II1.6 avec Leroi Jones aux sources du jazz

Ils sont venus
au clair de lune
au rythme du tam-tam
ce soir-là
comme toujours
l’on dansait
l’on riait
brillant avenir
ils sont venus
civilisation
bibles sous le bras
fusils en main
les morts se sont entassés
l’on a pleuré
et le tam-tam s’est tu
silence profond comme la mort

François SENGAT-KUO (1931), Homme politique et poète camerounais,

Fleurs de latérite, 1971, in Chevrier, Anthologie africaine : poésie

Negro Spirituals : Langage et Codes secrets d’évasion des esclaves africains américains, par Akam AKAMAYONG

http://www.afrikara.com/Contenu.php?string_param=1|marronnage&id_article=329

Si Leroi Jones n’est pas le premier intellectuel Noir à écrire sur le jazz, il est véritablement le premier critique à part entière à le faire de l’intérieur, appartenant à la communauté humaine qui a créé cette musique.

A cet égard, son oeuvre est capitale et fondatrice. Sa position est doublement marquée par son appartenance communautaire et par son activité artistique (écriture, poésie, théâtre). Il hérite tout en la tenant à distance d’une tradition intellectuelle occidentale (Lumières, idéaux socialistes... Brecht etc.). On peut y voir la source de contradictions quant à son discours sur l’art : tantôt il revendique le jazz en tant qu’art, au même titre que les arts occidentaux classiques, tantôt il affirme que le jazz n’a rien à voir avec cette tradition d’art bourgeois (vérifier). Cette position traduit en la matière la contradiction inhérente à la position du Noir américain, que j’ai déjà évoquée, entre identité-rupture et assimilation américaine (double conscience).

Les Européens considèrent les jazzmen comme des artistes alors qu’ici, trop souvent, on les prend pour des égocentriques, des droguués, ou pire. Ce n’est pas une vérité universelle, bien sûr, mais ça existe. C’est peut-être parce que nous avons cette musique sous le nez. Vous savez... la forêt qui cache l’arbre...

Billy STRAYHORN (1915-1967), comp/arg, Down Beat mai 1956, TrA

Constatant qu’il existe en Europe, pour le théâtre (il est dramaturge et écrivain) « une tradition et une critique intelligentes, et dont peut se servir n’importe quel critique américain intelligent... » il revendique pour le jazz et le blues ce positionnement :  

La musique noire comme le Noir lui-même est un phénomène strictement américain et il faut établir des critères de jugement et de perfection esthétique qui dépendent de notre connaissance indigène et de notre compréhension d’une philosophie sous-jacente et des références culturelles locales qui ont produit le blues et le jazz, pour en donner des critiques ou des commentaires valables. Il se pourrait qu’il soit encore temps de commencer... 

Leroi JONES, Le jazz et les critiques blancs, Down Beat, 1963,

in Musique noire, B1 , p. 25

Considérant que le critique blanc a apprécié la musique de jazz « sans comprendre, ni même se soucier, des attitudes dont elle procédait , sauf peut-être d’un point de vue sociologique » (p. 17), il condamne « l’analyse musicologique stricte du jazz, aussi limitée qu’une approche strictement sociologique » (p. 18, voir aussi première partie). L’important, c’est « la philosophie de la musique noire »,

qui n’est pas seulement « le résultat de la disposition sociologique des Noirs en Amérique. Le problème est évidemment plus vaste. » (p. 18) L’émotion qui ressort du jazz est « réelle », parce qu’issue d’une « attitude réelle » :

Les notes veulent dire quelque chose, et ce quelque chose, en dehors de toute considération stylistique, est une partie de la « psyché » noire en tant qu’inspiratrice des différentes formes de la culture noire (p. 19).

C’est que, tout simplement ,

la musique est le résultat de l’attitude (en face de la vie). Et donc, une fois cette attitude définie comme philosophie sociale, continue et en évolution, directement attribuable à la façon dont le Noir réagit face à l’univers psychologique, son milieu occidental, la critique de la musique noire tendra plus précisément à développer une esthétique aussi consistante et valable que la critique dans les autres domaines de l’art occidental. (p. 24)

D’emblée, Leroi Jones pose globalement le problème, et dans sa dimension psycho-ethnique et politique, historisée, et dans sa dimension esthétique. Même si, au cours des trois ou quatre décennies qui suivront, ses déclarations pourront fluctuer au rythme de ses choix idéologiques, il tiendra toujours ces deux bouts de la chaîne. On peut considérer qu’il répond par avance dès 1963, aux reproches de « non-politisation » de Carles et Comolli - en 1971, dans Free Jazz Black Power, ils critiquent son nationalisme culturel sur la base de positions « marxistes » : voir ...) - comme aux prétentions des René LANGEL, entrés en guerre contre « les partisans de l’afro-américanité à tout prix » (Le jazz orphelin de l’Afrique, 2001, B1 , p.).

Maintenant que la musique et la culture (des Noirs) ne sont plus jugées inférieures ou primitives, ou du moins, cette croyance n’étant plus imposée comme un état de fait, l’idée en est venue, ces dernières années, de la revendiquer, cette musique ! De nos jours, les tenants du racisme attribuent de plus en plus aux Blancs tout ce qui a été réalisé de bien et de grand dans la musique de jazz.

Leroi JONES, The Music, 1987, cité par Lionel Davidas, B4

Avec Carles et Comolli, Jones avait en commun un combat nécessaire contre la critique esthétisante, bourgeoise ou non, et même dans sa période « marxiste », sa propre expérience d’artiste, comme écrivain, dramaturge et poète, comme sa proximité des grands créateurs du jazz de son temps (notamment Archie Shepp et Max Roach) tempèreront souvent ses prises de positions dogmatiques, du côté de l’afro-centrisme ou de la politique.

Il est difficile de trouver, Noir ou Blanc, un critique de jazz qui ait vécu cet art aussi profondément, non parce que musicien, mais parce que parlant du même lieu, en tant que Noir américain, et en tant qu’écrivain, dont l’oeuvre est comme trempée (au sens d’un traitement thermique en métallurgie) dans le jazz : The Jazz Aesthetic, selon le mot de William Harris.

Voilà qui rend précieuse l’oeuvre de Leroi Jones, si on veut bien la lire en l’expurgeant ici ou là des outrances sur lesquelles il est parfois revenu lui-même. Ses contradictions, quand il sortira du nationalisme culturel pour l’engagement politique, rejoigent celles qu’a rencontrées au 20ème siècle tout artiste « engagé » politiquement, comme en témoignent les débats résumés en annexe. Malgré ses confrontations avec les écrivains Ralph Ellison, Ishmael Reed et Charles Johnson, plus favorables à l’intégrationnisme, par une « stratégie d’expansion multiculturaliste et d’ouverture esthétique » (Lionel Davidas, Chemins d’identité, B4 , p. 317), ses oeuves sont empruntes d’un réel universalisme, dont il ne veut jamais oublier qu’il s’agit d’un combat.

Charles Johnson ira jusqu’à écrire que « Amiri Baraka (Leroi Jones) est peut-être l’individualité la plus importante dans le monde noir contemporain des arts et des lettres en ce qui concerne le développement théorique de la Négritude après Césaire et Senghor » (Being and Race, cité par Davidas, p. 318).

Leroi JONES catapulte les discours blancs sur le jazz

L’oeuvre majeure de Jones, en matière de critique du jazz, son livre le plus connu à l’étranger est « Blues People » (B1, ) paru en 1963, et traduit en français en 1968 (Le Peuple du Blues, Gallimard/Témoins, traduction Jacqueline Bernard). Sous-titre : « La musique noire dans l’Amérique blanche ». Jones a alors 28 ans.

Entreprise purement théorique, qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, à trouver au sein des formes prises par la vie américaine, cet ouvrage se propose de les étudier pour en tirer un certain nombre de conclusions acceptables. 

LEROI JONES, Blues People, introduction

De l’esclave, comme « chose », au Noir américain, comme citoyen pas comme les autres, il établit une histoire où la musique traduit

 la nature intrinsèque du Noir dans ce pays (...) et la nature intrinsèque de ce pays, c’est-à-dire sa société en général (p. 10) :

La seule base de référence spécifique du profond changement qui s’est produit chez le Noir en passant de l’esclavage à la citoyenneté, c’est sa musique.

Il ne s’intéresse pas tant aux survivances africaines qu’au Noir américain dans sa genèse :

Quand a-t-il surgi ? De quels étranges berceaux son héritage et ses attitudes particulières sont-ils issus ? 

et dès l’introduction, avance cette réponse :

Je considère le début du blues comme un des débuts du Noir américain. Ou, disons plutôt que la réaction du Noir à son expérience dans ce pays, et la relation qu’il en a faite dans son anglais est un des débuts de l’apparition consciente du Noir sur la scène américaine. (p. 17)

Il apparaît dans ces lignes que la formulation de la pensée de Jones est beaucoup plus dialectique qu’ont bien voulu le dire ses détracteurs, dont les écrits sur le jazz ne sont pas moins suspects que les siens de détermination idéologique.

On ne trouvera pas ici un résumé de Blues People. Il convient de lire ce qui demeure un des textes les plus profonds et les plus émouvants sur le jazz. Nous ne le solliciterons pas pour appuyer un point de vue partial : nous cherchons à y repérer les caractéristiques afro-américaines d’une éthique du jazz.

Il est remarquable que Blues People commence par un chapitre (« Le Noir en tant que non-américain : quelques éléments de l’arrière-plan (background) ») consacré à décrire le véritable traumatisme que constitue l’arrivée de l’esclave africain au Nouveau Monde ; ses coutûmes, comportement, désirs : tout est ravagé ; il n’est pas seulement esclave noir, il l’est sur une terre qui n’est pas la sienne, d’un maître blanc qui a du monde et de la vie une vision totalement différente :

L’Amérique coloniale était l’antithèse complète de la conception africaine de l’existence... C’est là un des aspects les plus importants de l’asservissement de l’Africain : ces Weltanschauungen absolument différentes et même opposées qu’il se sont apportées l’un à l’autre (p. 16)

Ce sont les civilisations africaines, le maintien de leurs éléments en Amérique, et le poids de la civilisation adoptive qui ont produit le Noir américain. C’est une race* nouvelle. Je me propose de prendre systématiquement la musique élément de référence, tout simplement parce qu’à mes yeux l’évolution de la musique africaine et sa transformation en musique noire américaine (une musique nouvelle) reproduit en microcosme tout ce processus. (p. 20)

* Sur ce point, on parlerait plutôt aujourd’hui d’ethnicité que de race (voir Davidas, ouvrage cité, Ethnicité, identité et culture, p. 29 à 35).

Par exemple :

Quand un membre de la tribu des Yoruba au Dahomey, qui croyait que « l’univers était régi par le destin et que le sort de chaque homme était prédéterminé », mais qu’ « il existait des moyens d’y échapper en invoquant la bienveillance du dieu », était réduit en esclavage et commençait d’être remodelé par une philosophie qui attribuait toute gloire à l’esprit humain, que se passait-il ? Quand le concept de « la déification de l’événement accidentel dans un univers où la prédéterminaton est la règle » se heurte au concept d’un monde où tout peut être expliqué et résulte de « processus rationnels », il s’en dégage quelque chose qui englobe nécessairement les deux idées. Pas tout de suite, mais graduellement. Il est absurde d’admettre, comme ont tendu à le faire un grand nombre d’anthropologistes et de sociologues occidentaux, que toute trace de l’Afrique a été effacée de la conscience du Noir parce qu’il a appris l’anglais. Le caractère même de l’anglais que parlait, et que parle encore le Noir dément cette supposition. (p. 21-22)

Les travaux des linguistes depuis quelques décennies ont amplement confirmé cette thèse.

Ce rapport à la langue se retrouve au fil de l’histoire du jazz, et dans ses parallèles avec la musique (aujourd’hui encore dans le rap, ce que mettent en évidence, sur le plan du jazz, Steve Coleman, et dans ses propos, Archie Shepp). Pensons à Billie Holiday qui affirmait comprendre tout ce que jouait Lester Young, comme s’il s’agissait de paroles. Ecoutons Dizzy Gillespie :

Accusation numéro trois : les beboppers utilisaient un jargon, ou essayaient de parler comme les noirs. Cette accusation-là n’est pas tellement mensongère. C’est vrai que nous employions quelques mots de « pig latin », comme par exemple « ofay » (pour désigner un Blanc). Le « pig latin « est une sorte de langage codé qui s’est développé au sein de la population noire il y a très longtemps, dans le but de permettre aux adultes de communiquer sans être compris des enfants et des non-initiés. Par ailleurs, les Noirs avaient apporté d’Afrique un certain nombre de mots dont certains sont passés dans l’usage général, comme « yum-yum » (miam-miam, du « nanan »).

Quand au jargon bebop, sa création est en fait très simple. Un type lançait un terme qui sonnait bien à l’oreille, un autre le reprenait, puis un autre et ainsi de suite. Sans même nous en rendre compte, était née une langue hermétique qu’il fallait savoir décrypter. Ainsi « Mezz » signifiait « l’herbe » parce que Mezz Mezzrow vendait la meilleure qualité de marijuana... Ainsi un certain nombre de concepts tant pittoresques qu’imagés se sont glissés dans la langue anglaise... Nous n’avions pas à nous forcer. C’était notre façon naturelle de nous exprimer, nous autres Noirs. Et les gens qui voulaient communiquer avec nous devaient en tenir compte, et au besoin adopter notre jargon. De la même manière que nous donnions aux notes des inflexions chargées d’un message différent, nous transposions le sens des mots. 

Dizzy GILLESPIE / Al Fraser, To be or not to bop, B. , p. 39...

La question centrale de l’assimilation-intégration à la société américaine - en tant qu’opposée à une résistance identitaire, voire nationaliste-séparatiste à l’exploitation et au racisme - après l’esclavage et la ségrégation officielle, ne peut se poser pour le Noir comme pour l’immigrant, quelle que soit son origine, car celui-ci a choisi, a priori, d’être là, et son voeu le plus cher est généralement de se glisser dans les moeurs du pays.

N’ayant pu, après quelques générations, conserver vivantes ses traditions, l’Africain subit une « acculturation très rapide », dans laquelle les traits les plus atteints sont

presque toutes les manifestations matérielles de la culture africaine... la pensée politique et économique... le « génie juridique »... la technologie. (p. 27).

Seuls la religion (et la magie) et les arts non plastiques ne furent pas entièrement submergés par les concepts américains. Ni la musique ni la danse, ni la religion ne produisent d’objets ; c’est ce qui les sauva. Il était presque impossible d’anéantir ces expressions non matérielles de la culture africaine ; et c’est là l’héritage le plus manifeste du passé africain eux du Noir américain contemporain. Mais signaler que le blues, le jazz et la version noire de la religion chrétienne dépendent largement de la culture africaine n’a rien d’original. L’important est de savoir comment, et tout ce qui en découle. (p. 28)

La question de l’héritage africain ne se pose pas seulement dans ce qui est perceptible culturellement de l’extérieur, mais dans le rapport concret, à la fois symbolique et nourricier, entretenu avec cet héritage, et qui s’enrichira tout au long de l’évolution du jazz par des apports africains plus ou moins directs. Car c’est la relation elle-même qui reste vivante, comme je l’ai évoqué à la suite des réflexions de Pierre Minne avec les témoignages de Sonny Rollins et Randy Weston à Steve Coleman.

A partir de ce moment-là (vers 1945, NdA), j’ai remarqué que les Blancs n’aimaient pas que les Noirs américains se rapprochent trop des Africains. Peut-être ne tenaient-ils pas à ce qu’on en sache trop long sur l’Afrique. Ils auraient bien voulu nous faire croire que nous venions de nulle part, sans racines, alors que les Blancs, eux, pouvaient se vanter de leur ascendance allemande, française, italienne ou autre. Ils préféraient nous laisser le plus possible dans l’obscurité quant à nos ancêtres, pour que notre seule réponse à certaines questions reste limités à : « Nous sommes des gens de couleur » Point final.

Dizzy GILLESPIE / Al Fraser, To be or not to bop, B. , p. 269

Je consacre quelques pages à cette question en 1-10 : De la permanence d’un retour aux sources...

Ce que montre dans son ouvrage Leroi Jones, ce n’est pas tant l’existence de « survivances » plus ou moins figées, résistant au processus d’acculturation progressive durant les quatre siècles d’esclavages, de ségrégation et la suite. Il s’attache, avec la musique, parce qu’elle est au coeur de ce processus historique complexe, à expliquer comment se fabrique le Noir américain. Aujourd’hui, bien que Blues People soit marqué par son essence militante (mais comment avoir, encore maintenant, sur ces questions, un point de vue « neutre » ?) dans le contexte des luttes des années 60 - Leroi Jones est un fer de lance du mouvement « Black Arts » -  (voir in 3-1.3, ses origines et particulièrement comme rupture des communistes noirs avec le PC américain); même si ses développements insistent sur la dimension culturelle et socio-politique de la résistance noire ; même si le discours n’est pas dénué ici ou là de racisme anti-blanc, et bien que des spécialistes aient relevé quelques erreurs : l’essentiel de la démonstration tient encore debout. Son sens profond est incontournable et toujours actif (par exemple dans le rap, le hip-hop des ghettos).

Ce sont ces continuités d’expressions qui sont indispensables à la connaissance des institutions que les Noirs ont élaborées dans les divers milieux qu’ils ont connus au Nouveau Monde. Du fait même de la variété de ces milieux (plantations, villes, régions minières, avant-postes d’esclaves en fuite, etc.), il est impossible de démontrer un parallélisme des évolutions dans des domaines comme la pratique religieuse, l’administration d’une communauté, l’économie, voire la vie familiale, en se fondant simplement sur l’expérience commune de l’esclavage à la plantation. Les similitudes sont le reflet d’un système conceptuel et affectif commun dont on ne pouvait dépouiller l’esclave - coutumes, croyances et modes de comportements communs qui non seulement subsistaient, mais encore se développaient dans le cadre du Nouveau Monde. On ne saurait trop insister sur l’importance de la manière d’agir dans la stylisation des rapports entre individus et entre groupes. Ces modèles de traduction dans l’action des schémas simplifiés de l’organisation sociale en provenance de l’Ancien Monde constituaient l’assise fondamentale d’où allaient naître des interactions collectives à l’africaine, même si les détails en étaient perdus.

John SZWEED et Roger D. ABRAHAMS, Après le mythe... in Crowley, B4, 1977

Nous renvoyons le lecteur à l’annexe... qui comporte quelques éléments relatifs à d’autres travaux plus récents, confirmant le fondement des thèses de Jones. On avait souvent privilégié, par les approches en ethno-sociologie et en anthropologie, les éléments visibles (comportementaux, sociologiques...) ou lisibles, témoignages de Blancs portant sur la vie des esclaves dans leurs relations avec eux, et leur donnant parfois des interprétations hâtives.

Jusqu’au fondateur de l’américanisme noir, l’anthropologue Melville Jean Herskovits (1885-1969), sur lequel Leroi Jones appuie quelques développements, on n’avait pas prêté attention aux survivances invisibles (sensibilité, mentalité, esprit, etc.), et seule une méthodologie afro-américaine a pu développer une recherche systématisée et comparative, en croisant les recherches dans toutes les sciences sociales et humaines : histoire, psychologie, culture, sociologie, économie, religion ...

Nous allons maintenant nous arrêter, en restant avec Leroi Jones, sur quelques points particuliers : éléments ethno-musicologiques dans leur relation à la religion et aux mentalités, au social et au politique, à la dimension artistique. Bien qu’ils soient fortement imbriqués, nous les abordons séparément, pour plus de clarté.

De la musique africaine au blues

En fait, la musique africaine... est sans aucun doute possible une des formes les plus révélatrices de l’âme noire. L’effort pour le comprendre peut être difficile, mais la récompense n’en ait que plus grande. Sous un extérieur sombre et des sons non mélodieux, des notes et des gammes bizarres, des instruments rudimentaires, et des tonalités étranges, sont liées toute la vie africaine et l’expression de ses nombreuses qualités humaines.

Francis BEBEY (1929-2001), African Music - A People’s Art 1969 p.16, TrA

Paradoxalement, dans cet essai consacré au jazz, je n’insiste pas sur ces questions ethno-musicologiques : elles sont un des aspects les plus développés dans les histoires du jazz.

Quelles sont les phases des transformations musicales qui aboutissent au jazz ?

Une musique a servi de lien entre la musique purement africaine et celle qui s’est développée une fois l’esclave africain mis en contact avec la société euro-américaine ; une musique qui, tout en contenant beaucoup d’africanismes, était pourtant étrangère à l’Afrique. Ce fut celle de la seconde génération d’esclaves : ses chansons de travail. Dans ces champs américains, l’esclave africain avait chanté des mélopées et des litanies africaines ; ses fils et ses filles, puis leurs enfants commencèrent à prendre l’Amérique comme élément de référence. (Jones id p. 30)

Une plantation sucrière se divise en trois parties : les terres, les bâtiments et le cheptel (...). Le rendement annuel d’une plantation étant d’environ 200 fûts de sucre, il faut cultiver au moins 120 ha de canne à sucre (...) Dans une plantation de cette taille, il faut prévoir un cheptel d’au moins 250 nègres, 80 boeufs et 60 mules.

Bryan EDWARDS (1843-1800), planteur à la Jamaïque, Jean Meyer, Esclaves et négriers

Ces chansons de travail doivent rapidement « renoncer à toute allusion rituelle africaine et trouver des références culturelles dans le Nouveau Monde ». Le champ de riz ou de coton du propriétaire n’est pas, pour l’esclave, la même chose que son champ pour le paysan africain.

Dans la sphère très concrète des travaux collectifs, on sait que la musique est presque partout utilisée non seulement pour coordonner les gestes, mais aussi pour aider à surmonter la fatigue en permettant de travailler dans une atmosphère joyeuse. Quand on constate que des musiciens reçoivent une part égale à celle des autres travailleurs qui sèment, labourent ou moissonnent, on a la preuve que leur rôle est reconnu comme étant de même importance pour la communauté.

Monique BRANDILLY, Introduction aux musiques africaines, 1997

Les paroles originelles n’ont plus de sens, et se perdent avec la langue qui les portait. Une proportion controversée de mots africains subsistent, et l’on assiste même à « un transfert de syntaxe et de rythme » (p. 33) comme de prononciation dans le parler anglais des esclaves. « Les parties de la chanson incitant à l’excès sont en langue africaine », incompréhensibles pour les maîtres, puis « deviennent des sons rythmés dépourvus de sens », mais pas de signification.

Les survivances les plus manifestes de l’Afrique... sont ses rythmes », avec « l’emploi d’effets rythmiques polyphoniques ou contrapunctiques. (p. 38).

La meilleure preuve de la difficulté des Occidentaux pour percevoir cette dimension, avec ses harmonies et mélodies de rythmes, extrêmement sophistiquées dans la musique africaine, est qu’encore aujourd’hui (et sans doute plus encore avec l’enseignement stéréotypé du jazz dans des conservatoires : conserves aléatoires), le jazz européen est moins rythmique que l’américain. Autre exemple : la relative incompréhension de l’approche musicale et des apports de Steve Coleman témoigne de cette difficulté : c’est toute une dimension de la musique qui, tout simplement, n’est pas entendue, pas sentie, et donc, à l’analyse, refoulée, déniée.

Ce qui me paraît le plus important, c’est que des procédés rythmiques harmoniques et mélodiques fondamentaux aient été transplantés à peu près intacts : ce fait en dit plus long que la préservation de chants, de danses ou d’instruments particuliers. (p. 39-40).

Nous proposons en troisième partie un résumé des caractéristiques essentielles de la musique africaine pré-coloniale, et particulièrement le rôle de communication des tambours, qui peuvent aller jusqu’à reproduire « la phonétique de mots entiers » (p. 38)

Leroi Jones insiste également sur les appels-répons : « la technique de l’antienne... un soliste chante un thème et un choeur lui répond », et sur l’improvisation « à coup sûr un autre aspect majeur de la musique africaine (qui a) vigoureusement survécu dans la musique noire américaine » (p. 38)

Ce qui demeure également, c’est le lien de la musique à la vie, quelle que soit la transformation historique des formes. Elle n’a pas un un rôle « artistique », ou plus exactement ce qui est « artistique » ne l’est pas au sens occidental : « Dans la culture africaine, il était inconcevable de séparer la musique, la danse, le chant ou tout produit d’une activité artistique, de l’existence de l’homme ou de son culte des Dieux. Toute expression, étant un produit de la vie, était la beauté. » (p. 42) Une conception de la beauté qui n’est pas la même qu’en Occident, tout au moins jusqu’à l’art moderne du 20ème siècle : ne commencera-t-il pas aussi, pour faire court, avec des « africanismes », chez Picasso, par exemple ? L’expressionnisme vocal ou instrumental est systématiquement recherché, quite à sortir des canons et règles d’utilisation des instruments occidentaux dans leur technique « classique » : « Parker imitait de très près la voix humaine avec ses hurlements, ses chutes subites, ses couacs et ses sons coulés » (p. 43).

Enfin, le texte

qui, dans la chanson africaine, était aussi important, sinon plus important que la musique, l’est resté dans la musique noire américaine », ce qui est à mettre en relation avec « les rappels constants de la musique vocale... même dans la musique instrumentale... de Bunk Johnson à Ornette Coleman (Jones, p. 41).

Enfin, l’une des contraintes les plus répandues résulte de la relation étroite que la plupart de ces musiques entretiennent avec la parole en Afrique. C’est le cas, en premiers lieu des musiques chantées dans lesquelles l’organisation musicale doit être négociée avec les structures d’ordre poétique (métrique, segmentation, versification ...) sans oublier la soumission aux exigences linguistiques du dessin mélodique quand il s’agit de langues à tons distinctifs. (...) Cette emprise des structures linguistiques s’exerce, bien au-delà du domaine des musiques chantées, sur maintes musiques instrumentales. DE fait, il existe en Afrique un grand nombre d’instruments qui « parlent » . C’est le cas d’instruments à cordes ou à vent (ce qui est peu connu) aussi bien que de percussion.

Monique BRANDILY, Introduction aux musiques africaines, 1997

On se souvient de Billie Holiday qui disait comprendre comme s’il parlait avec des mots tout ce que jouait Lester Young, et celui-ci, qui connaissait les paroles des chansons/standards sur lesquels il improvisait, affirmait s’appuyer autant sur elles que sur la mélodie.

Les paroles tiennent une place très importante dans mon jeu. Je les suis toujours et je pense à la mélodie. Même au plus loin dans l’improvisation les parolent défient dans ma tête. Ça Fait une grosse différence dans votre façon de jouer. Comme vous le savez, Lester Young était un grand amoureux des paroles, et Bill Evans jouait comme s’il connaissait les paroles au plus au degré. Tous les bons musiciens, Miles Davis et Charlie Parker ne manquaient pas de connaître les paroles et on le sentait dans leur jeu.

Lou LEVY (1928-2001), p/ JazzInstitutChicago, 1981, Steve Voce, TrA

(Pianiste, il a accompagné Charlie Parker, Stan Getz, Sarah Vaughan, Peggy Lee, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Nancy Wilson...)

Je suis sensible aux idées de quelqu’un comme Lester Young à propos des paroles de chansons; un ténor ou une trompette c’est très vocal et il est facile d’exprimer des idées non strictement musicales - vous pouvez presque chanter avec. Dans mon style de jeu c’est difficile. Des gars du rock peuvent obtenir ça, en tirant (bend) sur les notes, et un long sustain.

Tal FARLOW (1921-1998), g, Guitar Mag, déc. 1981,Dave Gould’s guitar pages, TrA

J’ai été très influencé par Charlie Parker. L’une des premières fois que je jouais avec lui, il m’a dit ce que je devais faire pour m’améliorer : je devais apprendre les paroles de toutes les standards que nous jouiions. Et ensuite, en jouant, inconsciemment, je ne jouerais rien à côté, en connaissant les paroles. Les paroles m’aident à me diriger. Je ne suis jamais perdu... Bon , ça m’arrive parfois, mais c’est quand on me sème...

Art TAYLOR (6 1929-1995), batteur, Drummersweb, oct. 1993, Hugo Pinksterboer, TrA

A quoi la chanteuse Billie Holiday répond en écho :

Je ne considère pas que je chante. Je sens comme si je jouait d’un innstrument à vent. J’essaye d’improviser comme Les(ter) Young, Louis Armstrong ou tel autre que j’admire. Ça sort comme je le sens. J’ai horreur de chanter tout droit (straight). Il me faut changer le thème comme je sens de le faire. C’est tout ce que je sais.

Billie HOLIDAY (1915-1959), Down Beat, novembre 1939, Dave Dester Jr, TrA

Et Lester Young :

Q : Je crois savoir que (Billie Holiday) a dit que son style eéatit conçu d’après votre style de saxophone ?

R : oui, je pense que vous pouvez entendre ça sur les vieux disques. Parfois j’étais moi-même assis là, à l’écouter... nous sonnions comme si nous sortions de la même couvée, et si sans le vouloir, parfois la même ligne, ou autre chose chose ça.

Lester YOUNG (1909-1959), 1958, Chris Albertson,

The World of Count Basie, Stanley Dance, TrA

Qu’on ne s’imagine pas qu’il s’agisse de vieilleries dépassées par l’époque. Voyez nos français du chant profond, certains chansons leur collent le blues :

Q : Quand vous jouez une chanson comme Avec le temps, pensez-vous aux paroles ou à Léo Ferré ?

Richard Galliano : On ne peut échapper aux paroles, ni à Léo Ferré. Avant de l’interpréter, j’ai même relevé le texte plutôt que la mélodie ou son phrasé. Je l’ai joué en le gardant en tête, à tel point que le jour où on l’a essayé, le seul fait de le jouer nous a collé un blues d’enfer. On n’a rien pu enregistrer ensuite.(...)

Eddy Louiss : (...) Les paroles d’une chanson ont toujours leur importance. Cette année, je ne sui produit à Sètes, la ville de Georges Brassens : je me devais de jouer un morceau de lui. J’ai pensé à La Prière et j’ai demandé les paroles. C’est fou ! elle sont terriblement caustiques. Quand on l’écoute, on ne s’en rend pas compte, mais le texte est lourd de sens. Cela se retrouve inévitablement dans l’interprétation.

Richard GALLIANO (1950), acc/comp, Eddy LOUISS (1941), p/voc/org/comp, JazzMan 74, novembre 2001, Alex Duthil et Vincent Bessières

Le blues

De fil en aiguille, Leroi Jones décrit ainsi l’arrivée des premiers blues, au XIXème siècle, qui héritent de ces caractères musicaux ou extra-musicaux.

Le critique anglais Paul OLIVER entreprendra des recherches rompant avec les techniques précédentes de l’ethnomusicologie. Après des visites croisées en Afrique de l’Ouest et dans le Sud du Mississipi, Oliver met en évidence des liens entre le blues et des sources africaines (Savannah Syncopators : African Retentions in the Blues, London, 1970).

Il semble y avoir de nombreux parallèles entre l’attitude des communautés de la savane à l’égard du griot et celle de la communauté noire à l’égard du chanteur de blues... Les chanteurs de blues ne sont pas nécessairement acceptés socialement par la communauté noire, mais sont néanmoins connus de la plupart. Ils sont la source de l’humour et de l’amusement, de commérages et commentaires, et un chanteur comme Lightnin’ Hopkins est une sorte de griot, par sa personnalité, sa spontanéité et ses anecdotes piquantes sur scène. Mais si les chanteurs de blues sont appréciés pour leur talents, ils sont, comme les griots, souvent considérés comme paresseux, manquant d’énergie et d’application au travail.

Paul OLIVER, African Retentions, p. 98, traduit par l’auteur

Sur ces parallèles entre le griot et le chanteur de blues, le critique américain Samuel CHARTER est plus prudent .............

Le Blues ne reflète certes pas tous les aspects de la vie des Noirs d’Amérique. Inversement, un étude sociale du problème noir ne saurait expliquer le blues. Mais pour comprendre ce que dit le chanteur de blues, il faut explorer la raison d’être de ses thèmes... 

C’est l’objet même de son livre : « Le Monde du Blues » (trad . française de The Meaning of the Blues, 1960), où il regroupe des centaines de textes de blues. Comme Jones il souligne l’importance du texte :

Sans doute, pour la majorité des collectionneurs, le plaisir que procure un disque de blues réside essentiellement dans ses qualités musicales; souvent ce plaisir n’a plus aucun rapport avec les paroles. Mais la musique est un moyen d’expression ; le chanteur se sert du blues pour exprimer ses pensées, il ne chantera donc pas par nécessité - pour ne rien dire. En appréciant la musique sans apprécier le texte, on se montre injuste envers le chanteur et, surtout, on s’interdit de comprendre toute la valeur de son oeuvre. Pour le chanteur, enfermé derrière la barrière des préjugés raciaux, le blues qu’il crée a une signification précise. C’est cette signification qui se dérobe lorsqu’on ne juge que les qualités musicales. 

Paul OLIVER, le peuple du Blues, p. 22

Ce rapport au texte, à la signifiance des paroles, sera entretenu dans le jazz instrumental, de Bubber Miley, trompettiste chez le Duke Ellington de la période Jungle, dans les années 20, à Lester Bowie, trompettiste de l’Art Ensemble de Chicago forgé dans le Rhythm’n Blues, dans les années soixante et suivantes. Cela reste un point de repère à l’oeuvre dans le jazz (voir plus haut les propos de Lou LEVY), même le plus « blanc » et le moins expressionniste (id. Tal FARLOW).

D’autres musicologues indiqueront les influences africaines dans le développement de la musique américaine.

Ralph EASTMAN en donne une illustration chez les bluesmen du Delta du Mississipi : « Pour survivre, spirituellement comme physiquement , les esclaves africains ont appris à adapter leurs connaissances aux conditions du Nouveau Monde. » Il note que les témoignages de Blancs américains ou Européens, aux 18ème et 19ème siècles, relevaient le caractère « sauvage et primitif » de la musique des esclaves ; quelques-uns mentionnaient son grand pouvoir émotionnel et ses chants dissonnants, mais la majorité l’attribuaient à l’expression spontanée, curieuse et bizarre, d’un peuple primitif. Cette musique n’était ni propre ni jolie à leurs oreilles et à leurs goûts ; elle relevait de canons musicaux totalement étrangers à leur culture, et l’essentiel de la richesse polyrythmique (opposée à celle, polyphonique, de la tradition européenne) leur échappait.

Eastman établit un lien entre les langues africaines à tons (où le sens des mots est lié au son et à la hauteur d’émission), le fait que paroles et chant ne sont pas vraiment séparés, et le caractère vocal du jeu instrumental, qui prolonge ou s’échange avec les paroles chantées ou criées. Il est possible d’interpréter l’intrication du chant et du jeu de guitare comme un transfert des appels-repons spécifiques de la musique africaine qui se répandront dans toutes les formes de musiques afro-américaines.

Parlant des premiers blues enregistrés sur disques 78 tours, c’est-à-dire ne dépassant pas 3 à 4 minutes, il indique qu’ils rendent peu compte de la réalité des blues chantés en situation, qui pouvaient durer jusqu’à une heure, « tant que le public dansait » : le chanteur improvisait alors les paroles aussi bien que l’accompagnement. Il était un homme-orchestre, et avec lui on passe du rôle fonctionnel de la musique à l’artiste pour un public.

Les guitares sont détournées de leur utilisation « normale » par un traitement percussif, le triturage des cordes, l’utilisation d’un bottleneck pour glisser sur le manche et s’affranchir des frettes et des doigtés propres à la configuration de l’instrument. Chez Charlie PATTON, Eastman entend de « claires survivances africaines dans l’invention rythmique, les syncopes, les gammes utilisant moins de notes diatoniques ». Cette complexité devient extrême dans le jeu de guitare et le chant de Robert Johnson.

Le blues, cette musique hybride, ni africaine, ni européenne, née dans le Sud du Mississipi, est une des sources de la plupart des musiques populaires qui se développent dans la seconde partie du 20ème siècle, où chacun peut entendre ces traces musicales africaines : polyryhtmie, expressionnisme vocal, bendings et slidings de guitare, appel-repons dans la construction des thèmes etc.

Leroi Jones, à qui l’on a souvent reproché des raisonnements mécanistes, affirme pourtant :

Le blues n’est pas, et n’a jamais prétendu être un phénomène purement social, c’est en premier lieu une forme poétique et en second lieu une façon de créer de la musique (...) En tant que forme poétique, le blues n’a ni plus ni moins de fondement social que n’en a toute poésie, excepté la poésie purement lyrique, qui elle aussi se trouve dans le blues. L’amour, le désir, le tragique des rapports humains, la mort, les voyages, la solitude, etc., tout cela, ce sont des phénomènes sociaux. Et peut-être est-ce bien ce qui crée la poésie. Il ne peut y avoir de poésie (ne de blues) sans sujet.  (Blues People, p. 63)

C’est pourquoi on peut s’étonner de la réaction de Ralph ELLISON, écrivain noir (The Invisible Man) et musicien de jazz, de vingt ans son aîné :

Blues People, comme la plupart de ce qui est écrit par des Noirs américains en ce moment, prend une inévitable résonance à la faveur du Mouvement Libertaire pour les Droits Civiques, mais cet ouvrage est lui-même caractérisé par un effort extrême vers une note de militantisme qui est, pour le moins, affolant. (...) (Leroi Jones) semble être attiré par le blues pour ce qu’il croit que cette musique nous révèle sur la sociologie de l’identité et du comportement des Noirs américains. (...) Il est regrettable que Jones se soit cru obligé de passer sous silence le côté esthétique du blues dans le but de faire passer d’abord ses préoccupations idéologiques. Il aurait été bien plus proche de la vérité s’il avait considéré le blues non pas comme un objet politique mais comme un art. 

Ralph ELLISON , Shadow and Act, 1964.

C’est largement un faux procès. Lionel DAVIDAS (à qui j’emprunte la citation d’Ellison, in Chemin d’Identité, Leroi Jones... B4, p. 98-99), y voit « la traditionnelle querelle des anciens et des modernes... un conflit de générations... une inutile querelle d’écoles... » (p. 98). En réalité, ce désaccord est sous-tendu par les positions idéologiques qui dominent respectivement deux générations d’intellectuels noirs, entre intégrationnisme et nationalisme culturel ou pan-africanisme.

Jones est un enfant du be-bop, ce « Precursor of Black Nationalism » (James Clyde Sellman, Africana.com, 1999-2000).

Ellison se considère avant tout comme un écrivain, au même titre que ceux dont il revendique l’influence : Eliot, Joyce, Henri James, Hemingway :

« J’utilise le folklore dans mon ouvrage non parce que je suis noir, mais parce que des écrivains comme Eliot et Joyce m’ont fait prendre conscience de la valeur littéraire de mon héritage folk. » (Shadow and Act, cité par Davidas, p. 314).

« l’esprit ne descendra pas sans les chants »

Le mépris des chansons ouvre la prison des méchants

Robert DESNOS (1900-1945), Rrose Sélavy, 77, 1922-23

A peu près un siècle avant que les premiers esclaves soient débarqués au Nouveau Monde, se met en branle la Réforme de Martin LUTHER (1483-1546). Il introduit les « cantiques » dans sa nouvelle Eglise, et donc les chants populaires en langue commune (non plus en latin), qui relancent l’évolution du chant choral, issu du grégorien médiéval. C’est toute la pratique du culte et de la musique religieuse qui se voit modifiée, donnant une place à la participation populaire, qui s’empare ainsi, musicalement, de la Bible, et peut s’adresser à Dieu sans intermédiaire.

En Amérique, les premiers esclaves, considérés et traités comme des animaux, n’ont pas droit à la religion des maîtres. Les convertir, alors, aurait été à condamner l’esclavage, ou la religion, dans son principe même :

Il est impossible que nous supposions ques ces gens-là soient des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

Comte de MONTESQUIEU (1689-1755), De L’esprit des lois, Livre XV, chapitre 5, 1748

Ce dogme ne pouvait longtemps résister au pragmatisme économique et social. La conversion en masse ne sera envisagée qu’à la fin du XVIIIème siècle.

L’Africain ayant pour tradition le respect des dieux du conquérant, certains esclaves adoptent sans qu’on les y invitent celui de leurs maîtres ; en partie, selon Leroi Jones, par « lucidité sociale », en partie parce que leurs « dieux plus forts » peuvent aussi soulager sa situation. Des églises noires épiscopales et presbytériennes sont fondées au Nord par des affranchis, qui rejettent les nouveaux esclaves, trop « africains ». La communauté noire connaît déjà des fractures sociales.

Les religions et rites africains ne peuvent être complètement éradiqués, et survivent en cachette en s’emparant d’éléments chrétiens, contribuant à la création d’une véritable « Eglise invisible », autonome.

Pendant ce temps, Luther a fait des petits dans toute l’Europe, les réformes calviniste et anglicane se succèdent, avec leurs schismes, dissidences et ruptures qui donnent naissance à une multitude de courants protestants, dont les cultes divers correspondent assez bien à leur enracinement dans une variété de strates sociales portant les traditions européennes de différentes émigrations. Du rigorisme puritain des Quakers de Pennsylvanie aux diverses sectes presbytériennes ou baptistes, les soubresauts religieux accompagnent la construction progressive de l’économie et des institutions américaines.

Des attitudes opposées ou ambivalentes sont adoptées relativement à l’esclavage et à l’opportunité d’une religion pour les esclaves. Ceux-ci sont plus attirés par la « sentimentalité  et l’évangélisme des méthodistes et des baptistes (qui) leur permettaient de participer aux services religieux et « nommèrent » bientôt des pasteurs et diacres noirs pour qu’ils président au culte » et procèdent, comme dans certaines religions africaines, au « baptême par immersion totale » (Jones, p. 51)

De leur côté les maîtres s’aperçurent bientôt que les Africains ayant accepté l’éthique du christianisme, et même une partie rudimentaire de son dogme, étaient moins enclins à s’enfuir, à faire preuve d’indiscipline ou à se soulever » (p. 52). Le christianisme fut, « pour les esclaves, dès l’origine, une éthique d’esclaves. Il joua un rôle pacificateur et compensateur, bien qu’il donnât également à ses adeptes une grande force intérieure et un mépris presqu’inhumain de la douleur  (id .).

Ainsi, bien que Jones ne se revendique du marxisme que dans les années 70, il considère avec Marx la religion comme un opium pour les esclaves : « Une des raisons même du succès (du christianisme) fut d’être, selon l’ancienne tradition biblique, la religion d’un peuple opprimé » et les Noirs trouvent dans l’histoire juive de fortes analogies avec la leur, transposant, dans leurs chansons secrètes, leurs rêves d’un retour à l’Afrique en désirs de « traverser le Jourdain » pour atteindre la Terre promise (p. 52-53).

A la fin du XVIIIème siècle, l’influence religieuse décisive vient de celui qui incarne en Amérique la descendance de Luther : John WESLEY (1703-1791), inventeur du culte méthodiste, dissident de l’Eglise anglicane, qui fait un principe fondamental de l’accueil du pauvre et du profane : les Noirs américains, plus que concernés, y voyant leur salut, sont évangélisés en masse, du Sud à l’Ouest, et particulièrement dans les campagnes.

C’est ainsi qu’une religion fondée dans ses origines sur le métissage entre le peuple et le culte, jusque dans ses chants, accueille ceux qui scandent leur travail, dans les champs, au rythme des work-songs : c’est de ce mariage que naîtront les négro-spirituals.

Autre conséquence, plus profonde : une conception universaliste, la religion westleyenne, intègre le Noir américain et justifie un métissage culturel qui ébranle le paradigme esclavagiste. Ici ou là, les rêves d’un au-delà se transforment en protestations « contre les conditions de vie ici, en Amérique » (p. 54)

Les premières églises chrétiennes noires, et les « maisons de louanges » (praise houses) qui les précédèrent devinrent les foyers de la vie sociale noire. L’autonomie relative des réunions qui s’y tenaient en fit à peu près les seuls lieux où l’esclave se sentît partiellement soustrait à la domination blanche. (En dehors des services solennels, les jeunes églises noires abritaient des réunions purement sociales organisées par la communauté des esclaves.) Les « soirées de louanges » ou les « assemblées de prières » étaient également ses seules occasions de s’exprimer avec un maximum de spontanéité et d’émotivité. Et c’est ici que la musique devient indispensable à toute étude de la religion afro-américaine. (54)

Point commun avec les religions africaines, l’Eglise noire américaine est une « Eglise d’émotion » : « cette émotivité religieuse a été un des principaux legs de l’afrique à la culture afro-américaine » (p. 55). Emotivité dont les Noirs, en tant qu’esclaves, ne pouvaient qu’avoir des « réserves ».

La « possession de l’esprit », dont Pierre Minne a vu des traces dans le jazz de la Nouvelle- Orléans, devient aussi intrinsèque de l’afro-christianisme.

Etre « pris par l’esprit » (gettin’ the spirit), « pris par la religion », ou « pris par la vie » était dans l’église noire américaine primitive une sorte de nécessité ,

et l’est parfois resté.

Or la musique a toujours tenu une part importante dans cette conjonction émotive, jouant généralement un rôle de catalyseur pour les fidèles qui tout à coup « sentaient  l’esprit » : « l’esprit ne descendra pas sans les chants. » (p. 55)

Nous ne suivons plus Leroi Jones quand il affirme, pour la musique religieuse, que

ses paroles, ses rythmes et même ses harmonies sont d’origine purement africaine, avec naturellement les transformations déterminées par la vie aux Etats-Unis.

Il n’est pas plus crédible dans cette affirmation abrupte que René Langel, cinquante ans plus tard, qui voit la naissance des work-songs et hollers dans l’emprunt « aux Blancs de quelques bribes de leurs psaumes pour en meubler leur gestuelle quotidienne », dans les plantations (Langel, op. cité p. 129). Car selon ce dernier 

il est imprudent de rapprocher certains faits de société, de mettre en exergue ce qui les rapproche pour en tirer des relations de cause à effet, sans se soucier d’influences tout aussi similaires mais plus contiguës. Il en va ainsi de la fameuse « africanité » de la culture noire nord-américaine.

Sans les renvoyer dos à dos, il nous semble imprudent de défendre une thèse en se livrant à la caricature de celle qu’on prétend infirmer. L’obsession démonstrative pesante de Langel ôte à ses développement toute crédibilité. Jones, au moins, cite des textes de works-songs de la deuxième génération d’esclaves, avec des passages en langues africaines. De plus, si l’on voit bien au service de quelle noble cause Leroi Jones a pu commettre quelques dérapages (démentis parfois au sein même de Blues People), on peut s’interroger : à quelle « cause » douteuse M. Langel sert-il sa thèse d’une musique afro-américaine vidée de racines africaines ? M. Langel semble tout ignorer du « double speak », du double entendre, le double langage que les esclaves ont mis au point au nez et à la barbe de leurs maîtres : on a pu interdire les tambours (Caroline du Sud, cf Randy Weston.....) où les instruments portant loin (Georgie) - quand on a compris qu’ils pouvaient servir dans l’organisation des révoltes - mais pas la communication par les rythmes qui fut rapidement transférée des instruments de percussion à d’autres instruments (notamment le violon, cf Drums and Power, Rath, B4), ou à l’utilisation du corps comme instrument (battre des mains, frapper le sol des pieds). De même, les paroles originelles des spirituels pouvaient être codées pour signifier au présent des messages indétectables par les esclavagistes, Jésus, God ou la traversée du Jourdain renvoyant alors à la liberté, à la fuite vers le Nord, ou très concrètement à l’organisation d’une évasion, d’une rebellion, sans perdre pour autant leur signification religieuse. Voici quelques exemples de double signification (cités par Marcella Monk Flake : the role of black religions in the struggle for freedom).

Le Spiritual « Deep River », pour annoncer une réunion près de la rivière :

Deep River

My home is over Jordan, yes

Deep River, Lord

I want to cross over ground

Le Spiritual « Good-bye Brother », pour encourager un évadé :

Good-bye Brother, good-bye brother, If i don’t see you no more,

Now God bless you, now God bless you, If I don’t see you no more

Pour éclairer le contexte :

L’esclave qui aura été en fuite pendant un mois aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; et s’il récidive un autre mois, il aura le jarret coupé et sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et la troisième fois, il sera puni de mort.

Jean-Baptiste COLBERT (1651-1690), Code noir 1985, J. Meyer, Esclaves et négriers

L’oeuvre d’art africaine, qu’il s’agisse d’un poème ou d’une musique, d’une sculpture ou d’un masque, n’est considérée comme achevée que lorsqu’elle est verbe créateur, parole agissante ; que si elle fonctionne. Or ceci ne vaut pas seulement pour l’art africain. Pas un art au monde qui ne s’efforce de fonctionner ; et de fonctionner, même au niveau des récupérations ultérieures, comme une seule et même volonté de vivre dans l’exubérance du moment créatif. Comprend-on pourquoi les meilleures oeuvres n’ont pas de fin ? Elles ne font qu’exiger sur tous les tons le droit de se réaliser, d’entrer dans le monde du vécu. La décomposition de l’art actuel est l’arc idéalement bandé pour une telle flèche.

Raoul VANEIGEM, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, 1967, p. 259

Ces mêmes pratiques reviendront, un siècle après l’abolition, lors du mouvement pour les droits civiques. Dans la rue, il faut éviter de provoquer les violences policières, mais dans les églises, on chante librement.

« Wee shall overcome », chant préféré de Martin Luther King, prend un sens nouveau dans le contexte des marches de protestation :

« Well walk hand in hand

Justice shall reign suprême »

Les paroles, au besoin, sont modifiées :

« I want Jesus to walk with me

Yes, I want ...

All along my pilgrim journey (devient : All along this freedom journey)

Lord I want to walk with me

Walked with my mother (devient : Down in the jailhouse)

Lord walk with me »

Car même « débarrassée de ses « paganismes », la tradition africaine n’en persista pas moins :

(...) à vrai dire, comme le fait remarquer Borneman*, « le mouvement de Réveil méthodiste (évangélisation de Wesley) qui s’adressait directement aux esclaves, au lieu de convertir les Africains au rituel chrétien, finit par se convertir lui-même au rituel africain. »

* (The roots of Jazz, 1959)

Leroi Jones, critiquant le « fourre-tout du vocable de spirituals », ajoute à la musique religieuse noire « les marches religieuses , les « cris de rondes » et de « pas traînés » (ring and shuffle shouts), les cantiques de Sankey, les chansons de camp ou d’assemblées religeuses, et les hymnes ou « ballits », dans lesquels, « la danse étant un péché, (les fidèles) déclarèrent que tant qu’on « ne croisaient pas les pieds », ce n’était pas de la danse. » Dans les églises protestantes sanctifiées, « plus attachées aux traditions africaines, on continue à utiliser des tambours », ce que d’autres n’osaient pas faire, en raison de leur interdiction.

Les proportions de chansons négro-américaines héritées du fonds européen ou d’origine africaine font encore l’objet de recherches et de controverses, mais on admettra que pour notre affaire, ce point n’est pas capital : l’essentiel est ce qu’en ont fait les Noirs américains, dans leurs intentions comme dans les formes musicales.

Le simple fait de les chanter à leur manière, non seulement dans l’idiome particulier des Noirs d’autrefois mais aussi avec les inflexions, la cadence et l’accent qu’ils donnaient à cet idiome, a suffi à les modeler sur un parler exclusivement noir (...) Pour faire de « cantiques blancs » des négro-spirituals, les Noirs se sont servis de tous les procédés de la musique africaine : rythme syncopé, polyphonie, déplacement des accents, modification des timbres et effets de vibrato divers. La gamme pentatonique du cantique blanc a été soumise aux « aberrations » qui d’après les vieux musicologues caractérisait la musique africaine (notes abaissées par rapport à l’échelle tempérée) (p. 60).

C’est dire là aussi que les arguments de René Langel contestant l’origine de la « gamme pentatonique, comme spécificité de l’art africain » (p. 128), pour justes qu’ils soient sur le plan musicologique, tombent complètement à plat s’ils veulent démontrer, en quelque sorte, l’absence pour le jazz d’origines africaines. Il est vrai que des afro-centristes peu soucieux de rigueur ont fait d’arguments approximatifs le fondement de thèses extrêmistes. Constatons que ce n’est pas le cas de Leroi Jones, contrairement à une idée qui perdure, tout simplement parce que ce n’était pas là un cheval de bataille en soi.

(...)

Tu t’en moques.

Prends cinq notes

Sincères et sans fard

Qu’autrefois Edimo

Arracha à Ngosso ;

Ne chante pas l’espoir de l’étranger.

Chante ton désespoir

Sur des notes d’espérance

Couvertes de pleurs et de soupirs ;

Chante au soir de la danse,

Et comme la rosée

Sur l’herbe fraîche

Du matin de la fête,

Danse les pieds nus

Sur l’herbe morte du couchant,

Et foule aux pieds

Le tapis brûlé par le soleil encore accablant

D’une époque fatiguée.

Francis BEBEY (1929-2001), voc/g, poète et musicologue camerounais, Musica Africa

Jones termine son chapitre sur les rapports de la musique avec la religion par deux considérations :

Il en perçoit des traces dans « les premières harmonisations instrumentales de la nouvelle-Orléans, (qui) semblent avoir comme origine l’arrangement des voix du choeur dans les vieilles églises noires », ainsi que « les modèles des riffs et des breaks de la musique de jazz ultérieure », comme les « rags », « blue notes » et « stop times » repris avec plus d’importance dans le jazz. (p. 61)

Il complète ainsi, sur le plan musical, les rapprochements de Pierre Minne entre la mentalité africaine et le jazz de la Nouvelle-Orléans (1-1.1)

Parce qu’il n’y avait pas d’autres lieux pour ça,

le rôle social des premières Eglises noires est d’un intérêt capital pour quiconque veut étudier la culture noire américaine (...) le seul endroit où « l’esclave peut se livrer à des activités vaguement humaines. Les églises patronnaient tout : barbecues, pique-niques, concerts, etc. Et décidaient seules des activités qui méritaient leur patronage. (p. 61)

Seul lieu où « le Noir allait,  littéralement, pour être libre , et pour se préparer à la liberté qui lui serait donnée dans la Terre promise ».

De plus en plus autonome, l’Eglise noire « commença à produire des positions sociales ». Jones y voit son rôle négatif, et celui de sa hiérarchie, qui « domine la société noire » et finit par ne plus promouvoir pour les fidèles, « sous le nom de progrès »... qu’une imitation du Blanc, en pratique sinon en théorie. » (p. 62)

C’est seulement la fin de l’esclavage qui permettra aux « masses noires » de « trouver en dehors de l’Eglise des moyens de mieux remplir leur vie » : de plus en plus de pécheurs et de « musique du Diable ».

Cet ancrage dans les pratiques musicales religieuses est certainement, jusqu’à aujourd’hui, un des faits les moins analysés par la critique européenne, dans ce qui constitue un fil rouge historique, jamais vraiment coupé, du jazz afro-américain. C’est en tout cas une des composantes les plus difficiles à percevoir pour un amateur non américain, puisqu’il ne peut guère avoir d’expérience vécue de cette pratique. De nombreux musiciens américains témoignent que leur premier contact avec la musique a eu lieu à l’église (voir I-7). L’esprit du blues, en fait, a largement emprunté ce canal (Dizzy GILLESPIE: « les spirituals, le gospel et le blues marchent de pair, unis pas les liens du sang »).

IndexBEBEY (Francis musicien, compositeur, Cameroun) ; CARLES Philippe (critique jazz) ; COLBERT Jean-Baptiste ; COMOLLI Jean-Louis (critique jazz) ; DAVIDAS Lionel (écrivain, littérature) ; DESNOS Robert (écrivain, poète) ; EASTMAN Ralph ; EDWARDS Bryan ; ELLISON Ralph (écrivain) ; FARLOW Tal (guitariste) ; GALLIANO Richard (accordéoniste) ; GILLESPIE Dizzy (trumpet, comp, lead) ; HERSKOVITS Melville J. ; HOLIDAY Billie (vocal, lead) ; JONES Leroi (critique jazz, écrivain, poète musicien, USA) ; LANGEL René (critique jazz) ; LEVY Lou ; LOUISS Eddy (organiste, comp, agr, lead) ; LUTHER Martin ; MINNE Pierre (écrivain, ethnomusicologue) ; MONTESQUIEU ; OLIVER Paul (écrivain, blues) ; PATTON Charles ; REED Ismaël ; SENGAT-KUO François ; STRAYHORN Billy (arrangeur) ; TAYLOR Art (drums) ; WESLEY John ; YOUNG Lester (saxophoniste ténor, clarinette)
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