II1.5 la relation au public, le don aux auditeurs

Je parlais d’un ‘art de vivre » qu’il faudrait enseigner . J’y mettrais cette règle : « Faire plaisir. » (...)

Faire plaisir, n’est-ce pas être menteur, flatteur, courtisan ? Entendons bien la règle : il s’agit de faire plaisir toutes les fois que c’est possible sans mensonge ni bassesse.

ALAIN (1868-1951), mars 1911, Propos sur le bonheur

 

Car cette essence même d’un homme, son âme, que l’artiste engage dans son oeuvre et que celle-ci représente, est redécouverte dans l’oeuvre par l’amateur, exactement comme le croyant découvre son âme dans la religion ou en Dieu avec qui il se sent uni. C’est de cette identité du spirituel, sous-jacente au concept de religion collective, et non d’une identification psychologique avec l’artiste, que dépend, en dernier ressort, l’effet de plaisir produit par l’oeuvre et cet effet est, en ce sens, quelque chose de libérateur. Du sentiment d’avoir renoncé à lui-même (self-renunciation), qu’il éprouve au cours de sa création, l’artiste est soulagé dès lors qu’il se retrouve lui-même dans son oeuvre achevé et ce même sentiment, qui dresse l’amateur au-dessus de ses limites individuelles, devient chez lui, en se développant, non pas identification, mais sentiment de communion (feeling of oneness) avec l’âme qui vit dans l’oeuvre d’art, entité plus grande et plus élevée. Ainsi, chez l’artiste, la volonté de forme exprime objectivement, dans son oeuvre, la tendance de l’âme à s’immortaliser tandis que, chez l’amateur, le plaisir esthétique le rend capable, grâce au sentiment de communion avec l’âme, de participer à cette objectivation de l’immortalité. Mais tous deux, avec la dissolution simultanée de leur individualité en une totalité plus vaste, jouissent, comme d’un plaisir élevé, de l’enrichissement personnel de cette individualité à travers ce sentiment de communion. Ils se sont défaits, un instant, de leur moi mortel, sans angoisse et même dans la joie, pour le retrouver ensuite plus riche au regard de ce sentiment universel.

Otto RANK (1884-1939), Théoricien-psychanalyste, L’art et l’artiste, 1930, p. 106

 

Pour tous du pain, pour tous des roses. Le rôle ingrat des créateurs est d’offrir au monde une chose qu’il ne viendrait à l’idée de personne de demander, mais dont, une fois reçus, personne ne saurait se passer.

André LHOTE (1885-1962), peintre, cité par Paul ELUARD, B., p. 58

 

Tel a été le jazz. Une jamsession, c’était une fête - plus ou moins réussie, selon l’état-d’âme des joueurs et des auditeurs, le temps qu’il faisait, le degré d’ivresse - et à laquelle participaient au même titre les joueurs de jazz et leurs copains, qui les écoutaient. Je n’aime pas le spectacles, j’aime les fêtes. Voilà pourquoi les disques de jazz, même ceux qui ont été enregistrés au cours de sessions particulièrement réussies, en fin de compte m’ennuient. D’une fête , ils ne gardent que le son, fête châtrée. Nous nous donnons cette nuit des plaisirs de châtrés.

Duc pensa que cela, il pouvait l’expliquer à Lucie. Si elle bat la mesure, ce n’est pas seulement pour affirmer son appartenance à une coterie d’amateurs de jazz. Si elle raconte les frénésies, les vices, les manies des joueurs de jazz (dont elle lit la relation chaque semaine dans jazzHot), ce n’est pas simple goût de l’anecdote. Elle essaie - en battant la mesure ou en imaginant le comportement des joueurs - de rendre corps à la fête. Lucie a certainement le sens de la fête.

Roger VAILLANT, La fête, roman, 1964

 

Vous respirez, votre coeur bat, son rythme augmente avec la pulsation de la musique et la vôtre... votre pied bat la mesure, voilà ce à quoi nous ne pensons même pas. L’important alors est d’enlever l’auditeur loin de ce que nous connaissons déjà pour le mener dans ce que nous ne faisons que pressentir. La musique est pour les sens. La musique doit vous faire sentir. Mais, en fin de compte, à moins de vous débarrasser d’une interférence extérieure, presque toutes vos réactions seront sociales. (comme un homme qui aime Mozart, parce que c’est « aristocratique », vous saisissez ?) Mais l’important dans la vie me semble être d’atteindre ses sentiments réels, comme, disons, ces musiciens veulent toujours atteindre les leurs. Si vous arrivez à trouver qui vous êtes (vous n’êtes rien), alors vous pouvez trouver ce que vous sentez. Parce que nous « sommes » nos sentiments, ou notre absence de sentiment. La musique, sentiment possible, est ici. Là où vous êtes. Tout ce que vous avez à faire est d’écouter. Ecoutez !

Leroi JONES (1934), à propos de Four And Trane, 1965, Musique noire, p.173

 

Le jazz exige de celui qui l’aime cette communion vitale, cette difficile mais nécessaire interpénétration des consciences.

Alain GERBER, Le jazz et la pensée de notre temps, 1965

 

En tous cas, c’est le public qui doit céder à l’artiste innovateur, dans le sens que c’est l’artiste qui dépasse et même détruit le public qui lui fait résistance, en créant lui-même son propre public (...)

C’est une communauté qui s’établit : tel le cas d’amitiés produites ou renforcées par le même amour pour certaines formes d’art, tel le cas de l’action unificatrice exercée sur un peuple ou dans une nation par les poètes patriotiques vraiment inspirés... Il s’agit d’un public peut-être dispersé dans l’espace et dans le temps, mais étroitement uni par des liens indissolubles bien que purement idéaux ; il s’agit d’une véritable communion d’esprits peut-être inconnus l’un à l’autre, qui se rassemblent spontanément autour de la simple présence d’oeuvres d’art, dont la constante disponibilité devient par là l’assurance de révélations de plus en plus pénétrantes.

Luigi PAREYSON (1918-1991), Conversations sur l’esthétique, 1966, B6, p. 53

 

Quels beaux potlatchs sans contrepartie la société de bien-être, va, bon gré, mal gré, susciter quand l’exubérance des jeunes générations découvrira le don pur ! (p. 104)

Ne rien échanger ni contre une chose, ni contre le passé, ni contre le futur. Vivre intensément, pour soi, dans le plaisir sans fin et la conscience que ce qui vaut radicalement pour soi vaut pour tous.(p. 151)

Raoul VANEIGEM, Traité de savoir-vivre, 1967

 

Le versant réceptif de la réalité artistique met en jeu différents niveaux anatomo-fonctionnels, parmi lesquels, tout d’abord, des processus de recherche et de sélection des stimuli appropriés. Le regard ou l’écoute placent le sujet en prise directe avec l’objet extérieur. Il s’agit là d’une conduite dynamique hautement élaborée, puisqu’elle implique les notions de motivation, d’attention et d’attente.

Différentes formations interviennent, et ce à tous les étages du système nerveux. Les activités de recherche nécessitent l’engagement des formations responsables de la vie émotionnelle, de la perception et de la reconnaissance du monde. Les processus d’attente sous-entendent l’établissement d’hypothèses ordonnées à partir des matériaux de la mémoire. Le degré de vigilance, d’attention et de concentration, la sélection des stimuli adéquats, quant à eux, dépendent essentiellement du système réticulaire.

L’appréhension sensorielle et le traitement du message esthétique comportent une étape de fragmentation de l’information, suivie d’une phase de synthèse et de reconnaissance. Les représentations sont alors groupées en espaces significatifs, agencées, hiérarchisées. L’image que nous avons de l’objet artistique constitue une reconstruction interne, « pour nous ».

Roger VIGOUROUX, neuro-psychiatre, La fabrique du Beau, 1992

 

J’aime tout ce que je fais en musique : écrire, jouer, écouter. Nous écrivons et jouons de notre point de vue, et le public entend du sien. Quand nous sommes d’accord, je suis heureux. Si j’entends un signe de plaisir venir du parquet de danse, il s’intègre à notre musique.

Duke ELLINGTON (1899-1974), p/comp/cond, vermontreview, 1999, B. L. Knight, TrA

 

...Cela venait vraiment du coeur, et quand on chante avec son coeur, ça sonne toujours bien, quoi qu’il arrive. Il n’y a pas de frontière pour ce genre de musique. Ce genre de chant respire le bonheur. On se sent bien, on a l’esprit tranquille, quand on écoute un type comme ça. On sent qu’il aime ce qu’il fait (...) Les gens sont émerveillés quand ils entendent ça. Ils disent toujours : « C’est épatant ! ».

Louis ARMSTRONG (1900-1971), trompettiste, JMag 13, janvier 1956, in B1, p. 36

 

(Quand Hawkins jouait avec Roy Eldrige, tp, au Heublein Lounge, à Hartford, une petite fille de huit ans insiste pour avoir un autographe de Hawkins seulement. Après quoi : )

Roy, est-ce parce que tous tes fans seraient des vieux ? Ils viennent là avec des canes et des béquilles. Ils doivent tous avoir entre 58 et 108 ans. Moi, mes fans sont jeunes, entre 8 et 58 ans.

Eddy LOCKE (batteur) : Cette petite fille t’as pris pour le Père Noël.

Ah bon ? Hé bien, qui a plus de fans que le Père Noël ?

Coleman HAWKINS (1904-1969), sax/comp/cond, Down Beatfévrier 1962, Hawk Talk, Stanley Dance, TrA

 

C’est plutôt agréable de jouer en concert, mais je me sens plus proche du public dans un club. C’est plus relax.

Ben WEBSTER (1909-1973), sax, down Beat juin 1958, Dom Cerulli, TrA

 

A Be’er Shiva’ (en Israël), nous avons joué devant un public enthousiasme de 5500 gardes-frontières près de la Bande de Gaza. De simples adolescents. Des garçons et des filles. Mais ils manifestaient leur satisfaction en marquant la mesure avec la crosse de leur mitraillette. Je n’oublierai jamais ce jour - et je pense qu’eux non plus.

Lionel HAMPTON (1909), vib/comp/cond, Down Beat, avril 1959, Gene Tuttle, TrA

 

Dès la première mesure, personne dans le jazz n’a jamais la moindre difficulté pour identifier le son, la personnalité irrésistible de Monk. Le coeur de cette personnalité fut de refuser d’aller dans aucune autre direction - musicalement et à tous points de vue - que la sienne propre. Dans une interview avec Grover Sales, il affirme :

Ne joue pas ce que le public veut. Joue ce que tu veux et laisse le public venir à ce que tu fais, même si cela doit prendre quinze ou vingt ans.

Thelonious MONK (1917-1982), p/comp, Nat Hentoff, septembre 1998, Liner Notes Art Blakey’s Jazz Messengers + Monk, TrA

 

(à propos de la tournée du grand orchestre, en 1945) De toute façon, rien n’aurait pu me décourager, et je refusais de me laisser abattre sous prétexte que nous n’attirions pas les foules. Le jazz n’a jamais convaincu ni rassemblé le grand public, comme le rock et ses chanteurs. Le jazz est un art, et il y aura toujours une barrière entre cette musique et d’autres genres qui ne peuvent être considérés comme une expression créatrice. Ce sont des produits clinquants, séduisants, coulés dans le même moule et fabriqués à la chaîne...

Je prétends que ma musique est dansable. En tout cas, moi je danse dessus et je le faisais souvent sur scène devant l’orchestre. Mais je reconnais que ce n’est pas très facile, et que les gens étaient un peu perdus sans le soutien solide du deux-temps. De nos jours, on est revenu à un « beat » plus marqué, parce que l’on a compris que notre musique était effectivement faite pour la danse à l’origine. Le jazz a été conçu pour faire danser les gens, c’est indiscutable, alors que mon style demande davantage à être écouté... mais incite quand même à hocher de la tête et taper du pied ! Si je ne vois pas le public faire ça, c’est que je ne l’accroche pas. Or je ne veux pas jouer une musique cérébrale.

Dizzy GILLESPIE (1917-1993), tp/voc/comp/lead, avec Al Fraser, To be or not to bop, B. , p. 205 et 285

 

En jazz vous recevez le message lorsque vous entendez la musique. Et nous, sur l’estrade, lorsque nous voyons que les gens dans la salle ne remuent pas les pieds, n’agitent pas la tête, nous savons que ce que nous faisons n’est pas bon.

Cité par Raymond Horricks, Jazzmen de notre temps, 1960

Nous devons donner au jazz le meilleur de nous-mêmes et surtout l’offrir aux gens, du mieux que nous pouvons. S’il leur est présenté comme il faut, ils l’accepterons... Moi je pars du principe que si les gens n’aiment pas ce que nous faisons, c’est que nous sommes dans l’erreur. Quelle que puisse être votre opinion, c’est toujours le public qui, en fin de compte, décide.

Interview JMag 95, juin 1963, Clouzet / Delorme

Le talent est une chose que l’on doit au public. Celui qui refuse de lui en faire don sera fatalement remplacé par quelqu’un qui donne son talent aux autres. Peu importe la valeur intrinsèque de l’artiste : il ne peut exister sans le public. Le talent appartient au public, il n’y a pas à sortir de là.

Art BLAKEY (1919-1990), bat/cond, poch Jazz Messengers Champs Elysées, Paczinsky,

 

J’ai toujours pensé que la musique devait être précise, très propre, aussi propre que possible, et d’une façon ou d’une autre créée à l’attention des gens ; être quelque chose qu’ils puissent comprendre, quelque chose de beau. Il y a tant et tant d’histoires que l’on peut raconter en musique. C’est difficile de décrire la musique autrement qu’en parlant de ses éléments de base, mélodie, harmonie et rythme, mais les auditeurs doivent trouver beaucoup plus que ça dans la musique.

Charlie PARKER (1920-1955), saxophoniste, entretien avec Paul Desmond et John Mellau, janvier 1954, cité par Alain Tercinet, Parker’s Mood, Parenthèses, 1998, p. 87

 

« S’adressant à des spectateurs inattentifs lors d’un set au « Five Spot » : 

... Avez-vous seulement écouté l’annonce d’un seul morceau au cours de la soirée ?(...) Mon orchestre joue fort par instants, et par instants il joue de manière dissonnante. Il y a même des moments de silence. Mais ces magnifiques moments de silence sont gâchés par le tintement de vos verres et le bruit de vos conversations trop passionnantes... vous a-t-on déjà dit que vous étiez des gens surfaits ? Vous êtes là parce que le jazz est à la mode, le mot de jazz est devenu populaire, et vous raffolez des choses à la mode, mais le fait que vous soyez installés ici ne fait pas pour autant de vous des connaisseurs...

ou encore :

 

Mesdames, messieurs, je suis affreusement désolé, mais cet orchestre fait un tel bruit que je n’arrive pas à entendre le moindre mot de ce que vous dites.

Charles MINGUS (1922-1979), contrebassiste, in Christian Béthune, B2, p. 62, citant et traduisant l’ouvrage de Brian Priestley : Mingus, a critical Biographie

 

Je ne pense pas qu’il y ait de plus grande grâce pour un musicien que de jouer devant un public qui est un vrai public de jazz et qui est réellement avec vous. Que ce soit dans un night-club ou une université, c’est ce genre de gens qui réellement vous émeut. Ce n’est pas la peine que ce soit ce genre de loustics qui sautent sur leurs chaises ou se mettent à danser dans les allées, mais simplement un public qui manifeste de l’intérêt, apprécie et montre quelque enthousiasme pour ce que vous faites. Je pense que c’est la plus grande récompense pour les efforts du musicien.

Jay Jay JOHNSON (1924), tp/comp/arg, in Thème, 1954

Jazzmen d’aujourd’hui, Raymond Korricks, 1960

 

Une petite chose que je n’oublierai jamais : cette nuit-là - souvenez-vous qu’il (Stan Kenton) avait rencontré la plupart seulement deux semaines avant - il a dit : « Mesdames et Messieurs, j’aimerais vous présenter l’orchestre. « , et il a passé en revue tout ce putain d’orchestre y compris la section de cordes (45 musiciens NdA) ; il connaissait tous les noms et n’en oublié aucun. C’était phénoménal. C’est juste un truc à propos de Stan Kenton, parce que moi j’ai joué avec ces cordes pendant 4 ou 5 mois, et je n’ai jamais retenu aucun de leurs noms.

Bud SHANK (1926), sax/fl..., JazzJournalInternational, 1987, Steve Voce, TrA

 

En tant que musicien et artiste, j’ai toujours voulu toucher le plus de gens possible. Et je n’en ai jamais eu honte. Je n’ai jamais pensé que la musique appelée « jazz » était destinée à un petit groupe de gens, ou devait devenir un objet de musée derrière une vitrine, comme toutes les autres choses mortes qui ont été considérées comme artistiques. Je me suis toujours dit qu’elle devait toucher autant de gens qu’elle le pouvait, comme la musique qu’on dit populaire : pourquoi pas ? Je n’ai jamais été du genre à imaginer que moins on est entendu, meilleur on est, ce qu’on fait étant simplement trop complexe pour que beaucoup comprennent...

Miles DAVIS (1926-1991), trompettiste, L’autobiographie, p. 176

 

Je voudrais pouvoir apporter aux gens quelque chose qui ressemble au bonheur. J’aimerais découvrir un procédé tel que si j’avais envie qu’il pleuve, il se mette aussitôt à pleuvoir. Si l’un de mes amis est malade, je jouerais un certain air et il serait guéri. Lorsqu’il serait fauché, j’interpréterais un autre air et immédiatement il recevrait tout l’argent dont il aurait besoin. Mais quels sont les morceaux et quelle voie parcourir pour atteindre à leur connaissance, cela je l’ignore.

Entretien Clouzet-Delorme, Jmag....196 ?

Il me semble que l’audience, en écoutant, accomplit un acte de participation. Et quand vous savez que quelqu’un est peut-être en train de bouger, comme vous, dans une certaine mesure, c’est exactement comme si vous aviez un membre de plus dans votre groupe.

John COLTRANE (1926-1967), saxophoniste, interview Frank Kofsky, 1966 (B, ), TrA

 

Les gens qui s’investissent dans l’art sont touchés par la grâce. Dieu leur a donné le talent et la responsabilité d’offrir une part d’eux-mêmes, de jouer leur musique pour les autres, pour le plaisir du public. Et c’est le rôle, la vraie fonction de l’artiste qui a reçu son don de Dieu. Respecter et rendre les autres profondément heureux. Donner... plutôt que prouver.

Stan GETZ (1927-1991), saxophoniste, Stan Getz, Alain Tercinet, Ed. Du Limon (1988)

 

Q :Quels sont les sentiments, les images, que vous cherchez à faire passer ?

R : Mon rêve serait de faire physiquement pleurer toute une salle, et tout de suite après, la faire rire aux larmes. Les grands comiques comme Chaplin ou Bourvil sont des gens qui savaient vous faire rire et pleurer. Les très grands font passer toute la gamme des sentiments.

Martial SOLAL (1927), p/comp/arg/lead, Citizen Jazz, février 1998

 

Quand je joue , j’aime savoir que je joue pour les gens, j’aime jouer pour une audience, je n’aime pas les studios, jouer pour les gens parce que je peux sentir les vibrations et je sens que les musiciens de l’orchestre sont aidés dans leur jeu par ces vibrations, je me sens concerné... par ces gens qui viennent, pour écouter... qui sont ouverts à ce que nous pouvons leur apporter, qu’ils ressentent et dont ils peuvent tirer quelque chose...

Afro-american Music Collection, Jim Standifer, octobre 1982, TrA

Je pense que vous avez besoin d’une audience pour exprimer votre propre personnalité. Vous avez besoin des autres gens pour ça. C’est pour cela que j’ai horreur de jouer en studio, parce que je n’ai personne pour qui jouer. Quand je joue j’aime sentir les vibrations des gens, cela ma’ide à créer. J’ai besoin de voir des gens, pas des microphones.

Johnny GRIFFIN (1928), saxophoniste, Bob Bernotas, 1994, TrA

 

Lorsque vous me dites que vous n’aimez pas tout ce que je fais, vous ne me choquez pas et je trouve cela au contraire parfaitement normal. Non pas que je croie dur comme fer à la musique que j’essaye de faire, mais parce que c’est cette musique là que je veux faire. Vous me dites que mes hennissements sont anti-musicaux et que mes envolées dans les couinages heurtent l’oreille. D’accord, mais même si tous les gens fuyaient dès que j’embouche l’un de mes trois instruments, si aucune firme ne consentait à m’enregistrer et si je devais crever de faim pour jouer ce que je ressens - c’est exactement ça, ce que je ressens - eh bien, je continuerai à jouer ainsi contre vents et marées. Parce que justement je le ressens. C’est pour moi la seule façon de projeter ma personnalité et d’atteindre une certaine maturité. Evidemment, si on m’écoute, ça m’encourage.

Eric DOLPHY (1928-1964), saxophoniste..., 1961, Interviews JHot, François Postif

 

(A une certaine époque Art Taylor était réputé pour faire tomber ses baguettes)

Je jouais avec Johnny Griffin pour quelques temps, et j’ai fait tomber une dizaine de baquettes dans la soirée. Ça commencait à me contrarier vraiment, vous savez. Je me disais : « Que diable m’arrive-t-il ? Quand je tombe une baguette, ils rient, mais ça m’énerve ; qu’est-ce qui m’arrive ?... » Pourtant je recevais plus d’applaudissements que jamais. Et je me disais : « C’est trop ! les gens applaudissent plus quand je fais tomber une baguette que pour un bon solo «  Et Griffin m’a dit : «  Mais les gens voient comme tu enrages de faire tomber une baguette ; c’est subconscient, ils savent que tu donnes tout ce que tu peux, et c’est pour cela qu’ils réagissent de cette façon. Ils adorent ça ! « Il donne tout », c’est ce que les gens sentent.

(...)

La première chose à savoir, quand nous jouons en club : si les gens parlent, nous ne jouons pas. Si vous jouez vraiment, vraiment quelque chose, personne ne dit un mot. Le garçon ne sert plus... il est stoppé dans son service. Et si les gens parlent, je fais en sorte qu’ils cessent... en jouant, ou autre chose. J’essaye tous les moyens, des plaisanteries, n’importe quoi... Vous devez avoir une totale attention. Je ne cherche pas les applaudissements, mais l’attention. Parce que les gens peuvent raconter tous leurs trucs, et ensuite vous applaudir très fort, mais sans avoir écouté ce que vous jouiez. C’est automatique, je n’aime pas ça. Ils reçoivent un signal : ils applaudissent. Et quelque chose ne colle pas si nous arrivons sur scène et qu’on ne rigole pas... Sans ça, pas de musique. La musique est faite pour que les gens se sentent bien, et si ceux qui jouent ne se sentent pas bien, comment ceux qui ont travaillé toute la journée, qui viennent pour se laver de ça, pourraient-ils être bien ? Alors nous plaisantons, nous faisons toutes sortes de choses pour divertir le public. Pas en nous prostituant, mais pour que le public passe un bon moment.

Art TAYLOR (1929-1995), drummersweb, octobre 1993, Hugo Pinksterboer, TrA

 

Q : Pensez-vous être... un musicien pour musiciens ?

R : Je l’espère. Mais ce n’est pas mon but. Je n’y tiens pas. Ce qui m’intéresse, c’est le public. Je veux que les gens qui viennent m’écouter m’aiment et me comprennent. Quand je vois mon public - qui va des enfants aux musiciens professionnels, en passant par les amateurs de jazz qui viennent m’écouter tout en préférant peut-être d’autres formes de jazz - je suis rassuré quant à l’universalité de mon langage, même s’il est évident que je suis d’abord un musicien pour musiciens... Je pense en termes de technique mais ce que je joue est humain. Le feeling, c’est la base, c’est ce qui doit venir d’abord. Je ne peux pas penser théoriquement, puis ressentir ensuite. C’est le contraire qui se passe en réalité, et la technique me permet d’exprimer ce que j’ai ressenti.

Grandes interviews JHot, François Postif, B

Q : Est-ce que les réactions du public sont importantes pour vous, quand vous jouez ?

R : Hé bien (hésitation)... Ce n’est pas ce qui vient en premier. Ça compte beaucoup pour moi, mais ce qui est essentiel, c’est que je sais s’il se passe quelque chose. Et parfois, quand je pense qu’il se passe vraiment quelque chose, le public le perçoit mais pas aussi fortement que moi, je le sens bien. Et parfois, je pense que rien ne se passe... Pourtant les gens réagissent ; et ils ont raison, parce que nous sommes des professionnels, avec de l’expérience, et donc nous sommes capable d’atteindre un certain niveau, toujours.

Bill EVANS (1929-1980), p/comp, 1971, Ronnie Scott’s Club, 1980, Jan Stevens, TrA

 

Peut-être que c’est excellent pour Gerry (Mulligan) de faire des laïus aux clients pour leur dire de se taire quand il joue, mais quand la conférence dure un quart d’heure et plus, c’est un peu ambarrassant pour les autres gars de l’orchestre - c’est le moins qu’on puisse dire.

Chet BAKER (1929 1988), tp, Melody Maker, cité par Boris Vian, JHot Juil-août 1953

 

Q : ... vous vous sentez bien en jouant cette musique libre. L’assistance ressent-elle la même chose ?

R : Je n’ai aucune idée de l’assistance.

Q : Vous ne vous préoccupez pas de l’assistance.

R : Non, ce n’est pas que je ne m’en préoccupe pas. J’ai réfléchi à cette question des années, et j’en sais moins maintenant qu’au début de ma réflexion. De toute façon, elle a changé... mais vraiment, je suis ignorant à propos de l’assistance.

Q : Mais quand vous jouer en concert, vous êtes surpris par les réactions du public...

R : Je suis surpris qu’il soit là. Une chose évidente est que le public, les gens en général, n’aiment pas la musique improvisée librement, sinon ils seraient évidemment plus nombreux... Cela attire de très petits publics.

Q : Pourquoi est-ce ainsi ?

R : Ils n’aiment pas ça.

Q : Cela leur demande-t-il un trop gros effort ? La musique n’est pas joliment préparée en portions bien structurées ? Ils doivent littéralement créer leur propre structure à l’écoute de cette musique ?

R : Ce sont des questions difficiles pour moi. Je ne sais pas. Moi, c’est ce que je préfère écouter. Il y a certaines musiques improvisées qui me plaisent, mais maintenant je trouve que la musique librement improvisée me procure les plus grandes satisfactions d’écoute, même si je n’y joue pas. Donc je ne sais pas vraiment. Les auditeurs ont l’habitude de musiques tellement formalisées, hautement structurées ; si elle est informalisée, il la trouve incohérente. La plupart des systèmes d’organisation de la musique apprivoisent ce qui me semble être le naturel turbulent (unruliness) de la musique. Ils ne font pas que l’emballer, ils l’apprivoisent... C’est peut-être comme ça qu’elle devient acceptable. Mais si vous travaillez en dehors de ces structures, alors je suppose que les gens qui comptent sur ces structures se disent : « Qu’est-ce qui se passe, nom de dieu ? ! »

Derek BAILEY(1930), g, Jean Martin, août 1996, TrA

 

Q : ... le véritable créateur est toujours en avance d’une longueur sur son public. Avant « The Bridge », le jazz que vous produisiez était très prometteur, certes, mais controversé. Aujourd’hui, il me semble que le grand public vous ait « compris » et j’ai l’impression qu’il vous accepte sans réserve ? Où vous situez-vous actuellement ?

R : A dire vrai, je n’en sais absolument rien. D’abord, parce que ça m’est complètement égal, ensuite parce que je n’ai aucun critère pour le savoir. Le public ne juge pas ma musique de la même façon que moi. Certains soirs, j’ai conscience d’avoir bien joué et le public reste de bois alors que d’autres soirs où, pour moi, je suis franchement mauvais, les spectateurs applaudissent à tout rompre. C’est pour cette raison que je ne sais pas du tout où j’en suis avec le public, ses réactions étant parfois diamétralement opposées aux miennes. Je crois d’ailleurs que n’importe quel musicien sincère vous répondrait de la même façon que moi, tout simplement parce que votre question dépasse nos possibilités de jugement.

Sonny ROLLINS (1930), saxophoniste, Interviews JHot, François Postif

 

Votre boulot en tant qu’artiste dans la communauté est de toucher (affect) cette communauté, en quelque sorte. Vous savez que vous vivez dans une certaine région et vous écoutez tout ce qui va mal (...) vous voulez apporter à votre communauté ce qui est cool ? vous le faites de multiples façons. Dans mon cas, étant dans la musique, vous donnez des concerts ? Vous apportez la musique au gens.

Horace TAPSCOTT (1934), p/comp/arg, Revolutionary Worker, mars 1999, TrA

 

Q : Dans le film « Un frère au rythme parfait », vous racontez l’histoire de deux jeunes sauvant la vie d’une jeune enfant au moyen d’un rythme parfait. Vous les appelez maître-musiciens. Alors on n’a pas pas nécessairement besoin d’un instrument.

R : Non. C’est en quoi nous différons des Occidentaux. J’ai vu que beaucoup de musiciens sont des gens qui possèdent un instrument. (...) La communication, à la base, c’est entre les gens. Un instrument n’est que ce qu’il dit : instrumental. Je me souviens, il y a quelques années, à Toronto, je devais donner un concert de piano solo. Nous avions trouvé une belle salle, mais nous avions un problème pour trouver un instrument. Le gars flippait. Alors j’ai dit : « Ne vous en faites pas, le concert aura lieu quand même.... Je vous dis qu’être dépendant d’un instrument est stupide, alors que 500 personnes attendent. »

Q : Et le concert a eu lieu ?

R : Bien sûr.

Q : Sans instrument ?

R : Sans instrument.

Abdullah IBRAHIM (1934), p/sax/fl/voc/comp/cond... Radiostudio Bâle... 1996 ? TrA

 

Q : Cherchez-vous délibérément à communiquer avec votre public...

R : Je pense qu’il est mauvais de ne pas chercher à aller vers son public. J’ai été à l’affiche avec des groupes très connus, que les gens venaient voir, ils payaient pour ça, et le leader n’annonçait même pas le nom des musiciens. (...) Je pense que quand les gens payent pour nous voir, nous leur devons au moins ça.

Q : On vous acomparé à Dizzy Gillespie, vous dansez, vous plaisantez, vous essayez de divertir le public. Pourquoi faites-vous cela ?

R : Je suis moi-même. Je ne demande pas à mes musiciens d’être des amuseurs. Ils n’ont pas à sourire s’ils n’ont pas envie... Mais je ne pense pas qu’ils doivent se sentir mal si je rigole ou si je parle. J’en ai eu avec moi qui pensais que j’avais tord. Mais j’essaye d’être moi-même, si j’ai un musicien que ça dérange, tant que son jeu n’en ai pas affecté. (...)

J’espère que ma musique provoque des rires de la joie. Je pense que la musique doit apporter du bonheur - de la mélancolie aussi. Si on pense que ça doit être strictement intellectuel, c’est la meilleure manière de tout détruire.

Roland KIRK (1935-1977), sax/fl/comp, Down Beat mai 1966, Bill McLarney, TrA

 

Q : Le rapport au public change-t-il totalement dans une musique écrite (classique) et une musique improvisée ?

R : Oui, le rapport change fondamentalement lorsque l’on joue une musique classique. Le public connaît à 80 % l’oeuvre jouée. Ce qui est en jeu, c’est un phénomène de reconnaissance, et l’amour est partagé. Dans l’improvisation, l’inconnu est un facteur d’inquiétude. Il n’y a pas de médiation (l’oeuvre) entre le public et le musicien. Les rapports sont donc plus tendus, la « sueur » n’est pas la même, la mise en question est plus radicale parce que ce que l’on fait est irréversible. C’est un drame qui se joue, et qui n’a jamais de fin.

Le rapport du public et de celui qui improvise varie aussi considérablement selon l’importance que les musiciens accordent au public et à l’improvisation.

Michel PORTAL (1935), cl/sax/comp, L’improvisation musicale, 1981, Denis Levaillant

 

Q : Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de vos disques et prestations ?

R : J’aimerais qu’on soit touché par la beauté et qu’on se souvienne qu’il y a de la beauté dans la vie de chacun, et qu’il y a de la beauté dans le monde, et combien il est important d’être romantique.

Charlie HADEN (1937), contrebass/comp/cond, AllAboutJazz, 1998, Fred Jung, TrA

 

J’espère, avec toutes les avancées technologiques, qu’on oubliera pas qu’il y a des choses comme la musique, comme en live qu’il y a des gens qui la jouent et qui ont besoin que d’autres les écoutent - pas comme écouter un CD - la présence est très importante, et c’est bien de se produire. Quelque chose se passe qui n’existe pas en studio.

McCoy TYNER (1938), Pia/comp, AllAboutJazz , 1997, Chris Slawecki, TrA

 

Tant de changements affectent notre planète en ce moment que le conservatisme s’insinue partout : le jazz dont on nous rebat les oreilles aujourd’hui est de l’easy jazz, comme il y a de l’easy listening, une musique que vous pouvez écouter dans la voiture en rentrant du travail, qui n’agresse pas votre routine. La musique que nous jouons suppose que le public aussi y consacre du temps. Ecouter n’est pas une expérience passive, vous devez participer, accepter la musique et suivre le chemin qu’elle fait en vous avant de ressortir. Ecouter est un acte réflexif. Je joue par exemple avec la compositrice Pauline Oliveiros. Elle part d’un principe d’écoute qui doit rassembler tous les participants, musiciens et audience, et circuler entre eux.

Si ce genre d’expériences se produisait régulièrement, les choses changeraient... ou auraient déjà changer. Il est difficile de dire ce qui serait premier. Les conditions économiques et politiques n’étant plus les mêmes, les gens viendraient-ils plus facilement à cette musique... ou cette musique peut-elle aider à ce bouleversement ?

Joe MC PHEE (1939), saxophoniste, JMag 504, mai 2000, F. Médioni et A. Pierrepont

 

La meilleure réaction que j’ai jamais eue ? Peut-être que je ne sonne pas comme les meilleurs, mais la première fois que je suis venu en Europe, avec Herbie (Mann), un type à Berlin se précipite dans l’allée pendant mon solo et commence à taper sur la scène en hurlant : « Ce n’est pas du jazz ! Ce n’est pas du jazz ! Ce n’est pas du jazz ! » A la fin, je l’ai allongé...

Sonny SHARROCK (1940-1994), guit, Bebop and Nothingness, Francis Davis, TrA

 

Nous commençons seulement à apprendre l’importance de la musique pour notre société. Ce qu’en tant que musiciens et artistes nous avons à offrir pour le développement intellectuel des peuples qui vivent ici. La musique est très importante. Elle est importante comme moyen d’apprendre, comme moyen de guérir...

Lester BOWIE (1941), tp/comp/cond, BlueLake Radio, sept. 1998 , Lazaro Vega, TrA

 

Q : Décidez-vous consciemment de ce que vous jouez pour le public ?

R : Si vous le faites trop consciemment, vous perdez l’honnêteté de la motivation. Il y a une motivation noble et pleine d’amour qui dit en toute sincérité : « Je vous aime, j’ai envie que vous m’aimiez... », c’est différent de « Je viens chercher votre approbation. » Parce quand vous en êtes là, vous ne pouvez rien donner, ça ne vient plus avec générosité, ce n’est pas sain. J’ai ces deux côtés en moi, et parfois mes motivations ne sont pas au meilleur. Q : C’est humain... R : Oui, c’est rassurant de le reconnaître. Si un soir je ne joue pas bien, c’est parce que la motivation n’est pas bonne (...) Quand vous jouez, je crois que c’est une expérience sacrée, c’est comme d’aller à l’église pour certains. Une scène, que ce soit dans un bar dégueulasse ou une salle de concert, c’est comme un autel. Quelque chose de sacré. Et si vous voulez que ça passe avec les auditeurs, vous devez les considérer comme des saints - vous comprenez ce que je veux dire ? C’est pas comme les Beatles et tout le monde fait « Yaaaaaaaah ! »

Vous savez, pour quelqu’un qui n’a pas beaucoup appris à l’école, d’une manière ou d’une autre, c’est ça qui m’a amené là. Je pourrais être encore en Jamaïque à faire autre chose. Mais je suis là.

Monty ALEXANDER (1944), p, 2000, Judith Schlesinger (Psychologue, auteur de « Dangerous joy : The Myth of the Mad Musician », TrA

 

... J’ai besoin de cette chaleur, de cette communication pour me sentir bien. La joie de vivre, c’est ça que je recherche en jouant. Pour moi et pour les autres. Si le public ne marche pas, ça n’est pas mon problème, c’est le sien. Mais je voudrais quand même qu’à la fin du spectacle, les gens soient comme s’ils avaient reçu un bon coup de poing qui les laisse vides de pensée, qu’ils aient aimé ou non ma musique. Je n’aimerais pas qu’ils partent indifférents.

Keith JARRETT (1945), pianiste, vers 1971, Interview JHOT, François Postif B

 

Q : Nous somme ici au coeur de ta pratique d’artiste et de citoyen...

R : Complètement, je ne peux pas me mettre sur une scène au nom de ce que je sais, mais je peux me mettre sur une scène au nom de ce que je cherche. Avec ce que je sais, je ne peux avoir un avis, avec ce que jesais si je capitalise ce savoir, je peux le faire croire. Je ne veux pas faire croire que je sais, je voudrais plutôt partager la question. Un type qui écoute un concert est aussi actif que moi, qui joue. Un compositeur, disait John Cage, est celui qui écoute. Chacun écoute différemment et je ne sais pas du tout ce que l’homme ou la femme qui écoutent, ressentent. Et ça c’est plus important, parce que différent, que ce que je pense, moi.

Q : L’essentiel est donc ce que la musique va changer en chacun... Quelle résonnance va-telle produire ?

R : Oui c’est une résonnance parce qu’elle émet des ondes qui mettent en mouvement, c’est une gestation. C’est important de dire cela parce qu’on fait croire aux gens que l’art, c’est pas eux. C’est pour cela aussi qu’on ne pense plus qu’il y a des penseurs.

Q : Il serait intéressant de favoriser l’expression de l’auditeur, celui-ci pouvant dire : voilà ce que je deviens après avoir écouté cette musique...

R : J’essaie de convoquer les gens à cela. Les gens qui viennent ici sont convoqués à eux-mêmes. Ils ne font pas abstraction d’eux-mêmes. L’ennui c’est quand je vois les grandes manifestations artistiques : en fait, on récupère le désir des gens d’être ensemble , pour les renvoyer à leur individualisme. On les avertit avec des montagnes de publicité et ça marche quand, dans la vie des gens, il ne se passe pas grand chose de fort : il faut donc assister au « Grand Evénement » que l’on fait payer cash. On ne trouve pas que c’est trop cher puisque c’est un grand événement ? Là, on leur fourgue la came. On organise le manque et on arrive avec la came. Après l’euphorie, les gens retrouvent la merde, rien n’a changé. Trois mois après ils recommencent : ce sont les « zéniths » et compagnie : c’est géant, c’est fait avec des fonds publics ! Après, toutes les batailles de proximité peuvent attendre des soutiens ! Bien sûr il y a le travail réalisé pour la décentralisation...

Bernard LUBAT (1945), La musique n’est pas une marchandise, G. Caunègre, 2001

 

En tant qu’artiste vous essayer de faire de votre mieux dans ce que vous créez. Une des choses les plus merveilleuses pour un artiste est la belle relation avec le public, parce que quand quelque chose est agréable à créer, le public y prend plaisir aussi. Vous avez alors une forme mutuelle d’amour. Je me sens très heureux d’être capable de faire de la musique qui me plait et d’entendre qu’elle plaît à d’autres.

Tom HARRELL (1946), tp/comp, AllAboutJazz, mai 1999, Fred Jung, TrA

 

Le but est de de jouer quelque chose de si réel que cela ouvre la possibilité de remémorer aux gens quelque chose qu’ils avaient pu oublier, ou dont ils ne ressentaient pas l’urgence. C’est le pouvoir de l’instant, et le matériau que vous utilisez pour ça est moins important que l’esprit dans lequel c’est offert. Pour moi, l’exemple ultime est Miles Davis, un musicien qui avaient certainement ses repères en termes de vocabulaire - mais qui rendait chaque note vitale à tout moment.

Pat METHENY (1954), guitariste, AllAboutJazz, avril 2001, Allen Huotari, TrA

 

(A propos de l’Orient Express Moving Shnorers, formation française de musique klezmer)

Q : Quel est votre public ?

R : Le premier public est le public communautaire. C'est un public averti qui adore ça et qui critique beaucoup. Dans les concerts communautaires, ça parle, ça chante ! Ils sont perturbés par les libertés prises avec les morceaux. Des vieilles dames viennent me dire après le concert : " Mais ce n'est pas comme ça qu'on joue ! " Mais, même si je le jouais différemment, elles ne seraient pas d'accord non plus. C'est un public qui ne sort pas. C'est pourquoi nous prévoyons toujours une date le dimanche après-midi dans nos concerts.

Nous avons aussi un public de jeunes qui n'écoutent pas les musiques traditionnelles... Le public est mélangé, nous l'avons constaté dès nos débuts... Le public communautaire ne suffit pas... Ce n'est pas du jazz, mais du klezmer qui évolue. D'où l'importance de la rythmique libre.

Pierre WEKSTEIN (195), saw/fl/comp/cond, Le Jazz, juin 1999, Guillaume Lagree

 

Pour ce qui est de la musique, la majorité du public vient au concert après une journée de travail avant tout pour se détendre. Tout musicien doit savoir que sa musique est appréhendée à plusieurs niveaux. Chacun reçoit la musique selon sa propre expérience. Quand je joue ou quand mon groupe joue, ce que vous entendez, c’est une combinaison entre ce que je joue et ce que vous êtes...

Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y ait plusieurs façons de recevoir les choses.

Steve COLEMAN (1956), saxophoniste, 1996 ? ?

 

Que ma musique ne soit pas comprise par les masses ne veut pas dire que je désire qu’il en soit ainsi ! Il faut se demander pourquoi la culture de masse n’est pas ouverte aux musiques nouvelles. Ce sont les grandes compagnies qui dictent l’essentiel de ce qu’on entend. Elles cherchent le profit par-dessus toute autre dimension de la vie (...)

S’il y a une chose contre quoi il faut lutter, c’est la mentalité des politiciens réactionnaires qui postulent que l’art n’est pas une nécessité méritant d’être soutenue par notre culture.

Ellery ESKELIN (1959), saxophoniste, JMag 498, novembre 1999, Yves Citton

 

Tout vrai musicien veut communiquer avec ceux qui l’écoutent. Vous ne pouvez pas être un grand orateur et ne parler qu’à vous-même. Ce qui compte, c’est : qu’est-ce que je dis ? Est-ce que le public comprend ? Quel est l’effet de ce que je dis sur ce public ? Est-ce que ça les fait réfléchir ? Est-ce que ça les rend heureux ? Autant de raisons de faire des notes, de la musique. Il faut trouver une manière de se faire comprendre du public. Ça fait partie du travail.

Django BATES (1960), pianiste/comp/chef d’orch.,

 

De toutes façons, la musique est une expérience à la fois collective et très personnelle, qui fait naître des sentiments souvent intraduisibles. Quelque chose d’autre se passe alors sous nos oreilles, derrière les notes, les gammes et les accords, quelque chose nous est transmis.

Dave DOUGLAS (1963), trompettiste, JMag 505, juin 2000, Alexandre Pierrepont

 

J’essaye de satisfaire le public, mais je ne pars pas du principe que si je ne joue pas bien pour moi-même, je peux bien jouer pour les autres. Elvin (Jones, NDA) m’a donné la possibilité de mettre en relation musique et spiritualité.

Stephano Di BATTISTA (1969), saxophoniste, JMag 509, novembre 2000, J. Plasseraud

 

Q : A ce stade de votre carrière, qu’est-ce qui est le plus important pour vous, la réponse du public ou l’acclamation des critiques ?

R : Ce devrait être la réponse du public. Plus important encore que ces deux (...) la satisfaction que j’ai fait quelque chose que vous étiez venu cherché. C’est très variable. Parfois je le ressens, parfois non. Décidément, sentir que je suis connecté avec le public est vraiment vital. Sentir que je suis connecté avec l’audience parce que j’exprime se que je suis avec honnêteté, sans la solliciter, sans vouloir la prendre au piège. Faire ce que je sais, ça marche...

Brad MELDHAU (1970), p/comp, AllAboutJazz, 2000, Fred Jung

IndexALAIN (philosophe) ; ALEXANDER Monty ; ARMSTRONG Louis (trumpet, voc, lead) ; BAILEY Derek (guitariste) ; BAKER Chet (trumpet, vocal) ; BATES Django (comp, arg, lead, pianiste) ; BLAKEY Art (drums, leader) ; BOWIE Lester (trumpet, comp, lead) ; COLEMAN Ornette (sax, viol, comp, lead) ; COLEMAN Steve (saxophoniste, comp, arg, lead) ; COLTRANE John (saxophoniste, comp, lead) ; DAVIS Miles (trumpet, comp, lead) ; DI BATTISTA Stephano (saxophoniste) ; DOLPHY Eric (saxophoniste, clar, comp, lead) ; DOUGLAS Dave (trumpet, comp, arg, lad) ; ELLINGTON Duke (pianiste, comp, arg, lead) ; ESKELIN Ellery (saxophoniste, comp, lead) ; EVANS Bill (pianiste, comp, lead) ; GERBER Alain (écrivain, critique jazz) ; GETZ Stan (saxophoniste, comp, lead) ; GILLESPIE Dizzy (trumpet, comp, lead) ; GRIFFIN Johnny (saxophoniste) ; HADEN Charlie (contrebassiste, comp, lead) ; HAMPTON Lionel (vibra, p, drums, comp, lead) ; HARRELL Tom ; HAWKINS Coleman (saxophoniste, lead) ; IBRAHIM Abdullah (Dollar BRAND, pianiste, voc, flûte, comp, arg, lead)) ; JARRETT Keith (pianiste, sax, flû, comp, lead) ; JOHNSON Jay Jay (trombone, comp, lead) ; JONES Elvin (drums, comp, lead) ; KIRK Roland ; LHOTE André ; LUBAT Bernard (pianiste, acc, dms, voc, lead) ; Mc PHEE Joe (saxophoniste, comp, lead) ; McCOY TYNER (pianiste) ; MELDHAU Brad (pianiste, comp, lead) ; METHENY Pat (guitariste, comp, lead) ; MINGUS Charles ; MONK Thelonious (pianiste, comp, lead) ; PAREYSON Luigi (philosophe, esthétique) ; PARKER Charlie (saxophoniste alto, comp, lead) ; PORTAL Michel (clarinettiste, sax, comp, arg, lead) ; RANK Otto (théoricien psychanalyste) ; ROLLINS Sonny (saxophoniste, comp, lead) ; SHANK Bud (saxophoniste, flûtiste, comp, arg) ; SHARROCK Sonny (guitariste) ; SOLAL Martial (pianiste, comp, arg, lead) ; TAPSCOTT Horace ; TAYLOR Art (drums) ; VAILLANT Roger (écrivain) ; VANEIGEM Raoul (homme) ; VIGOUROUX Roger (neuro-psychiatre) ; WEBSTER Ben (saxophoniste ténor) ; WEKSTEIN Pierre (saxophoniste, comp, arg, lead)
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