- jazz; l’art et la vérité

Dans l’art il faut voir non pas je ne sais quel jouet plaisant ou agréable, mais l’esprit qui se libère des formes et du contenu de la finitude - la présence et la conciliation de l’absolu dans la sensible et l’apparence - un déploiement de la Vérité qui ne s’épuise pas comme histoire naturelle, mais se révèle dans l’histoire universelle dont il est le plus bel aspect - la meilleure récompense pour le bon travail dans le réel et les efforts pénibles de la connaissance.

HEGEL (1770-1831), cité par Eluard, Anthologie des écrits sur l’art, p. 7

 

Il faut trouver le secret du beau par le vrai. Les anciens n’ont pas créé, ils n’ont pas fait : ils ont reconnu.

Jean-François INGRES (1780-1867), Eluard, Anthologie...

 

Vous me demandez si j’ai un secret : il est le même que celui des gens, malheureusement en petit nombre, dont la plus grande finesse consiste à dire toujours la vérité. 

Eugène DELACROIX (1798-1863), in Eluard, Anthologie..., p. 106

 

Le beau, c’est le vrai bien habillé. 

Honoré de BALZAC (1799-1850), Eluard, Anthologie..., p.

 

 Je ne connais pas de meilleure définition du mot art que celle-ci : « l’art, c’est l’homme ajouté à la nature », la nature, la réalité, la vérité, mais avec une justification, avec une conception, avec un caractère, que l’artiste fait ressortir et auxquelles il donne de l’expression, « qu’il dégage », qu’il démêle, affranchit, enlumine. 

Vincent VAN GOGH (1853-1890 ), cité par Eluard, Anthologie..., p. 8

 

C’est parce que la plus haute liberté n’est pas devenue une nécessité impérieuse pour lui, et parce qu’il n’a pas été pénétré et embrasé par le Zen de façon tellement inexorable qu’il soit guidé par lui dans toute extériorisation de sa vie que, en dépit de la discipline inouïe à laquelle il s’est soumis avec humilité et patience, son existence ne peut être une suite ininterrompue de bonnes heures.

Si cette fin l’attire irrésistiblement, il faudra qu’il reprenne le chemin, celui de l’art sans art. Il faudra qu’il risque le grand saut décisif, afin de vivre comme quelqu’un qui se serait complètement identifié avec la Vérité. Il faudra qu’il franchisse victorieusement la dernière et la plus escarpée des étapes du chemin où il s’est engagé, et aussi qu’il passe par de nouvelles métamorphoses. S’il triomphe de cette entreprise téméraire, alors son destin s’accomplira car il rencontrera la Vérité non réfractée, la Vérité supérieure à toute vérité, l’origine sans forme de toutes les origines, le Néant qui cependant est tout. Qu’il s’y engloutisse et qu’il en reçoive une vie nouvelle !

Eugen HERRIGEL (1884 - 1955), Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, 1933

 

En art la vérité, le réel commence quand on ne comprend plus rien à ce qu’on fait, à ce qu’on sait, et qu’il vous reste en vous une énergie d’autant plus forte qu’elle est contrariée, compressée, comprimée. Il faut alors se présenter avec la plus grande humilité, tout blanc, tout pur, candide, le cerveau semblant vide, dans un état d’esprit analogue à celui du communiant de la Sainte Table. Il faut évidemment avoir tout son acquis derrière soi et avoir su garder la fraîcheur de l’Instinct. 

Henri MATISSE (1869-1954), B , p. 238, Jazz et les papiers découpés, Un musicien a dit

 

En écho, Meschonnic, qui reprend ces propos de Matisse :

En ce sens il y a une connaissance poétique. Au sens où Alexandre Blok écrit qu’un poète passe sa vie à reconnaître son propre rythme. Et Matisse : « J’essaie de me comprendre » (...) La connaissance poétique réalise une sorte de coïncidence des contraires, rarement théorisée... C’est pourtant une démarche d’expérience et d’intuition simples. A la fois un sur-savoir et un sur-oubli. Comme écrivait Matisse dans Jazz (voir ci-dessus...). A la fois tout savoir et tout oublier. Ni oublier de savoir, ni oublier d’oublier.

Henri MESCHONNIC, Politique du rythme, politique du sujet, 1995, p. 183

 

... se confirme encore une fois le caractère ontologique de l’art. L’art a certainement un caractète social, communicatif, expressif ; mais s’il fonde un public plutôt qu’il en dépend, s’il se dérobe à une consommation destructive pour solliciter une contemplation interprétative, s’il ne se réduit pas à un simple reflet de la situation, mais ouvre une époque en découvrant un monde, c’est parce qu’il est révélateur, c’est parce qu’il s’installe au coeur même du rapport premier et originaire de l’homme à l’être et de la personne à la vérité. (p. 56)

L’art est vrai en ce qu’il prolonge et pérennise l’existence humaine et la vie quotidienne, saisissant celle-ci en son essence et la fixant en traits définitifs. (p. 180)

Si l’art révèle le mystère de la réalité c’est parce que lui-même le reproduit en son opération propre : autrement dit, l’art réalise effectivement cette même unité du conscient et de l’inconscient qui se trouve au centre de l’univers.(p. 189)

Luigi PAREYSON (1918-1991), esthéticien, Conversations sur l’esthétique, 1966

 

Le beau est chez lui (Walter BENJAMIN) la face accessible d’une vérité considérée comme transcendante. La critique d’art est, pour cette raison, un exercice privilégié d’approche de la vérité. Du Banquet, Benjamin retient deux thèses : « la vérité - c’est-à-dire le monde des idées - est la teneur essentielle de la beauté. » Et « la vérité est dite belle ».

Rainer ROCHLITZ, cité par Célestin DELIEGE (La distance esthétique)

 

Pour ADORNO, la « vérité » de l’art semble résider dans cet « aboutissement à la parole » de la nature - une nature pourtant qui est elle-même la projection de ce qui a été réprimé et rejeté par la société. L’art est alors non une pure expression, mais un mode de connaissance à partir duquel nous pouvons comprendre le monde.

Max PADDISON, cité par Célestin DELIEGE (La distance esthétique)

 

... l’oeuvre d’art exprime le monde dans la mesure où elle le crée. Elle crée le monde dans la mesure où elle dévoile la vérité de la réalité et où la réalité s’exprime dans l’oeuvre d’art. Dans l’oeuvre d’art la réalité parle à l’homme.

Karel KOSIK, La dialectique du concret, Hongrie 1967, Paris 1988

 

Les multiples pouvoirs du faux et l’extrême faiblesse du vrai, c’est cela le tragique.

Bram VAN VELDE, peintre, août 1975, Rencontre avec -, Charles Juliet

 

Q : Le réalisme c’est affronter la lumière de la vérité ?

R : Certainement. C’est d’une façon générale se plonger dans ce qu’offre le monde extérieur, dans son aspect important et généreux, c’est surtout refuser les trompe-l’oeil, les afféteries, les exercices de style, les fausses théories, les idées à courte vue, c’est ça le réalisme.C’est plonger, aller vers les choses importantes, pas vers les choses superficielles ni, comment dire, esthétisantes, démagogiques, on peut en faire un principe général : le réalisme c’est tenter de voir la vérité et c’est ça qui compte dans tous les domaines de la vie, aussi bien je crois en art qu’en politique.

Paul REBEYROLLE, peintre, entretien Philippe Marmande, avril 1994

La Police des caractères, 2001

 

Si, en frappant le tambour, vous atteignez l’âme humaine, l’assistance sait reconnaître la vérité dans ce que vous exprimez. Je ne crois pas que vous ayez besoin de tous ces trucs techniques, parce que les gens ne se préoccupent pas que vous jouiez un ratamacue ou des paradiddles. Un être humain se moque de votre technique (...) Vous arrivez et vous faites un roulement de batterie avec ce son de papier déchiré, et vous lavez tous ces gens de ce qu’ils ont fait dans l’heure précédente. Parce qu’ils se soulèveront de leur siège si vous le faites bien.

Art BLAKEY (1919-1990), Art Taylor, Notes and Tones, 1971

 

A chaque fois qu’on apprend quelque chose, on découvre ce que l’on doit encore apprendre : c’est un processus sans fin. Il faut rechercher une vérité à travers la musique.

Randy WESTON (1926), pianiste/comp., JHot 575, mai 2000, Jean Slamowitz

 

... notre musique est de l’art pur. En évoluant, je crée la vérité. Je ne cherche pas à distraire, je joue la vérité pour qui peut l’écouter.

JMag 462 (Valerie Wilmer, 1966)

Interrogé sur ses premières influences :

Lester Young... la liberté avec laquelle il coule. Sa chaude sonorité. Quand lui et Billie Holiday sont ensemble, il y a tant de beauté. C’est le genre de personnes qui produisent une vérité spirituelle au-delà de la civilisation. Et Bird (Charlie Parker). Je l’ai rencontré en 1955... il m’appelait « Little Bird ». J’ai vu la qualité spirituelle de l’homme... très chaleureux...

Albert AYLER (1936-1970), sax/comp, Down Beat novembre 1966, La vérité en marche, Nat Hentoff, TrA

 

Le jazz est une chose vraie, la vérité est puissante. Mais ils ne veulent pas la vérité - pas quand ils peuvent faire autrement et seulement avec le seul but de gagner le plus d’argent possible.

Lee MORGAN (1938-1972), tp/comp, Down Beat fév.1970, Le jazz peut se vendre, Joe Gallagher, TrA

 

Q : Quelle est votre plus forte impression d’Afrique ?

R : L’honnêteté, en termes de capacité des gens à être proches les uns des autres, le contact des yeux, des mains, la télépathie qui semble exister dans la vie quotidienne, et comment cela se transmet à la musique, parce que la musique est un art de vivre. La chose la plus importante est la vérité émanant d’un authentique sens de la vie, et d’apprendre à exprimer ça à travers l’art.

Kahil EL’ZABAR (1953), percussionniste, Jazzweekly, Fred Jung, TrA

IndexADORNO Theodor (philosophe) ; AYLER Albert (saxophoniste ténor, lead) ; BALZAC Honoré de (écrivain) ; BENJAMIN Walter (philosophe) ; BLAKEY Art (drums, leader) ; DELACROIX Eugène (peintre) ; EL’ZABAR Kahil (pianiste, comp, lead) ; HEGEL Friedrich (philosophe) ; HERRIGEL Eugen (philosophe) ; INGRES Jean-François ; KOSIK Karel ; MATISSE Henri (peintre) ; MESCHONNIC Henri (poète, théorie du langage) ; MORGAN Lee (trumpet, lead) ; PADDISON Max ; PAREYSON Luigi (philosophe, esthétique) ; REBEYROLLE Paul (peintre) ; ROCHLITZ Rainer ; VAN GOGH Vincent ; VAN VELDE Bram (peintre) ; WESTON Randy (pianiste, comp, arg, leader)
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