- le politique des musicien(ne)s

Il est bien certain qu’on en est venu à reconnaître que le peuple est le grand foyer d’intelligence et d’inspiration.

George SAND (1804-1876), citée par Eluard, B , p. 61

 

Que croyez-vous que soit un artiste ? Un imbécile qui n’a que des yeux s’il est peintre, des oreilles s’il est musicien, ou une lyre à tous les étages du coeur s’il est poète, ou même, s’il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardants ou doux événements du monde, se façonnant de toute pièce à son image. Comment serait-il possible de se désintéresser des autres hommes et, en vertu de quelle nonchalance ivoirine, de se détacher d’une vie qu’ils vous apportent si copieusement ? Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. 

Pablo PICASSO (1881-1973), Eluard, B.., p. 17

 

Je fais un rêve, qu’un jour sur les collines rouges de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. Je fais un rêve qu’un jour, même l’Etat du Mississipi (...) soit transformé en une oasis de liberté et de justice. Je fais un rêve, qu’un jour en Alabama (...) les petits garçons noirs et les petites filles noires pourront joindre leurs mains avec les petits garçons blancs et les petites filles blanches comme des frères et des soeurs. Je fais un rêve aujourd’hui ! Je fais un rêve, qu’un jour, mes quatre enfants vivront dans un pays où ils seront jugés selon leur personnalité et non selon la couleur de leur peau.

Martin Luther KING (1929-1968), discours - la partie improvisée -

 

devant 250.000 personnes, à Washington, le 28 août 1963, cité par nicole Bacharan, B4

(Après les émeutes de Watts, à Los Angeles, en août 1965)

Les Noirs américains, globalement, ne sont pas menacés dans leur survie - du moins s’ils se tiennent tranquille - et le capitalisme est devenu assez concentré et imbriqué dans l’Etat pour distribuer des « secours » aux plus pauvres. Mais du seul fait qu’ils sont en arrière dans l’augmentation de la survie socialement organisée, les Noirs posent les problèmes de la vie, c’est la vie qu’ils revendiquent. Les Noirs n’ont rien à assurer qui soit à eux ; ils ont à détruire toutes les formes de sécurité et d’assurances privées connues jusqu’ici. Ils apparaissent comme ce qu’ils sont en effet : les ennemis irréconciliables, non certes de la grande majorité des Américains, mais du mode de vie aliéné de toute société moderne : le pays le plus avancé industriellement ne fait que nous montrer le chemin qui sera suivi partout, si le système n’est pas renversé.

Guy DEBORD, Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande. Internationale situationniste n°10, mars 1966

 

... aussi la musique est, en fin de compte, le plus ferme engagement des musiciens. La position sociale qu’ils prennent. Et la Nouvelle musique est radicale à l’intérieur du « free », c’est-à-dire libérée de la chanson populaire. Libérée du découragement, du bruit... du cocktail américain. De la camisole de force de l’expression américaine sans négritude... Elle veut être libérée de cet esprit, de ce système. De cette vie. Elle crie. Elle soupire. Elle plaide. Elle explose (...)

La musique comme conscience, expression de notre position (...)

Leroi JONES, Musique noire, 1966

 

La fonction de l’artiste est de faire face au monde et par conséquent ne cesser de le contester.

Jean DUBUFFET, cité par Ben Vautier, Forum des questions, déc. 1991-janv. 1992

 

Sacrifiant son vécu immédiat pour la belle apparence, l’artiste, et quiconque essaie de vivre est artiste, obéit aussi au désir d’accroître sa part de rêves dans le monde objectif des autres hommes. En ce sens, il assigne à la chose la mission d’achever sa propre réalisation individuelle dans la collectivité. La créativité est par essence révolutionnaire.

Raoul VANEIGEM, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, 1967, p. 147

 

L’art est devenu une arme dans le combat qui se livre aux Etats-Unis, qu’il s’agisse de cinéma, de peinture ou de musique...

Les manifestations artistiques organisées au profit d’une cause politique ne sont qu’un aspect de notre action. Il faut que nous aussi nous participions à cette entreprise. Nos voix doivent être entendues pour qu’il puisse y avoir fusion du mouvement politique et de l’artiste.

William KUNSTLER, avocat, défenseur des prisonniers politiques noirs, co-responsable avec Shepp et Beaver Harris d’ « Attica Blues », JMag 205, novembre 1972

 

Le jazz sait exaspérer comme il faut : pour qui veut bien l’entendre, il conctitue le meilleur germe de révolution. L’écouter, c’est faire descendre en soi la parole de feu, réveiller la mélancolie du bonheur,couver l’indignation et se sensibiliser au mépris.

Alain GERBER, Le cas Coltrane, 1972

 

Reste le disque. Beaucoup plus qu’un souvenir, un peu plus qu’une trace ! Le disque etsa discontinuité, et l’oubli du geste dont se produit la musique et qu’ils savent si bien remettre en place, ces quatre-là, Michel PORTAL, Bernard LUBAT, Léon FRANCIOLI et Beb GUERIN ; parce que, s’ils ont le rire des enfants, ils n’en ont pas l’innocence truquée : leur démarche, en cela aimablement politqiue, se joue à fond de lucidité, et d’inquiétude boufonne. Mais sans baratin, vous savez. Et sans frime. Parce qu’au moment d’être en scène, c’est le reste, la préparation, la réputation, la réflexion, et tout le reste encore que l’on met en jeu, dans un éperdu risque-tout, et pout tout le plaisir à la musique. C’était leur manière à eux de conquérir la liberté.

Francis MARMANDE, écrivain, pochette du 33T Chateauvallon 76 (1979)

 

Une pensée de la spécificité et de l’historicité du sujet par les formes-sujets que sont les oeuvres, c’est ce qui manque à ces stéréotypes sur l’avant-garde, à cet amalgame post-moderne art-mode pub.

Ce qui est dit de l’Europe, et de « l’individu cool et tolérant », est dans l’effet de théorie d’une absence de la critique, qui est l’absence du sujet. Le paradoxe du rapport de l’art au politique, c’est que si le sujet de l’art ou du poème manque, il manque quelque chose d’essentiel au politqiue. Le sujet de la valeur. Le sujet de l’historicité.

Henri MESCHONNIC, Politique du rythme, politique du sujet, 1995, p. 353

 

Les musiciens qui avaient vingt ans dans ces années-là (60) avaient à cette époque des choses à dire, qu’ils ont plus ou moins développées. Mais ils n’ont pas arrêté leur vie musicale en 1970 ou 1980, leurs discours a évolué. Charles Tyler, Frank (Lowe) ou Matthew Shipp, qui se réclame de cet héritage... ou Bernard Santacruz, qui serait le pendant français de cet état d’esprit... A l’écoute d’un disque comme celui de Matthew, Magnetism , on s’aperçoit que leur musique s’est apaisée, qu’elle s’est chargée de plusieurs mondes dont elle joue comme de registres. Leur radicalisme n’a pas cessé : il s’est transformé. Je ne nie pas la dimension politique du Free Jazz, mais je pense que cela a arrangé beaucoup de monde de le faire teenir à cette seule détermination. Mettre en avant le contexte plutôt que la musique, même si elle ne vient pas de nulle part. Dès que le contexte change, il suffit de décréter que la musique est datée. La free est une manière de dire et faire à part entière, d’être dans le monde.

Marie COSENZA, productrice, Label Bleu Regard, JMag 499, décembre 1999

 

(A propos de Willie Bester, peintre sud-africain, né en 1956)

L’art aujourd’hui en Occident a perdu de son pouvoir de contestation et de transgression pour faire place à des attitudes de provocation ou de compassion.

En Afrique du Sud, de nombreux artistes se sont révoltés contre un Etat ignominieux et sanguinaire. Leur combat contre l’apartheid, pour proposer une autre conscience du monde, s’est concrétisé par une action dans l’image. Même si parfois leur travail est par trop démonstratif, si la question politique et la question esthétique se heurtent de plein fouet, il ne s’inscrit cependant pas dans une démarche de propagande.

Joëlle BUSCA, Perspectives sur l’art contemporain Africain, 2000

Q : On vous a critiqué pour ne pas avoir été plus en vue dans le mouvement pour les droits civiques.

R : Nous avons donné plus de bénéfices aux groupes des droits civiques que n’importe qui, et il n’y a aucun doute que nous étions concernés par les préjudices. Mais la meilleure voie, pour moi, d’être efficace, est à travers la musique. La fierté sociale dans l’histoire des Noirs a été le thème le plus significatif dans ce que nous avons fait. Nous nous sommes ainsi exprimé sur ce que ce c’est qu’être un Noir dans ce pays depuis longtemps.

Duke ELLINGTON (1899-1974), extraits de l’autobiographie Music is my Mistress, par Kim Heron

 

Ma musique n’est pas un commentaire social de la discrimination, de la pauvreté et autres. J’aurais écrit de la même façon même si je n’avais pas été un Nègre. (...)

Quand j’étais enfant, certains voulaient m’amener à haïr les Blancs pour ce qu’ils faisaient aux Nègres, et pendant un temps j’ai vraiment essayé. Mais chaque fois que je voulais les haïr, quelque Blanc s’amenait et gâchait tout.

Thelonious MONK (1917-1982), Down Beat, octobre 1958,

 

More Man than Myth, Monk has emerged from the Shadows, Frank london Brown, TrA

La musique de Trane, ce qu’il a joué au cours des trois dernières années de savie, représentait pour beaucoup de Noirs - en particulier les jeunes intellectuels et révolutionnaires noirs - le feu, la passion, la rage, la colère, la révolte et l’amour qu’ils éprouvaient. Il exprimait en musique ce que H. Rap Brown, Stochely Carmicahel, les Black Panthers et Hey Newton disaient en paroles, ce que les Last Poets et amiri Baraka (Leroi Jones, NDA) disaient en poésie. Il était leur porte-flambeau dans le jazz, il m’avait remplacé. Il jouait ce qu’ils ressentaient intérieurement, ce qu’ils exprimaient par les émeutes - Burn, Baby, Burn - qui éclatèrent un peu partout dans le pays au cours des années 1960. Il n’était plus question que de révolution pour beaucoup de jeunes Noirs -coupe afro, dashikis, pouvoir noir, poings tendus en l’air. Coltrane était leur symbole, leur orgueil, leur bel orgueil noir et révolutionnaire. J’avais représenté tout ça quelques années plus tôt, c’était maintenant son tour, je n’y voyais pas d’inconvénient. (...)

Le concept derrière « You’re Under Arrest » (disque enregistré en 1984-85) m’a été inspiré par les problèmes des Noirs avec la police un peu partout...

Voilà l’origine du concept : les gens qui se faisaient boucler, politiquement, pour être descendus dans la rue; l’horreur menaçante de l’holocauste nucléaire - et l’emprisonnement intellectuel. C’est la menace nucléaire qui est vraiment la saloperie de notre vie quotidienne, ça et la pollution généralisée. Les lacs, les fleuves, les océans pollués ; la terre, les arbres, le poisson, tout est pollué.

Leur putain d’aviditéleur fait tout foutre en l’air. Je parle des Blancs. Et ils font ça dans le monde entier. Ils bousillent la couche d’ozone, ils menacent d’envoyer des bombes atomiques sur tout le monde, essayent de s’approprier les trucs des autres, envoient leurs armées quand les gens ne se laissent pas faire...

Miles DAVIS (1926-1991), L’autobiographie, 1989, p. 246 et 312

 

Q : Comment réagissiez-vous, à cette période, par rapport aux musiciens de free Jazz fortement engagés sur les terrains politique et idéologique ?

R : Très franchement, c’était plutôt philosophique que politique ou idéologique, même si je ne cache pas que je n’ai jamais été d’aucune manière à droite. Je voterais communiste à l’époque car je voulais une société basée sur une meilleure répartition, mais je n’ai jamais, comme musicien, pratiqué le mélange. Je crois qu’un artiste qui s’engage, à titre personnel, n’engage pas pour autant son oeuvre. Sur un plan idéologique, je pense néanmoins que l’intérêt du jazz est d’abord et avant tout de permettre une oeuvre collective de création. Le jazz en soi est une idéologie, une façon de se situer dans la société et d’admettre l’interaction entre plusieurs membres.

Jef GILSON (1926), pianiste/compositeur, Vincent COTRO, octobre 1997, B. , p. 92

 

Je pense que la musique est un instrument. Elle peut créer les bases initiales d’une pensée qui peut changer les convictions des gens... le jazz est une forme de musique, et cette musique est l’expression d’idéaux supérieurs. Il en est ainsi de la fraternité ; et je crois qu’avec la fraternité, il n’y aurait pas de pauvreté. Et, de même, avec la fraternité, pas de guerre.

John COLTRANE (1926-1967), saxophoniste, Frank Kofsky, ouvrage cité, B.

 

Q : Donnez-vous toujours des concerts dans les prisons... la musique aide-t-elle vraiment les prisonniers ?

R : Il n'y a aucun doute là dessus. Je continuerais bien encore, mais aujourd'hui - je ne sais pas si c'est pareil en Europe - les prisons aux Etats-Unis sont surpeuplées, et pour des raisons de sécurité, ils ne le permettent plus... tout ce que les prisonniers ont, c'est la télé... mais j'ai connu des expériences remarquables (...)

Au moins, c'est gratifiant de savoir que la musique, au travers des activités que nous avions, touche les gens, elle les touche comme rien d'autre ne les touche, parce qu'après tout, ils sont incarcérés, ils ne peuvent aller nulle part, et il faut donc aller vers eux. C'est triste que cela n'arrive pas plus souvent, mais je suis toujours prêt à le faire...

Elvin JONES (1927), batteur, Jazzbreak, juillet 2000, Kat

 

Ce pays a tellement changé. Quand j’étais gosse, il y avait des classes de musiques pour les 8-9 ans. Nous devions écouter une heure de classique par semaine. A Dusable où j’ai étudié, on honore mon chef d’orchestre d’alors. En y retournant, j’espérais revoir cet orchstre avec lequel j’avais étudié. Plus d’orchestre, plus de département de musique. Ils les avaient supprimé !

Et je ne peux pas vous dire combien d’enfants ce programme a sauvés, occupés à quelque chose au lieu de traîner dans la rue. Pourquoi toujours suppriem-t-on la musique quand on a des problèmes budgétaires ? Ils suppriment la musique, comme si elle n’était pas nécessaire. Ils ne réalisent pas l’importance de la musique pour la santé affective des gens. Ils sont si occupés à commercialiser toutes choses. Je pense que tout enfant devrait être capable de jouer d’un instrument, même si ce n’est qu’un an ou deux... Cela donne une sensibilité au « soul » qui peut lui manquer plus tard si on ne lui offre pas.

Johnny GRIFFIN (1928), sax, MelMartin, 1994, Bob Bernotas, TrA

 

Une des similarités entre improviser et parler, qui est aussi une forme d’improvisation bien sûr, est que les mêmes sujets reviennent et la tentation est de répondre de la même façon.

(...) Pour garder les choses dans leur fraîcheur vous cherchez différents moyens de dire la même chose, ou vous essayez de trouver des choses dont vous n’aviez pas parlé auparavant. (...) Pour moi, jouer, c’est ça.

Q : C’est un bon exemple pour montrer comment procède l’improvisation. Vous mentionnez souvent cette expression : « Activité à haut risque ». J’ai l’impression que de moins en moins de gens prennent des risques au vrai sens du mot.

R : C’est vrai de tout, n’est-ce pas ?

Q : En ce sens votre activité d’improvisation libre est une activité politique. Elle montre une certaine manière d’activité qui n’existe guère ailleurs...

R : Oui. Comme beaucoup d’activités en marge, l’essentiel de son aspect politique peut être complètement ignoré, mais ces implications politiques sont pour beaucoup vraiment effrayantes, radicales. J’estime que, pour cette raison, elles seront toujours ignorées.

Derek BAILEY (1930), g, Jean Martin, août 1996, TrA

 

Q : Vous croyez que la « protest music » peut changer quelque chose ?

R : Bien sûr. Au moins dans l’esprit de certaines personnes. Je suis persuadé que la musique a un pouvoir, celui de faire passer les gens par toutes sortes d’émotions, qu’elles soient agréables ou non. C’est la raison pour laquelle les gens sont attirés par la musique. 

Richard DAVIS (1930), contrebassiste, JHot mai 1999, Dominique Truffandier

 

Le jazz a toujours été une musique d’intégration. En d’autres termes, il y a finalement des « lieux » où voudraient être les Noirs et où les Blancs accepteraient de se mélanger un peu. Je pense que le jazz n’est pas qu’une musique ; c’est une force sociale dans ce pays, qui parle de liberté, que les gens prennent du plaisir aux choses pour ce qu’elles sont et ne se préoccupent pas du fait qu’elles soient blanches ou noires et tout ça. Le jazz a toujours été une musique portant cet esprit. Maintenant je crois que, pour cette raison, ceux qui voulaient pousser le jazz ne l’ont pas fait pour cette signification. La plupart du temps, le jazz signifie : « pas de barrières ».

Cité par Ira Gitler, Swing to Bop, TrA

Il y a tant de haine dans le monde, de misère, de violence, d’injustice, de destruction, j’ai d’abord pensé que la musique pouvait s’y opposer, qu’elle avait une importance politique. En 1958, j’ai enregistré un album qui s’appelle Freedom Suite. Beaucoup de gens ont pensé que j’allais assumer un rôle de leader dans le mouvement nationaliste noir. Je suis toujours concerné par la politique, mais comme citoyen, pas comme musicien. Je ne veux mettre ma musique au service d’aucune cause. L’essence de la musique est spirituelle, elle exprime la force positive qui existe dans le monde. Il m’arrive encore d’être en colère, mais je ne voudrais pas d’une musique coléreuse. Je veux la mienne heureuse, excitante, portée par une espérance.

Sonny ROLLINS (1930), saxophoniste, 1986, texte pochette CD compil. Définitif, 2000

 

Q : Que pensez-vous de la musique actuelle ?

R :  Les jeunes ont des possibilités énormes en tant qu’instrumentistes et techniciens ; en revanche, leur musique relève de tout : du folklore, de la musique improvisée... mais pas du jazz. Il leur manque quelque chose. Il y a sûrement des raisons politiques à cette façon d’aborder la musique... 

Gianni BASSO (1931), saxophoniste, JHot 555, novembre 1998, Interview F. W. Sportis

 

Q : ... vous avez joué avec un large groupe de musiciens, vocalistes, danseurs, poètes et acteurs qui formaient le Pan African People’s Arkestra. On m’a dit que c’était un grand spectacle communautaire, qu’en est-il ?

R : J’ai d’abord eu l’Association des musiciens underground (...) constituée de tous ces musiciens de la rue qui n’avaient pas d’engagements. J’avais 29 ans quand j’ai formé l’UGMAA (Union of God’s Musicians and Artists Ascension) et c’était pour sauver la musique (...), en 1961, pour préserver la musique et les arts de la communauté noire. Elle s’est maintenue de 10 à 13 ans avec ce nom. Nous avions des poètes, des artistes, acteurs, danseurs et écrivains aussi . Nous nous rencontrions 3 ou 4 fois par semaine pour discuter de différentes choses. Et nous avions une maison où nous voulions vivre. Finalement, J. Edgar Hoover (Directeur du FBI, jusqu’à sa mort en 1972, NdA) s’est intéressé à nous. Je suis devenu un des noms sur sa liste. Plusieurs fois je n’ai pas pu rentrer chez moi. Une fois je rentrais et ma femme m’a fait le signe convenu pour repartir. Il y avait deux types à ma porte pour m’emmener. J’ai dû rester loin de chez moi plusieurs jours.(...)

Nous avons commencé à quatre et élargi par la suite . Nous avons commencé à donner des concerts, à offrir la musique aux gens pour la préserver. Nous jouions aux coins des rues sur des plate-forme de camions. Nous allions dans les jardins d’enfants. Dans les écoles (...). Tout ça était underground (...) Nous allions dans les maisons de personnes âgées et les hôpitaux pour jouer. Tout cela était gratuit, nous ne faisions pas payer un sou (...)

Horace TAPSCOTT (1934), p/comp/arg, Revolutionnary Worker, mars 1999, TrA

 

Q : Certains musiciens, Max Roach ou Charles Mingus par exemple, considèrent leur musique comme un moyen d’exprimer leurs revendications. Approuvez-vous cette attitude ?

R : Ce n’est pas à moi qu’il faut demander de porter un jugement sur les revendications humaines, sociales ou politiques d’un homme comme Mingus. C’est son problème et non le mien ; aussi, si vous voulez bien, éviterons-nous d’en parler. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’en ce qui me concerne, je me refuse à apporter avec moi, sur la scène où je me produis, les problèmes qui me préoccupent. D’ailleurs, il est très facile d’exprimer des revendications et de se faire comprendre uniquement par la façon dont on joue, sans pour autant faire appel à des arguments plus ou moins brumeux. C’est plus subtil et aussi efficace...

Jean Clouzet/Jean-Claude Zylberstein, JMag 101, décembre 1963

Q : Croyez-vous, comme certains musiciens le prétendent, que la musique puisse ou doivent être utilisée pour faire avancer des idées ? En d’autres termes, peut-on utiliser la musique à des fins politiques ou pour un changement social ?

R : Tout ce que j’ai à dire, j’aime le dire de ma bouche plutôt que donner à penser que c’est ça que je joue dans un morceau. Quans vous entendez le morceau, je vous laisse entendre ce que vous voulez. Je ne vais pas vous dire que vous vous trompez si vous n’entendez pas ce que j’ai écrit. J’écris des thèmes à partir de différentes choses et situations, mais cela ne signifie pas que vous deviez entendre la même chose.

Roland KIRK (1935-1977) sax, sax/fl/comp, Down Beat mai 1966, Bill McLarney, TrA

 

Le drame, pour nous, c’est que jouons une musique volée. C’est une musique noire, née dans un contexte précis. Contexte et situation qui ne sont pas les nôtres. (...) Et puis faire une musique révolutionnaire, en France... Le Noir a quelque chose qui condense tout ce contre quoi on peut se révolter ; le blanc américain et sa culture. Nous, contre quoi nous battre ? Oh bien sûr, il y a des motifs de révolte, mais tout est flou, tout s’en va par tous les bords, tout fuit, tout est récupéré, déformé.

Michel PORTAL (1935), sax, JHot 241, mai-juillet 1968, cité par Vincent COTRO

 

La musique de cet album est dédiée à la création d’un monde meilleur ; un monde sans guerre ni crime, sans racisme, sans pauvreté ni exploitation ; un monde où les hommes de rnements réalisent l’importance capitale de la vie et s’efforcent de la protéger plus que de la détruire. Nous espérons voir une société nouvelle de lumières et de sagesse où la pensée créatrice deviendra la force dominante dans la vie de tous.

En travaillant à la réalisation de cet album, j’ai vécu quelques-uns des moments de ma vie les plus riches de sens...

Charlie HADEN (1937), contrebassiste, pochette de Liberation music orchestra, 1969

 

Q : Vous et Archie Shepp mettez en avant des convictions politiques. Qu’en est-il ?

R : Oh, je ne crois pas qu’on puisse vivre dans cette société sans être quelque peu politisé. Reconnaissons-le. Particulièrement dans la communauté noire nous le savons bien, c’est toujours sur le devant, car c’est là que nous vivons. Tous les deux, nous avons notre (savior) dans les arts parce que nous sortons de cette communauté. Parfois j’écoute la poésie d’Archie et je me erconnais dans ce qu’il dit.

Reggie WORKMAN (1937), contrebass, Cadence JazzMag, 1998, Bob Rusch, TrA

 

Le rôle du musicien, de l’artiste, n’est pas de changer le monde, c’est de donner un plaisir qui donne à réfléchir. On peut troubler parce qu’on se pose des questions. Le but, c’est que les gens nous aident à trouver les réponses.

Daniel HUMAIR (1938), batteur/peintre, JHot 573, septembre 2000, Serge Baudot

 

Le discours musical n’est pas réductible à un autre type de discours, ce qui ne veut pas dire qu’il n’appartient pas à une idéologie particulière... (Ce fait) me pousse à mélanger la musique avec d’autres « disciplines » comme, par exemple, le théâtre ou le cinéma.

François TUSQUES (1938), pianiste/compositeur, JMag 185, mars 1971

 

Q : Vous avez voulu donner un contenu et un sens politique à votre musique ?

R : Je crois que j’ai choisi de jouer une certaine musique. Ce choix, en Amérique, prend un sens. Quand j’entends John Coltrane, Charlie Parker ou Charlie Rouse, je sens une démarche. S’agit-il d’un acte politique ? Peut-être. Mais je ne vois pas la musique comme une arme ou un outil politique. Je ne veux pas limiter la musique à cela. La musique représente une émotion à un moment précis. Ce que j’ai eu envie de dire à tel ou tel instant, je l’ai dit à travers ce que j’ai joué. Si ma motivation était politique, mon expression l’était aussi ; mais si le ressort était d’une autre nature, mon jeu reflétait cet état de fait. Peut-être cela comporte encore des aspects politiques, parce que sommes affectés par notre environnement. Par exemple, je peux désapprouver le comportement de mes proches, de mes voisins, et réagir musicalement. En ce sens - celui du rapport au monde - on peut lire une trace du politique dans ces situations. Mais d’un point de vue disons « chimique », on part d’une matière qui est musique avant tout.

Arthur BLYTHE (1940), saxophoniste, JHot 515, novembre 1994, Romain Grosman

 

Q : La musique que vous jouiez dans les années soixante-dix, avec le Black Artist’s Group avait une connotation politique. Pensez-vous que cette image a évolué ?

R : Je n’ai jamais vraiment considéré cette musique comme politique. Si elle communique politiquement, alors elle le fait sans que je pense consciemment faire quelque chose de politique. Dans les années soixante, quand le Black Artist’s Group a débuté, il y avait tant de politique, même la façon dont le Black Artist’s Group a été créé, son nom, parce que c’était l’époque du mouvement pour les droits civiques. Alors tout ce que vous faisiez était interprété comme un geste politique. Nous avions notre propre immeuble, nous enseignions, nous présentions nous-mêmes, ce qui en soi était politque, cette prise de contrôle sur notre destinée musicale. Je continue à le faire tout le temps, ces CD sont produits par ma compagnie. Je prends donc encore ce type d’initiatives des années soixante. Alors si ça peut s’interpréter comme un geste politique...(rires), mais je ne pense pas à ça en tant que tel.

Oliver LAKE (1942), sax/fl/comp/poète..., Le jazz, A. Le Roux / X. Matthyssens, TrA

 

Q : Votre démarche musicale, à l’époque du Free Jazz, a-t-elle à voir avec la situation politique qui sévissait en Allemagne de l’Est ?

R : Il faut voir que le contexte politique Est-allemand était particulièrement contraignant (...). Ce n’est qu’ensuite que j’ai ressenti une véritable motivation politique. Si on ne pouvait parler avec des mots, on pouvait le faire avec les sons, plus librement, en une manière d’échapper aussi à la situation politique et de montrer aux gens un certain modèle de liberté.

Joachim KÜHN (1944), pianiste, Le free jazz en France, Vincent COTRO juin 1999, p161

 

Le jazz, c’est quelque chose de sérieux, parce qu’il y a le problème noir. Dans le temps, je faisais de la « protest music » - si voua avez envie de protester, ça passe directement dans votre musique...

J’aime le côté positif de la vie. Quand je joue de la « protest music », ce n’est pas quelque chose de gratuit : je lutte contre une certaine forme d’apathie, contre un certain « je-m’en-fichisme »...

J’ai combattu quatre ans et demi le gouvernement des Etats-Unis pour rester en dehors de l’armée, parce que j’avais des raisons précises pour agir ainsi. Je ne me suis pas battu pour une opinion, mais pour ma liberté. Et ça, c’est le plus important, parce que quand on fait son service militaire, on vous dit plus ou moins : O.k., you can kill now, here’s your license ».

Keith JARRETT (1945), pianiste, Granes interview JHot, François Postif

 

Q : Vous dites que les restructuralistes (un terme de Braxton, NDA) menacent l’ordre culturel -pensez-vous que votre musique fasse cela ? Est-ce une musique dangereuse ?

R : (rires) Vous pouvez le dire ! Ma musique, toute l’oeuvre de ma vie, veut finalement défier les fondations mêmes du système de valeurs occidentales, c’est en quoi elle est dangereuse.

Anthony BRAXTON (1945), sax/comp/cond, A. Braxton and the Meta-Reality of Creative Music, Graham Lock, 1988

Pendant « grève » du festival d’Uzeste (subventions départementales coupées)

 

Enfin les artistes se mêlent de ce qui les regarde. Pour certains ça fait drôle... Ici à Uzeste jaillit brut de décoffrage tout ce qu’on apprend sur le terrain : philosophie, esthétique, dialectique, pratique... en plus de la musique.

Q : Et le jazz dans tout ça ?

R : Je ne crois pas qu’on puisse faire du jazz à l’écart de la société... L’esthète qui regarde dans son nombril l’esthétique, ça tourne au consanguin, non ? Moi je recherche la transarité.

R. Latxague, JMag 508, octobre 2000

Caunègre : Avant de venir à Uzeste avais-tu un regard politqiue sur la vie, sur le monde ?

R : Oui, je suis un enfant de la balle, village, société, lutte de classe, laïcité, religion, travail de la terre, propriétaires, métayers, artisans, petits commerçants... Dans les studios parisiens où j’enregistrais avec Dalida, Claude François, Sheila, Boulez, j’arrivais avec l’Humanité ». 5...) Je n’étais pas gauchiste au sens politique, je l’étais plutôt au sens artistique. Depuis Uzeste, le mot « libertaire » pour moi, ne suffit plus : Uzeste musical, ce n’est ni libertaire ni libéral, c’est libérant ou alors ce n’est pas. La question essentielle est, ici pour nous, d’envisager comment chacun peut être à la fois émetteur et récepteur, car si nous ne sommes pas à la fois émetteurs et récepteurs, nous ne sommes pas des individus, nous sommes cuits, parce quenous ne sommes pas entiers. Chacun a une capacité d’expression du monde dont tout le monde a besoin. Nous avons tous besoin de l’expression particulière de chacun. Tout ce que j’ai appris, c’est avec ceux qui sont différents de moi. Chacun a une personnalité et cela a un sens d’arriver à vivre socialement cette capacité d’être des individus. Si le troisième millénaire n’arrive pas à vivre cela, l’espèce humaine disparaîtra au profit de moins couillons que nous.

Bernard LUBAT (1945), p/dms/lead/poèt..., La musique n’est pas une marchandise, 2001

 

Q : Le lien entre votre idéal politique (voir la démarche communautaire) et la création vous apparaissait-il clairement ?

R : Notre démarche se voulait un refus, une critique des institutions existantes, la remise en question d’un mode de vie. D’où notre tendance à la contestation politique, notre goût pour l’écologie...

Gérard MARAIS (1945), guitariste, Le free jazz en France, Vincent COTRO, page 193

 

J’avais aussi besoin de trouver quelque chose qui soit un peu plus « social » que d’être seulement un musicien, un artiste. Ceci est, en d’autres termes, une affaire d’égo, très centréé sur soi, voue êtes là-dedans, vous êtes le « Roi du monde » pour une minute. Mais um moment est venu dans ma vie -au milieu de la trentaine - je ne sais quoi - aussi mes parents, qui disaient : » Que fais-tu pour la société ? que fais-tu pour le monde, mon gars ? Que donnes-tu en retour ? » La tradition de l’éducation juive n’est pas seulement de se faire une bonne vie, mais aussi de servir, de faire quelque chose de bien. Alors vous comprenez, je me suis dit que je devais faire quelque chose de plus... Je cherche vraiment un moyen de faire quelque chose au niveau du monde, Mouvement pour la Paix, Sauver des enfants... Finalement, j’ai pensé que le mieux était de m’intéresser aux enfants ayant besoin d’être guidé pour développer leur talent... Ecrire des livres...

Dave LIEBMAN (1946), saxophoniste, Vic Schermer, septembre 1998, AllAboutJazz

 

Q : Ce lien entre un idéal politique et la création musicale vous apparaissait-il clairement ? Qu’en est-il devenu ?

J-L M : Ce lien m’apparaissait clairement puisque j’ai milité nombre d’années dans un mouvement d’extrême-gauche. Au niveau du groupe nous étions sans cesse associés aux fêtes anars... Mao... PSU (...). Aujourd’hui, la conscience politique est pour moi encore plus vive. Elle ne se pratique plus dans un parti, mais elle est pour moi une éthique quotidienne, une déontologie. 

F M : Le lien existait clairement mais nous n’étions pas Noirs américains. Les luttes n’étaient pas les mêmes. (...) Le musicien dans la société n’est plus celui des années 70... et de ce point de vue là je n’ai pas de nostalgie. Je me sens plus responsable politiquement car les objectifs sont plus concrets. A cette époque nous gérions l’utopie. 

Jean-Louis MECHALI (19..), batteur/percussionniste et François MECHALI (1950), contre-bassiste/compositeur, leaders du Collectif COHELMEC, Le free jazz en France (1960-1975), Vincent COTRO, novembre 1998, page 175

 

Aux Etats-Unis, l’état des lieux est toujours aussi lamentable, les gens pauvres ne contrôlent rien et ne s’arrêtent jamais de travailler pour joindre les deux bouts. Quand la musique parle encore de changement social (...), les gens n’ont pas le temps d’aller l’écouter. La plupart sont quasiment endormis, ne réalisent pas à quoi ils servent et, lorsqu’ils communiquent clandestinement, c’est par la voie de l’ordinateur. Or il faut écouter attentivement cette musique pour qu’elle vous rende plus conscient de vous-même et des changements à opérer en vous et autour de vous. En tous cas, que vous proclamiez ou non vos convictions, elles transparaissent toujours dans la façon que vous avez de jouer. La politique doit se penser différemment. Je peux déclarer qu’une fleur est la chose la plus politique qui soit parce que, lorsque vous la considérez, vous comprenez qu’elle fait partie des révolutionnaires de ce monde.

William PARKER (1952), contb/comp/lead, JMag 470, mai 1997, Etienne Brunet et Alexandre Pierrepont

 

Q : Que voyez-vous arriver dans le jazz et la musique américaine aujourd’hui - quels changements avez-vous observés depuis le milieu des années soixante-dix, comment ça évolue en termes de développement stylistiques ?

R : Le jazz est une sorte de miroir du Mouvement des Droits Civiques. Toutes les avancées des années soixante se retrouvent dans le jazz. Ornette Coleman a fait de grandes avancées quand il est venu à New-York, les gens ont apporté différentes sortes de musiques, ont été influencés par exemple par John Coltrane, la révolution en jazz. Ces gens ont fait faire au jazz de grands pas, en essayant de changer les formes du jazz, le visage du jazz à venir. Maintenant dans les années quatre-vingt-dix, certains essayent de revenir en arrière, c’est tout à fait comme le mouvement des Droits civiques, la fin de la ségrégation raciale est retombée et le bon jazz aussi, les gens n’ont pas l’occasion d’entendre ce bon et pur jazz.

David MURRAY (1955), sax/fl/cl/comp... New Jazz Archives, novembre 1995, Steve Bahcall, TrA

 

J’ai grandi dans une communauté appelée « University City », qui était et reste très progressiste. LA première communauté intégrationniste à Saint-Louis (...) L’intégration était une question importante. Ils avaient essayé d’organiser un service de bus bénévole pour l’intégration scolaire - mais, de peu, ils ont échoué. Probablement la première communauté à faire ça dans le pays. D’un côté, c’était une communauté très progressiste, mais quand j’y vivais, il y avait beaucoup de volées de Blancs. Les Noirs qui y allaient étaient en fin de compte de la bourgeoisie noire. C’était la première « sub’urb » où ils pouvaient aller...

Marty EHRLICH (1955), sax/fl/cl, Omnitone, Tafuri... ? TrA

 

Q : La musique peut-elle influencer, voire améliorer la société ?

R : J’espère être « une force vers le bien dans le mode » (comme l’a dit John Coltrane). Peut-être ma musique promeut-elle l’ouverture d’esprit, si l’on adapte l’expérience qu’on a en l’écoutant à d’autres aspects de l’existence. Mais je ne me sens pas responsable du comportement et des attitudes d’autrui. Ma musique est là pour ceux qui veulent la partager. Je vois cela surtout comme une expréinece privée et personnelle. Je peux espérer que mes auditeurs se rendent compte que rien dans ma musique ne va de soi, et qu’ils transfèrent une telle attitude envers d’autres domaines de l’existence, mais encore une fois, puisque je chéris la liberté de pouvoir faire de la musique sans barrière préconçue, je dois aussi reconnaître à l’auditeur la liberté de réagir comme il lui plaît...

Si l’on s’accroche, on finit par obtenir la loyauté d’un public qui reconnaît et apprécie une qualité, une obstination et une intensité dans ce qu’on fait, qui ne peut venir qu’en vouant toute sa vie à une telle entreprise. Même s’ils n’aiment pas ou ne comprennent pas toujours la musique, ils y reconnaissent ces qualités humaines. Une telle approche sera toujours soutenue par un certain public. Il y aura toujours une part de la nature humaine qui s’intéressera à ce qui fait alternative aux goûts majoritaire.

Ellery ESKELIN (1959), saxophoniste, JMag 498, novembre 1999, Yves Citton

 

La situation politique et sociale actuelle n’appelle certainement pas une guerre physique. Plutôt une lutte artistique pour la libre création et l’émotion conjointement à une réflexion et une action nouvelles - afin de réagir face aux fausses-bonnes gouvernances en place dans les pays riches. Il nous faut inventer une nouvelle musique, une nouvelle façon de penser la société afin de retrouver un espoir avant que cette dernière, telle un beau fruit trop mûr, ne pourrisse, rongée par les vers. La révolte est évidemment blottie en nous. Elle est attisée par les souvenirs et émotions contenues dans ces chansons, symboles de la révolution espagnole ou infime espace entrevu d’une utopie tant espérée.

Thierry MADIOT (1963), tromboniste, JMag 509, novembre 2000, Xavier Matthyssens, à propos de l’album « Songs of Spanish War » Leo Record / Orkhestra

 

 

 

 

Fallait-il relire les « Fables » ?

(à développer)

Ce n’est, au présent et futurs, qu’à la condition de jouer les jazz comme oeuvres d’art tenant éthique et politique que l’on pourra être fidèle à son éthique afro-américaine originelle.

 

3-3 Du jazz, l’art et le Peuple

 

Mais le problème essentiel, pour nous autres Noirs, est ailleurs. Nous nous battons pour faire admettre notre paternité sur le jazz. Que les autres l’utilisent, nous n’y voyons aucun inconvénient mais qu’au moins on nous reconnaisse le mérite d’avoir fait naître cette musique. Ce n’est malheureusement pas ce qui se passe actuellement dans notre pays. Il faudrait que les grands créateurs du jazz soient reconnus comme tels et respectés pendant qu’ils sont encore en vie. Je veux qu’ils aient des fleurs maintenant et non sur leur tombe comme ce fut le cas pour Lady Day (Billie Holiday) et le Président (Lester Young). Beaucoup d’entre nous ne peuvent plus supporter d’être aussi injustement dédaignés. Charlie Parker en est mort. D’autres sont plus résistants (...)

A peu près toutes les formes d’art que vous trouvez aujourd’hui aux Etats-Unis proviennent en droite ligne de l’Europe. Une seule est spécifiquement américaine, c’est le jazz avec les négro-spirituals. Plus de jazz, et plus d’art américain ! Voilà la vérité. En fait, les américains refusent d’accorder au jazz la place qu’il mérite et cela à cause des problèmes raciaux (...) Mais comme le jazz est la seule arme que nous possédions pour nous défendre, tout en l’acceptant avec réticence, ils esssaient de nous la voler, en tirant la couverture à eux. Quand cela devient trop flagrant, nous modifions notre manière de jouer pour les dérouter. C’est un peu pour cette raison qu’est né le jazz moderne ...

Art BLAKEY (1919-1990), batteur, JMag 95, juin 1963, Clouzet/Delorme (B, p. 145)

 

Ce que j’apprécie chez Duke Ellington, c’est d’abord son rapport au vécu des Noirs en Amérique. En un sens, c’est notre « poète lauréat » dans le domaine de la musique : il a célébré la vie et l’expérience noires comme aucun autre compositeur ne l’a fait. Son génie lui a permis de le faire de manière très particulière, très authentique. Personne ne jouait comme Ellington. Il écrivait pour chaque musicien en particulier...

Archie SHEPP (1937), JMag 492, mai 1999, Christian Gauffre

IndexBAILEY Derek (guitariste) ; BASSO Gianni (saxophoniste) ; BLAKEY Art (drums, leader) ; BLYTHE Arthur (sax alto, comp, lead) ; BRAXTON Anthony (multi-inst, saxo, comp, lead, écrivain) ; COLTRANE John (saxophoniste, comp, lead) ; DAVIS Miles (trumpet, comp, lead) ; DAVIS Richard (contrebassiste) ; EHRLICH Marty (saxophoniste) ; ESKELIN Ellery (saxophoniste, comp, lead) ; GILSON Gef (compositeur, arg, lead, piano) ; GRIFFIN Johnny (saxophoniste) ; HADEN Charlie (contrebassiste, comp, lead) ; HUMAIR Daniel (drums, lead, peintre) ; JARRETT Keith (pianiste, sax, flû, comp, lead) ; JONES Elvin (drums, comp, lead) ; KIRK Roland ; KÜHN Joachim (pianiste, comp, lead) ; LAKE Oliver (saxo, flûte, comp) ; LIEBMAN Dave (saxophoniste, comp, lead) ; LUBAT Bernard (pianiste, acc, dms, voc, lead) ; MADIOT Thierry ; MARAIS Gérard ; MECHALI François (contrebassiste, comp) ; MECHALI Jean-Louis (drums) ; MURRAY David (saxophoniste, comp, lead) ; PARKER William (contrebassiste, comp, lead) ; PORTAL Michel (clarinettiste, sax, comp, arg, lead) ; ROLLINS Sonny (saxophoniste, comp, lead) ; SHEPP Archie (sax ténor sop, lead, écrivain) ; TAPSCOTT Horace ; TUSQUES François (pianiste, comp, lead) ; VANEIGEM Raoul (homme) ; WORKMAN Reggie (contrebassiste)
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