- de la fabrique poétique du jazz

Je ne cherche pas. Je trouve.

Pablo PICASSO, Conversation avec Christian Zervos, Cahiers d'Art, 1935

 

Ce qui pour vous est un obstacle, c’est votre volupté trop tendue vers une fin. Vous pensez que ce que vous ne faites pas par vous-même ne se produira pas.

Eugen HERRIGEL (1884-1955), Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, 1953

 

La création importe moins que le processus qui engendre l’oeuvre, que l’acte de créer. L’état de créativité fait l’artiste, et non le musée.

Raoul VANEIGEM, Traité de savoir-vivre.... 1967, P. 260-261

Ethique du jazz, donc éthique des jazz(woo)men. C’est d’une évidente logique. Mais des considérations esthétiques - propres au procès de la création - motivent aussi ce choix de faire parler les musicien(ne)s. Le moine Zen Jacques Foussadier rejoint parfaitement l’idée de Vaneigem quand il parle de l’art du tir à l’arc ou de la calligraphie :

Si l'on considère l'action : tirer la flèche, et la réalisation : atteindre le but, tout cela se réalise dans le temps présent et le temps d'après, l'acte et sa réalisation doivent être à nouveau pratiqués, et ainsi de suite...

Ce qui fait apparaître que le but n'est pas un point final, mais un point constamment mobile. Cette mobilité exige une pratique sans interruption.

Dans la pratique il y a d'innombrables buts, chaque instant possède le sien, mais il ne faut pas penser l'atteindre consciemment. Le fait de pratiquer inclut le but. L'un et l'autre, loin d'être séparés, forment une unité indissoluble.

Il en résulte une profonde et continuelle transformation de soi-même, par-delà les bons et les mauvais résultats. Les erreurs deviennent des expériences profitables car la répétition permet de les reconnaître et de les éviter. Ainsi, c'est par les erreurs que l'on s'améliore.

JACQUES FOUSSADIER, moine Zen, Pratique de la calligraphie chinoise, BuddhaLine

Lui aussi fait le lien avec la célèbre formule de Picasso, qu’il cite :

L’art véritable ne réside pas dans la beauté de la peinture, mais dans l'action de peindre, dans ce mouvement dramatique et dynamique qui va d'un effort vers un autre effort. Il en est de même pour la pensée et je suis plus intéressé par son mouvement que par elle-même. La calligraphie zen, c'est exactement cela.

Pablo PICASSO, cité par Jacques Foussadier

Je suis persuadé, pour en avoir fait l’expérience - en jazz, en peinture et par la poésie - qu’une connaissance de l’intérieur des conditions et surtout du processus de la création est indispensable pour en saisir la dynamique essentielle. C’est beaucoup plus qu’une affaire de technique : je veux dire que cela ne tient pas fondamentalement au fait que celui qui ne possèderait pas la maîtrise du matériau (dans un sens pouvant inclure la théorie musicale comme le thème, la maîtrise instrumentale, celle de l’improvisation...), et celle de l’expression serait incompétent pour en parler. Cela tient à ce qui se passe dans le processus même de la création, entre les intentions de départ et le résultat de l’oeuvre, qui ne s’élabore pas selon un cheminement linéaire, pour n’être que l’aboutissement d’une programmation. C’est plus vrai encore dans la création « en temps réel » qu’est l’improvisation et davantage encore si elle est collective : l’oeuvre, serait-elle grandiose, n’est jamais l’aboutissement conforme d’un projet a priori. Le témoignage de Miles Davis sur son oeuvre célébrissime, Kind of Blue, est instructif :

"Kind of Blue" est sorti lui aussi avec des trucs modaux amorcés avec "Milestones". Mais cette fois-ci, j'avais ajouté un autre type de son, venu de l'époque où, dans l'Arkansas, on rentrait de l'église en entendant de super gospels. Ce type de feeling m'est revenu, je me suis souvenu du son de cette musique. Ce feeling s'est infiltré dans mon sang créatif, mon imagination... J'ai écrit un blues qui essayait de retrouver ce que j'avais éprouvé à six ans, quand je m'engageais à six ans sur cette route obscure de l'Arkansas. J'en ai écrit cinq mesures que j'ai enregistrées, puis au mixage j'ai ajouté un son fluide, seule façon pour moi de retrouver le son de la sanza. Mais voilà, on écrit quelque chose, les autres s'en écartent et l'emmènent ailleurs, par leur créativité et leur imagination, et on rate ce qu'on pensait être son but. J'essayais de faire une chose, je me suis retrouvé à en faire une autre.
(...)
Quand je dis aux gens que j'ai raté ce que je voulais faire sur "Kind of Blue", que je n'ai pas réussi à y retrouver le son exact de la sanza africaine, ils me regardent comme si j'étais fou. Tout le monde a dit que ce disque était un chef-d'oeuvre - et je l'adore aussi. Ils croient donc que j'essaie de les faire marcher. Voilà pourtant ce que j'essayais de faire sur la plus grande partie de ce disque, en particulier "All Blues" et "So What". Et j'ai échoué.

Miles DAVIS, avec Q. Troupe, Miles l’autobiographie, B2


En substance, une oeuvre peut être jugée satisfaisante par ses auteurs, voire géniale par le public, tout en étant, du point de vue projeté à l’origine, un raté. C’est même souvent comme cela que l’artiste se construit une expression propre, un « style » personnel : par sa concentration, l’écoute de « défauts », de « fausses » notes qu’il acceptera ou non comme « justes », son attention aux surprises surgissant de l’oeuvre qu’il met en travail. (cf Luigi Pareyson).

... Monk prenait des choses et les transformait. Il avait aussi une qualité unique quand son écriture n’était pas claire : il n’utilisait jamais de gomme et ne faisait pas de ratures. Mais il avait une caractéristique des plus inhabituelles que je connaisse chez un musicien. Il pouvait prendre une idée - voire une erreur (mistake) - la garder et jouer avec, tant et si bien qu’elle ne restait pas longtemps une erreur. Il l’intégrait à sa pièce. Vraiment unique !

Milt JACKSON (1 1923-2000), vibraphoniste et compositeur,

Down Beat novembre 1999, Lessons from Bags, Jon Faddis, TrA

Le pianiste Kenny Werner relève cette caractéristique du jeu de Monk et l’établit comme démarche de création, attitude à adopter relativement à l’improvisation, dans un ouvrage destiné aux musiciens, en 1996. Il l’appelle The Monk Principle :

Il y a certes de meilleurs pianistes un peu partout aujourd’hui. Alors pourquoi Thelonious Monk fut-il si révéré ? La réponse est qu’il avait la profondeur du son, l’arrogance de jouer ce qu’il voulait. Il n’avait pas d’inhibitions et fortifiait son esprit. Derrière chaque note il y avait l’idée « c’est la vérité ». Il ne croyait pas aux fausses notes. Il croyait qu’elles étaient justes, du seul fait qu’il les jouait.

Kenny WERNER (1952), Effortless Mastery,

Liberating the Master Musicien within, 1996, TrA

Ce n’est pas tout à fait la même idée qu’explique ici les guitaristes Jimmy RANEY et John McLAUGHLIN, mais l’on y sent bien en quoi jouer le jeu de l’improvisation confère sa nature au processus de création en temps réel : 

Pour moi, un morceau de jazz doit être, au moins pour la plus grande part, une expérience nouvelle. Vous vous lancez, disposant de quelques éléments... idées, forme générale de la musique, expérience de l’improvisation... et va pour le mieux ! C’est essentiellement une prise de risques ! Vous pouvez vous casser la figure ; vous pouvez sortir de ce qui est correct  mais... vous pouvez aussi aboutir à certaines choses et découvrir des idées dont vous n’auriez pas imaginé être porteur... Ah, ce moment où les idées surgissent sans que vous en soyez conscient, comme si vous en étiez le spectateur. Vous essayez des trucs que vous n’avez jamais osés auparavant et, à votre grande surprise ils réussissent, vous incitant à d’autres explorations. Quand vous avez eu cette expérience, vous devenez accro. C’est comme une drogue ; c’est ce qui vous pousse à continuer. D’accord, ça n’arrive pas assez souvent, mais quand c’est le cas, ça vaut le cas ! N’est-ce pas ça, le jazz ?

Jimmy RANEY (1927-199 ?), guitariste, Pochette 33T « Solo » (1976), TrA

 

Chercher la voie, juste aller par les choses connues pour trouver celles qu’on ne connait pas, c’est ce que nous essayons tous de faire. Je veux dire improviser. .. On va par ce qu’on connaît, c’est sécurisant et... soudain les portes s’ouvrent et vous voyez cette incroyable avenue avec toutes sortes d’affluents... C’est le sentiment le plus incroyable qui puisse être ressenti en musique.

John McLAUGHLIN (1942), guitariste, Musician 45, juillet 1982, Robert Fripp, TrA

 

Soudain, comme sortant du néant, des états d’âmes, des sentiments, des souhaits, des soucis, voire des pensées, surgissent en un mélange incohérent. Et ce sont précisément ceux qui viennent de plus loin, ceux qui nous paraissent le plus étrangers, qui ont le moins de rapports avec les objets de notre conscience, ce sont ceux-là qui s’accrochent le plus obstinément.

Eugen HERRIGEL (1884-1955), Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, 1953

Eh bien, cette réalité déterminante dans l’élaboration d’une oeuvre d’art quelle qu’elle soit, et qui fait se sentir l’artiste comme l’ouvrier  à l’écoute de son oeuvre, je ne l’ai véritablement comprise dans sa nature qu’à travers les pratiques dans lesquelles je m’étais engagé, après en être des années resté au stade de la réception, comme amateur de jazz, d’art moderne ou de littérature. Et je dois dire que, pour le jazz, ce n’est pas l’aide de critiques se croyant suffisamment éclairés pour s’autoriser un discours sur les oeuvres, qui m’a aidé dans cette découverte capitale, car il sont généralement, sur de tels aspects du travail artistique, muets si ce n’est ignorants.

« Après tout, l’important est qu’un objet nous plaise », rappelait récemment Gérard Genette (L’oeuvre de l’art, ArtPress 198, janvier 1995). Certes. On concédera volontiers qu’il est parfaitement légitime de refuser une quelconque astreinte masochiste à aimer ce qui déplaît. Mais toute la différence entre l’esthétique et la gastronomie réside dans cette faculté qu’offre la critique de dépasser le hic et nunc de l’oeuvre et d’aller « au-delà » de son apparence et de son évidence.

Le jugement de goût marque le point de départ de la réflexion esthétique ; il ne saurait être son aboutissement.

Marc JIMENEZ, La critique, crise de l’art ou consensus culturel ? 1995, p. 156

Il se trouve pourtant que l’auditeur d’un disque, le spectateur d’un concert, a une tendance naturelle et a priori légitime à considérer le résultat, point final. Au premier stade d’appréciation, cela lui plaît ou non. C’est à se contenter de ce premier niveau de jugement que l’invite une logique commerciale comme la chronique qui se contenterait d’en être la servante. Dans une époque qui produit de l’inculture musicale et rabaisse les oeuvres au niveau de leur reproduction en objets culturels à sélectionner pour les acquérir, ce jugement primaire s’avère nécessaire et suffisant. Il ne lui manque plus que les encouragements d’un journalisme de consumérisme culturel, qui renverra à l’acquéreur son image satisfaisante de gentilhomme contemporain.

Implicitement, l’auditeur potentiel est invité à percevoir la musique comme résultat direct d’une volonté consciente et maîtrisée de l’artiste, hors contexte, et sans fondement. Au nom de quoi sera formulé un jugement de goût, à travers des affirmations définitives et péremptoires sur ce qu’on lui donne à entendre et voir, et sur le musicien ou le groupe eux-mêmes qu’il ne demandera alors pas à connaître davantage.

C’est seulement dans le meilleur des cas que le critique évitera lui-même ce risque, et donnera à prendre la distance nécessaire. Par l’analyse musicale, certes - quand il en a les moyens, ce dont il ne fait pas toujours la preuve, préférant rester prudent sur un terrain ou d’autres pourraient flairer la supercherie : malgré les efforts d’Hodeir après guerre, la tradition critique du jazz est restée largement mutilée musicalement, donc fort discrète sur le sujet.

Parallèlement à mon effort de destruction des dogmes les plus arbitraires, j’essayais de constituer une équipe de musiciens journalistes qui, capables de saisir avec lucidité les problèmes de leur art, fussent à même de les faire comprendre à l’amateur. Je ne dissimule pas que cette tentative s’est soldée, malgré les travaux de J. Ledru, d’E. Bernard, d’H. Renaud et de quelques autres, par un demi-échec.

André HODEIR, Hommes et problèmes du jazz, p. 30 (1954)

 

C’est seulement depuis la Deuxième guerre mondiale que la notion même de critique « pure » du jazz, musicale ou esthétique, a pris sérieusement corps, et encore n’est-elle en propre que d’une seule école. Les enseignements biographiques et historiques, les études sur tel ou tel orchestre particulier, les discographies, les discussions sur la nature du jazz, la reconstitution de son milieu social et les critiques de disques ont toujours représenté la matière essentielle des revues de jazz spécialisées : la présence d’une portée de musique y est aussi rare que celle de caractères hébraiques ou chinois dans un livre ordinaire.

L’auteur note - on est au début des 60’s - qu’ « En Amérique, cela cesse d’être le cas », mais 40 ans après, en France, on en est encore là.

Francis NEWTON (Eric HOBSBAWM), Une sociologie du jazz, 1961/trad.1966, p. 232

Mais distance à prendre surtout par le souci de connaître au mieux la genèse et le contexte, voire les motivations musicales ou non de cette création. Mission sans fin, mission impossible ? (voir la taille de l’étude de Constant/Levallet pour une seule oeuvre : Fables of Faubus, de Mingus. Ce qui renvoie à une question sous-entendue par Wittgenstein sur l’esthétique : pour apprécier, il faudrait décrire « la culture de toute une période »). Cela devrait inviter ce commentateur au plus grand respect de ce qui, dans les déterminations, conscientes ou non, de l’artiste, ne peut que lui échapper : savoir, donc, qu’il ne sait pas tout et n’exprimer des opinions qu’en conséquence.

J’aimerais savoir comment on peut se présenter comme chroniqueur aux yeux du monde, et s’exprimer sur Greg Osby sans lui avoir jamais parlé ! Vous ne le connaissez pas et vous ne faites que suppositions et conclusions à partir de ce que vous l’imaginez être. Ce ne sont qu’inexactitudes et falsifications. Ensuite, on en fait de la « documentation ». On copie ça comme référence pour la postérité ; une véritable désinformation, et qui se perpétue : on assomme les étudiants et ceux qui le lisent, tout ça parce que le type qui a écrit cet article était trop paresseux pour appeler quelqu’un et l’interroger sur ce dont est fait sa musique.

Greg OSBY (8 1961), saxophoniste, AllAbout Jazz, janvier 1999, Fred Jung, TrA

Le point de vue du neuro-psychiatre, ci-dessous, qui porte sur la composition, n’aurait besoin que de quelques retouches pour concerner aussi à l’improvisation (dans certaines formes tout au moins) , au point troublant qu’on ne verrait pas en certaines circonstances de différence entre composer instantanément et improviser.

Long est le chemin qui mène de l’esquisse à l’oeuvre

Quelles sont les différentes étapes qui président à l’élaboration d’un ouvrage artistique ? Chez le musicien, on trouve au départ l’idée perçue de façon intuitive, vague schéma auquel devront s’harmoniser les notes, motifs imposés à la pensée comme un chant intérieur, ou quelques accords, essayés un peu au hasard sur l’instrument, dont le compositeur saisit d’emblée toutes les ressources et les multiples variations possibles (changement de rythme, répétition, réexposition, etc.)

A partir de ce thème primordial, le travail de l’artiste commence. Il provoque le jaillissement d’autres structures mélodiques dans la pensée consciente. Le texte se développe au gré de multiples influences, trop hétéroclites pour qu’il soit possible de les analyser. Elles font référence tout aussi bien aux procédés, aux « ficelles » de fabrication, ou à la théorie, qu’aux élans les plus subtils de l’âme. Une modification peut dépendre d’un mouvement infinitésimal de l’humeur, du souvenir d’une partition déjà entendue, du besoin de se différencier d’une pensée musicale connue, ou enfin d’un chatouillis d’innovation formelle » introduit pour émouvoir, soutenir l’attention voire choquer l’auditeur potentiel. Les phrases s’organisent en même temps qu’ells sont soumises à l’épreuve du jugement de l’artiste. Contrôlées, disciplinées, elles s’ordonnent dans un vaste ensemble structuré qui assure l’unité de l’ouvrage. Les thèmes s’articulent les uns aux autres, se succèdent jusqu’à la note finale, donnant à l’auditeur l’impression d’être conduit « par un chemin dont les détours mêmes sont voulus et calculés ». Toutefois, la démarche suivie n’est en rien rigide. Elle varie suivant le type d’oeuvre et surtout suivant le tempérament de l’artiste.

Mozart travaillait très vite (...)

Roger VIGOUROUX, La fabrique du beau, cerveau et création artistique, 1992

C’est bien pourquoi, du plus profond de la fabrique, monte une résistance à des considérations exclusivement esthétiques, qui refuseraient d’en intégrer d’autres, et ne pourraient que tourner le dos à l’éthique, même en l’étriquant : par exemple, tout ce qui constitue la culture du musicien, mais aussi ce qu’est sa vie, et ce qu’est la situation de jeu. Ainsi l’on voit la politique prendre sa place dans une complexité, puisque qu’en réalité, son absence n’est autre que celle du monde réel. Il est une façon de ne pas parler des choses qui fâchent qui vous classe, au choix mais sans faillir, en représentant de commerce, mol esprit ou heureux imbécile, à votre style défendant : c’est le retour du refoulé d’une époque qui a désappris à parler vrai, s’acceptant sans se connaître, et se reproduisant par auto-satisfaction, selon un pragmatisme positiviste d’une logique redoutable : « Puisque c’est comme ça, ça prouve que ça ne peut être autrement ».

La démocratie, réduite à sa plus simple expression, revient à faire ce qui se produit ! Soit dit en passant, c’est là un des plus infâmes cercles vicieux que l’histoire de notre race ait connus.

Robert MUSIL (1880-1942), L’homme sans qualités II, 1933

Voilà bien où le bât blesse les vrais-faux déshérités de Free Jazz Black Power.

Q : Parlez-nous de votre album Nu Blaxploitation. Beau titre...

R : ... Je n’ai pas fait un album de jazz. Nombre de réactions dans la presse traduisent la résistance à ce dont nous parlions, qui est, fondamentalement, le racisme dans ses aspects contemporains. Quand les gens ne veulent pas parler de quelque chose, particulièrement à propos de ce que certains blancs peuvent faire ; quand les gens ne veulent pas aborder un sujet, ils trouvent toujours un prétexte... mais je pense, qu’ils l’admettent ou pas, qu’il s’agit de leur résistance à parler de ça... (Q : de quoi, précisément ?) R : Le harcèlement policier des communautés de couleur. Le genre de choses que beaucoup préfèrent ignorer. Ils savent que ça arrive, mais quand vous les interrogez, ils font comme si ça n’existait pas.

Don BYRON (11 1958), clarinet/comp/cond, AllAboutJazz, octobre 1999, Fred Jung, TrA

En passant, je m’explique ainsi pourquoi ceux qui écrivent le jazz, avec une sensibilité et une pratique artistiques - gens de cinéma ou de théâtre, romanciers ou poètes, mais aussi quelques philosophes... pas nécessairement hommes de jazz -, et donc connaissant intimement les problèmes qui se posent dans la création, ont souvent mieux saisis et transmis les vérités d’une oeuvre de jazz. Ils n’ont pas eux besoin de claironner leur radicalisme. Des connaissances musicales - en termes de technique approfondie - ne sont pas davantage nécessaires à leurs intuitions magistrales, et leur talent sait traduire au plus juste leur pénétrante écoute, celle d’une musique réelle dans la présence d’un monde concret. C’est une affaire de poétique plus que de musicologie. Ou de seconde paire d’oreilles, comme dit Jean-Louis Chautemps citant Nietzsche. Mais là encore, la poétique... chacun la sienne et ce terrain non plus ne manque pas d’être conflictuel...

Alain GERBER fait l’éloge de Michel-Claude JALARD, dans la préface à son ouvrage : Le jazz est-il encore possible ?

Et pourtant... nul n’est moins capable que lui de mener une analyse musicale à la façon d’André Hodeir, de Jacques B. Hess, de Christian Bellest et de quelques autres. L’harmonie a pour lui des secrets que percent à jour, les doigts dans le nez, des enfants de quatre ans. Du moins le prétend-il... La vérité est qu’il s’en moque comme d’une guigne. Heureusement, sans quoi peut-être il n’eût pas poussé aussi loin sa réflexion - aussi loin sur une autre terrain.

L’analyse technique est irremplaçable. Elle-même ne se substitue pas à la critique qu’elle éclaire (quoiqu’il lui arrive d’en nourrir l’illusion). Et la critique n’est qu’une vaine parade d’opinions si l’aptitude lui fait défaut d’instaurer et de promouvoir ses propres critères (...)

Alain GERBER, écrivain, Préf à Le jazz est-il encore... de Michel-Claude Jalard, 1986

IndexBELLEST Christian (trumpet, arg) ; BYRON Don (clarinettiste, comp, arg, lead) ; CHAUTEMPS Jean-Louis (saxophoniste) ; DAVIS Miles (trumpet, comp, lead) ; FOUSSADIER Jacques (moine zen) ; GENETTE Gérard (esthéticien, littérature) ; GERBER Alain (écrivain, critique jazz) ; HERRIGEL Eugen (philosophe) ; HESS Jacques B. (musicologue, critique jazz) ; HOBSBAWM Eric (historien, critique jazz) ; HODEIR André (compositeur, musicologue, écrivain) ; JACKSON Mickael ? ; JALARD Michel Claude (critique jazz) ; JIMENEZ Marc (esthétique, critique) ; LEVALLET Didier (contrebass, com, lead, écrivain) ; MARTIN (Denis-CONSTANT, ethnomusicologue, critique jazz) ; McLAUGHLIN John (guitariste, comp, lead) ; MINGUS Charles ; MONK Thelonious (pianiste, comp, lead) ; MUSIL Robert (écrivain) ; OSBY Greg (saxophoniste, lead) ; PAREYSON Luigi (philosophe, esthétique) ; PICASSO Pablo (peintre, sculpteur) ; RANEY Jimmy (guitariste) ; RENAUD Henri (pianiste, critique jazz) ; VANEIGEM Raoul (homme) ; VIGOUROUX Roger (neuro-psychiatre) ; WERNER Kenny (pianiste, comp, lead) ; WITTGENSTEIN Ludwig (philosophe, mathématicien)
PLAN DU SITE INDEX