- de l’écoute musicienne

N’étant pas capable d’écouter, non plus de parler.

HERACLITE

 

Tant il est vrai que l’artiste ne vise qu’à devenir le spectateur de son oeuvre, car l’oeuvre n’est réelle et parfaite qu’au moment où elle est à même de vivre sa propre vie et d’obtenir l’approbation des lecteurs, et d’abord l’approbation de son auteur.

Luigi PAREYSON (1918-1991), Conversations sur l’esthétique, 1966, Gallimard, p. 53

 

(...) il y a toujours dans l’écoute une écoute « naturelle » et une écoute « culturelle »... à la jonction, se trouve la musique. (...) Les effets (sur les auditeurs, NdA) sont, aux deux pôles de ce qui est donné à entendre, les effets d’une écoute naturelle et les effets d’une écoute culturelle.

Pierre SCHAEFFER (1910-1995), Cahier Recherche/Musique, 1978, Le pouvoir de sons

Souvent je me suis fait cette réflexion : les musiciens écoutent et entendent comme les peintres regardent et voient. Assez banal ? mais pensez aux regards de Pablo Picasso, de Joan Miro, par exemple, leurs yeux pétillants de malice, d’intelligence, du feu de la concentration, des yeux comme des bouches prête à dévorer la vie, le réel. Et bien c’est des oreilles comme ces yeux-là qu’ont les grands musiciens. Pour nous faire entendre le monde.

Al Denny avait un orchestre de 12 musiciens, mais pas de pianiste. Comme je ne savais pas lire la musique, j’ai écouté et mémorisé ce qu’ils jouaient avant d’être auditionné. Ils m’ont mis la partition sous les yeux et je l’ai jouée comme si je pouvais la lire. Ils ont pensé que je pouvais (fake) et lire.

Jay McSHANN (1916), pianiste/cond, Down Beat, mai 2001, Chuck Harris, TrA

 

Duvivier disait de Coleman Hawkins, qui lui avait donné l’occasion de son premier engagement important : « Hawkins ne s’arrêtait jamais d’écouter... Vous ne saviez jamais ce qui allait en sortir. L’intensité de son écoute était déconcertante. »

George DUVIVIER (1920-1985), cntb/comp/arg, Jazztimes, 1999-2001, Nat Hentoff,

 

citant Edward Berger (Bassicaly Speaking)

Je décidai d’apprendre par coeur les compositions puis de les détailler au piano devant les musiciens, section par section. Je voulais qu’ils apprennent la musique afin qu’elle se loge dans leurs oreilles plutôt que sur le papier, pour qu’ils puissent jouer les parties composées avec autant de spontanéité et d’âme qu’ils auraient fait pour un solo.

Charles MINGUS (1922-1979), contrebassiste et chef d’orchestre, cité par J. Berendt, JMag 120, juillet 1965, et repris par C. Béthune, B2, p. 107

 

J’ai étudié l’improvisation en écoutant les autres jazzmen. Je me surprends encore à écouter les autres avec une oreille analytique...

Q : Si vous deviez enseigner...

R : Probablement je les encouragerais à écouter, écouter, écouter tous les styles de musiques. Ecouter avec une oreille analytique. Et aussi à voir autant de concerts LIVE que possible, pour essayer de saisir comment (what makes it « tick »). Pourquoi c’est si merveilleux ? Quel est le mystère ? La syntaxe « jazz » est la réponse essentielle, et vous ne pouvez commencer à la comprendre qu’à travers une écoute constante, appliquée, analytique. Le langage du jazz. C’est exactement le même processus qu’essayer d’apprendre à parler et comprendre une langue étrangère. L’écoute soutenue permet d’apprendre plus vite... aujourd’hui encore, j’écoute, j’écoute, j’écoute autant que je peux....

Jay Jay JOHNSON (1924-2001), tromboniste, JJJohnson.org, Vic Schermer, 199 ?, TrA

 

Ecoutez. La plus grande émotion de ma vie - tout habillé, j’entends -, c’est quand j’ai entendu pour la première fois Diz et Bird jouer ensemble à Saint-Louis, Missouri en 1944. J’avais 18 ans...

...ça me prenait tout le corps. La musique m’habitait, je ne voulais rien entendre d’autre. La façon dont cet orchestre jouait la musique, c’était exactement ce que je cherchais. Ça, et être là-haut, à jouer avec eux.

Notons que l’autobiographie de Miles s’ouvre sur ce mot : « Ecoutez », ce qui précède en étant les premières lignes.

Miles DAVIS (1926-1991), in Miles, l'autobiographie, avec Quincy Troupe, B, p. 7

 

Ce n’est pas tout d’écrire - il faut jouer et écouter. C’est une expérimentation. Et je ne crois pas que les expériences sont faites pour être écoutées par le public. C’est au compositeur lui-même d’écouter. Je n’ai pas envie de faire entendre tout ce que j’écris. J’ai écrit et répéter nombre de choses avec le big band, que je n’ai jamais utilisées. Nous ne devons pas être seulement des professionnels, mais aussi de perpétuels amateurs.

Gerry MULLIGAN (1927-1996), sax/comp/arg/cond, Down Beat, janvier 1963, A Writer’s Credo, Gene Lees, TrA

 

Si je puis me permettre de donner un conseil aux musiciens débutants, c’est bien celui d’écouter le maximum de disques : vous ne pouvez pas savoir le bien que cela peut faire. D’ailleurs, il ne faut pas seulement les écouter, mais aussi les étudier. L’avantage d’être pianiste, quand quelque chose vous échappe dans le disque, c’est de pouvoir s’asseoir devant le piano et, avec un peu d’oreille, de restituer ce que l’on a entendu. C’est une manière infaillible pour faire des progrès.

Horace SILVER (1928), pianiste, Grandes Interviews JHot, François Postif, B

 

Bird (Charlie Parker) écoutait tout le monde. Ecoutez ses solos, ils sont pleins de citations ! Il absorbait tout et l’utilisait pour sa propre création... Une expérience incroyable

Ray BARETTO (1929), percussionniste, JMag 501, février 2000, Christian Gauffre

 

L’astuce consiste à ne pas s’écouter soi-même, si étrange que cela puisse paraître. Il est absolument essentiel que vous connaissiez votre instrument à un point tel que vous n’ayez jamais à vous préoccuper d’écouter ce que vous êtes en train de faire. Vous ne devriez écouter que ce qui se passe au sein de l’orchestre et dans la musique. (...) Votre principal souci est d’inspirer le jeu des autres membres de l’orchestre. L’orchestre doit venir en premier. (...) Le son d’ensemble de l’orchestre est ce qui est important.

Mel LEWIS (1929-1990), batteur/cond, JHot déc. 1977, cité par G. Paczinsky, p. 410

 

Un des albums les plus célèbres que j’ai jamais réalisé est, eh, eh, eh... Thelonious Monk Town Hall (Chez Riverside) ; c’est un big band. Avec 13 ou 14 musiciens. Et partout où je vais les gens disent : « Vous êtes fantastique sur ce disque ». Mais je n’aime pas l’écouter, parce que je ne joue pas bien. Vous le savez, en vous-même. L’individu sait quand quelque chose est bon, indépendamment de ce que tout le monde en dit. C’est frustrant en un sens.

Art TAYLOR (1929-1995), dms, drummersweb, octobre 1993, Hugo Pinksterboer, TrA

 

J’ai beaucoup d’influences variées dans mon style, car j’ai besoin d’écouter énormément ce que font les autres avant de commencer à jouer. C’est sans doute parce que j’ai commencé à jouer très jeune, et qu’il fallait bien que j’écoute ce qui se faisait pour pouvoir suivre.

Sonny ROLLINS (1930), saxophoniste, Grandes interviews JHot, François Postif

 

Q : ... Vous avez dit une fois que les critiques des autres musiciens était une par très importante du processus pour apprendre le jazz. dans quel sens ?

R : A la fin des 40’s et au début des 50’s, tous les musiciens s’entraîdaient, mais ils étaient aussi très critiques. Il m’en reste encore des repères en tête, et chaque jour de ma vie, d’une manière ou d’une autre, je pense à ces expériences.

Par exemple quand j’étais très jeune à Indianapolis et essayais d’apprendre à jouer pour la première fois ; nous étions amoureux de la musique sans en réaliser le côté sérieux. Nous pensions que cet amour suffirait à faire de nous des musiciens... L’amour vous permet d’entrer dans le processus d’apprentissage et c’est tout. Ensuite il vous faut travailler très dur et essayer de faire tous les progrès que vous pouvez.

Je me souviens ce qu’un de mes amis m’a dit après ma première jamsession : « Je vais te dire quelque chose. Tu ne reviens pas avant d’avoir travaillé ce que tu joues. Tu ne joues pas les bons accords. Ton intonation est mauvaise. Ton son, tout est mauvais »... sur le coup, ce fut la douche froide, mais je suis rentré à la maison et j’ai commencé à vraiment bosser tout ça...

Slide HAMPTON (1932), tb/comp/arg, Trombone Journal, 1994, Bob Bernotas, TrA

 

(...) Depuis le moment où je me suis dit que je jouais faux mais que ce n’étais pas grave, j’ai joué juste : mon oreille était fermée, elle s’est ouverte, et j’ai seulement commencé à m’écouter, puisqu’avant je ne voulais pas entendre ! Je crois que c’est cela le plus important : avoir suffisamment confiance en soi pour pouvoir entendre et ce qu’on joue et ce que dit l’extérieur.

Barre PHILLIPS (1934), cb/comp, L’improvisation musicale, 1981, Levaillant, p. 297

 

Q : Certains musiciens n’écoutent pas ceux qui jouent le même instrument qu’eux, de peur d’être trop influencés...

R : Si un musicien n’écoute pas les autres, il montrera un manque de sûreté. Si vous connaissez un peu de stride, de boogie, et tout ça, cela vous ouvre l’esprit.

Roland KIRK (1935-1977), sax/fl/comp, Down Beat, mai 1966, Bill McLarney, TrA

 

Beaucoup de jeunes sont si préoccupés par ce qu’ils ont à dire qu’ils n’écoutent pas le musicien assis à côté d’eux - ni le reste du groupe - Dans « Spiritual Unity », nous nous écoutions les uns les autres ! L’important, c’est de rester en accord les uns avec les autres. Il faut de la spiritualité pour y parvenir.

Valérie Wilmer, 1966, JMag 462

Vous devez relier les sons entre eux. Vous devez essayer d’écouter le tout, ensemble.

Albert AYLER, (1936-1970), sax/comp, Down Beat, nov. 1966, Nat Hentoff, TrA

 

« Ecouter » est un mot auquel je pense autant qu’à « musique ». Je suis heureux d’être un musicien, mais un musicien doit vouloir être un artiste. Tout ce dont un artiste a besoin, c’est un outil. L’erreur est d’utiliser l’art comme outil. Mais ce n’est pas un outil, c’est un être (...) Il y a une différence entre jouer et jouer pour un public. Je veux dire jouer « ensemble ».

Don CHERRY (1936-1995), trompettiste, cité par Leroi Jones, Musique noire, p. 183

 

Nous sommes tous des êtres spirituels dotés d’un corps. Nous ne sommes pas là pour le servir mais pour nous unir à la création. Ça n’a rien de mystique, ça reste lié à la pratique : s’éveiller à son moi intérieur, écouter son propre son de cloche....

Charles LLOYD (1938), saxophoniste, JMag 491, avril 1999, F. Médioni / A. Pierrepont

 

C’est chez Dizzy que j’ai tout appris. Vous savez, il y a une différence formidable entre le grand orchestre et la petite formation : dans un grand orchestre, vous devez écouter tout ce que font les autres musiciens du pupitre, afin de vous intégrer dans la sonorité de l’ensemble.

Lee MORGAN (1938-1972), trompettiste, Grandes interviews JHot, François Postif B

 

(parlant d’Albert Ayler)

Depuis le premier jour où j’ai rencontré cette grande voix, le cours de ma vie a changé à jamais. Nous avons encore à comprendre et apprécier pleinement la beauté du don merveilleux qu’il nous a fait.

Joe McPHEE (1939), saxophoniste, JMag 462

 

A propos de l’improvisation libre, sans thème :

Ce fût vraiment une expérience et j’y ai pris beaucoup de plaisir. C’était plein de surprises. J’ai dit à tout le monde d’écouter - d’écouter tout ce qui arrivait. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Herbie HANCOCK (1940), pianiste, pochette de Inventions § dimensions, 1963 (avec Paul Chambers et Willie Bobo), TrA

 

Avec Michel (Pettrucciani), on s’écoutait bien. Sur ce genre de choses l’entente est immédiate ou elle n’est pas. Il faut vouloir être avec l’autre.

Eddy LOUISS (1941), pianiste, organiste..., JMag 491, avril 1999, Christian Gauffre

 

Ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est se focaliser sur les notes et s’en gaver. Au contraire, essayez de faire bouger votre imagination en direction des sons.

Don AYLER (1942), trompettiste, interview Valérie Wilmer, 1966, JMag 462

 

En juillet 1968, Miles (Davis) est passé par Londres. Il est venu écouter le trio de Bill Evans (...) Moi, je faisais partie du trio qui accompagnait E. Delmar et partageait l’affiche avec Evans. J’étais loin d’imaginer que Miles prêterait attention à notre prestation. Ce fut ma première leçon : Miles écoute toujours.

Dave HOLLAND (1946), cb/comp/cond, JMag 499, déc. 1999, F. Médioni / A. Pierrepont

 

(A propos de Jim Hall)

Je l’ai beaucoup écouté. J’ai voulu comprendre comment il écoute les autres quand il joue en groupe : tout ce qu’il joue est d’un grand secours pour les autres, il ne s’écoute pas, il prête d’abord l’attention à l’autre.

Bill FRISELL (1951), guitariste, ? 

 

Vous devez écouter de la même façon que vous jouez, pratiquez ou enseignez : avec amour et ouverture. De cette façon vous êtes absorbé par la musique au présent, vous vous perdez dans la musique. Vous pouvez, à travers cette osmose, découvrir des changements dans votre jeu.

Kenny WERNER (1952), p/comp, Effortless Mastery, 1996, TrA

 

C’est ce que j’ai appris d’Art Blakey : se réjouir de qui on est ; ne pas essayer d’être quelqu’un d’autre. J’encourage mes étudiants à s’enregistrer et à s’écouter, chaque fois qu’ils en ont l’occasion, et d’être critique relativement à ce qu’ils aiment ou pas. Partir de là, car chacun a son propre son. Mais certains ne savent pas comment l’exploiter .

Bobby WATSON (8 1953), sax/cl/fl/p/comp/arg, AllAboutJazz, oct. 1999, Craig Jolley,

 

Ma première relation à toute situation musicale est celle de l’écoute.

Pat METHENY (1954), guitariste, ? TrA

 

J’essaye de maintenir une attitude laissant les portes grande ouvertes, me réjouissant de toutes les façons dont jouent les batteurs, et (moding in) et apprenant quelque chose de toutes. J’essaye d’être au coeur de la section rythmique et avec (lock in) le soliste, sans idées préconçues. Je pense que vous pouvez jouez toujours de la même façon, et avec un peu de chance, trouver votre voix. Mais c’est tellement plus riche si vous êtes disponible pour être le cathalyseur. En tant que bassiste vous êtes juste au coeur de la musique. C’est très excitant.

John PATITUCCI (1959), (contre)bassiste, Down Beat, sept. 2000, Ted Panken, TrA

 

Pour le jazz, la chose la plus importante à enseigner est l’écoute des autres. Vous enseignez que vous devez vous écouter et écouter les autres et que vous devez interagir avec eux, jouer avec eux. Le jazz est exactement comme une conversation.

Winton MARSALIS (1961), trompettiste, JHot 538, mars 1997, Michel Laplace

 

Quand vous écoutez ce qui se passe réellement sans penser à ce qui est supposé se passer selon vous, alors vous êtes sur la bonne voie.

Scott COLLEY (1962), contrebassiste, pochette du CD Subliminal (1997), TrA

IndexAYLER Albert (saxophoniste ténor, lead) ; AYLER Donald (trumpet) ; BARETTO Ray (percussionniste, leader) ; CHERRY Don (trumpet, cornet, flûte... comp, lead) ; COLLEY Scott (contrebassiste, comp, lead) ; DAVIS Anthony ; DUVIVIER Georges (contrebassiste) ; FRISELL Bill (guitariste, comp, lead) ; HAMPTON Lionel (vibra, p, drums, comp, lead) ; HAMPTON Slide (trombone, comp, arg) ; HANCOCK Herbie (pianiste, comp, arg, lead) ; HERACLITE ; HOLLAND Dave (contrebassiste) ; JOHNSON Jay Jay (trombone, comp, lead) ; KIRK Roland ; LEWIS Mel ; LLOYD Charles (saxophoniste) ; LOUISS Eddy (organiste, comp, agr, lead) ; MARSALIS Winton (trumpet, comp, lead) ; Mc PHEE Joe (saxophoniste, comp, lead) ; McSHANN Jay (pianiste, leader) ; METHENY Pat (guitariste, comp, lead) ; MINGUS Charles ; MORGAN Lee (trumpet, lead) ; MULLIGAN Gerry (saxophoniste bary, piano, comp, arg, lead) ; PAREYSON Luigi (philosophe, esthétique) ; PATITUCCI John (basse, contrebasse) ; PETTRUCIANI Michel ; PHILIPS Barre (contrebassiste) ; ROLLINS Sonny (saxophoniste, comp, lead) ; SCHAEFFER Pierre ; SILVER Horace (pianiste, comp, leader) ; TAYLOR Art (drums) ; WATSON Bobby (pianist) ; WERNER Kenny (pianiste, comp, lead)
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