Ouvert oct 2004, mis à jour 28 mai 2006
Je placerai ici ce qui relève de l'art en tant qu'il est politique, ou qu'il peut inspirer la politique; ce qui relève de la politique en tant qu'elle est un art, ou que celui-ci peut transformer celle-là. Il ne s'agit pas, par conséquent, du rapport tel qu'entendu souvent entre art et politique mais de chercher les liens entre les spécificités des deux champs. Qu'on ne s'étonne donc pas d'y trouver des citations où ce rapport n'a rien d'explicite, mais tient à l'usage que l'on peut en faire (oct. 2004)
Sur art et politique en général, se reporter à JAZZ et PROBLEMES des HOMMES, comme source de citations d'artistes, philosophes, historiens... sommaire
Le plus récent :
Jazz, communisme, et improvisation : retour sur un parallèle, mai 2006
La "communisation" sera poétisation ou ne sera pas, février 2006
On se reportera aussi à Jazz, art, et politique / le politique du jazz / un art moderne pour la modernité, des métissages musicaux aux 'jazz' de la multitude / III2 art, musique, et politique / JAZZ ET COMMUNISME /
... et par ailleurs
Barthélémy SCHWARTZ : Guy DEBORD aux Galeries La Fayette (1994), Un art d'économie mixte (1997), Dérive dans le XIIIème arrondissement de Paris, samedi 28 juin 1997, Dérive d'avant-garde (1999), La poésie pour quoi faire ? (2005) (ajout 3 janv 2006)
Jean-François SAVANG : Hic & Nunc, 2000, "Un artiste peut-il travailler avec l'institution ? Non", colloque mai 2003 : Critique et tactique, La propriété «intellectuelle» n'existe pas, décembre 2004
L'esthétique e(s)t le marché: quelques réflexions sur le commerce de la world music, par Francesco Giannattasio, mai 1998
E. SAN JUAN Jr. Surréalisme et révolution (Antonio Gramsci, Walter Benjamin, Aimé Césaire)
Thomas GENTY : La critique situationniste ou la praxis du dépassement de l’art / Art et subversion / De l'impossibilité de la subversion dans l'art au dépassement de l'art par une praxis de la subversion quotidienne
Henri MESCHONNIC, La poétique tout contre la rhétorique, mai 1998
(...) C'est en ce sens que j'entends la pensée d'Isidore Ducasse : La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo ! Pauvre Racine ! Pauvre Coppée ! Pauvre Corneille ! Pauvre Boileau ! Pauvre Scarron !Tics, tics et tics, et que je vous prie de l'adapter à la peinture. Il serait tant d'ailleurs de comprendre que l'heure est venue où tout ce qui passait pour boutade dans les Poésies de Ducasse doit être regardé comme l'expression prophétique d'un bouleversement dont nous sommes les ouvriers aveugles. Mais passons. Il suffit qu'on retienne de tout ceci que l'art a véritablement cessé d'être individuel, même quand l'artiste est un irréductible individualiste, du fait que nous pouvons suivre, en négligeant les individus, à travers des moments de leur pensée, un vaste raisonnement qui n'emprunte de truchement des hommes que d'une façon passagère, et si de cette phrase que j'écris il ne sonne à l'oreille des journalistes que cette proposition fragmentaire l'art a véritablement cessé d'être individuel, ce n'est pas moi qui en serai mécontent.
Louis ARAGON, La peinture au défi, 1930
Le détournement est le contraire de la citation, de l’autorité théorique toujours falsifiée du seul fait qu’elle est devenue citation ; fragment arraché à son contexte, à son mouvement, et finalement à son époque comme référence globale et à l’option précise qu’elle était à l’intérieur de cette référence (...). C’est au contraire sa propre cohérence, en lui-même et avec les faits praticables, qui peut confirmer l’ancien noyau de vérité qu’il ramène. Le détournement n’a fondé sa cause sur rien d’extérieur à sa propre vérité comme critique présente.
Guy DEBORD, La société du spectacle, 1967
Esthète est la culture. Esthète et culturel s'identifient. L'esthète fait comédie de chérir la beauté. Mais de beauté il n'y a nulle part, sinon conventionnelle -culturelle. La beauté est pure sécrétion de la culture comme les calculs le sont du rein. A cela près que ce calcul-là est calcul fantôme, calcul pirage, attrape-nigaud.
La fonction opérante de l'esprit est de mobilité, de propulsion, c'est-à-dire d'incessant abandon d'un lieu pour sauter à un autre. La culture, à l'inverse, ne cesse de crier fixation; c'est à quoi son action, à l'opposé d'aider à l'agilité de la pensée, enchaîne ses pieds, l'immobilise. De la culture et de la pensée les mouvements sont inverses : de flux la pensée, et la culture de reflux.Jean DUBUFFET, Asphixiante culture, 1968
Il existe une pensée plastique, distincte de la pensée mathématique, ou de la pensée physique, ou de la pensée biologique, ou de la pensée politique. Cette pensée possède ce trait particulier parmi beaucoup d'autres d'utiliser un médium ou un support non verbal. A ce titre elle est avec la pensée verbale et la pensée mathématique une des trois puissances de l'esprit humain. Or, jusqu'à présent, on ne s'est pas soucié d'analyser les relations particulières qui unissent aux techniques artistiques les démarches spécifiques de la pensée plastique. Au contraire, on s'est préoccupé d'établir une identité, fausse, entre les démarches et les enseignements de la pensée plastioque et ceux des autres pensées, principalement de la pensée verbale. Au fur et à mesure que l'engouement universel s'est répandue pour les arts, chacun a pensé que la compréhension des systèmes figuratifs était un donné de l'expérience humaine. Chacun s'est mis à parler des oeuvres figuratives comme si elles portaient en elles une signification évidente et stable. Tel auteur, qui rirait de lui-même s'il entrepenait de commenter les oeuvres d'une langue qui lui est totalement inconnue à travers une vague traduction, n'hésite pas à écrire sur les arts. Il en résulte que, de plus en plus, la théorie des arts se confond avec celle des autres disciplines de l'esprit. Le commentaire courant des arts figuratifs est, de la sorte, pratiquement détaché à l'heure actuelle de la connaissance propre des oeuvres; il ne roule que sur les valeurs communes aux arts et aux autres domaines de la pensée explicite, principalement verbale et même plus exactement littéraire. Bien entendu, les arts continuent à remplir dans notre temps leur fonction propre et ils possèdent leur public, celui qui les pratique ou les entend suivant leur véritable mode d'approche. Toutefois, il en résulte un sensible écart entre la vie des arts dans la société contemporaine et le développement du commentaire dans une direction opposée au génie propre de la langue figurative.
Pierre FRANCASTEL, Valeurs socio-psychologiques de l'espace-temps figuratif, 1963
On était ainsi conduit à analyser la production littéraire et artistique en général. On reconnut que le royaume de l'imagination était une "réserve", organisée lors du passage douloureusement ressenti du principe de plaisir au principe de réalité, afin de permettre un substitut à la satisfaction instinctive à laquelle il fallait renoncer dans la vie réelle. L'artiste, comme le névropathe, s'était retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce monde imaginaire, mais à l'inverse du névropathe il s'entendait à trouver le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité. Ses créations, les oeuvres d'art, étaient les satisfactions imaginaires de désirs inconscients, tout comme les rêves, avec lesquels elles avaient d'ailleurs en commun le caractère d'être un compromis, car elles aussi devaient éviter le conflit à découvert avec les puissances de refoulement. Mais à l'inverse des productions asociales narcissiques du rêve, elles pouvaient compter sur la sympathie des autres hommes, étant capables d'éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes inconscientes aspirations du désir. De plus elles se servaient, comme "prime de séduction", du plaisir attaché à la perception de la beauté de la forme. Ce que la psychanalyse pouvait faire, c'était - d'après les rapports réciproques des impressions vitales, des vicissitudes fortuites et des oeuvres de l'artiste - reconstruire sa constitution et les aspirations instinctives en lui agissantes, c'est-à-dire ce qu'il présentait d'éternellement humain.
Sigmund FREUD, Ma vie et la Psychanalyse, 1925
La révolution du regard dont je parle depuis 1960, qui tend à renverser le pouvoir de l'"artiste créateur" au bénéfice de tous les "regardeurs", cette révolution mentale que Marcel Duchamp et l'orientation de quelques peintres, poètes et cinéastes, m'ont aidé à rendre plus apparente et plus décisive que l'"originalité" des oeuvres d'art proprement dite, l'heure est maintenant venue d'en tirer les conséquences pratiques. Car je suis persuadé qu'en changeant le langage, en favorisant les chagements de sens, en refusant de jouer le jeu de la normalité culturelle, nous nous changerons nous-mêmes, et nous seront bientôt conduits à trouver les méthodes d'organisation et de combat qui sont nécessaires à la propagation des idées révolutionnaires dans les domaines où elles peuvent exercer une action réelle.
Alain JOUFFROY, L'individualisme révolutionnaire et l'art, 1977
(...) le phénomène de la formation, de la formation dans sa double relation au déclanchement initial et aux conditions de vie, de la formation comme déploiement de l'impulsion mystérieuse à l'adéquation au but visé.
Le phénomène était déjà perceptible dans l'activité opérante à son début le plus rudimentaire, lorsque la forme commençait à se constituer en tout petit (structure). Ce rapport fondamental de la formation à la forme, une fois observé à l'échelon structural ("cellulaire", "tissulaire"), garde toute sa signification aux stades ultérieurs, précisément parce qu'on y a reconnu un principe.
Cette signification peut s'énoncer ainsi : la marche à la forme, dont l'itinéraire doit être dicté par quelque nécessité intérieure ou extérieure, prévaut sur le but terminal, sur la fin du trajet. Le cheminement détermine le caractère de l'oeuvre accomplie. La formation détermine la forme et prime en conséquence celle-ci.
Nulle part ni jamais la forme n'est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l'envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n'est qu'une maligne apparition, un dangereux fantôme.
Bonne donc la forme comme mouvement, comme faire, bonne la forme en action. Mauvaise la forme comme inertie close comme arrêt terminal. Mauvaise la forme dont on s'acquitte comme un devoir accompli. La forme est fin, mort. La formation est Vie.Paul KLEE, Philosophie de la création, 192?
L'on est artiste au prix de ressentir ce que tous les non-artistes nomment "forme" en tant que contenu, que "la chose même". De ce fait l'on appartient sans doute à une monde à l'envers : car dès lors le contenu devient pour nous quelque chose de purement formel, y compris notre vie.
NIETZSCHE, Fragments de novembre, 1887
Les disciples aveugles - Aussi longtemps qu'un maître connaît bien la force et la faiblesse de sa doctrine, de son art, de sa religion, c'est que le pouvoir en est encore infime. Le disciple, l'apôtre, qui, aveuglé par le prestige du maître et la piété qu'il lui voue, n'a point d'yeux pour la faiblesse de la doctrine, de la religion, etc., a généralment par là même plus de puissance que le maître. Sans ces disciples aveugles, jamais encore l'influence d'un homme et de son oeuvre n'est arrivée à s'étendre. Aider au triomphe d'une idée, ce n'est bien souvent que ceci : l'associer si fraternellement à la sottise que le grands poids de celle-ci finisse par l'emporter, entraînant celle-là dans la victoire.
NIETZSCHE, Humain trop humain, 1878
Le plaidoyer de Motoori Norinaga [1730-1801] pour la "pensée sauvage" culmine avec sa conception du mono no aware [littéralement, sentiment des choses]. Mono no aware, ce sont les émotions ressenties en tout lieu, non seulement face au monde des hommes, mais également face au monde naturel en général, et pour Norinaga, seule cette faculté de saisir le monde à travers ce mono no aware donne sa dimension humaine à la connaissance des hommes. D'après lui, cette connaissance du monde par les émotions n'est absolument pas la même chose qu'une connaissance subjective. D'autre part la littérature et particulièrement la poésie, sont nécessaires pour développer cette connaissance. En effet la poésie sensibilise l'homme à l'inséparabilité du monde des émotions et du monde naturel.
OSHIMA Hitoshi, Le développement d'une pensée mythique / Pour comprendre la pensée japonaise, 1989
Les idées formées par l'intelligence pure n'ont qu'une vérité logique, une vérité possible, leur élection est arbitraire. Le livre aux caractères figurés, non tracés par nous, est notre seul livre. Non que ces idées que nous formons ne puissent être justes logiquement, mais nous ne savons pas si elles sont vraies. Seule l'impression, si chétive qu'en semble la matière, si insaisissable la trace, est un critérium des vérité, et à cause de cela mérite seule d'être appréhendée par l'esprit, car elle est seule capable, s'il sait en dégager cette vérité, de l'amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. L'impression est pour l'écrivain ce qu'est l'expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l'intelligence précède et chez l'écrivain vient après. Ce que nous n'avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous, n'est pas à nous. Ne vient de nous-même que ce que nous tirons de l'obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres.
Marcel PROUST, Le temps retrouvé, 1927
La plupart vivent sous le règne du vouloir. L'artiste est celui qui est sans vouloir / Il faut chercher à voir, là où voir n'est plus possible, où il n'y a plus de visibilité / Pour arriver à un certain quelque chose, il faut n'être rien / Il faut faire ce qu'on est seul à pouvoir faire / Il est très difficile d'aider l'autre sans le trahir / Quand on cherche la vie, il faut n'avoir aucun appui. Demeurer dans la solitude. Dans le doute, l'interrogation / Tout ces gens qui se croient bons, généreux, intelligents, et qui ne savent pas qu'ils sont morts. - Il n'y a pas pire que la plupart des croyants. C'est insensé tout ce que l'homme est capable quand il est à la recherche de sa tranquillité. - Il y a une telle lâcheté en l'homme. Mais dans la mesure où cette lâcheté est générale, plus personne ne la voit / Ce qui fait défaut, c'est le réel / Les multiples pouvoirs du faux et l'extrême faiblesse du vrai, c'est cela le tragique / Il faut savoir ne pas faire carrière / Non. Il y a déjà eu trop de mots. Maintenant, il faut se taire
Bram VAN VELDE, Rencontres avec --, Charles Juliet, 1967