Remarque du 9 mai 2006 : il y a logiquement, dans "Jazz et problèmes des hommes" (dont le titre n'est pas pour rien un détournement de celui d'André Hodeir en 54 "Hommes et problèmes du jazz") des passages que je n'écrirais pas aujourd'hui de la même manière, notamment ceux où j'emprunte le concept de Multitudes de Toni Negri/ Mickael Hardt sans m'appesantir sur sa connotation relativement à une détermination de classes (d'où le texte "Jazzitude, éthique... pour la Multitude"). Cela ne changerait pas au fond le sens de ce travail, qui échappe à toute politisation de par sa structure même (faire parler ceux qui ont produit cette musique dans leur histoire), mais cela en clarifierait les tenants et aboutissants théorico-éthico-politiques
Every man has his friends. Why shouldn’t the poet turn to his friends, to those who are naturally close to him? At a critical moment, a seafarer tosses a sealed bottle into the ocean waves, containing his name and a message detailing his fate.
Osip MANDELSTAM
(19ème siècle)
Les spirituals baptists ou shouters de Trinidad, qui s’exposent à des périodes de privation des sens (mourning) afin d’encourager les visions, parlent en « langue » lorsqu’ils sont possédés par les powers (déités). Ils dansent au son des tambours, et les chanteurs emploient la technique du hoquet (chaque membre de l’ensemble vocal n’émettant tour à tour qu’une seule note).
En Jamaïque, à saint-Vincent, à Belizen, dans la communauté anglo-caribéenne de Panama, aux Bahamas, où s’installèrent avec leurs esclaves des tories fidèles à l’Angleterre lors de la révolution américaine, et dans d’autres pays des Caraïbes, sont aussi apparues des formes locales de spirituals et de gospel.
Isabelle LEYMARIE, Musiques caraïbes, 1986
A Cuba, les années trente voient se multiplier les jazz-bands. Leur répertoire était constitué à l’origine de rythmes de danse nord-américains, mais, peu à peu, ils commencent à interpréter des rythmes cubains avec des orchestrations et improvisations à tendance jazzy. Leur public est celui des grands cabarets, et certains feront surtout carrière aux Etats-Unis.
Maya ROY, La musique à Cuba, 1998
Le jazz est un style, pas un type de composition ; toute sorte de musiques peut être jouée en jazz, pour celui qui en a la connaissance.
Jelly Roll MORTON (1885 ou 90-1941), p/comp, DownBeat, août 1938
Etre jeune aujourd’hui a des avantages. Il y a tant de musiques différentes à écouter aujourd’hui. Un jeune peut prendre quelque chose ici et autre chose ailleurs et les mélanger avec son propre talent. Il n’y a aucune raison pour que ça ne se développe pas.
Pee Wee RUSSELL (1906-1969), cl, Down Beat mai 1958, Dom Cerulli, TrA
J’aime un peu de funk. Un peu de rock n’ roll. J’aime la fusion. Evidemment, au commencement, le jazz est une fusion. Que signifie le mot « fusion » lui-même ? On affirme que le jazz est cela-même. De l’harmonie européenne et des tambours africains, des chants des champs, et tout ça - c’est une fusion quand ils se rencontrent.
Benny CARTER (1907), sax/comp/cond, Down Beat, déc. 1989, Mitchell Seidel, TrA
Mon séjour au Brésil a vraiment élargi mon horizon musical. J’y ai appris que la musique est une, et que les divers courants venus de milieux ethniques différents peuvent se fondre tout en conservant leurs qualités distinctives et sans rien perdre non plus de leur variété. J’ai trouvé dans le domaine de la musique cette unité dans la diversité, que la religion Baha’i m’a enseignée dans la vie. Larguer son héritage ancestral ? Les Baha’is pensent au contraire qu’il faut apporter chacun le sien pour venir grossir le flot des autres, l’intégrer dans le grand oeuvre comme un fragment dans un tableau de maître.
(...)
Les Baha’is pensent que les systèmes politiques connus ont fait leur temps et qu’un jour apparaîtra un genre d’activité politique à l’opposé de celle en cours. Il est au-dessous de nous d’aspirer actuellement à des fonctions politiques. Baha’u’llah a dit que le futur verra la naissance d’un véritable gouvernement mondial avec des représentants de tous les peuples de la terre. Les diktats du nationalisme disparaîtront automatiquement et la politique générale n’aura plus du tout son visage actuel. Voilà pourquoi je n’avais plus d’aspirations présidentielles. Ma foi les avait chassées en me montrant qu’elles étaient au-dessous de moi. Il faut désormais viser plus haut . Etre candidat à la présidence d’un gouvernement mondial serait plus en rapport avec mes centres d’intérêts actuels.
(...)
Le temps commence tout juste à rattraper notre musique, le bebop. Et si une musique faite pour son époque a autant duré, c’est qu’elle devait avoir une grande importance. La musique marche de pair avec les réformes sociales, les changements qui visent à une amélioration générale. C’est une forme de culte. Le Gardien de la foi Baha’i a dit que la structure de la société doit subir une « transformation organique », c’est-à-dire que toutes ses composantes doivent être modifiées pour le bien de l’édifice. Notre prophète a également énoncé une grande vérité : « La terre n’est qu’une seule nation, et l’humanité ses citoyens. » Et c’est ma croyance profonde. La musique doit être le reflet de la société, de la société mondiale et de son évolution, dont dépend l’existence matérielle des musiciens. Mais ceux-ci doivent aussi participer au redressement de la situation.
Dizzy GILLESPIE (1917-1993), trompettiste, To be or not to bop, p. 418, 452 et 484
Le jazz s’élargit constamment vers de nouveaux horizons. Mais il vous faut être attentif à la façon dont les différents styles se combinent. Sinon, la musique présentée sous le label Latin Jazz peut finir comme Glenn Miller avec des maracas ou Benny Goodman avec des congas. Le Latin Jazz est beaucoup plus profond que ça.
Chico O’FARRILL (1921), arrangeur, Down Beat, septembre 2000, Dan Ovellette
Je suis Baha’i et les Baha’is croient qu’il n’y a qu’un seul pays et que l’humanité est une.
C’est ce que je crois. Toutes ces sottises sur les différentes races et « ton » espèce e t « mon » espèce, c’est de la merde.
James MOODY (1925), saxophoniste, Bob Bernotas, 1998, melmartin.com
Tokio... mon rapport avec ce pays ne se limite pas au jazz. Je me suis aperçu que pour beaucoup de Japonais, de tous âges, je fais partie de leur culture, j’ai une place particulière dans leur coeur... Ma façon de chanter trabscende les problèmes de langage, j’utilise les sons de communication, de conversation... sans comprendre les mots, on peut, au Japon - mais aussi en France - comprendre les émotions que mon chant véhicule. Je pense avoir été la première étrangère à enregistrer avec un virtuose d’un instrument japonais, le joueur de shakuhachi Yamamoto Hozan (...) Récemment, j’ai chanté dans un théâtre Kabuki, avec Hozan, le pianiste Masahito Sato, et j’ai été traitée comme une artiste kabuki...
Hellen MERRILL (1930), chanteuse, JMag 501, février 2000, Philippe Carles
Je n’aime pas qu’on me mette dans une case. Les musiciens et les amteurs ont tendance à se classer eux-mêmes en catégories. Un type de personnes qui écoutent un genre de musique. Des gens viennent chez moi, et s’attendent à ne voir que des disques de nouveau jazz. Mais ils découvrent de la musique classique, de la musique indienne, japonaise, des polkas, du ragtime, toutes sortes de musiques, alors ils sont surpris. J’aime toutes sortes de musiques.
Roland KIRK (1935-1977), sax/fl/comp, Down Beat mai 1966, Bill McLarney, TrA
Le jazz aujourd’hui n’est plus seulement une manière de vivre la musique : c’est désormais un lieu, une terre d’accueil de toutes les musiques inclassables. Belle évolution d’un art longtemps si sectaire.
Aldo ROMANO (1941), batteur/chef d’orch., JMag 507, septembre 2000
Q : Maintenant, l’Art Ensemble introduit toujours de la WorldMusic dans son programme... Malachi Favors a apporté la musique africaine, Joseph Jarman s’est toujours intéressé aux musiques des différentes cultures asiatiques. C’est un mélange étonnant...
R : Nous avons toujours été dans un concept de WorldMusic. Je pense que l’AACM (Association for Avandcement of Creative Music, créée à la fin des 60’s, NDA) était dans la WorldMusic bien avant que quiconque en parle. Je pense que nous avons attiré l’attention sur ce genre de chose.
Lester BOWIE (1941-2000), tp/cond, Jazzhouse, novembre 1999, Ted Panken, TrA
Nous avons donné une performance, devant un millier de moines. Ces moines ont une façon spéciale de lire ce que je pourrais appeler - leur bible ? Bible est sans doute un mot amusant pour dire ça. Paut-être la bible boudhiste. Ils chantent. Cette pratique a son origine en Inde. Les prmières utilisations au Japon remontent à l’an 700, à peu près. A Nara (ancienne capitale impériale, NdA). Ce rituel est appelé Shomiyo, et l’école particulière avec laquelle j’ai travaillé s’appelle Shin Gong Shu. Même au sein de Shin Gong Shu, il y a plusieurs écoles et l’une s’appelle le Buzan-ha, les chants Buzan. Donc j’ai pris les notes et j’ai écrit une partition (score). J’ai copié même les petites ornementations ou les inflexions, et j’ai composé de la musique derrière ça, pour flûte, saxophones, percussions, synthétiseur.
(joué et enregistré en 1998 au satde de budogan, devant 15000 personnes, avec un choeur de 998 moines, en kisa, le costume boudhiste. « Ce ne sont pas des voix humaines. On dirait un typhon - tsunami »)
(...)
J’ai composé pour biwa et shakuhachi (instrument à corde et flûte japonais, NdA). Je suis profondément intéressé par la culture japonaise et sa pensée. C’est un concept du temps ; un concept du souffle (...)Je trouve très stimulant de jouer avec le shakuhachi et le biwa, ou le koto (genre de harpe japonaise, horizontale), ces moments particuliersqu’ils peuvent procurer. Alors quand je joue avec des instruments occidentaux - comme la basse ou la batterie - j’essaye toujours d’utiliser ce concept, je n’essaye pas d’utiliser le temps (occidental) ordinaire. Le concept japonais du souffle, du temps, est, je crois, une forte tendance en moi.
Q : Votre propre tampopo (pissenlit/dandelion), poussant dans votre sol ?
Oui. Peut-être vais-je à l’extrême, en essayant d’être local. Mais peut-être que de cette façon, un jour, vous découvrez que vous êtes vraiment universel. Si vous allez assez loin, si vous creusez assez profond dans votre propre sol, vous pouvez arriver de l’autre côté de la terre.
Masahiko SATOH (1941), p/comp, The Earth within : Jazz Journey to Japan, Bill Minor, TrA
Le jazz et ses dérivés aux Etats-Unis, le samba et ses dérivés au Brésil ont joué comme des facteurs d’identités. Mais aujourd’hui, le facteur musical le plus important, c’est le mélange, la rencontre des gens , la fusion. .. je ne voulais pas manquer le processus d’évolution de la musique, qui est le reflet de la transformation du monde...
La vie est un combat constant entre les forces de destruction et les forces de création. C’est la même chose pour la question artistique. Nous savons maintenant que nous appartenons à une société planétaire. La planétarisation, la mondialisation, c’est un processus irréversible et inexorable. C’est pourquoi aussi il faut le contester... Ma musique est un écho de cette mondialisation, de ce brassage, au niveau du son et des rythmes.
Gilberto GIL (1942), chanteur guitariste, JMag 483, juillet-août 1998, F-R Simon
J’aimerais faire plus de choses avec des cordes, et aussi avec des percussions africaines, et moyen-orientales. De la musique indienne aussi. J’aimerais explorer les ressources sonores (...)
Tom HARRELL (1946), tp/comp, AllAboutJazz, mai 1999, Fred Jung, TrA
Mon sentiment est qu’avec ce qui ce passe dans le monde, il est absolument exact de considérer le jazz comme un mélange, une fusion de tous les éléments mis ensemble.Il n’y a pas de jazz pur. Peut-être Wynton Marsalis le dirait-il, et de son point de vue, je le comprends, mais pour moi, il n’y a plus nulle part de « jazz pur » - le monde est trop large, trop rapide, comme la communication, ce que les gens entendent, ce à quoi ils sont exposés, rien ne peut plus être « pur ». C’est la meilleure chose qui puisse arriver au jazz. Parce que cela le gardera vivant. Parce que la vérité est que vous ne pouvez conserver comme sommet actuel Louis Armstrong ou John Coltrane. Ils l’ont été, et pour le meilleur. Ils continue à l’être pour ceux qui aiment ça, mais selon moi, le seul futur pour le jazz consiste à se pénétrer d’un monde extérieur à celui d’où il vient, extérieur à ses influences américaines et européennes.
Dave LIEBMAN (1946), saxophoniste, AllAboutJazz, septembre 1998, Vic Schermer, TrA
Vous naviguez au travers de nombreuses musiques, comptez-vous les lier encore plus intimement ?
En fait, c’est surtout des musiciens avec qui on a envie de jouer, d’autres avec qui on joue deux, trois fois et puis après ça s’arrête, on n’a plus rien à se dire, comme dans la vie, c’est comme ça que ça fonctionne. Et on ne sait pas où les rencontres vont nous mener. A un moment donné, si on a un feeling musical avec quelqu’un, même s'il joue un autre style de musique, mais avec qui ça colle, c’est sûr qu’il y a beaucoup de choses possibles. C’est l’ouverture qui est importante, le dialogue, l’écoute, ces choses-là qui font que ça avance. Bon, après, il y a l’envie, le plaisir...
Richard GALLIANO (1950), acc, JazzàCaen, avril 1998, Stéphane Barthod
Q : ... Vous avez enregistré GoGo avec Martin , Medeski and Wood, et certains critiques ont dit que c’était votre meilleur album...
R : ... J’aimais vraiment ce groupe. Il jouait une sorte de « jazz-rock », à défaut d’un meilleur terme. C’est plutôt comme du funk et du New-Orleans, combinés avec des aspects de free-jazz...
John SCOFIELD (1951), g/comp, DigitalInterview.com, mai 2000, TrA
De plus en plus je m’insurge - ou pour le moins je m’en désintéresse - contre la notion de fierté nationale attachée au succès d’une musique - toute musique. Pour moi, la musique est un des domaines majeurs où les efforts humains transcendent objectivement les différences. J’ai certainement ma part de fierté dans le fait que je suis du Midwest, d’Amérique etc. Mais je réalise de plus en plus que tout ça n’est qu’une enveloppe : ce n’est pas le message, et c’est toujours moins que la PENSEE derrière le message. Si c’était le message, il n’y aurait que quelques habitants du Midwest pour le comprendre. Mais en fait je suis aussi susceptible, voire plus, d’avoir un impact sur une japonaise d’Osaka, ou un garçon de Bosnie ou d’Afrique du Sud... Oui, nous venons tous de lieux différents, avec nos propres dialectes, expériences et héritages. Mais pour moi, c’est très pâle en comparaison de quelque chose de beaucoup plus grand : nous formons l’humanité. C’est cette humanité qui m’intéresse et m’attire chez certains musiciens - pas d’où ils sont ou à quel groupe ethnique ils appartiennent.
Pat METHENY (1954), guitariste, AllAboutJazz, avril 2001, Allen Huotari
... Il y aurait une Musique improvisée européenne... je comprends que l’on ait envie de regrouper un certain nombre de musiciens européens dont les styles auraient des similitudes sous une étiquette commune, mais les choses ne vont plus quand on veut y voir un style, une école, ou une évolution, fondée sur une spécificité culturelle européenne..Je ne serais pas contre en soi, mais je ne l’entends pas, tout simplement parce que je vois autant de musiciens américains qui peuvent se rattacher (...), sur le plan stylistique, à cette mouvance. De même, évidemment, que de nombreux musiciens européens se rapportent à des styles « américains », si cela voulait dire quelque chose. Il me semble que c’est une des conséquences heureuses de la perte progressive de complexes des non-américains par rapport à leurs collègues des Etats-Unis, de savoir que les styles transcendent maintenant les frontières. D’autant que considérer l’Europe entière (qui englobe tout de même la Laponie et la Turquie, le Portugal et la Norvège) comme sphère d’influence culturelle n’est pas des plus faciles. Autant je comprends (et j’entends) une influence est-européenne chez Bojan Zulfikarpasic, extrême-orientale chez N’guyen Lê, ou sud-américaine chez Michel Camilo, autant je n’arrive pas à saisir la pertinence du concept de « Musique improvisée européenne » comme catégorie stylistique.
Laurent CUGNY (1955), p/comp/arg/lead... De l’Idée de création, Cdj n°1, janvier 2001
Q : Comment situez-vous votre musique par rapport à la tradition klezmer?
Je veux faire connaître au groupe les mélodies existantes, lui faire se réapproprier le répertoire mais avec des arrangements nouveaux. Je veux écrire des morceaux nouveaux mais sans faire de plagiat.
R : Quel est votre rapport au jazz ?
Pour moi, le jazz est une mélodie prétexte à une improvisation, avec une succession de soli des différents instrumentistes. Le klezmer a une mélodie très forte avec des improvisations très proches de la mélodie. D'où des airs souvent très proches. Les festivals de jazz s'ouvrent à d'autres musiques. Les musiciens sont libres d'improviser mais c'est moi qui donne la direction. Par exemple, Mazel est une ballade traitée en jazz. Je veux travailler sur le groove klezmer. Le violoniste vient lui de la musique contemporaine. Les arrangements sont faits pour tenir en haleine le public, pour qu'on ne trouve pas deux fois le même. Une succession de soli lasserait le public. Le lien avec le jazz est essentiellement dans l'arrangement
Pierre WEKSTEIN (195), sax/fl/comp/cond, Le Jazz, juin 1999, Guillaume Lagree
J’ai longtemps détesté l’apellation World Music. Elle désigne souvent la coexistence de musiques étrangères, orchestrée par un producteur blanc qui cherche un nouveau moyen de se faire de l’argent : une démarche néo-coloniale. Je préfère désormais redéfinir l’expression World Music comme la musique d’aujourd’hui des nouvelles générations de fils d’immigrés, qui ont intégré les outils et la culture de la modernité pour s’approprier et faire connaître la tradition de leurs parents. Cela préfigure l’apparition d’une nouvelle identité qui n’est nicelle d’un passé « ailleurs », ni celle de l’Occident aujourd’hui. L’Orchestre National de Barbès en est un parfait exemple.
Nguyên LÊ (1958), guitariste, JazzMan 68, avril 2001, Renaud Czarnes
D’un certain point de vue, le jazz est mort depuis longtemps déjà. D’un autre il existe une étonnante quantité de musique crative qui découle du jazz et va dans de nombreuses directions en même temps. Au lieu de chercher le prochain Parker ou Coltrane, nous devons réaliser que les conditions qui ont permis à de tels musiciens de dominer la musique n’existent plus. Dans la musique d’aujourd’hui, des influences bien plus nombreuses sont à l’oeuvre simultanément, se mêlant les unes aux autres, se fragmentant, créant des hybrides, suggérant de nouvelles possibilités. Aujourd’hui, chaque musicien est bien plus libre de suivre sa propre voie pour trouver des solutions personnelles aux implications de ces influences. Le passé nous donne matière à réfléchir, et nous laisse la tâche parfois difficile de lui donner un sens, de nous inscrire dans une continuité avec lui alors que nous entrons dans le XXIème siècle. Tel est le défi que je sens, en accord avec nombre de mes collègues. Au lieu de chercher le « courant » de demain, nous devrions prendre en compte le fait que tout musicien actuel résout ce problème à sa manière. Résultat : il est devenu plus difficile pour chaque musicien pris individuellement d’influencer réellemnt les autres. Ce climat est une bonne chose pour la création musicale, et il s’agit d’un phénomène qui échappe à la plupart des gens du jazz. Très nouvelle, cette musique (qui ne se définit peut-être pas aisément comme du jazz) est diffusée parde petits labels indépendants du monde entier. Les auditeurs doivent travailler dur pour la trouver, les majors n’étant pas en mesure de fournir au public le prochain messie du jazz. Parce que cette époque est finie.
Ellery ESKELIN (1959), sax/comp, JMag 491, avril 1999, Alexandre Pierrepont
(intégré à son article de la revue l’HOMME, Le champ jazzistique en son temps)
Le jazz est une musique d'aujourd'hui. (...) C'est comme les personnes qui disent que le jazz est mort. Je pense que c'est en eux que le jazz est mort, parce qu'ils pensent que l'unique jazz possible est celui des années 30-40.
(...) Il est de notre responsabilité de donner une culture à la musique, de laisser quelque chose aux autres. J'ai un grand respect pour la tradition et les standards, mais il ne faut pas refuser de jouer à 300 degrés.
Q : Comment définiriez-vous le jazz aujourd'hui ?
R : C'est impossible de définir le jazz. C'est la musique de la liberté. C'est donc à chacun de trouver une définition personnelle du jazz. Moi, par exemple je suis un musicien né dans une île au centre de la Méditerranée, qui habite aujourd'hui Paris et joue partout en Europe, j'aime la musique ethnique, la musique d'Afrique et joue avec des machines électroniques. Le résultat, c'est le mélange de tout cela. Toutefois, je peux dire que mon esprit est toujours " jazz ". C'est une façon d'être, c'est un esprit de l'improvisation où chacun a sa façon de faire du swing. Le jazz, c'est un " carrefour ".
Le jazz est une vraie musique populaire à l'origine. Ensuite le jazz est devenu une musique un peu " intello ", élitiste. Mais à l'origine, ce n'est pas ça. Il faut respecter toutes les musiques dans le jazz, on ne s'enrichit que si on va dans des territoires à côté. Il faut " voler " beaucoup dans la musique, dans la musique ethnique par exemple, mais aussi en s'intéressant au cinéma, à la danse… Si on accumule les expériences, on arrive mieux à trouver sa direction. On est tous des grands " voleurs ".
Paolo FRESU (1961), tp, So What, 1999, Véronique Perrin,
Je pense que le jazz devrait refléter le contexte social actuel... Le jazz a toujours représenté une culture, un héritage, et en même temps vibré avec son époque . Dans les années soixante, il y avait Art Blakey et les Jazz Messengers, mais aussi la New Thing. Dans les années quatre-vingt, les choses se sont un peu figées. Nous avons eu le temps d’assimiler un certain nombre de connaissances, cela va nous permettre d’aller de l’avant. Ma génération a étudié le jazz. Aujourd’hui, hip hop, drum’n’bass, acid jazz, trip hop sont autant de formes de communication contemporaines. Le jazz a une capacité universelle qui en fait le lieu musical le plus riche...
Cependant, il faut être vigilant sinon, à trop vouloir manier des choses différentes, on peut aboutir à un résultat aussi incongru que serait la présence d’un 4x4 dans un film des années quarante.
Courtney PINE (1964), saxophoniste, JMag 475, novembre 1997, Romain Grossman