par la General Motors. Les CDs suivent, les ventes de « jazz » sont multipliées par deux aux Etats-Unis, qui découvrent leur « musique créative », avec pour la circonstance l’oubli de figures majeures (Benny Carter, Woody Herman, Erroll Garner, Shelly Manne, Art Pepper, Bill Evans, Albert Ayler, Sun Ra, Anthony Brawton, Keith Jarrett...) et un déséquilibre gênant : les 40 dernières années traitées en un épisode sur dix ; le free-jazz réduit à Ornette Coleman... le jazz contemporain quasi inexistant, l’absence du jazz hors les Etats-Unis etc. A la décharge de Marsalis : un travail de terrain dans la communauté noire, dont on peut espérer qu’il restera quelque chose, si les jeunes musiciens formés à cette école trouvent, à la maturité, leur propre subjectivation.

37 C’est d’ailleurs faire peu de cas de la forte immigration caraïbo-antillaise au début du siècle. Les brassages sont permanents avec ces zones où les conditions de l’esclavage ont davantage préservé les cultures africaines.

38 Leopold Senghor : Les lois de la culture négro-africaine, 1956

39 Leroi Jones : Le peuple du Blues, la musique noire dans l’Amérique blanche, 1963. Premier critique de jazz noir et chantre de la Blackitude, il montre comment la musique religieuse ou profane est extérieurement le seul vecteur de mémoire africaine, mais jamais il ne coupe la musique de la vision du monde et de l’éthique sous-jacentes. Depuis, les recherches ont mis en avant les survivances dans la vie quotidienne (famille, religion, black speech...), y compris les influences dans l’Amérique blanche de la culture noire (agriculture, cuisine etc.). Un afrocentrisme d’époque, que Jones a nuancé depuis, marque cet ouvrage mais n’en invalide pas l’essentiel.. C’est le mérite de FreeJazzBlackPower de s’en être fait en France l’écho (note 26).

40 On (re)lira sous cet angle les livres de vulgarisations, qui n’échappent pas à la vulgate. Exemple, dans leurs prémisses, L’odyssée du jazz de Noël Balen et Le jazz dans tous ses états, 2001, de Frank Bergerot, rédac chef adjoint de Jazzman

41 Voir les travaux d’Etienne Balibar : L’avenir du racisme, racisme universel... 1988, et Hardt/Négri : Empire, 2000

42 Depuis les années vingt, de Sidney Bechet et Duke Ellington à Steve Coleman, en passant par Miles Davis, Thelonious Monk... les musiciens rejettent ce mot, ce qui fait dire à Francis Marmande (La police des caractères, 2001) que « c’est avec ce mot, contre lui, que s’est faite la musique décisive du siècle ». D’où, ici, les guillemets à jazz...

43 L’origine du mot jazz... jass... est connotée bordel, sexe etc. Mais Dizzy Gillespie (To be or not to bop, autobiographie, 1979) signale la possibilité d’une origine africaine, du malenke jasi, qui signifie se comporter d’une manière extravagante, sortant de l’ordinaire, et pas extension, vivre à un rythme accéléré, sous pression, et sans inhibition.

44 Par ex. Alexandre Pierrepont : À jamais, à présent, le champ jazzistique en son temps, Jazz et anthropologie, L’homme 2001.

45 Michel-Claude Jalard, Le jazz est-il encore possible ? 1986

46 Le jazz représentait, en 2000, 2,7 % du marché du disque en France, soit 200 millions de francs (30 M€). Messier est loin.

47 Pour Michel Portal : Ce qui me manque, ce sont des gens autour de moi, comment dire ?... Il y a très longtemps que je ne parle plus que de musique. Avant je parlais de la vie. Maintenant je suis dans un truc esthétique. Es-thé-ti-que (là il y a un jeu de mots à faire mais je ne sais pas encore lequel) ... Je me suis coupé de quelque chose...

48 Heraclite : On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve, traduction Kostas Axelos

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