Seuls les faits peuvent exprimer un sens, une classe de noms ne le saurait. 3.142
On peut décrire, non pas dénommer des états de choses (les noms sont pareils aux points ; les propositions à des flèches, elles ont un sens) 3.144
Ludwig WITTGENSTEIN (1889-1951), Tractatus logico-philosophicus, 1921
Et d’abord comme si c’était appeler les choses
par un nom qui leur ressemble et qui n’est pas le leur
Et soudain comme si c’était appeler les choses
Justement de ce bizarre nom qui est le leur
Louis ARAGON (1997-1882), Ce que dit le troisième, La nuit des jeunes gens, 1969
L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui. Il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime, c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle.
? (...)
Ce n’est pas seulement à propos de l’art que la nécessité où se trouve la pensée culturelle de donner d’abord à toutes choses des noms (et par là même, dès cet instant, de n’en plus appréhender qu’un fallacieux aspect extérieur qui les dénature complètement) transformant en chiffres, en figures fixes, des choses qui sont pas essence changeantes et mouvantes, que cette nécessité entraîne pour toutes les constructions élaborées ensuite à partir de ces noms qu’elles aboutissent à l’oiseux et à l’aberrant . Il en est de même à propos de l’éthique et à propos de toutes les voies où s’engage l’esprit. Une confusion y est pareillement faite entre la chose et le nom qu’elle porte, c’est-à-dire entre la chose vécue en son dedans et la chose regardée de l’extérieur, entre le mouvement qui anime la chose et la figure fallacieusement immobilisée en laquelle la transforme le nom qui lui est donné.
Jean DUBUFFET (1901-1985), Asphixiante culture, 1968
Mon plaisir n’a pas de nom...
Raoul VANEIGEM (1932), Traité de savoir vivre..., 1967
Cette étiquette, le jazz, pour pratique et justifiable qu’elle soit, souvent ne plait guère. Il faut ses ouvenir de la remarque désabusée de Benny CARTER, relative au climat dans les années 1935-40 : « Beaucoup de musiciens empoient désormais l’expression jazz pour désigner quelque chose qui tomberait en désuétude et qui serait tout juste bonne pour les péquenots » (...)
Pour notre part, nous ne voyons aucune raison d’abandonner un mot commode, non plus que d’en restreindre ou d’en étendre, obscurément, la portée.
Lucien MALSON, Un mot qui jette le trouble, Le Monde 1969
(citant Carter dans ULANOV Histoire du jazz)
Jazz = jase en zigzag
Michel LEIRIS, Souple mantique et simples tics de glotte, 1985
Sans doute, ce qu’on appelle la poésie, dont la définition change selon les stratégies de langage et des cultures, est l’infini de chaque poème. Dont chaque poème s’approche seulement, sans jamais entièrement s’y identifier. La poésie est le sacré particulier du poème.
Henri MESCHONNIC, Politique du rythme, politique du sujet, 1995, p. 181
Jazz : nom donné jadis, au Surinam, aux orchestres de kaseko ; nom donné aux orchestres de danse guadeloupéens, dans les années quarante et cinquante ; nom donné à la cymbale charleston dans l’aleke surinamien.
Isabelle LEYMARIE, Musiques caraïbes, Glossaire, 1996
La puissance est le développement de potentialités, la réalisation de « possibles » qui récusent toute définition, tout étiquetage.
Miguel BENASAYAG § Diego SZTULWARK, Du contre-pouvoir, 2000
(Miles Davis) détestait le mot jazz. Comme tous les musiciens africains-américains d’Amérique, il haïssait ce mot qui est le mot de l’abjection. C’est donc le plus beau : c’est avec ce mot, contre lui, que s’est faite la musiqe décisive du siècle.
Francis MARMANDE, La police des caractères,
Les mille morts de Miles Davis : entretien imaginaire, 2001
On aura également noté les guillemets qui ceignent et gâtent l’emploi du mot « jazzz » depuis le début de ce texte, et que l’expression « champ jazzistique » (empruntée à Michel-Claude Jalard) ne cesse de toiser. J’estime en effet que l’unité de conception postulée par la pensée discursive ordoinaire, et dont s’autorisent combien de lectures critiques, se fonde presque toujours sur une plate concordance entre le mot et la chose, sur laquelle les scellés auraient été mis une fois pour toutes. L’affaire est entendue : le » jazz » est ce qu’il est, ce qu’il est c’est du « jazz », sous bénéfice d’inventaire. Ce franc-parler cimente une équivalence qui consacre en retour son authenticité. Veut-on rafraichir la mémoire des légistes sur la réticence montrée de tout temps par les musiciens, quand il s’agissait de baptiser leur art de vivre ? Voici ces derniers moqués pour leur pudibonderie, rembarrés pour leur duplicité. Et de fait, si l’appellation « jazz » ne s’impose qu’à l’usure chez les « jazzmen », il est notoire que les rapporteurs (producteurs, programmateurs, critiques) et les observateurs (une partie, et une partie seulement, du public) s’en contentent volontiers et l’étalent. Très apparemment, cet artifice ou tout autre qui se voudrait catégorique, exclusif, n’a qu’une valeur d’échange, une efficience économique : il ne supporte rien, il est supporté ; il ne donne aucun sens, il fait le vide (...)
Car, si la plupart des musiciens connus, méconnus et inconnus en tant que « jazzmen » ne donnent pas de nom à leur musique, ils n’en récusent aucun tout à fait -pourvu que ces noms d’oiseaux soient à eux seuls des phénomènes migratoires, épithètes fuyants plutôt que fixatifs pâteux, pourvu que l’indexation de leurs modes de jeu, de leurs modes de sentir et de penser, ne commence pas avec leur désignation.
Alexandre PIERREPONT, Le champ jazzistique en son temps, L’HOMME 158-9, 2001
Tout d’abord le mot « jazz », eh bien c’est le nom que les Blancs des Etats-Unis ont donné à notre musique (...). Ce mot pouvait signifier n’importe quel foutu truc : s’amuser comme des fous, faire la bombe, faire l’amour, s’encanailler. Ce mot s’écrivait « jass » ce qui signifiait : faire l’amour, « baiser ». Mais quand vous prononcez le mot ragtime, vous signifiez : musique.
Sidney BECHET (1897-1959), sax, La musique c’est ma vie, 1960, in C. Béthune, B2, 19
Le jazz a toujours été comme le type d’homme dont vous n’auriez pas voulu pour votre fille. Le mot « jazz » est une part du problème. Il n’a jamais perdu sa référence aux bordels de la Nouvelle-Orléans. Dans les années 20, j’ai essayé de convaincre Fletcher Henderson que nous devions appeler ce que nous faisions « musique nègre (Negro Music) ». Mais il est trop tard maintenant. Cette musique est devenue si intégrée...c’est l’un ou l’autre, tant que la question raciale est en jeu.
Duke ELLINGTON (1899-1974), p/comp/cond, Music is my Mistress, autobio. 1973, TrA
(A propos de Mingus et Teddy Charles)
Ils ont l’air bon d’après ce que j’ai entendu... Peu importe d’ailleurs le nom qu’on voudrait donner à cela. Voilà de quoi les fans discutent tout le temps... la définition du jazz, ils disent : ça, c’est du jazz ; ça, ce n’en est pas. Laissez-les discuter. Les musiciens n’ont pas le temps de s’occuper de ça, c’est aux fans de le faire...
Thelonious MONK (1917-1982), pianiste, JMag 26, avril 1957, Ira Gitler
A propos du terme « jazz », et de l’intérêt d’en changer éventuellement, la question qu’on se pose est : par quel autre le remplacer ? « Jazz » fait l’affaire, faute de mieux. C’est un mot africain*. Il ne nuit en rien à l’importance, au sérieux, ni à la grandeur de notre musique...
*Du malenke jasi, qui signifie se comporter d’une manière extravagante, sortant de l’ordinaire, et pas extension, vivre à un rythme accéléré, sous pression, et sans inhibitions.
Dizzy GILLESPIE (1917-1993) / Al Fraser, To be or not to bop, B2, p. 483
Jazz... c’est juste un mot. Rien de plus. Qu’est-ce qu’un mot ? Rien ! Un gars dit : « Appelle moi Muhammed ainsi de suite » Mais où est la différence ? Un nom ne fait pas la musique. On l’appelle comme ça, c’est juste pour la différencier des autres musiques.
Art BLAKEY (1919-1990), dms/comp/cond, Notes and Tones, déc. 1971, Art Taylor, TrA
Q : Que pensez-vous du mot « jazz » ? Certains musiciens ne l’apprécient pas ...
R : Laissez-moi vous citer ce vers de Shakespeare : « A rose by any ather name will smell just as sweet » (Une rose, même sous un autre nom, gardera son parfum). Un nom n’a pas d’importance...
John LEWIS (1920-2001), piano/comp/cond, JMag, Philippe Carles et Fred Goaty
C’est difficile d’être un noir, que vous soyez musicien ou non et comme le jazz est essentiellement noir, tout le problème est là. Même le mot « jazz » est déjà un terme insultant, c’est déjà une discrimination. Ce terme, le « jazz », est vraiment impropre. Des musiciens comme Jaki Byard peuvent jouer n’importe quoi sur leurs instruments, sans être limités. Moi-même j’ai joué du classique quand j’étais gosse - et ce terme de « jazz » me choque, parce qu’il me place d’un seul côté de la musique, et naturellement du mauvais.
Charles MINGUS (1922-1979), cb/comp/cond, Interviews de Jazz Hot, François Postif
Q : Comment préférez-vous appeler votre musique - Jazz ou musique noire (black music) ?
R : Pour ma part, je préfère l’appeler jazz, parce que pour moi, ce n’est pas un sale mot. C’est un beau nom, que j’aime. Et je pense que l’appeler musique noire serait une contre-vérité, parce qu’elle a subi de nombreuses autres influences. Il y a dans le jazz une forte influence harmonique européenne. Beaucoup des structures harmoniques du be-bop vient de Stravinsky, Handel et Bartok, alors dire « musique noire » - je ne sais pas ce que c’est, à part un peu de tambour africain et des choses comme ça.
Dexter GORDON (1923-1990), sax/comp, DownBeat Juin 1972, Transcontinental Tenorist, Jenny Armstrong
Qu’on appelle ma musique comme on veut, de toute façon elle est faite avec des congas, des bongos, des timbales, un peu de basse et de piano, et elle est latine. Je ne tiens pas à l’appeler « salsa », parce que c’est un mot qui peut très bien se démoder. Si je devenais le « roi de la salsa », je risquerais de disparaître avec le mot. Je préfère rester « Tito Puente et son orchestre », et, où que j’aille, on sait que je joue pour que tout le monde écoute et danse ».
Tito PUENTE (1923-2000), perc/cond, JMag 300, septembre 1981, Christian Gauffre
Q : Comment appelez-vous la musique que vous jouez ?
R : « Musique », simplement. La musique de Max Roach. Comme celle que joue Monk est la musique de Monk, ou celle jouée par Miles la musique de Miles. C’est la même chose pour Dizzy, Rex Stewart... Tous ceux qui sont devenus célèbres dans cette musique le doivent à leur personnalité.
Max ROACH (1925), batteur, JMag 492, mai 1999, Philippe Carles
Juste une chose : je ne suis pas un musicien de jazz. Je joue de la musique auto-physio-psychique, c’est-à-dire émanant du physique, du mental et du spirituel. (le mot jazz) fausse les pistes... c’est pourquoi j’ai dû fabriquer une terminologie personnelle pour être plus précis.
Yusef LATEEF (1926) sax, fl, hbois,JHot 565, novembre 1999, Catherine Henry
Oui, en France, je comprends, vous dites « Jazz », « JazzMagazine », bien sûr, mais ça ne veut pas dire la même chose qu’ici...
Miles DAVIS (1926-1991), dernière rencontre, Francis Marmande, JMag HS, octobre 1991
Q : Cela vous plaît-il qu’on utilise la même terminologie (« jazz ») pour ces deux musiques différentes (musiques improvisées américaines et européennes)
R : Non ! ça ne me plaît pas ! Par exemple, il y a ce festival à Montreux, un pseudo-festival de jazz, qui ne présente aucun musicien jouant du jazz. Ils jouent toutes sortes de musiques de fusion, ou proches de la variété, des musiques de danse, et on appelle cela du jazz ! Un rythme de danses sur lequel on plaque quelques solos sans contrôler ni le son ni les émotions de la musique. Ce n’est pas du jazz, non !
Jimmy HEATH (1926), saxophoniste, JHot 515, novembre 1994, Félix SPORTIS
Je ne sais pas ce qu’est le jazz. Et ce que beaucoup entendent par « jazz », je ne pense pas qu’il soit cela en définitive. En fait je ne crois pas que ce mot ait la moindre signification...
Cecil TAYLOR (1933), p/comp/poète/danseur, Hambone n°12, septembre 1994, Chris Funkhouser
Q : ... J’ai lu quelque part que vous n’aimiez pas le label « Jazz »
R : Non, je ne l’aime pas... Un jour avec mon gendre, je classais les disques que j’ai réalisés et je remarquais qu’ils m’avaient catalogué comme rock’n’roller sur certains albums, be-bop player sur d’autres... pop... fusion.... Et j’ai dit : « J’ai certes joué dans plusieurs contexte, mais j’ai toujours joué de la même façon »
Stanley TURRENTINE (1934-2000), saxophoniste, NPRJazzFeat, 1992, Lynn Neary
Q : On a parlé à votre sujet d’ « underground de l’underground ». Cela signifie en partie que votre musique n’est pas aussi connue qu’elle devrait l’être...
R : Je n’ai pas de nom pour le style de musique que je joue. Je l’appelle seulement « African-American classics ». Elle combine tout - blues, jazz, spirituals, soul.
Je crois que Duke était conscient de la portée sociale de sa musique. Par exemple, il n’a jamais appelé sa musique « jazz ». Il parlait de la « musique d’Ellingtonia ». Dans son livre « Music is my mistress », uil raconte qu’il a dit à Dizzy, dont on commençait d’appeler la musique « bebop », de ne pas l’accepter : « ils commencent par donner un nom à ta musique, puis ils la revendiquent ».
Archie SHEPP (1937), saxophoniste, JMag 482, mai 1999
Q : Décrivez le jazz...
R : Je ne ferai jamais de catégories en musique. Pour moi il est important de jouer quelque chose qu’on ait jamais joué auparavant. D’approcher la musique comme si c’était la première fois que vous preniez votre instrument... De réellement y investir votre vie... De risquer votre vie à chaque note que vous jouez et de faire en sorte que chaque note compte.
Charlie HADEN (1937), cb/comp/cond, AllAboutJAzz, 1998, Fred Jung
... piéger les classificateurs en qualifiant ma musique sans passer par les épithètes « jazz », « rock », « rap »... Po Music, et rien d’autre ! Po Music : ce nom d’oiseau est le mien, je me le donne et personne ne m’en donnera un autre ! Ma compréhension de la musique, mon rapport à l’histoire passent par un langage, pas par par une appellation.
Joe Mc PHEE (1939), tp/sax., JMag 504, mai 2000, Frank Médioni et alexandre Pierrepont
Il nous faut comprendre que c’est une musique très jeune. Nous commençons seulement à la développer vraiment. Il n’est pas encore temps de lui donner des définitions précises et de fixer les paramètres de ce qu’elle est, parce que nous ne sommes qu’au début des possibilités qu’elle offre...
Lester BOWIE (1941), tp/comp/cond, Blue Lake radio, sept. 1998, Lazaro Vega, TrA
... Les définitions de la musique sont réservées au pouvoir, à la structure politique. Aux Etats-unis, on utilise le jazz pour différentes choses. Le jazz est utilisé pour dire : « I’m black ! I’m Black ! I’m Black ! », pour dire « I’m hip ! I’m hip ! I’m hip ! », le jazz est utilisé pour vendre des instruments, pour fabriquer des instruments, des magazines comme Down Beat, des mensuels et toutes sortes de magazines de jazz... Et dans les 20 dernières années, nous avons vu le jazz entrer à l’université (High School), et vous avez les jeunes qui jouent ce qu’ils appellent du jazz. Tout est connecté à l’industrie musicale, et où ça se complique, c’est qu’une grande part de la musique qu’on appelle « jazz » dans cette société ne correspond plus nécessairement à ce que cela impliquait habituellement.
Anthony BRAXTON (1945), sax/comp/cond, Istanbul, oct 1995, Volkan Terzioglu
Q : ... Vous ne le trouvez pas un peu trouillard, le jazz, aujourd’hui ?
R : Le jazz est devenu une messe, une messe crétine avec de nouveaux curés traditionalistes. On ne déconne pas avec le jazz. C’est sérieux, les mecs. Le jazz est devenu une musique de gala du Rotary Club. Ça me fait chier que le jazz vieillisse. Pour moi, cela reste une musique de tourment, de tumulte, de pas d’accord. Le jazz, je voudrais qu’il reste la musique sur laquelle le corps social danse le mambo. A Uzeste, on lutte contre cette croûte; le jazz est une musique d’anciens, au sens où on l’entend en Afrique. On apprend à avoir toujours envie, à élaborer des projets, à inventer des concepts. Qu’est-ce qu’on fait la prochaine fois? Comment on joue? Comment on se rencontre? Comment on se parle? Et en même temps, on n’a rien de prévu, rien de prêt-à-l’emploi, pas de solutions. On travaille la terre, et on demande à d’autres - comme Claude Sicre des Fabulous Trobadors - de venir travailler la terre avec nous.
Bernard LUBAT (1945), p/batteur/acc/parleur...Peropheries, Melting Bop, mai 1998, Thomas Lemahieu
Q : Que signifie le mot jazz pour Joe Lovano ?
R : Il signifie un tas de choses. Mais d’abord, c’est un langage et c’est l’opportunité pour quelqu’un de développer sa propre musique, de jouer avec son imagination et l’histoire du jazz, d’étudier les racines du jazz depuis la période dixieland, en passant par le swing et le bebop, le freejazz et le moderne, il y a un tas de styles sous cette ombrelle. Je pense que la profondeur de la musique est la voix individuelle qui peut émerger et les concepts que vous pouvez développer en étudiant toute cette renversante histoire. Pour être vous-même. Le jazz vous donne l’opportunité de développer votre personnalité et de faire émerger votre propre voix dans la musique.
Joe LOVANO (1952), saxophoniste, Fred Jung, juillet 1999, AllAABoutJAzz
Arrivons enfin à la vraie question, celles des limites du jazz et de son essence (ni plus ni moins !) (...) à partir d’exemples de musiciens en activité...
Prenons l’exemple de Louis Sclavis, un musicien que je respecte infiniment. Mais je le préfère de loin quand il ne joue pas « du jazz ». Je le formule exprès de manière caricaturale mais je suis sûr que tu vois exactement de quoi je parle. J’ai le sentiment que le « jazz » n’est pas son idiôme le plus confortable, et quand il s’en approche, il a tendance, selon moi, à le mimer. Alors qu’il s’est crée un territoire bien plus original où son expression est beaucoup plus forte. Je me trompe peut-être totalement, mais si j’ai un tout petit peu raison, cela voudrait bien dire que « le jazz » existe, et que même si on ne peut le définir et en préciser les contours, on a tout de même une sensation de savoir si on est dedans ou pas. Et cette sensation est bien provoquée par quelque chose. Et je me fiche pas mal de savoir si Louis sait jouer le blues ou pas...
Laurent CUGNY (1955), p/comp/arg/lead...De l’Idée de création, CdJ n°1, 2001, p. 80
Je fais partie d’une génération de musiciens qui ne se demandent pas si ce qu’ils jouent est, ou n’est pas, du jazz. J’aime les frontières, les situations d’entre-deux. La musique participe de l’universel, la cataloguer c’est en réduire le champ. « Jazz » n’est qu’un mot.
Uri CAINE (1956), pianiste, comp. Chef d’orch., JMag 498, novembre 1999
Je n’aime pas des termes tels que « jazz » ou autres, parce qu’ils ne signifient rien pour moi. Les gens ont des idées préconçues sur ce que c’est et, que vous en soyez d’accord ou non, ils pensent pouvoir affirmer : « Ce n’est pas comme ça qu’on doit jouer le jazz », ou bien : « Vous ne jouez pas du jazz . »
AllAboutJazz, juillet 1999, Fred Jung, TrA
Q : Comment appelez-vous la musique que vous jouez ? Pourquoi ?
R : Je ne l’appelle pas autrement que « musique » ou « musique créative ». Certainement pas « jazz » ou autre chose du même acabit. Ce que fais consiste à organiser le son sous forme d’un langage symbolique qui traduit certaines fonctions créatives de l’univers.
Steve COLEMAN (1956), saxophoniste, JMag 491, avril 1999
Q : Vous considérez-vous comme un musicien de jazz ?
R : Je me considère comme un musicien de jazz quand je joue du jazz.
Don BYRON (1958), clarinet, AllAboutJazz, octobre 1999, Fred Jung
En tant qu’instrumentiste, j’ai de solides racines dans la tradition jazz, mais je les applique à des situations qui peuvent ne pas être considérées comme relevant du jazz (par ex. En ayant un groupe composé d’un sax., d’un accordéon et d’une batterie). Il n’y a pas vraiment de nom pour la musique que je joue. Chacun y entend quelque chose de différent. Ça peut aider de penser en termes de tradition, ça peut aussi créer des obstacles .
Ellery ESKELIN (1959), saxophoniste, JMag 498, novembre 1999
Q : En Europe, on va sans doute dire que vous êtes aussi un très bon batteur de jazz ?
R : Mais je déteste le jazz ! (Mais je n’aime rien tant que Duke Ellington...) Et je me fiche des catégories, je n’aime pas les puristes, et encore moins ceux qui jouent une musique qu’ils ne comprennent pas (...)
Les gens m’ont demandé, ces jours-ci : « Quel genre de musique as-tu joué ? « J’ai répondu : « Moderne ! ».
Michael BLAND (1961), batteur, JMag 511, janvier 2001, après le CD avec Michel Portal
... souvent la définition du jazz est contrôlée par le commerce et, ainsi, des musiques qui n’ont rien à voir ont l’étiquette « jazz » ; le dernier exemple en est l’ « acid’jazz ». Les enfants élevés dans cette ignorance pensent qu’ils font du jazz alors qu’ils ne jouent qu’une forme de funk, de rap ou de hip hop ; et cela n’a rien à voir avec le fait de jouer vraiment du jazz. Ce n’est pas de la mauvaise musique, mais elle n’a pas les mêmes objectifs...
Winton MARSALIS (1961), trompettiste, JHot 538, août 1997, Michel Laplace
Si « FreeJazz » se réduit pour vous à un certain type de jazz improvisé qui avait cours dans les années soixante, alors je perds mon temps !... « Musique improvisée ou créative » sont des appellations vagues qui ont le mérite de ne pas se rfermer immédiatement sur vous. Quant au mot « jazz », il pourrait à nouveau convenir dans la mesure où j’assume cette tradition et où il ne viendra à l’idée de personne de prétendre que je cherche à imiter Charlie Parker. En tout cas, plutôt que d’essayer de donner un sens précis aux sons, peut-être devrions-nous apprendre d’eux à donner un sens moins contraignant aux mots ! Quand je joue, je pense poétiquement aux choses, à chaque ? comme une partie et comme un tout. - la musique que nous jouons est d’essence poétique... elle est humaine.
Rob BROWN (1962), saxophoniste, JHMag 511, janvier 2001, Alexandre Pierrepont
Je suis de plus en plus réticent à appeler « jazz » la musique que je joue. Trop de discussions ineptes ont voulu faire dire la vérité à ce mot, et décréter ce qui était du jazz et ce qui n’en était pas. Sur « Soul on soul », certains estimeront peut-être que tel morceau est purement jazz, tandis que d’autres s’en éloigent... S’ils écoutent un disque de mon ensemble à cordes ou de mon ensemble électronique, ils seront encore moins rassurés... Quand je pense que Wayne Shorter lui-même a été accusé de ne pas faire du jazz... Quelle bêtise ! Puis je réécoute la pusique et je me persuade que tout cela est sans importance.
Dave DOUGLAS (1963), trompettiste, JMag 505, juin 2000, alexandre Pierrepont
Q : Votre travail avec Martin et Wood a reçu toutes les appellations de « non-jazz » à « groove » et « jazz-rock » (...) Que pensez-vous de la fascination de quelques critiques musicaux pour donner un label à votre musique ?
R : C’est comme ça depuis le début. Différentes choses sont venues depuis. Le mouvement « Acid-Jazz » est apparu et nous avons appelé notre musique comme ça, mais ensuite nous avons décidé que ce n’était pas vraiment de l’acid jazz... Je ne veux plus d’étiquette... Nous jouons de la musique. Penser en termes de label est mauvais pour la musique car à ça ne sert qu’à faire de l’argent et du marketing. Tout ce qui ne sert qu’à l’argent est mauvais pour la musique.
John MEDESKI (1965), p/org/clav, OffBeat, NewOrlean’s and Louisiana’s Music Magazine, 1999, Danielle Bias, TrA
Mais qu’entendent les gens par « jazz » ? Branford Marsalis dit que nous ne jouons pas du jazz mais du n’importe quoi. Il n’a rien compris, n’a pas ouvert le bon tiroir. Nous faisons du jazz au sens où nous nous donnons la possibilité, la liberté d’improviser sur scène.
Erik TRUFFAZ (196 ?), trompettiste, JMag 498, novembre 1999
A l’époque (1993), il y avait déjà pour moi l’idée que le jazz se perpétue autre part que dans ce qui s’appelle officiellement « jazz ». En France, il y a a beaucoup de cases dans lesquelles tu te retrouves rapidement extrémiste, et ma volonté n’est pas d’être un ultra du jazz...
Noël AKCHOTE (1968), guitariste, JMag 505, juin 2000, Jérôme Plasseraud
Bojan Z l’affirme, il a trouvé son salut dans un métissage réussi entre ses racines : le folklore balkanique (Yougoslavie, Macédoine, Orient), et le jazz.
Q : Comment est venue l'idée du thème The Joker ?
R : C'est basé sur un riff de basse... sur un rythme qui ne me lâche plus depuis quelques temps, le fameux 12/8, qu'on retrouve énormément au Maghreb, dans le reste de l'Afrique, à Madagascar aussi. Au tout début, j'ai été inspiré par les solos de Tony Rabeson. Ca fait sept ou huit ans que je l'entends utiliser ces polyrythmies où le rythme peut être compris de manière binaire ou ternaire. Puis je me suis mis à écouter beaucoup de musique africaine, globalement d'abord, puis en distinguant les musiques des différents pays. Quand j'ai rencontré Karim Ziad, qui est un des maîtres de la musique du Maghreb, il m'a donné beaucoup d'idées sur le rythme, même si le morceau existait avant que je ne rencontre Karim.
Bojan ZULFIKARPASIC (1968), p/comp, Le Jazz, avril 1999, A. Leroux, B. Agoudetsé
Depuis la nuit des temps, la musique n'a jamais connu de frontières. Ce langage universel, unissant les peuples, a su toucher l'être au plus profond de lui-même tout en se chargeant d'empruntes et d'influences multiples pour rapprocher les hommes sans faire de différences.
Mes inflences ? Les musiques qui m'entourent sont tellement intéressantes que je n'ai jamais pu m'inscrire dans un genre musical. C'est ainsi qu'au fur et à mesure j'ai voulu les fusionner sans pour autant les dénaturer donnant une place importante à chacune d'elles. La Musique Orientales Des Divas Oum Keltoum et Warda, la Musique Chaabi du fameux Dahmane El Harachi, le Rai de Remiti et de Mami, la Musique Andalouse d'El Sendoussiya, le Jazz d'Ahmed Jamal, Duke Elington, Dizzy Gillespie et bien d'autres
Ryadh ALLY (), p, site officiel du pianiste de jazz oriental