- du jazz, langage "universel" ?

IL A ETE PENDU CE MATIN
A L’AUBE UN NEGRE COUPA-
BLE D’AVOIR VOULU FRAN-
CHIR LA LIGNE

Léon-Gontrand DAMAS (1912-1978), Black-Label , 1956

 

Le jazz a réussi, plus que tout autre art, à briser les barrières sociales ; Je n’en connais pas d’autre, en tout cas, qui puisse réunir autour d’une table des joueurs de saxo sortis d’un orphelinat antillais, des soldats américains d’un quartier noir de Cleveland, des journalistes, des professeurs d’université, des commerçants et des souteneurs, pour discuter avec acharnement des différences antre les écoles du jazz de l’Est et celles de la côte Ouest. Dans ce qu’elle a de meilleur encore, la revendication démocratique du jazz signifie simplement que celui-ci réclame le droit de participer sérieusement à l’art, pour un public qui, autrement, en serait à peu près exclus : c’est pourquoi l’attrait qu’il exerce est tellement puissant.

Francis NEWTON (Eric HOBSBAWM), Une sociologie du jazz, 1961 /tr1966, p. 262

 

Le jazz, mal à l’aise dans son siècle, est vocation d’un nouvel univers.

Alain GERBER, Le jazz et la pensée de notre temps, CdJ 14, 1966, p. 21

 

Les premiers hommes foulant le sol de mars n’interrompront pas une fête de village.

Raoul VANEIGEM, Traité de savoir(vivre... 1967, p. 108

 

... pour faire litière de la prétendue universalité du « jazz » : cette musique reçoit à chaque fois sa lumière de l’étincellement d’un sol et d’un ciel, d’un angle de rue sablonneux et de berges arrondies d’où jaillit une planète, des leiux noués par les hommes dans les parages d’adieux et de cratères, et son universalité est celle-là : de communications et de transmissions entre ces endroits et ces envers irréductibles et inséparables, entre des émergences et des implantations qui toutes réinventent localement la musique et le monde.

Alexandre PIERREPONT, Le champ jazzistique en son temps,

l’HOMME, 2001, p. 223

 

Ne pensez surtout pas au jazz, et il revient.

Philippe MEZIAT, disque d’émoi, Suzanne Abduhl, JMag octobre 2001

Je ne résiste pas, car ce livre n’est pas très drôle, et pour servir ceux qui cherchent les racines du « jazz européen » (jusqu’à l’Oural), à rapporter ce texte :

Le caractère musical du jazz soviétique qui prend sa source dans le folklore des diverses régions de la Russie, est plus hardi, plus moderne que celui du jazz américain ; je ne serais pas étonné que l’avenir du jazz soit lié davantage au jazz russe qu’au jazz américain.

Cergio MALAPARTE, écrivain italien, cité par l’Echo Républicain

et repris par Boris VIAN dans JHot, décembre 1951

Allez savoir ...

We played all over the world, playing for different countries and different languages, and I don't speak but one language and that be poor English... In 1953, I played Berlin….and I can't 'COUNT' the number of Russians that cross the line to hear 'our Louie,' that's the way they expressed it, 'our Louie.' Dem Russians really dig good jazz." Louie was excited !

Louis ARMSTRONG (1901-1971), tp/comp/lead, Video Satchmo, Edward R. Murrow, TrA

 

Le jazz parle un langage international. Partout où nous sommes allés, notre musique était acceptée (...) Il en allait ainsi dans tous les pays que nous avons visités. La soif pour le jazz est insatiable.

Lionel HAMPTON (1909), vib/comp/cond, Down Beat, avril 1959, Gene Tuttle, TrA

 

Q : Votre musique est internationale ?

R : Oui, elle est universelle. Regardez, la base de notre musique, c’est le rythme, et la base du rytme que nous jouaons, que les musiciens occidentaux jouent, c’est une base africaine. Sur le plan harmonique, les africains sont au troisième rang ou quelque chose comme ça. Mais nous avons appris les harmonies européennes et les avons fondues avec les rythmes africains, avec l’âme (soul) des esclaves, les blues, les spirituals, nous avons mis tout ça dans le jazz. Down Beat, mai 1972, Mike Lourne, TrA

(...) Aujourd’hui, notre musique est universelle. Elle combine les structures rythmiques africaines, occidentales, et celles de certains pays de l’Est, y ajoute les harmonies de la musique européenne, pimente ce contenu de l’âme des esclaves, de blues et de spirituals, et la recette s’appelle « jazz ». Les nouveaux venus qui jouent du rock actuellement sont en fait en plein gospel, et ils font des choses impossibles à écrire en notes. Je voudrais bien jouer comme eux. Ce fut une erreur de ne pas avoir fait de musique dans mon enfance à l’Eglise sanctifiée, bien que j’en aie beaucoup écouté. Le gospel est une extraordinaire école de solidité et de vitalité, et un genre qui se prête aussi à toutes sortes d’improvisation. Notre musique, je veux dire celle des Noirs, le jazz, est assurée de durer, car elle va constamment de l’avant. Telles ont été quelques-unes des étapes fondamentales dans l’histoire de notre musique aux USA, à laquelle je trouve des similitudes avec l’Histoire qui en Afrique se transmet de génération en génération...

Dizzy GILLESPIE (1917-1993), tp/voc/comp/arg, Autobiog. To be or not to bop, p. 475

 

Q : Pensez-vous que le jazz soit encore aujourd’hui la musique du peuple noir ou bien qu’elle soit devenue universelle ? (première partie de la réponse à la rubrique « peuple »)

R : ... si j’estime que le jazz est à tout le monde, par contre je ne pense pas que ce soit un langage universel. La musique n’est jamais vraiment universelle. Le rythme, lui, est universel mais le jazz proprement dit, non. Tous les êtres humains swinguent sans s’en rendre compte. Quand vous marchez, vous le faites en mesure. Votre coeur, lui aussi, bat en mesure. Quand vous entendez le tambour, vous marchez au pas cadencé ou bien vous claquez des doigts ; c’est bien la preuve que le rythme est à chaque instant autour de nous. Nous avons joué dans certains coins reculés d’Afrique et d’Asie où les gens n’avaient jamais entendu parler du jazz, ni même vu un poste de radio ; pourtant ils n’étaient pas troublés par nos conceptions rythmiques. Ils comprenaient le « beat » du jazz et se laissaient porter par lui mais l’aspect purement musical de notre musique paraissait leur échapper. Il n’évoquait rien pour eux car il ne recoupait pas leur propre musique, leur mode de vie, leur façon de voir les choses.

Art BLAKEY (1919-1990), batteur, JMag 95, 1963, Clouzet/Delorme

 

Nous avons tous une histoire commune, pas seulement les Africains-Américains. Le berceau de l’humanité se trouve en Afrique : c’est de là que nous venons tous. Je vois mon public comme ayant nécessairement du sang africain. Certains en rient, mais c’est vrai : nous provenons de la même famille, du même lieu. Les voyages et l’évolution nous ont donné des couleurs, des formes, des langues différentes mais musique nous réunit. La musique africaine est partout parce qu’elle est la première musique. Que vous veniez de Scandinavie ou de Chine, cette musique vous touche au coeur parce que c’est une musique universelle qui vous apprend que l’humanité est une seule et même famille. C’est le sens de la musique de Louis Armstrong ou Ellington. Ils ont développé une langue universelle.

Randy WESTON (1926), pianiste, JHot 576, décembre 2000, Jean Slamowicz

 

Il y a beaucoup de musiques modales qui sont jouées chaque jour dans le monde. Elles sont particulièrement évidentes en Afrique, mais vous en trouverez à chaque instant en Espagne, en Ecosse, en Inde ou en Chine (...). C’est cet aspect unisversel de la musique qui m’intéresse et m’attire, c’est vers lui que je veux aller.

John COLTRANE (1926-1967), saxophoniste, cité par F-R Simon, Livret-CD Vaderetro

 

Je crois que tous les gens sont en possession de ce qu’on peut appeler un esprit universel. Toute vraie musique parle avec cet esprit universel à l’esprit universel de tous les gens.

Bill EVANS (1929-1980), The universel Mind of Bill Evans : the creative process and self teaching, Rhapsody Fims Inc. 1991, cité par Kenny Werner, Effortless Mastery, TrA

 

Le jazz est une force très importante dans le monde. C’est la seule chose qui relie le monde pour défendre une cause commune. Les gens ne le comprennent pas assez. Ce n’est pas seulement la musique qui est en jeu, mais la force qu’elle véhicule et qui unit les gens.

Sonny ROLLINS (1930), sax/comp, pochette « SR and the contemporary leaders », octobre 1958, cité par Georges Paczinsky, p. 347

 

Q : Et la Perse ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

R : En Perse, c’était très primitif (en 1956). Les choses sont encore telles qu’elles étaient il y a cinq cent ans. Pourtant, une fois mis en train, l’auditoire devenait très chaleureux. A notre arrivée, nous découvrîmes que les Persans n’avaient jamais entendu parler de Louis Armstrong. Nous nous sentions très proches d’eux, de même que des Pakistanais, à cause d’une ressemblance que nous avions découverte entre les rythmes de leur musique et les nôtres.

Q : ... Est-ce que vous-mêmes, ou les autres, vous avez eu des difficultés linguistiques au cours de vos tournées ?

R : Aucune. Jamais. Notre musique nous servait de langage international. Et partout les gens nous accueillaient à cause de cela. J’ai retenu environ vingt mots de chaque langue, et à la fin des deux tournées (Moyen-Orient, Turquie, Balkans et Amérique et Sud, NdA), la plus grande confusion régnait dans ma tête.

Quincy JONES (1933), tp/comp/arg/cond, producteur, Raymond Horricks, 1960

 

Certains ont éprouvé le besoin ce décrire (notre musique) : noire, jazz.... alors qu’il suffit de savoir qu’elle participe du patrimoine de l’humanité. Cette musique ne concerne pas un groupe en particulier mais tout le monde. Le mot « jazz » a plus séparé les êtres qu’autre chose.

Abdullah IBRAHIM / Dollar BRAND (1934), pianiste, chef d’orch., JMag 491, avril 1999, Frank Médioni

 

Vous voyez, tout le monde crie « freedom », mais mentalement tout le monde est dans une grande tension. Mais maintenant , la vérité est en marche, comme autrefois elle marchait à la nOuvelle-Orléans. Et cette vérité est qu’il faut de la paix et de la joie dans le coeur. La musique, réellement, est le langage universel, et c’est pourquoielle atant de force. Les mots après tout, ne sont que de la musique.

Albert AYLER (1936-1970), sax/comp, Down Beat novembre 1966, Nat Hentoff, TrA

 

J’espère que le jazz, à l’avenir, s’orientera dans des directions dépassant les catégories, allant vers des musiques que pourront apprécier de plus en plus de gens.

Charlie HADEN (1937), Cb/comp/cond, AllAboutJazz, 1998, Fred Jung, TrA

 

Notre musique se veut créatrice d’universalité, elle ne se limite pas à une expression : je peux, si le besoin s’en fait sentir, inclure des éléments de musique Maori à une composition. J’ai étudié l’histoire et la religion de ces peuples et de beaucoup d’autres cultures comme l’ont fait Myra (Melford) et Leroy (Jenkins)

Joseph JARMAN (1937), saxophoniste, JMag 508, octobre 2000

 

Q : En parlant d’expérience, vous avez tous les trois accompagné des géants du jazz, lors de leurs passages à Paris ?

Daniel Humair: Dans le premier orchestre dans lequel j'ai travaillé, en arrivant à Paris à 19 ans, il y avait Bud Powell au piano, Oscar Pettiford à la basse, Lucky Thompson et Don Byas devant...

René Urtreger: Pierre Michelot, il avait déjà joué avec Gillespie, Kenny Clarke, Bud Powell, Lester Young, Miles... moi, pareil, j'avais joué avec Miles, Sonny Rollins, Stan Getz, Zoot Sims, Chet Baker, Dexter Gordon...

Q : Avez-vous aussi joué avec eux aux Etats-Unis ?

D.H : Non. Le gros problème, et on le dit sans aucune prétention, c'est qu'on a fait partie de cette histoire, mais on a jamais eu le droit d'avoir le ticket d'entrée pour les Etats-Unis... c'est presque impossible de jouer aux Etats-Unis, même aujourd'hui. Et le marché du jazz il est fait par les américains pour le commerce du marché américain. Et nous, on fait partie de cette histoire du jazz, parce que quand on parle de Bill Evans en 1958, Miles à Paris... on y était, et normalement, si on avait été américain, rien que le fait de venir au festival de Nice, on aurait nos noms sur l'affiche..."

René Urtreger: "C'est vrai, sur l'affiche du festival il n'y a pas le nom HUM... il y a des noms de musiciens qui n'ont rien a voir avec le jazz, mais nous on n'y est pas. C'est quand même étonnant ça!

Daniel Humair: "Pour exemple, si vous consultez un exemplaire de DownBeat, qui une de ces bibles du référendum du jazz, il y a 300 musiciens mentionnés, et sur ces 300 musiciens, il n'y a pas un européen. Comment vous expliquez ça?

Il y a une chose, aussi, qu'il faut clarifier, c'est que le jazz n'est pas la musique du peuple américain. J'ai entendu les plus grands aux Etats-Unis, à l'époque, des gens comme Coltrane ou Thelonious Monk, et il y avait cinq personnes dans les salles!. Le jazz professionnel ne vit qu'avec l'Europe et le Japon.

Daniel HUMAIR (1938), dms, René URTREGER (1934), JazzBreak FestNice 2000, Kat


 

Q : Qu’est-ce que ce pays doit préserver de l’héritage du jazz ?

R : Premièrement, la musique de jazz est aujourd’hui un langage international. Je dis que c’est la musique internationale. C’est la musique internationale parce que c’est réellement l’expression la plus démocratique, car elle offre une liberté d’expression pour chaque individualité, chaque âme individuelle. C’est pourquoi elle présente une telle attraction pour le reste du monde, particulièrement les opprimés. Ils aiment ce caractère. Ils voient des gens s’exprimer eux-mêmes, et cela en fait une musique pour e monde. C’est une musique du monde, et c’est un continuum africain... (voir la suite en 1-2)

Joe CHAMBERS (1942), batteur/comp/arg, AllAboutJazz, février 1999, Fred Jung TrA

 

Voilà une de mes petites pensées : s’ils utilisaient le jazz - du bon, qui tourne vraiment - dans leurs réunions internationales, cela aiderait les peuples à vivre ensemble, car il crée l’environnement le plus heureux, pour dire : « Nous sommes tous un » .

La musique est si puissante qu’elle fait tomber les murs, il n’y a plus à savoir où vous avez grandi et si vous aimez le vert ou le bleu... Je crois vraiment que le gouvernement n’a aucune idée de la valeur active de la musique, particulièrement le jazz, parce qu’il transcende tout, qu’il est multi-culturel. Je pense que c’est probablement la plus grande chose que l’Amérique ait jamais donnée, vous savez...

Monty ALEXANDER (1944), p/comp, Jazz Inst. Chicago, Judith Schlesinger, 1999, TrA

 

Ayler a été la chance du jazz : qu’une parole infiniment singulière à force de s’abandonner à la pure ivresse du matériau sonore, invente une musique universelle.

Daunik LAZRO (1945), saxophoniste, à propos d’Albert Ayler, JMag ? 

IndexALEXANDER Monty ; ARMSTRONG Louis (trumpet, voc, lead) ; AYLER Albert (saxophoniste ténor, lead) ; BLAKEY Art (drums, leader) ; CHAMBERS Joe (drums) ; COLTRANE John (saxophoniste, comp, lead) ; DAMAS Léon-Gontrand ; EVANS Bill (pianiste, comp, lead) ; GERBER Alain (écrivain, critique jazz) ; GILLESPIE Dizzy (trumpet, comp, lead) ; HADEN Charlie (contrebassiste, comp, lead) ; HAMPTON Lionel (vibra, p, drums, comp, lead) ; HOBSBAWM Eric (historien, critique jazz) ; HUMAIR Daniel (drums, lead, peintre) ; IBRAHIM Abdullah (Dollar BRAND, pianiste, voc, flûte, comp, arg, lead)) ; JARMAN Joseph (saxophoniste, comp AACM) ; JONES Quincy (trumpet, comp, lead) ; LAZRO Daunik ; MALAPARTE Cergio ; MEZIAT Philippe (critique jazz) ; PIERREPONT Alexandre (critique jazz, ethnologue) ; ROLLINS Sonny (saxophoniste, comp, lead) ; URTREGER René (pianiste) ; VANEIGEM Raoul (homme) ; WESTON Randy (pianiste, comp, arg, leader)
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